Biais cognitifs : pourquoi les remarquer et quand les ignorer

Les biais cognitifs sont caractérisés par une déviation systématique du jugement par rapport à la réalité et sont une part intégrante du fonctionnement normal de notre cerveau. Une fois armé de la connaissance des biais cognitifs, il peut être tentant de les faire systématiquement remarquer ; Cependant, les cas où cela est réellement utile de réduire leur influence sont peu nombreux.


Qu'est-ce qu'un biais cognitif ?

Les biais cognitifs sont des raccourcis mentaux existants de longue date que de récentes sciences psycho-sociales ont commencé à cataloguer. Ces comportements inconscients sont ultra-répandus, ne dépendent pas du QI ou du niveau d'éducation, et font croire que nous sommes parfaitement logiques et rationnels même quand nous ne le sommes pas ; cela arrive même en connaissant l'existence des biais cognitifs.

Plus généralement, ces raccourcis mentaux qui nous épargnent du temps de réflexion éloignent notre représentation du monde de ce qu'il est réellement. Les biais cognitifs agissent à tous les niveaux de notre existence consciente, de la perception sensorielle elle-même en passant par l'évaluation des probabilités, notre schéma de causalité, jusqu'aux relations sociales que nous entretenons.

Quelques exemples

Concrètement, cela prend la forme de systématiques petites erreurs de jugement dans un contexte donné. Prenons un exemple sur les probabilités. Si je tire à pile ou face 5 fois avec une pièce équilibrée et que j'obtiens 5 fois face, quelle est la probabilité que j'obtienne pile lors du prochain tirage ?

  1. 50%
  2. 55%
  3. 60%
  4. 75%

Si vous avez ne serait-ce que considéré que les réponses 2 à 4 pouvaient éventuellement être vraies, alors vous avez été victime d'un biais cognitif bien connu, nommé "Sophisme du joueur". En réalité, la probabilité que pile apparaisse lors du sixième tirage est la même que lors des précédents tirages (réponse 1), mais nous avons une tendance naturelle à vouloir compenser une situation improbable (tirer 6 fois face de suite) par un retour à ce que nous considérons être la normale (un nombre équivalent de pile et de face lors d'une suite de tirages).

Côté relations sociales, un biais classique consiste à ne considérer que les défauts de quelqu'un que l'on déteste, tandis qu'on sera amené à voir davantage les qualités de ceux que l'on apprécie. Tout cela pour éviter une dissonance cognitive qui nous ferait par exemple reconnaître des points positifs à des gens que l'on déteste par ailleurs, ce qui remettrait en cause notre détestation initiale.

Niveau raisonnement, nous allons avoir tendance à préférer considérer des éléments qui vont dans le sens de nos opinions que des éléments qui les infirment. Ce biais de confirmation est particulièrement prégnant dans les théories du complot dont tous les éléments (et même l'absence d'élément) viennent renforcer l'hypothèse considérée.

Ces trois exemples ne sont qu'un infime extrait de la liste des biais cognitifs 🇺🇸 qui est régulièrement agrémentée au fil des expérimentations en psychologie sociale qui permettent d'isoler ces biais au fur et à mesure. Et rien ne dit que cette liste soit finie.

C'est grave docteur ?

Heureusement, non. Les humains ont toujours vécu avec ces biais cognitifs, et jusque là cela n'a pas mis l'humanité en danger. Les biais cognitifs affectent principalement le jugement, donc à moins que vous soyez amené à prendre régulièrement des décisions de vie ou de mort, pour vous-mêmes ou pour d'autres, vous n'avez pas besoin de vous préoccuper des biais cognitifs. Est-ce que nous vivrions mieux sans ces biais cognitifs ? C'est possible, quoique pas entièrement certain, mais il existe une catégorie de personnes pour qui l'identification et la réduction des biais cognitifs est une question de vie ou de mort, il s'agit des chercheurs en risques existentiels.

Risque existentiel, quésaquo?

Concrétement, un risque existentiel est le risque que l'humanité disparaisse purement et simplement ou que son potentiel de développement soit définitivement diminué. Un exemple du premier cas serait la chute d'un météore tueur sur Terre, le deuxième serait la réduction en esclavage de l'humanité par des entités plus avancées que nous. Le but du travail des chercheurs en risques existentiels est tout d'abord d'identifier les potentiels risques, puis de les évaluer, puis de proposer des plans d'actions pour limiter les risques ou les faire disparaître.

C'est lors de la deuxième étape, l'évaluation des risques et leur priorisation, que les biais cognitifs jouent un rôle important. Pour la plupart des risques ordinaires (incendie, cancer, etc...), nous disposons d'amples quantités de données à propos d'événement passés qu'il suffit d'éplucher pour parvenir à un modèle statistique fiable. Le problème des risques existentiels est qu'il n'existe pas énormément de précédents, ou je ne serais pas là en train de vous en parler. L'exemple qui vient naturellement en tête est celui du météore qui a provoqué l'extinction des dinosaures à la surface de la Terre, mais au-delà nous n'avons pas beaucoup d'exemples concrets et répétés pour obtenir une série statistique qui pourrait corriger d'elle-même les erreurs d'évaluation humaines.

Les chercheurs en risques existentiels ne peuvent compter que sur un seul outil pour mener leur travail à bien, et c'est leur cerveau. Inventer des scénarios dans lesquels l'humanité disparaît ou ses ambitions sont à jamais diminuées n'est pas le plus difficile, mais les ressources disponibles pour la prévention de tels risques étant limitées, ces chercheurs doivent mener un travail long et fastidieux pour tenter d'évaluer la probabilité de chaque scénario au plus précis sans pouvoir se baser sur des occurences précédentes. Or le cerveau humain est par défaut plutôt mauvais en probabilité, en prédiction et en jugement, donc réduire l'influence des biais cognitifs est une priorité pour quiconque souhaite se lancer dans la recherche sur les risques existentiels.

Mais pas pour les autres.

Mais je veux pouvoir prendre de meilleures décisions !

Bien sûr, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions ! Le problème de la connaissance des biais cognitifs est qu'il est à double tranchant. Savoir les réduire correctement mène théoriquement à de meilleures décisions, mais dans le cas contraire, la confiance supplémentaire apportée par la simple connaissance des biais cognitifs peut réduire notre capacité à douter de nos mauvaises décisions.

L'autre aspect agaçant de la connaissance des biais cognitifs est leur utilisation pour remporter un débat. Pointer un éventuel biais cognitif dans l'argumentation d'un participant au débat permet à la fois d'avoir l'air intelligent et de ne pas avoir à répondre à l'argument lui-même. Cela est parfaitement malvenu surtout dans des débats politiques, psychologiques ou économiques vu qu'il n'existe pas de réponse exacte aux différentes problématiques. A moins que soient discutées des probabilités comcrètes, mais ce n'est pas le gros des discussions de ce genre.

Conclusion

Oui, il est possible de diminuer l'influence des biais cognitifs dans nos jugements, mais cela requiert un effort constant car c'est aller contre la nature même de notre cerveau. Bien qu'imparfait, celui-ci nous a parfaitement suffit jusque là, et d'autres gens sont chargés de proposer des mesures préventives pour assurer sa pérennité, mesures que les politiciens ne vont probablement pas appliquer sauf en dernier recours.

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4 Commentaires

  • Ah le zététicien est de retour smile

    Sur la Tronche en Biais il y a eu pas mal de vidéos intéressantes dernièrement, une interview de Guillaume Lecointre qui explique que dans le cadre d'une recherche scientifique il n'a pas d'autre choix que de soumettre les découvertes à la contradiction pour arrivé au plus haut niveau d'acceptation qu'est le consensus, et cela prend beaucoup de temps. Pour le reste c'est moins grave car c'est le domaine de la croyance ou de la politique, la més(dés)information étant un outil puissant pour les abrutis serviles que nous sommes.

    Une autre interview avec Jaques Grimault montre au contraire comment ou peut tordre l'esprit des gens pour leurs faire gober n'importe quoi (voir le phénomène d'équateur penché).

    Cela dit il est arrivé que des biais mettent en péril la survie de l'homme, comme au moment de la peste noire où l'autorité religieuse a fait tuer tous les chats. Mais au final il y a toujours un petit % de survivant résistant à la maladie, donc est-ce que l'on peut dire que l'humanité était menacé ?

  • Le sophisme du joueur est assez facile à combattre.
    0ù serait cachée/stockée l'information selon laquelle, dans le passé, la pièce ou le dé a chuté sur telle ou telle face ?

    Ertaï a écrit :

    nous n'avons pas beaucoup d'exemples concrets et répétés pour obtenir une série statistique qui pourrait corriger d'elle-même les erreurs d'évaluation humaines.

    Malheureusement la hauteur des digues ne dépasse pas toujours la hauteur des vagues. Quel est donc ce modèle statistique fiable qui, en compilant tous les débordements passés, pourrait prédire la hauteur maximale des crues et tsunamis à venir ?

  • Ne confondons pas probabilités et statistiques ! surprised

    Dans un jeu vidéo de Monopoly, il y a en fin de partie 2 courbes sur les jets de dés : la courbe des probabilités (de 1 à 12 et ça ressemble a une vague avec la plus grosse probabilité en 5, 6 et 7), et la statistique en elle même qui peut parfois avoir une toute autre forme (selon la chance du joueur), mais elle tend a s’en approcher a mesure que le nombre de lancé de dés progresse vers l'infini.

  • Cela dit il est arrivé que des biais mettent en péril la survie de l'homme, comme au moment de la peste noire où l'autorité religieuse a fait tuer tous les chats. Mais au final il y a toujours un petit % de survivant résistant à la maladie, donc est-ce que l'on peut dire que l'humanité était menacé ?

    Pas vraiment, non. Cela a été une catastrophe humanitaire, mais ce ne serait pas considéré comme un risque existentiel.

    Quel est donc ce modèle statistique fiable qui, en compilant tous les débordements passés, pourrait prédire la hauteur maximale des crues et tsunamis à venir ?

    Justement, il n'y en a pas, et c'est justement pour cela que les chercheurs en risque existentiels ne peuvent compter que sur leur outil biologique, leur cerveau. Par rapport à ton exemple, je ne sais pas si tu parles de façon littérale ou figurée, du coup je vais le laisser là.

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