La Zone du Dehors

Ayant découvert Alain Damasio récemment avec La Horde du Contrevent, c'est avec une certaine appréhension mêlée d'envie que j'ai abordé La Zone Du Dehors. C'est le cas classique : on voudrait relire le livre qu'on a déjà lu, mais pas pareil pour éviter la répétition.

L'auteur a donc inconsciemment fort à faire pour reconquérir un public censément à sa cause. Il doit conserver son style sans se répéter, innover sans se trahir lui-même. Pari audacieux donc, et pleinement rempli avec ce nouveau roman.


Le cas est ici particulier car La Zone du Dehors a été écrit et publié pour la première fois en 1999, donc avant l'écriture de la Horde du Contrevent. Pourtant cette sorte d'exhumation ne fait pas tâche. Les deux livres partagent certes des caractéristiques communes, mais leur fond est très différent.

Mais faire seulement la comparaison des deux livres serait voler la Zone du Dehors, qui ne manque pas d'atouts intrinsèques pour plaire. Tour d'horizon.

Il était une fois, dans un futur et une planète proche

Ce livre se place dans un futur proche de notre monde actuel, en 2078 pour être précis. La Terre est en proie aux ravages de la Quatrième Guerre Mondiale Chimique, et ceux qui ne sont pas partis rejoindre une des colonies autonomes sur un des satellites de Saturne se sont réfugiés en Afrique, dernier continent épargné par les affres de la guerre. Ces colonies autonomes, appelées Cerclons, en rapport avec leur forme générale circulaire, constituent donc le fer de lance de la démocratie du futur.

A ce titre, le gouvernement de Cerclon I a mis en place tout un système de société censé réguler tout désordre, nommé le Clastre. Ainsi, tous les clastrés voient leur nom définis entre 1 et 5 lettres en fonction d'un classement basé sur des batteries de notation inter-accordées entre les clastrés. Ainsi, le président de Cerclon est A, et le clastré le moins bien classé est Qzaac, mais ce classement change tous les quatre ans. Ainsi chaque clastré change de nom tous les quatre ans, avec le secret espoir de perdre une lettre, ce qui signifierait son accession à la sphère supérieure de la société.

Silence, Saturne !

Au milieu de cette société trop bien organisée, un groupe d'hommes tente de se dresser. Brihx, Obffs, Slift, Captp et Kamio sont les leaders d'un mouvement de contestation qu'ils ont nommés eux-même "la Volte". Leur combat ? Dénoncer l'apathie de cette société dont toute les réductions de liberté commencent par "Pour votre santé et votre sécurité", célébrer la vie et l'art en-dehors du clivage trop strict de cette société qui a perdu toute saveur, et défendre les modes de vie alternatifs de ceux qui ne peuvent ou veulent pas faire partie du Clastre, ceux qui sont relégués près du Cube, cette immense décharge radioactive à la périphérie de Cerclon, nommés pour cette raison les radieux, ou les radzonards, selon les sources.

Le livre suit en particulier Captp (qui se prénomme lui-même "Capt", parce que selon lui son nom complet est débile), honorable professeur d'université le jour, poète rebelle la nuit, dans sa quête de la liberté. Il va ainsi tout faire pour démonter les rouages malsains de cette société qui le contient, qui le comprime, qui lui inspire un sentiment qu'il nomme "carcéviscéral". Armé de sa verve et de son inventivité, soutenu par l'affection qu'il porte à Bdcht, qu'il surnomme "Boule de Chat", il poursuivra sa quête d'une vie absolue tout le long d'une aventure parfois haletante, souvent poétique, mais toujours philosophique.

Ah le petit brax frais, qu'on boit sous les turbines à ox

Sous couvert de science-fiction finalement assez chiche en détails techniques, ce livre est une vrai critique de l'évolution de la démocratie sous la forme que nous connaissons aujourd'hui. Aucun système de répression douce, aucun système d'incitation sous-entendue, aucun système d'anonymisation ne semble irréaliste dans un futur pas si lointain que ça. Derrière les réflexions philosophiques et politiques de Capt sur l'organisation de Cerclon, on peut y sentir une réflexion transposable sur la société actuelle dans laquelle nous vivons. Une réflexion sur le pouvoir, la liberté, l'accomplissement de soi également, rythmée par les coups d'éclat fomentés par la Volte.

On joue à celui qui a la plus grosse... répression

On peut certes comparer La Zone du Dehors à La Horde du Contrevent, mais ce sera toujours sur la forme, jamais sur le fond, les deux livres étant fondamentalement divergents. Métaphysique fantastique pour La Horde contre Philosophie politique d'anticipation pour La Zone. Par contre, on peut sans crainte le comparer à son illustre ancêtre "1984". Mais si ce dernier se cantonnait dans la description d'un futur cauchemardesque et finalement plus grotesque que réaliste, La Zone du Dehors se paye le luxe de proposer un système autrement plus réaliste et efficace, et en même temps de proposer un espoir de renverser la vapeur.

Par rapport à la Horde du Contrevent, on retrouve plusieurs éléments dans La Zone du Dehors qui jetteront les bases du succès de La Horde, notamment cette tendance rafraîchissante et originale au néologisme, jamais envahissante ni confondante, et ce style de narration dynamique composé de plusieurs narrateurs ayant chacun leur point de vue et leur style propre. Ces éléments ne sont toutefois pas aussi pleinement exploités que dans La Horde, ce qui permet également d'identifier la chronologie originelle de ces deux livres malgré les dates de dernière publication inversées.

See you, Space Cowboy

Mon conseil est bien évidemment de lire La Zone du Dehors, pas seulement pour les mêmes raisons qui m'avaient poussées à vous conseiller la Horde du Contrevent, mais aussi pour celles, bien plus personnelles à ce livre qui me l'ont fait apprécier. Cela dit, je conseille quand même de lire La Zone du Dehors avant la Horde du Contrevent, non seulement pour la progression stylistique, mais aussi pour le sujet, bien plus actuel et porteur de réflexion sur notre société que ne peut l'être La Horde.

Web: Site officiel du livre

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4 Commentaires

  • Bonjour je m'appelle Spice et je suis un clastré qui vit dans le refuge des reclus où l'on ne peut pas créer de fiches techniques.

    Ainsi, le président de Cerclon est A, et le clastré le moins bien classé est Qzaac

    Moi j'aurais dit Zeami.

    Spice erre dans un monde clastrateur à la recherche d'une trace qui le mène sur la piste de la légendaire Zeami, la plus clastrée d'entre les clastrés.

    Quand il l'aura trouvée il la libèrera du joug de ce monde clastrateur et alors le refuge des reclus resplendira de l'espoir d'un monde plein de projets et de fiches techniques.

  • Bonne chance Spice dans ta quête de l'introuvable Zeami, et n'oublies pas de prendre un certain Landr en passant.

    Et bien Ertaï, je ne suis pas du genre à lire des livres mais la description que tu as en fait me donne envie de le lire, en plus j'aime bien le titre. Je ne sais pas où je peux trouver un livre de ce genre à Diégo, peut-être en allant chercher à l'Alliance Française. Qui sait, avec un peu de chance je tomberai dessus.

    Combien de pages fait La Zone du Dehors si ce n'est pas trop te demander?

  • Je te répondrais avec plaisir que l'édition poche (dont j'ai posté la couverture dans le sujet de présentation) fait 639 pages de texte, plus avec les pages de garde, l'index de fin et la couverture.

    Content de t'avoir donné envie de le lire, surtout que je crois qu'il vaut vraiment le coup. On est bien loin de la littérature de gare qui orne les étagères des relais H et autre librairie populaire.

  • Radio Grenouille a réalisé une entrevue avec Alain Damasio, l'écrivain de la Zone du Dehors et de la Horde du Contrevent, deux livres que je ne vous ferai pas l'affront de vous représenter.

    Ecoutez en ligne La Zone d'Alain Damasio sur Radio Grenouille.

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