Sous la lumière blanchâtre des néons, dans une pièce métallique et froide, Terence poussa un grognement avant d'écraser sa cigarette directement sur le seul meuble, une table en fer à moitié rouillée. Le silence fut à peine interrompu. En ancien Marine qu'il était, la patience n'était pas son fort, malgré l’apparente décontraction qu’il affichait en toutes circonstances.
Il n'eut plus longtemps à attendre. Enfin, des pas se firent entendre de l'autre côté de la porte. Dans la pièce, Terence regarda sans broncher ses trois acolytes se crisper.
Les mains se serrèrent contre les fusils-mitrailleurs et armes de poing. Quatre paires d'yeux scrutaient dans le silence froid l'écran de la caméra qui affichait la présence de deux hommes derrière la porte. Le premier était un homme plutôt grand, d’épais cheveux blonds gominés vers l’arrière lui donnait une allure de fauve. Alexei. Sa démarche était celle du lion marchant au milieu d’un troupeau de moutons. Derrière lui suivait un homme légèrement moins grand mais tout en muscle. Des veines lézardaient ses bras anguleux, son torse gonflé de force imposait le relief à son débardeur, et avec ses cheveux courts tout criait au stéréotype de la brute épaisse. Peut-être pas autant que Terence, mais presque. Le problème, c’est que personne ne le connaissait. Et lorsque l’on est un conspirateur, on ne goûte généralement que peu ce genre de surprises.
Trois coups, un coup, deux coups. Le signal que ce n'était pas un piège. Pourtant, l'impromptu accompagnant changeait la donne.
- Ouais ? brailla Terrence, son cigare à la bouche.
- Tout va bien, il est avec moi, répondit la voix grave mais atténuée d’Alexei derrière la porte blindée.
- J’vois pas d’quoi vous parlez. Partez.
Malgré la nervosité ambiante et les mains crispées sur les fusils, des sourires amusés apparurent sur les visages des trois personnes derrière Terence.
- Ne fait pas le malin, reprit Alexei derrière la porte. Ouvre-moi maintenant.
Les autres pouffèrent un instant devant la déconvenue du chef Alexei. Terence resta de marbre pendant plusieurs secondes, avant de se décider enfin à ouvrir. Les quatre hommes de la pièce pointaient leurs armes sur les deux nouveaux arrivants, qui apparaissaient décontractés malgré la situation. Mais le Marine n'attendit pas de les laisser respirer et, brutalement, saisit le nouvel arrivé avant de le plaquer contre le mur, le coude sur la gorge et le fusil pointé sur le bide.
- T'es qui toi ? demanda-t-il, le regard mauvais, soufflant la fumée du cigare sur son visage.
- Doucement, on reste calme, s’étouffait l'autre en tentant de se débattre. Je ne suis pas un ennemi.
Mais Terence continuait de le fixer droit dans les yeux, comme s’il comptait extirper la vérité par son regard. L’étranger lui saisit le bras qui l’étranglait, et poussa peu à peu de toutes ses forces pour s’en libérer. Il parvint suffisamment à desserrer l’étreinte, malgré le canon du fusil pointé sur son ventre, pour pouvoir faire un pas de côté et se libérer de l’emprise de l’ancien Marine.
Tout le monde en fut stupéfié. Personne n’avait pu résister jusque là à Terence et sa force invincible. Rien que son regard bleu-gris acier, ferme, suffisait généralement à clouer quelqu’un sur place.
- Il suffit !
L’ordre d’Alexei résonna dans la pièce comme un claquement de fouet. C’était la voix de l’autorité personnifiée. Une voix que même Terence respectait. Les deux combattants se regardaient en chiens de Fayence sans bouger.
- Je pensais avoir suffisamment votre confiance pour ne plus mettre en doute mes actions, s’irrita Alexei.
Il y eut un silence gêné, et personne n’osa regarder ce bras gauche qui n’existait plus depuis maintenant plusieurs années, arraché à main nu par un Marine et son armure.
- Je vous fait les présentations, poursuivit Alexei. Messieurs, voici Swinn. Swinn est un combattant expérimenté, mais c’est surtout le dernier soutien dont nous avions besoin avant l’assaut final. C’est un lieutenant des Rebelles de Raynor.
Tout le monde acquiesça, sauf Terence.
- Swinn, voici Terence. Avec trois hommes entraînés il peut te décimer une armée. Je te présente également Flynn, le plus chevelu d’entre nous. Chargé de tout ce qui est mécanique, et surtout les tanks. Ensuite, Lu-Than, une excellente général d’infanterie, qui sait comment excellemment mener les hommes, ce qui devient rare de nos jours. Et enfin, Pauli. Elle pourra te briefer sur notre logistique.
Swinn serra la main de chacun. Il finit par la tendre ensuite vers Terence, qui ne broncha pas.
- Bon, les présentations sont faites, continua Alexei. Passons maintenant aux choses sérieuses. Comme je le disais, Swinn est un lieutenant des Rebelles de Raynor, et il nous aidera du mieux qu’il le pourra à bouter l’Empire tyrannique hors de notre planète, notre chère Liba. Swinn, comme tu le sais nous sommes sur la périphérie de l’Empire, et nous avons donc davantage de chances de déclarer notre indépendance depuis que la menace Zerg est revenue.
Les Zergs. Des aliens venus d’un endroit lointain de la galaxie, colonisant les planètes comme les cafards envahissent les maisons, dévorant leurs habitants… Ou pire : en les assimilant à leurs essaims, pour en faire des hommes infestés, dévoués à leur nouveau maître. Des monstres de cauchemars, dont les différentes allures semblaient tout droit sorties des pires contes d’horreur.
- Il y a deux semaines encore, dit Flynn, des troupes impériales sont parties d’ici pour rejoindre le front. Cela porte les effectifs de nos ennemis à 500 hommes. Mais la plupart sont de pauvres citoyens mobilisés de force, le souci sera les 50 marines sur place, des vrais de vrais, dont 30 autour du Palais du Gouverneur. Ils sont épaulés par un Médivac. Il y a également six Goliaths, très adaptés aux combats de rue, et deux tanks. Or, nous ne sommes ni équipés, ni entraînés correctement face à cela. Nous avons déjà tenté des opérations de sabotage des machines, mais nous avons échoué.
De sa main, Swinn se frotta le menton mal rasés dans un geste de réflexion.
- Ça ne va pas être facile, mais il y a peut-être quelque chose à faire. Je n’ai pas des ressources illimitées à ma disposition, mais nous les Rebelles de Raynor avons pour mission de renverser l’Empereur Mengsk. Nous vous aiderons du mieux que nous pourrons.
- Parfait alors. Qu’avez-vous à nous proposer ?
- La priorité sera sans doute de détruire le Médivac, qui est un atout non négligeable pendant une bataille de petite envergure. C’est un transport aérien efficace, et en plus il soigne les pires blessures en quelques secondes. Deux Ombres avec invisibilité devraient suffire.
- Des Ombres ?
- Il s’agit de petits vaisseaux furtifs et capables d’être invisibles pendant de longues minutes Ils peuvent combattre aussi bien dans l’espace qu’en atmosphère. Idéal contre le Médivac donc. Mais une fois que celui-ci sera détruit, nos ennemis auront eu le temps de lancer un détecteur et nous ne pourrons plus nous charger des tanks. Pour ceux-là, il faudra envisager une autre tactique. Peut-être lancer des troupes au corps-à-corps. En position d’artillerie, jamais ils ne tireront dans le tas s’ils ont peur de toucher l’un des leurs.
- Mais nous n’avons pas de troupes suffisamment blindées pour résister à un feu nourri de Marines ! rétorqua Lu-Than.
- Quel genre de troupes possédez-vous ? demanda Swinn.
- Des citoyens, avec une formation primaire en armes et tactiques.
Swinn demeura interloqué.
- Comment ? Pas d’armes à lourd calibre ? Pas d’armures énergétiques ?
Lu-Than secouait la tête à chaque question.
- Il y a bien la vieille relique de Terence, opina Pauli.
Ils éclatèrent de rire, sauf Terence qui resta de marbre, blasé.
- Ma vieille relique, elle vous emmerde, répliqua-t-il.
- Alors, reprit Swinn, vous n’avez rien digne de ce nom. De mon côté, même si je vous offre mon aide, je ne peux pas non plus apporter tout le nécessaire pour éradiquer 50 Marines bien accompagnés. Ce que je vous proposerais plutôt, c’est de vous mettre en relation avec des mercenaires.
- Des mercenaires ? Non merci, dit sèchement Alexei. Des êtres sans idéaux et ne partageant pas nos intérêts. Et ils sont dangereux.
- J’insiste, réfléchissez-y. Vous n’aurez jamais assez d’hommes et de matériels pour tenir tête à cette infanterie lourde si vous ne vous dotez pas d’une aide musclée. Les mercenaires sont là pour cela : envoyez-les en première ligne, et ils se débrouilleront très bien pour éviter des pertes de leur côté. Nous pouvons apporter la moitié de l’or demandé, si vous remplissez l’autre moitié. Cela nous évitera de mobiliser nos troupes, déjà fortement occupées par l’ensemble du Dominion. Qu’en dites-vous ?
Un silence. Alexei regardait Swinn de ses yeux perçants, comme pour le jauger.
- Topez-la.
Alexei Khamarov, face à la fenêtre poussiéreuse de son bureau, regardait la ville sans la voir. Ses yeux se posaient sur les bâtisses, mais ses pensées étaient tournées vers l’intérieur. Il songea à toutes ces années de lutte qu’il avait mené jusque là. Depuis qu’il avait vingt-quatre ans, son âge lorsque les hommes de l’Empire avaient débarqué sur cette petite planète, Liba, qui était son chez-lui. Les nouvelles étaient allées plus vite que les troupes, tout le monde savait déjà que la Confédération, qui dirigeait auparavant le secteur, était tombée et que l’Empire était né de ses cendres encore fumantes. L’Empereur Mengsk, qui dirigeait la résistance contre ces despotes de la Confédération, était devenu lui-même un nouveau tyran. Le Tyran. À abattre.
Alexei se rappela le mécontentement des habitants, qui avaient pesté contre les nouveaux impôts. Son grand frère et son père étaient de ceux-là, et comme les autres leaders, ils furent fusillés avec les autres par les Marines de l’Empire aussi sec, et leur mort avait laissé un grand vide dans sa vie. Il se souvint du chagrin qui avait ébranlé et disloqué sa famille, la division dans la population entre les pro-impériaux et les anti-impériaux. Lui avait déjà choisi son camp.
Il n’avait pas attendu sa vingt-cinquième année pour entamer ses premières actions de résistance. Peu de choses pour commencer, quelques cailloux lancés la nuit sur les vitres du palais du gouverneur ; des graffitis d’insultes ; des phrases de révolutionnaires scandés lors du passage de patrouilles. Alors vint rapidement la prison.
La principale prison de Liba réunissait toutes sortes de pensionnaires. À commencer par des gens de tous les jours, arrêtés arbitrairement parce qu’ils étaient là au mauvais endroit au mauvais moment, ou pour délit de sale gueule ; et en finissant par des condamnés à mort, parce qu’ils étaient des serial killers ou des traîtres à l’Empire. C’étaient auprès de ces gens-là qu’il avait appris ce qu’étaient le délit et le crime. Il s’était forgé son caractère dans la cour crasseuse et pleine de rats, dans les cellules aux murs moisis, dans les couloirs gris bétonnés, fissurés, mal éclairés. Il s’était fait des amis et des ennemis auprès des petites frappes, des délinquants et des grands criminels. La plupart avaient quelque chose à lui apprendre. Comment se battre, manier différentes armes, monter des explosifs, paraître impressionnant, développer de petites tactiques, de grandes stratégies, corrompre des fonctionnaires impériaux, développer son réseau, marchander, trafiquer… Et tout ceci, il l’avait appliqué dès sa sortie de prison. Il avait gardé un carnet d’adresse bien rempli et s’était empressé de monter un groupe avec différents experts en matière militaire. Terence, qui avait partagé sa cellule pendant un temps, l’avait rejoint peu de temps après sa sortie pour lutter contre l’Empire, pour des raisons qui lui appartenaient.
Et à présent il était là. Dix ans s’étaient écoulés depuis la mort de son frère et de son père. Leur mort l’avait guidé dans chacun de ses pas. Dix ans de prison puis de résistance, du lanceur de cailloux contre le palais du gouverneur, au leader de toutes les cellules de résistance de la planète. De la première vitre brisée, à l’expulsion totale des forces impériales et l’indépendance de Liba. Sa vie, il l’avait dédiée au combat, et toutes ces années d’effort pouvaient enfin aboutir.
- Échec et mat, dit une voix derrière lui.
Les pensées brumeuses emplies de souvenirs se dissipèrent, et Alexei se retourna vers Swinn, la seule autre personne de la pièce, qui achevait de poser sa tour sur une case de l’échiquier. Il marcha vers lui de sa démarche royale, presque animale, qui le caractérisait. Il se pencha sur le plateau du jeu, regarda les pièces disposées dans une configuration qui ne lui étaient pas favorables, puis soupira.
- J’ai toujours été nul aux échecs.
Swinn éclata de rire.
- Pour un stratège, n’est-ce pas un peu embêtant ?
- Je ne suis pas de cet avis, répondit Alexei en haussant un sourcil. Les règles de la guerre sont sensiblement différentes de celles des échecs. Mais nous pouvons les rapprocher : disposez vos pièces un peu partout sur l’échiquier, et ensuite j’y placerai les miennes. Et ce sera à moi de commencer.
Swinn s’esclaffa à nouveau.
- Cela vous donnerai trop d’avance.
- N’ai-je pas justement de l’avance sur mes adversaires en ce moment ? Le Gouverneur envoyé par l’Empereur a-t-il une chance de nous vaincre ?
- Vous parlez comme si vous étiez déjà vainqueur. Cela pourrait vous être fatal.
- Je n’envisage pas d’autre possibilité que de gagner cette bataille, répondit Alexei en haussant les épaules. La victoire ou la mort, tel est mon crédo. Mais je sais que les guerres sont toujours pleines de surprises et qu’il faut s’y préparer, même si je fais justement tout pour les éviter. C’est peut-être cela, être un bon stratège : essayer de réduire au minimum le rôle du hasard.
Swinn hocha la tête, pensif.
- Et une fois le gouverneur renversé et l’indépendance déclarée, que ferez-vous ? demanda-t-il. Puisque vous vous imaginez déjà victorieux, vous y avez sans doute déjà songé je suppose.
- Et vous avez raison, répliqua Alexei avec conviction. Mon but est bien sûr d’instaurer une démocratie sur Liba. Il est injuste que le pouvoir ait été retiré au peuple par la force, et je mettrai toutes mon énergie pour défendre cette idée jusqu’au bout.
- Mais une démocratie ne s’instaure pas en claquant des doigts. Il faut réunir des personnes influentes et possédant une légitimité aux yeux du peuple, organiser des élections, résister à l’instabilité qui entoure une conversion du pouvoir… Qui dirigera le pays pendant ces longs mois précédant les premières élections ? Vous peut-être ?
- Et pourquoi pas ? Y a-t-il personne plus légitime que moi en cet instant ? N’ai-je pas montré que je suis capable de donner de ma personne ?
- Vous voulez sans doute parler de votre bras ? répliqua Swinn.
Il fit tout pour ne pas regarder ce bras gauche disparu d’Alexei. Jamais un élément absent n’avait eu soudain une si forte présence, mais il était déterminé à pousser le leader de la résistance dans ses derniers retranchements. Mais Alexei repoussa l’argument d’un geste dédaigneux de la main.
- Ça et d’autres choses. Vous imaginez-vous que toutes ces décennies passées dans la clandestinité se résument à ce que vous avez vu ces derniers jours ? Ce que vous ne réalisez pas, c’est le tissu de relations qu’il a fallu se forger, le recrutement risqué mais continuel, l’hostilité d’une population qui a vu ce qu’il en a coûté à la planète voisine lorsqu’elle s’est révoltée, et puis les traitrises accumulées, les revers de fortune, comme les petites victoires… Aujourd’hui est l’accumulation de trop nombreuses années de lutte.
- Vous n’êtes pas le seul à savoir ce qu’est la résistance, dois-je vous rappeler que je fais parti du plus grand groupe de résistance connu agissant contre l’Empereur Mengsk ? Malgré tout, vous avez passé tout ce temps dans l’ombre, en ne combattant qu’un seul ennemi, le gouverneur impérial. Mais en lançant l’offensive dans quelques jours, vous allez passer sous la lumière des habitants. Ils mettront un visage sur celui qui affronte l’autorité. Et dans votre prise de pouvoir, vous vous trouverez d’autres ennemis que le gouverneur. Parmi la population, tout le monde ne voudra pas se débarrasser de l’Empire, nous avons pu nous-mêmes nous en rendre compte, dans les mondes que les Rebelles de Raynor tentent de libérer.
- Je connais leurs arguments, mais je les trouve ineptes. Je suppose que vous parlez des Zergs ?
Swinn acquiesça.
- Je veux bien croire que ces… Zergs sont une menace pour l’humanité, poursuivit Alexei, comme tout le monde, j’ai appris qu’ils ont ravagé plusieurs mondes. En ce qui me concerne, je n’ai jamais pu m’empêcher d’être sceptique à leur sujet. Comme par hasard, ils sont arrivés au moment où Mengsk a voulu prendre le pouvoir. Par une coïncidence extraordinaire, les Zergs ont largement contribué à la destruction de l’ancienne Confédération, sur les cendres de laquelle l’Empire s’est bâti. Ils n’ont pas besoin de vaisseaux spatiaux mais par leur biologie peuvent parcourir les mondes. Mouais. Je suis persuadé que l’Empire grandit la menace pour justement empêcher les contestations. Porter l’attention sur un ennemi extérieur pour ne pas s’attarder sur les problèmes intérieurs, l’histoire est pavée de ce genre d’entourloupes.
- Je ne peux que démentir malheureusement. Raynor et moi-même avons déjà combattu les Zergs. Ce n’est pas un genre de petite menace à prendre à la légère.
- Admettons. Mais quoi, nous devons courber l’échine sous les lois liberticides du Tyran sous prétexte d’un danger ? Non. Nous devrions nous battre non seulement pour notre vie, mais également pour notre liberté. Vous-mêmes êtes bien des rebelles, vous ne prônez pas l’unité avec l’Empire que je sache.
- Tout ce que je dis, répondit Swinn en secouant la tête, c’est que des gens vous résisteront car ils croiront de toutes leurs forces qu’il vaut mieux un empire tyrannique mais uni et capable de préserver nos vies, plutôt qu’un empire morcelé et incapable de résister à un ennemi qui cause autant de peur.
Quelqu’un frappa à la porte, interrompant net la conversation. Terence apparut en uniforme, et avec lui son corps musculeux à l’extrême, ses cheveux rasés courts et son regard d’acier, si caractéristique des Marines. Après un court salut militaire (les conditionnements se perdent difficilement !), il livra son message.
- C’est bon Alexei, c’tout préparé comme t’as demandé. Réveil des cellules, les armes, les effectifs, tout.
Terence était la précision militaire même. Rapide, concise, toujours fidèle à elle-même.
Alexei sourit de sa manière de fauve, découvrant ses dents blanches et pointues.
- On ne peut plus faire marche arrière, de toute façon. On arrive au bout.
S’il y avait bien une chose que Terence détestait, c’était bien de devoir s’abstenir de boire. Il était évidemment nécessaire d’être sobre avant une opération, mais ce n’était décidément pas facile pour un militaire aussi aguerri que lui. D’autant plus que se trouver dans un bar, celui de la résistance, à un tel moment relevait du supplice de Tantale. Heureusement qu’il restait le cigare. Même de mauvaise qualité. Ça, au moins, il pouvait en fumer à volonté.
Autour de lui, d’autres compagnons souffraient avec lui pour les mêmes raisons, mais la discussion allait malgré tout bon train en instaurant une sorte de brouhaha ambiant. À cela s’ajoutait le son de la télévision, toujours bas en volume mais dont les images ne cessaient de relayer inlassablement la propagande impériale.
Les conversations allaient bon train et portaient toutes sur le même thème : l’indépendance de Liba et l’expulsion du Gouverneur actuel Sérah, représentant administratif de l’Empereur Mengsk. Le moral était haut et tous les résistants sur place semblaient impatients d’en découdre avec la milice et les quelques Marines présents sur la planète.
Lu-Than s’accouda sans bruit au comptoir à côté d’un Terence maussade, qui sirotait son jus de fruit. Comme toujours, elle était silencieuse comme l’ombre, se mouvant comme une féline. Sa fine et longue tresse asiatique glissant jusqu’à ses cuisses, et ses vêtements courts beiges, lui donnait l’aspect d’une aventurière.
- Ta boisson ne te plaît pas ? demanda-t-elle avec une pointe d’ironie.
- Faudrait l’épicer un peu plus pour ça, s’tu veux mon avis, répliqua Terence de sa voix rauque. C’triste, un bar sans alcool.
Lu-Than était la seule capable d’autant de familiarité avec l’ancien Marine, qui appréciait sa compagnie. Une sorte de complicité entre frère et sœur s’était instaurée entre eux, malgré leur rencontre très tardive – Lu-Than n’étant entrée qu’il y a un an dans la résistance.
- Tu auras tout le temps d’en boire après la bataille.
- J’espère bien. On dit qu’les caves du palais sont remplies des meilleures liqueurs d’la galaxie. Si l’gouverneur a pas encore tout tiré. Lui reste p’us que queq’jours de liberté à çui-là.
Lu-Than hocha la tête, comme si elle en doutait malgré tout.
- Quoi ? fit Terence. T’es pas convaincu qu’on va gagner ?
Il tira sur son cigare et exhala de la fumée tout autour de lui.
- Ce n’est pas ça, répondit Lu-Than en secouant la tête, et sa longue tresse par la même occasion. Mais quelque chose me tracasse. Je pense que les choses ne seront pas simples.
- Pas simples ? Moi, ça m’paraît très simple. Les mercenaires qui doivent nous aider sont arrivés cette nuit, ‘vec un bon stock d’armes et d’armures. Ça m’fait mal au cul de l’reconnaître, mais c’foutu Swinn a t’nu parole.
- Justement, parlons-en de Swinn. Il arrive au dernier moment là, comme un cheveu sur la soupe. Avec lui, c’est la cour des miracles, il nous donne pile ce dont on a besoin. Et il a l’entière confiance d’Alexei. Pourquoi ? D’où il vient ? C’est quoi ce groupe, là, « Les Rebelles de Raynor », dont il fait partie ?
- J’ai pas tous les détails, mais j’sais qu’ils combattent Mengsk d’puis le début. La propagande les cible tout l’temps, c’est qu’ils doivent être trop costauds. Et j’sais qu’leur leader, James Raynor, il s’implique des fois personnellement pour libérer les planètes de l’Empereur.
- Et on est sûr que Swinn fait partie de ce groupe ?
- À cent pour cent j’te dis. Alexei a même rencontré Raynor, une fois. Nan, ça m’fait chier de le reconnaître, ce Swinn j’l’aime pas beaucoup, mais l’est des nôtres. Moi, si j’étais à ta place et que j’devais m’inquiéter, c’serait plutôt à cause des mercenaires.
- Les mercenaires ? Pourquoi ?
Terence soupira en recrachant une épaisse fumée de ses naseaux.
- « La Phalange », qu’y veulent s’appeler, hein ? Sont pas comme les Marines. Z’ont pas de réel but dans la vie, pas de cause à défendre, pas d’morale, ça en fait des gens dangereux. En général, y choisissent pas de devenir mercenaire, c’est la vie qu’a choisi pour eux. Y savent rien foutre d’autre que de s’battre. Y sont parias, renégats, échoués de la vie.
- Oui bien sûr, ce n’est pas comme les Marines, ironisa Lu-Than.
- Fais ta maligne. Sûr, les Marines sont en général des anciens criminels ou des psychopathes. Mais bon, pour les plus dangereux, on leur a lavé l’cerveau pour les rendre un peu plus disciplinés.
Lu-Than gloussa.
- Ha d’accord, ça explique pourquoi tu t’exprimes si mal.
- C’est ça, tu rigoles, tu rigoles, mais moi aussi j’ai failli passer au lavomatic.
Le sourire de Lu-Than s’effaça progressivement, réalisant l’horreur.
- Toi ?
- Ouep. J’étais pas très discipliné à l’époque, je leur disais de se foutre leur ordres au cul.
- Et comment t’y a échappé ?
- Y’a un sergent qui m’a sorti du pétrin au dernier moment. Selim, qu’y s’appelait. Un grand homme. On est devenu proches, lui et moi. C’est devenu mon mentor.
Et il appuya sa dernière phase en tirant plusieurs coups sur son cigare qui menaçait de s’éteindre.
Lu-Than sirotait son jus de fruit, et s’apprêta à lui poser une question mais elle n’en eut pas le loisir. Le son de la télé augmenta de volume d’un coup, et le brouhaha général se fit moins entendre. Un « Taisez-vous ! » fusa, et les paroles du journaliste dans le poste se firent davantage audibles.
« … effroyable accident dans la capitale de l’Empire. Le Odin, puissante machine de guerre sortie des usines impériales, a souffert d’un terrible dysfonctionnement, ravageant plusieurs bases militaires dans les alentours et occasionnant de nombreuses pertes civiles. Notre reporter spécialement sur place, Kate Lockwell… »
- Yeehaaa !
Le cri de joie, que Terence reconnut comme étant celui de Swinn, qui était à l’autre bout du bar, résonnait tout à coup. Des éclats de rire surgirent et les conversations reprirent de plus belle.
- J’ai l’impression que c’est un coup de Raynor, hasarda Lu-Than.
- Ouais. Sûr que ça doit rendre Mengsk furax ça. Bordel, pourvu qu’on en finisse et qu’on s’remette à boire comme avant !
Cinq heures précises. Le hangar était comble. La foule debout de soldats, plusieurs centaines d’hommes entraînés et aguerris, était divisée en deux, entre d’un côté les résistants de souche, formés sommairement à la guerre mais motivés en ce grand jour malgré le peu de sommeil, et de l’autre les mercenaires arrivés récemment, aguerris par les nombreuses batailles qu’ils ont connues, la mine grave et le regard dur de ceux qui ont connu les pires horreurs et vivent avec sans trop de problème.
Sur une plateforme rapidement montée pour l’occasion, dominaient les trois hommes formant le commandement. En premier lieu, Alexei promenait son regard perçant sur l’ensemble des troupes sous ses ordres. Un ensemble hétéroclite, plutôt indiscipliné mais capables de remplir les ordres correctement, voilà ce qu’il allait devoir manipuler de toutes ses forces afin d’accomplir son objectif. Dix ans où la soif de liberté et de vengeance avait guidé ses pas. En cet instant, il eut une pensée secrète pour son père et son frère, disparus en même temps que son innocence d’enfant.
À la gauche d’Alexei, Swinn avec sa barbe mal rasée semblait absorbé par une tablette transmettant les dernières informations, envoyées par les éclaireurs, espions, et pilotes des deux Ombres. Il pianotait de temps à autres et ne paraissait pas attentif à ce qui se déroulait autour de lui.
À sa droite en retrait, Lu-Than se tenait droite, les bras sur les hanches, dans une attitude constante de défi. Être une femme dans un environnement si empli de testostérone l’avait rapidement obligé à être constamment sur ses gardes. Il lui fallait du répondant à tout instant et elle se prépara mentalement à prendre la parole. Et lorsque Alexei la lui concéda enfin, elle s’avança de deux pas afin de prendre aux yeux de tous davantage d’importance.
- Le jour tant attendu est arrivé. Nous nous sommes préparés pour ce grand moment, et il s’agit de ne pas le louper. Suivez les ordres, et tout se passera pour le mieux. Pour plus de sécurité, le quartier général se déplacera pendant le temps que durera l’opération. J’y resterai avec Alexei et Swinn pour coordonner notre action.
Elle marque une pause. Tout le monde semblait attentif. Bien.
- Vous allez avoir un peu moins d’une heure trente pour vous préparer. Dans le hangar derrière moi, il y a ce qu’il faut d’armes, généreusement offerts par Swinn et sa bande. Vous y trouverez également des listes, avec votre nom dessus, à quel groupe vous appartenez, votre sergent affilié, et l’endroit où vous devrez vous poster pour le début des opérations, à six heures trente, après le signal. C’est votre capitaine de section qui vous donnera les ordres sur place.
Une nouvelle pause. Alexei continuait de fixer la foule sans mot dire, sous son regard autoritaire de fauve, Swinn à tripoter sa tablette.
- L’ensemble de l’opération se déroulera ici, dans Sydion, la capitale de Liba. Pour une raison simple, c’est que si nous voulons renverser le gouverneur, nous devons le capturer. Et il nous le faut vivant ! Bien. Comme vous le savez déjà, le groupe de mercenaires La Phalange, ici présent, a généreusement accepté de nous aider et nous épaulera de toute sa puissance. Les phalangistes sont commandés par le capitaine Morin. Attention, je ne veux pas d’embrouilles au sein de l’équipe, tout doit se dérouler sans accroc. Nous œuvrons dans le même but, renverser le gouverneur, tâchez de ne pas l’oublier. À présent, accordons nos montres. À top, il sera cinq heures cinq… Top.
C’était tout. Lu-Than recula de deux pas pour signaler qu’elle avait terminé. Alexei reprit la parole et prononça enfin les derniers mots, motivant tout le monde en abreuvant les soldats de paroles d’exaltation. Les mots-clés résonnaient dans le hangar, des mots comme « courage », « honneur », « liberté » et « despote ». Nulle trace des mots les plus réalistes, songea Lu-Than, des mots comme « blessures », « mort », « terreur » ou « souffrance ». Mais les discours ne sont pas faits pour être réalistes.
Enfin, Alexei acheva son discours en hurlant « liberté ! » et en tendant le poing vers le ciel. Il fut aussitôt imité par la moitié des soldats présents, à l’exception bien sûr des mercenaires de la Phalange. Une musique résonna, afin d’appuyer davantage les émotions manipulées. Enfin, tous se mirent en marche vers le lieu où les armes attendaient sagement, à côté des fameuses listes où les combattants étaient regroupées en bataillons et en escouades.
Malgré le fait qu’elle connaissait bien Alexei et ses discours enflammés, Pauli ne put réprimer ce frisson qui lui parcourait l’échine. Les mots les plus forts vibraient et résonnaient en elle en ce moment si particulier, celui juste avant la bataille. Elle allait prendre les armes et risquer sa vie au nom d’un idéal, celui d’une vie meilleure, loin de la violence de l’Empire. Elle avait décidé d’abandonner le confort et la sécurité de son poste, celui de chargée de ravitaillement, pour se mêler à la foule des soldats et combattre avec eux en cette dernière heure. Même si elle savait qu’Alexei avait un certain talent pour les belles paroles, ce discours retranscrivait ses sentiments les plus profonds, celui de la lutte pour la survie et la liberté qu’elle avait choisie. Il n’était pas un orateur exceptionnel mais ses discours et ses paroles faisaient souvent mouche.
Lorsqu’Alexei eut fini, la masse grouillante de soldats s’élança comme un seul homme vers le stock d’armes, et Pauli se sentit comme aspirée par un sentiment de ne faire plus qu’un avec tous. Un sentiment si fort et intense qu’en cet instant, il lui semblait peu important qu’elle vive ou meure à l’issue de la journée pourvu qu’elle ait combattue. Enthousiaste, elle reçut des accolades et des sourires de ses camarades qui ne cachait pas leur envie d’affrontement.
Les armes, gracieusement fournies par les Rebelles de Raynor, étaient alignées, bien droites sur le mur, prêtes à l’emploi, à côté des listes. Munitions, grenades, tout était servi sur des tables, prêtes à être saisies.
Tous se préparaient pour l’assaut.
*
* *
6h10
Sous la lumière diffuse et la fraicheur de l’aurore, l’équipe de Pauli se hâtait dans les rues passablement vides de la ville de Sydion pour rejoindre sa position, longeant les murs afin d’être moins facilement repérés. Le manque de sommeil était largement compensé par l’adrénaline qui parcourait les corps, les faisant presque courir de nervosité. Il fallait marcher rapidement, certes, mais les gardes qui patrouillaient parfois ne devaient pas être alertés par une précipitation accrue.
Au détour d’une rue, ils virent deux hommes et une femme, bien habillés, marcher dans la rue en discutant. L’un d’eux se figea en les voyant. Les deux autres ne tardèrent pas à en faire autant, avant de reculer, puis de s’enfuir en courant. De simples civils, qui devaient partir travailler.
Soudain, un geste d’Otoro, le capitaine de section, et le groupe s’arrêta. L’oreille aux aguets, tous se concentrèrent sur les sons. Quelque part au détour d’une rue, un bruit de bottes, caractéristique d’une ronde de miliciens. Le cœur de Pauli partit en vrille.
Sans un mot, Otoro reprit une marche plus rapide pour se mettre à couvert, avec son équipe derrière lui. Il repéra un jardin entouré d’un muret très bas, et tous sautèrent par-dessus rapidement, presque frénétiquement, sans prononcer un mot. Pauli aurait voulu hurler, leur crier d’aller plus vite, de se dépêcher, qu’elle ne voulait pas se faire repérer, ne pas mettre sa vie en danger là, tout de suite, maintenant ! Et ce son, le métal des armes qui cliquetait sur les sangles et les boucles, lui semblait beaucoup trop fort. Faites moins de bruit, bordel ! C’est ce qu’elle aurait voulu leur dire en les secouant de toutes ses forces. Elle en eut presque le vertige de penser si fort dans sa tête.
Et pourtant… Ils étaient tous là, derrière le muret, et la milice ne semblait pas s’être arrêtée ou avoir été alertée. L’équipe restait là, silencieuse, écoutant avec attention malgré le cœur battant la patrouille passer non loin d’eux.
6h17
Alors qu’elle s’approchait dangereusement du centre-ville, l’équipe d’Otoro finit enfin par trouver le lieu qui leur était désigné. Là, une petite maison dont le propriétaire appartenait à la rébellion.
Sans attendre, Otoro sortit rapidement les clés d’une poche. Pauli se précipita avec un autre camarade pour se placer de chaque côté de la porte, avant de dégainer. Comme à l’entraînement. Le capitaine mit alors rapidement la clé dans la serrure et ouvrit. Aussitôt Pauli se rua à l’intérieur, l’arme au poing et prête à tirer. Pas un mot de prononcé. Elle fouilla une pièce, et sentait que derrière elle un autre s’afférait à la même chose.
6h21
Personne dans la maison, à part eux. Les volets fermés derrière les fenêtres filtraient la lumière naissante du jour et créaient une pénombre inquiétante. Trois soldats, dont Pauli, sur les cinq que comptait la section, jetaient un coup d’œil par les interstices afin de repérer d’éventuels ennemis. Le capitaine Otoro pianotait sur une tablette afin de donner les informations sur son équipe et éventuellement vérifier qu’il n’y ait pas de contrordre.
6h25
Pauli soupesait l’arme pour la énième fois, peu rassurée. L’attente semblait interminable, à scruter l’extérieur, à écouter son cœur battre d’adrénaline. Un ou deux passants avançaient lentement dans la rue, les yeux encore ensommeillés pour certains. Aucun n’avait l’air suspect ou attentif à ce qui l’entourait. C’était plutôt bon signe.
6h28
Plus que deux minutes avant le signal. Pourtant, rien ne laissait présager que quelque chose de spectaculaire allait surgir de ce calme. Si ce n’est les corps de l’équipe, crispés sur leurs armes, nerveux d’attendre dans le silence.
6h29
Les mains de Pauli étaient moites dans leurs mitaines. Plus qu’une minute avant le signal. Certains des camarades de Pauli étaient encore plus agités qu’elle. L’atmosphère était tendue. Tous les muscles étaient contractés.
6h30
L’attente, l’angoisse. Les sens aux aguets, à l’affût du signal.
6h31
Toujours rien. C’était imminent, à n’en pas douter.
6h32
Les membres de l’équipe se jetaient des coups d’œil furtifs. La plupart des opérations de sabotage s’étaient toujours déroulées pile à l’heure. Là, on était carrément dans la catégorie au-dessus de la simple petite opération terroriste. Cela ne ressemblait pas à Alexei d’être en retard de deux minutes sur le planning, d’autant plus que la bataille était la plus importante de toutes celles livrées jusqu’ici.
*
* *
- Merde ! Mais qu’est-ce qu’ils foutent !
Alexei tapa du poing sur la table métallique. Au quartier général des opérations, l’ambiance s’était tendu depuis que le groupe zéro, chargé d’activer les communications sécurisées et de lancer le signal, avait brisé le silence radio pour informer les généraux d’une escarmouche en cours. Des miliciens arrogants avaient voulu les bousculer et leur chercher des ennuis, et dans leur paranoïa l’équipe avait décidé d’ouvrir précipitamment le feu.
Debout devant le plan interactif du plan de la ville, Swinn pianotait fébrilement sur sa tablette.
- J’ai brouillé les communications, dit-il rapidement sans lever les yeux, les miliciens n’ont donc pas pu alerter le palais du gouverneur. Mais ils vont se demander ce qui se passe. Et les Ombres sont en attente du signal pour attaquer.
- Le groupe zéro a renoué le contact radio, s’exclama quelqu’un.
Aussitôt, le visage du sergent s’afficha en marge du plan de la ville.
- Alexei, nous continuons d’échanger des tirs avec les miliciens. Nous avons un mort et deux blessés de notre côté, mais ils ne sont plus que deux en face. Le problème, c’est qu’ils se sont retranché dans des lieux habités, et il est difficile pour nous de nous en débarrasser.
Quelques détonations saccadées retentirent en bruit de fond. Quelque part derrière le sergent, un ordre fut lancé.
- Vous avez perdu trop de temps, s’agaça Alexei. Balancez ce que vous avez, grenades ou armes lourdes, je m’en fous, mais liquidez-les vite et dépêchez-vous de lancer le signal !
- Ils sont dans des lieux habités, répondit le sergent en fronçant les sourcils. On risque des pertes civiles.
- Je ne veux pas savoir. Vous compromettez l’ensemble de l’opération, répondit Alexei en pointant le visage du sergent d’un doigt menaçant. Explosez tout s’il le faut mais il faut lancer le signal !
Swinn tenta de calmer le jeu en posant une main sur l’épaule d’Alexei.
- Attends. Demande à séparer le groupe, une partie retient les deux miliciens, et l’autre se dépêche d’activer le signal.
Alexei fulminait. Il demeura silencieux pendant plusieurs secondes, ses yeux semblaient vouloir percer l’écran du simple regard.
- Faites, fit-il au sergent, avant de lui tourner le dos.
*
* *
6h37
- Merde ! Mais qu’est-ce qu’ils foutent ?
Otoro avait beau pianoter sur sa tablette, les ordres du QG ne venaient toujours pas. Silence dans les communications. Mais pas dans la rue. Quelque part dans la ville, des coups de feu résonnaient, pas si loin.
Pauli continuait de jeter quelques coups d’œil à la fenêtre, mais étrangement elle avait moins peur. L’action n’était finalement pas pour tout de suite. Néanmoins, le retard et le silence demeuraient inquiétants. Et si le QG avait été attaqué ? Le gouverneur aurait pu avoir vent de l’opération. Les traitres, il en a toujours existé. Quelqu’un avait-il balancé des informations ? Alexei avait-il été capturé, ou pire, tué ?
- Qu’est-ce qu’on fait chef ? demanda Saleh, dans la même équipe que Pauli.
- Qu’est-ce que tu crois qu’on fait ? cracha Otoro de mauvaise humeur, sans lever les yeux de sa tablette. On attend encore. Le plan a à peine dix minutes de retard. Perso, si je devais crever aujourd’hui, ça ne me déplairait pas de vivre dix minutes de plus.
Saleh haussa les épaules avant de retourner à l’observation de l’extérieur, son fusil toujours entre ses mains crispées.
*
* *
Alexei regardait les points lumineux se déplacer sur la carte interactive de la ville. Le groupe zéro poursuivait visiblement son ascension de la colline sans rencontrer de difficultés particulières. Il était déjà très en retard sur le planning. Alexei aurait voulu envoyer deux équipes, empruntant des chemins différents, mais cela faisait deux fois plus de chances d’attirer l’attention.
À côté de lui, Lu-Than scrutait également les points des autres unités. Impossible de savoir ce qui se passait de leur côté tant que le groupe zéro n’était pas en place pour activer les communications sécurisées pour tout le monde. Néanmoins, une chose était sure : certains points se situaient encore dans la rue, immobiles, et non dans les lieux où ils étaient sensés se rendre. Ils étaient sans doute eux aussi tombés sur des milices. L’impunité que leur octroyait le palais depuis tant d’années les avait rendus arrogants et emplis d’assurance. Ils n’hésitaient pas, comme dans le cas du groupe zéro, à s’en prendre gratuitement à ceux qu’ils prenaient aléatoirement comme cible.
- Swinn, tu notes : groupes quatre, cinq, sept, quatorze et vingt ne sont pas à leur poste, dit-elle sans quitter la carte des yeux. Lorsque les communications seront établies, ce sont eux qu’il faudra contacter prioritairement.
- Compris. Les Ombres sont prêtes à décoller dès notre feu vert.
- Nous attendons, intervint Alexei. Le groupe zéro n’est pas tout à fait en place. En revanche, je veux dépêcher une équipe pour le soutenir, maintenant qu’ils sont en effectif réduit. Le cryptage de nos transmissions est la clé de notre succès, nous devons protéger le dispositif qui nous le permet.
- Nous ne pouvons pas encore communiquer de façon sécurisée avec les autres groupes, répondit Lu-Than. Il faudra attendre que le groupe zéro ait installé le matériel.
- C’est trop risqué d’attendre ! gronda Alexei. Allégez le QG de la moitié de ses combattants et envoyez-les sur la colline.
La déclaration fit son effet dans le quartier général. Lu-Than, Swinn et le chef des mercenaires, Morin, se regardèrent instinctivement.
- Je m’en fous, grogna Morin.
- Je n’ai pas peur pour ma propre personne, répliqua Lu-Than d’un ton de défi. Sinon je n’aurais pas rejoint cette guerre. Mais si nous sommes attaqués, il nous faudra résister. Et si nous sommes capturés ou tués, qui donnera les ordres ? Qui sera capable de coordonner les sections sans aucun matériel ?
- Nous sommes assez armés pour répliquer à une attaque, même uniquement composée de Marines, répondit Alexei avec force. Au pire on rendra le QG mobile s'il le faut, et nous en profiterons pour fuir si cela s’avérait nécessaire. Et troisième chose, ce n’est pas sujet à discussion, c’est un ordre.
Lu-Than émit un soupir bruyant dans une attitude de provocation, mais finit par se résigner à s’éloigner pour donner les ordres.
Au même moment, Swinn releva la tête de sa tablette.
- Le palais a senti que quelque chose se passe. Ils semblent attaquer notre brouillage.
- Combien de temps avec qu’ils parviennent à le briser ? demanda Alexei.
- Quelques minutes. Ils sont très agressifs. Je pense que les Marines sont maintenant sur le pied de guerre.
- Où en est le groupe zéro ?
- Ils ont atteint le lieu de rendez-vous. Ils doivent être en train d’installer le matériel.
- Lu-Than, aboya férocement Alexei, dis aux hommes de se dépêcher ! Le groupe zéro est déjà en place !
*
* *
6h47
Otoro, assis dos au mur, se redressa soudain.
- C’est bon ! s’excita-t-il. La communication est établie !
Étrangement, ils n’auraient pas dû tous se sentir soulagés, alors que cela signifiait le début des combats. Mais c’était aussi une preuve que le plan se poursuivait.
- Pas d’instructions particulières pour le moment. On tient la position. Ha… Le QG nous prévient que ça s’agite du côté du palais. On ferait mieux d’être sur nos gardes.
- Ça fait vingt minutes qu’on est sur nos gardes, répliqua Saleh. Ils font exprès de vouloir nous stresser comme ça ?
- Bon, reprit Otoro. Apparemment, toujours selon le QG, l’ennemi se déplace. Un groupe estimé à une centaine d’hommes sortent du palais. Destination inconnue.
- Ce sont des miliciens ? demanda Pauli.
- Pas uniquement. Dix Marines, deux Goliaths et un tank. Ils passeront devant nous.
- Ils sont malades ! s’exclama Saleh. Ils veulent qu’on les intercepte à nous cinq ?
- Pas d’ordres en ce sens… Ha, voilà, c’est le groupe sept qui s’en occupera, en coordination avec d’autres sections. Nous on est là pour leur couper la retraite si jamais.
- Et d’ici là, qu’est-ce qu’on fait ?
- Ben… On attend.
*
* *
Swinn leva précipitamment la main pour attirer l’attention d’Alexei, sans pour autant soustraire ses yeux à l’écran de sa tablette.
- Un deuxième groupe part en ce moment-même de la caserne du palais. D’après Terrence, les effectifs et la composition sont les mêmes que pour le premier groupe. Toujours pas de Médivac.
- Quels sont les effectifs restant au palais ? demanda Alexei, les bras croisés.
- Une centaine d’hommes encore, dont dix Marines, deux Goliaths et le Médivac.
- Ils ont vraiment divisé les troupes de la capitale en trois parts égales pour le coup, intervint Lu-Than.
- Ils sont encore trop dans le palais, reprit Alexei, même Terrence n’y arrivera pas. À moins… À moins que nous les y aidions.
- Il faut les attirer, comprit Swinn en hochant la tête.
- Dans ce cas, il faut que le deuxième groupe ne soit ni trop loin ni trop près du palais, ajouta Lu-Than. À ce moment, il faudra frapper et les mettre suffisamment en difficulté pour que le maximum de soldats encore au palais sortent les aider. Il faudra ensuite leur couper la retraite et les prendre à revers. La milice va vite décamper.
- Alors on fait ça, ordonna Alexei. Swinn, je te laisse coordonner.
*
* *
6h54
- Les gars on y est !
Les membres de la section de Pauli se réunirent autour d’Otoro, qui levait les yeux de sa tablette. Les regards, bien que fatigués, demeuraient attentifs. Aucun doute sur les cœurs qui battaient à tout rompre devant l’action qui se profilait.
- Les gars de la sixième section ont des difficultés avec la deuxième armée, on va leur filer un coup de main. Possibilité d’être pris à revers par des soldats du palais, donc on reste attentif ! On a bien quatre cents mètres à faire, on reste bien groupés et on m’obéit au doigt et à l’œil. Vous êtes prêts ? Allez on y va !
Sans autre formalité, tous se dirigèrent vers la porte de la maison, l’œil aux aguets, Otoro le premier.
7h08
Otoro leva le poing, et toute l’équipe se figea le long du mur d’une maison. Depuis qu’ils étaient sortis dans la rue, des tirs s’entendaient d’abord au loin. Des tirs de fusil, de mitrailleuse, et ce sifflement suivi du bruit sourd que font les obus lorsqu’ils explosent. Puis au fur et à mesure qu’ils bougeaient, les sons s’étaient faits de plus en plus proches. Mais à présent, ils étaient carrément à côté. Sûr qu’il suffisait de tourner à l’angle et…
Et c’est à ce moment que des balles fusèrent et soulevèrent des bouts de bitume sur le sol dans un bruit de mitrailleuse. Pauli fut plaquée au sol par Saleh derrière elle, en même temps que tout le monde s’allongeait pour échapper aux tirs. Le mur au-dessus d’eux fut criblé et souleva de la poussière. Tétanisée par la peur, Pauli se plaqua les mains sur la tête, son cœur battant comme si des milliers de tambours battaient à ses côtés. Elle entendit à peine lorsqu’un membre de son équipe riposta avec son propre fusil. Elle resta là, la conscience comme vidée, pendant quelques secondes, ou peut-être quelques heures. Elle sentit quelque chose ou quelqu’un la secouer mais elle ne broncha pas. Étais-ce des balles qui parcouraient sa chair ? Ou quelqu’un qui la bougeait ? Peut-être qu’on voulait s’assurer qu’elle était morte ? Elle-même ne savait pas si elle était encore en vie. Quel paradoxe que de se sentir comme mort alors que le cœur n’en finissait pas de la frapper de l’intérieur.
Plus assourdissant encore fut pourtant cette voix qui lui tonnait à son oreille.
- Magne-toi le fion, putain de bordel de merde !
Le réveil de ce presque-rêve fut douloureux. Elle gémit. Elle refusa de bouger. Mais la main qui secouait son corps se faisait insistante, et cette voix était beaucoup trop désagréable, à hurler de cette façon, si près d’elle.
- Je veux pas, laissez-moi tranquille ! glapit-elle.
- Bouge-toi le cul j’te dis !
Une poigne puissante, monstrueusement ferme, l’agrippa de sous les aisselles et la tira vers le haut. Par réflexe, elle essaya de se mettre correctement debout, mais ses jambes flageolantes, tellement faibles, étaient sur le point de se dérober sous elle. C’était sans compter la poigne qui, refusant de la laisser tomber, la fit basculer en avant. Elle comprit qu’on la soulevait et qu’on la portait sur les épaules de quelqu’un. Mais elle regardait sans voir, sans comprendre ce qu’il se passait autour. Elle ne savait même pas qui la portait. Seul existait dans tout l’univers ce mou dont son corps était fait tout entier.
Puis le soleil disparut de son regard. Elle ne se souvenait même pas d’avoir été sous sa lumière. Mais à présent, elle était à l’ombre. Et assise, également. À quel moment l’avait-on déposé sur le sol ? Impossible de se remémorer.
Le cerveau encore empâté, elle leva la tête. Elle vit tout d’abord Saleh, à une fenêtre, le fusil pointé vers l’extérieur. Il tirait, et chaque salve secouait son corps. À côté d’elle, recroquevillé, la tête posée sur les genoux, les bras autour de lui, un autre membre de son équipe. Elle ne se souvint pas de son nom. Peut-être Joff. Où étais-ce Allan ? Non, Allan était chauve. C’était Joff. Il ne faisait aucun bruit. Mais il tremblait, de tout son corps.
Elle aussi tremblait. Après leur période mollassonne, ses muscles étaient devenus si tendus qu’ils semblaient surchargés d’électricité. Et il faisait si froid qu’elle en avait la chair de poule. Peut-être tremblait-elle pour cela également.
- Ça va ?
Debout devant elle, Merwick tendait sa main pour la relever. Son visage montrait la compassion, mais Pauli se détesta à ce moment de s’être sentie si faible. Refusant son aide, elle se mit tant bien que mal debout, malgré ses jambes flageolantes, s’aidant péniblement du mur derrière elle. Ils étaient en fait à l’intérieur d’une maison. Très probablement celle dont ils longeaient le mur. Outre les échanges de balles entre Saleh et ses invisibles ennemis, résonnaient toujours un peu plus loin le bruit des combats. Elle n’avait pas dû être inconsciente pendant très longtemps.
- Oui-oui ça va, répondit-elle irritée.
Une colère sourde l’envahit. Pourquoi diable avait-elle été si faible ? Pourquoi se sentait-elle toujours faible, en ce moment-même ?
- Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-elle malgré tout sans grande conviction.
- On s’est fait avoir par deux sentinelles qui gardent les arrières. Deux miliciens probablement, les Marines nous auraient pas loupé, eux.
Il cracha par terre, sur la moquette (tiens, il y avait de la moquette ?) de la chambre.
- Otoro s’est pris une pleine rafale ceci dit. On a dû le laisser sur place.
- Vous l’avez abandonné ? fit-elle, outrée.
- Pas le choix, qu’est-ce que tu crois, rétorqua-t-il calmement. Il est mort sur le coup. Toi t’étais bien vie, mais tu refusais de bouger. Il a bien fallu te porter. Et Saleh s’est occupé de Joff. Il a encore l’air dans un sale état.
De fait, Joff ne bougeait toujours pas de sa position quasi-fœtale, se contentant de trembler comme une feuille sans discontinuer, le regard perdu dans le vague.
Sans attendre de réponse, Merwick prit position devant la porte de la chambre. Comme à l’entraînement. Lui au moins avait fait ce qu’il fallait. Elle en revanche avait agi comme une stupide gamine. Jamais elle ne s’était autant détestée qu’en ce moment précis. De rage, elle regarda autour d’elle pour chercher son arme, pressée d’en découdre et de montrer de quoi elle était capable cette fois. Malgré la peur, malgré son cœur malade de tambouriner comme le dernier des dératés.
- Où est mon fusil ? vociféra-t-elle.
- Il a glissé quand je t’ai porté, répondit Merwick. Il est resté là-bas. T’es sûre que tu veux une arme ? Tu te sens capable ?
- Oui c’est bon, s’énerva-t-elle davantage.
Sans se départir de son calme, Merwick haussa les épaules et, sortant le pistolet de sa hanche, le tendit à Pauli. Celle-ci s’assura qu’il était bien chargé, a priori il fonctionnait bien.
- Je vais aller récupérer mon fusil, annonça-t-elle d’une voix un peu plus ferme que tout à l’heure.
- Tu rigoles ? intervint Saleh, qui arrêtait visiblement de tirer quelques instants. Tu vas te faire percer de tous les côtés. Les types sont juste en face.
- Il va bien falloir qu’on parte d’ici un jour non ? Si on reste, on est bloqué. Alors je sors de la maison, et vous les canardez pour qu’ils se mettent à couvert. Ils ne me verront pas traverser la rue si vous visez bien.
- T’es barjot ou quoi ? fit Saleh, exaspéré. Tu veux mourir ? Tu veux te faire les deux mecs toi toute seule, alors que t’es restée scotchée quand tu t’es faite tirée dessus ? Si t’as envie de crever, c’est ton problème mais nous fait pas gaspiller des munitions pour ça.
Merwick demeura silencieux. Il fixait Pauli de ses yeux sombres.
- Otoro mort, c’est à toi que revient le commandement. T’es sûre que tu peux le faire ? insista-t-il d’une voix posée. On n’est pas obligé tu sais, y’a d’autres groupes à nous plus importants qui peuvent arriver bientôt nous prêter main forte.
- Ça m’étonnerait, tout le monde est occupé m’est avis. Je sais que je peux, répliqua Pauli. Dans trente secondes, vous tirez ce que vous pouvez. Et s’il m’arrive quelque chose, je sais que je peux compter sur toi Merwick.
Et elle sortit de la pièce sans leur laisser la possibilité de protester.
Elle se retrouva devant un escalier (elle ne s’était même pas rendue compte qu’elle était en hauteur) et, prudente, son arme brandie, descendit les marches le plus silencieusement possible. Elle entendait toujours les échanges de tirs au-dessus d’elle, mais ce n’était pas encore un tir de couverture. Plus lointain, les mêmes claquements de balles étaient plus étouffés, signe que les combats se poursuivaient avec la deuxième armée du Gouverneur. Celle que son équipe était venue prendre à revers et par surprise… Quelle ironie.
La porte principale de la maison donnait directement sur la rue. En traversant celle-ci, Pauli se rendrait visible des sentinelles ennemies, il fallait donc attendre que Saleh commence son tir de couverture.
Sans le vouloir, son attention se porta à nouveau sur son maudit cœur qui refusait de se calmer. Et dans le même temps, il y avait quelque chose d’agréable, on se sentait juste vivant, et quasiment invincible. Elle se demanda tout à coup si ses jambes allaient supporter de courir, après avoir eu autant de mal à la maintenir debout il y a encore quelques minutes. Non, pensa-t-elle, je ne dois me focaliser que sur ma cible. Mes jambes tiendront.
Et tout à coup le débit de balles tirées se fit beaucoup plus intense. Les salves se suivaient et les murs vibraient du son sourd si caractéristique. C’était le signal. Pauli prit une grande bouffée d’air. Ne pas réfléchir. Juste… le faire.
Elle ouvrit la porte et…
Le soleil fut plus intense qu’elle ne le pensait. Elle courut droit devant elle, sans savoir si c’était la bonne direction. Elle repéra son arme, légèrement à la gauche, au beau milieu de la rue. Elle obliqua dans sa direction.
Au-dessus d’elle, le claquement des tirs n’en finissait pas. Sans s’arrêter, elle se pencha légèrement en avant pour récupérer son fusil d’une main avec le pistolet dans l’autre, sprinta vers la direction du feu nourri de ses camarades, là où se trouvait sa cible.
Ne pas réfléchir, juste le faire.
Elle se plaqua contre un mur, celui juste en-dessous des sentinelles. Le tir de couverture s’était arrêté, Saleh avait dû la voir à l’abri des regards des ennemis. Lorsqu’ils tiraient, ceux-ci laissaient dépasser leur fusil de la fenêtre, ce qui était une erreur grossière d’inexpérimentés. Ne jamais le faire, pour éviter d’être repérer. Là, Pauli savait exactement où ils étaient : au premier étage.
Elle longea le mur jusqu’à trouver la porte. Mince, fermée à clé. Elle attendit patiemment. Les tirs de Saleh et des sentinelles claquaient dans l’air mais les sons ne pouvaient couvrir totalement le sien. Pour cela, il fallait un obus. Être à l’affut du sifflement. Puis attendre l’explosion. À ce moment-là, elle tira sur la serrure. Puis la porte s’ouvrait toute seule.
À l’intérieur de la maison, tous les bruits étaient plus étouffés. Elle repéra les escaliers, les gravit doucement. Ce n’était pas le moment de faire du bruit. Une fois en haut, elle se dirigea vers la chambre qui donnait sur la rue, très prudemment, faisant attention à chaque pas qu’elle faisait dans le couloir. Mais les bruits étaient toujours assourdis, comme si les sentinelles ne s’y trouvaient pas.
Merde !
La chambre dans laquelle elle était entrée n’avait abrité aucun ennemi dans l’immédiat. Elle s’était trompée de maison, trompé de porte en fait. Il fallait tout recommencer ! Ressortir dehors, défoncer une nouvelle porte, refaire attention à tout. Merde ! À moins que.
En fait, accéder au deuxième étage serait sans doute suffisant. Et même préférable, si l’on y pensait.
Elle monta moins doucement les marches qui menaient au deuxième. Elle trouva la pièce qui donnait sur la rue, regarda à travers la fenêtre… Parfait ! Elle avait un angle intéressant sur les ennemis, au-dessous d’elle et sur le côté. Deux petits miliciens en uniforme brun et sans armure. Des éléments que le gouverneur considère en général comme sacrifiables.
Elle ouvrit la fenêtre sans bruit, en priant pour qu’elle ne grince pas. C’est le genre de détail qui n’a sans doute aucune importance, étant donné le bruit qui régnait dans l’air ambiant, mais qui stressait plus que nécessaire.
Elle prit quelques fortes inspirations pour se tranquilliser autant que possible et détendre légèrement ses muscles. Ce n’était pas du luxe. À présent, bien caler son fusil, viser avec calme, vérifier qu’aucune partie de l’arme ne dépasse de sa fenêtre. Si elle ratait l’une des cibles, celle-ci ne saurait pas d’où viendraient les tirs.
Elle pressa la détente. Deux fois. Deux coups rapides, secs et rapprochés. Ce fut suffisant.
Après quelques signes et quelques minutes, elle descendit dans la rue, en prenant bien soin d’être accolée au mur. Un détail qui peut sauver des vies. Mais les survivants de son groupe n’arrivaient pas. Un coup d’œil à droite et à gauche, et elle sprinta vers la maison où ils étaient réfugiés. À l’intérieur, elle dégaina par acquis de conscience, et revint dans la chambre. Là, elle les trouva tous les trois. Joff n’avait pas bougé de sa place, mais son regard n’était plus perdu dans le vague. Au contraire, il avait les yeux fous qui s’agitaient dans tous les sens. Il avait l’air paniqué. Les deux autres, penchés sur lui, portaient toute leur attention dessus.
- Allez, fais pas le con, fit Saleh avant de cracher derrière lui. Viens avec nous, t’es là pour te battre non ?
- Je veux pas je veux pas je veux pas…
Joff était visiblement horrifié par la perspective. Il s’arrêta soudain de répéter sa phrase et, dans un brusque haut-le-cœur, vomit par terre son petit-déjeuner. Saleh et Merwick reculèrent à l’unisson, dégoûtés. Pauli, préférant ne pas intervenir, demeura silencieuse derrière eux.
- Laisse tomber, dit Merwick. Tu vois bien qu’il est pas en état.
- Faut juste qu’il se ressaisisse, rétorqua Saleh avec hargne, on est déjà pas nombreux, et puis il a signé pour ça alors c’est pas le moment de se dégonfler.
Il commença à l’agripper par le bras
- Nooooooooon ! hurla Joff en se dégageant comme un dément. Je veux pas je veux pas je veux pas…
Sa voix partit dans les aigus, des larmes et de la morve coulaient sur son visage.
- Bouah, dégueu ! Merwick, aide-moi à le relever.
À eux deux, ils réussirent à le soulever malgré ses protestations et ses cris… Puis il s’arrêta soudain. Il resta là, debout le dos contre le mur, tout son corps tremblant comme jamais.
- Tu vois, reprit Saleh, ça a l’air d’aller mieux. Tiens, prend-ça, ajouta-t-il en lui tendant son fusil. Tu verras, avec ça en main, tu…
Joff n’attendit pas la fin de la phrase. D’un coup sec, il se saisit de l’arme puis, retournant le canon contre lui-même, il pressa la détente. Le coup de feu étala de la bouillie rouge sur le mur de la chambre.
Les trois spectateurs se figèrent, interdits. Ce qu’il resta de Joff s’écroula à terre dans un bruit mat. Une flaque de sang se répandit rapidement, manquant tâcher les bottes de ceux qui restaient debout.
*
* *
Terence et son équipe de mercenaires phalangistes, dissimulés dans des camionnettes civiles non loin du palais, entendirent plus qu’ils ne virent un troisième groupe sortir du palais. La sentinelle lui confirma l’information à travers le talkie dans l’armure.
Cinq minutes plus tard, Terence ordonna de passer à l’action. Aussitôt, les portes du van s’ouvrirent sur le soleil matinal. Sautant à terre, le véhicule tangua après la disparition du poids énorme que constituait l’armure de Terence. Une armure de Marine, un peu vieille, griffée et cabossée, mais encore bien solide et résistante. Elle arborait encore les couleurs de l’escadrille Alpha, un aigle peinturluré de rouge dont les ailes dégoulinaient.
Les différents groupes des différents vans se regroupèrent autour de lui. L’un des mercenaires s’approcha du mur ceinturant le palais, avant de s’en éloigner rapidement. Un signe de Terrence, et aussitôt une explosion en souffla tout un pan. Tous s’engouffrèrent dans la brèche qui donnait sur le jardin du palais.
La première résistance ne se fit pas attendre. Deux Marines déboulèrent d’un coin en courant. Ils furent accueillis chaleureusement par une volée de tirs. L’un d’eux n’eut pas le temps de riposter et s’écroula, mais le deuxième plongea se mettre à couvert derrière un rocher. Terence n’eut même pas besoin de donner des ordres, trois des Phalangistes, visiblement vétérans de l’action, décrivirent un arc de cercle pour prendre la cible à revers, pendant que leurs camarades distrayaient celle-ci. Ce ne fut l’affaire que d’une minute.
Connaissant la route d’après les plans mémorisés au QG, Terence mena sa troupe à l’arrière du bâtiment. Une entrée de service, facile à détruire, ne fit pas beaucoup de résistance face aux explosifs.
À l’intérieur, des civils apeurés hurlèrent au milieu de la fumée et des petits gravats. Certains déguerpirent ou se couchèrent à terre, d’autres levèrent simplement les mains en signe de soumission.
- On les évacue sans leur faire de mal, dit Terrence dans son talkie. Deux s’en chargeront tout en surveillant nos arrières.
Sans un mot, deux membres du groupe se portèrent volontaire en avançant d’un pas. Le reste du groupe se remit en marche derrière Terence, qui repartit dans un couloir donnant sur de nombreux bureaux. Son imposante armure prenait presque tout le volume disponible pour avancer, de sorte que les employés qui ne bougeaient plus s’aplatissaient du mieux possible contre les murs, ou repartaient dans leur bureau en glapissant.
- Des soldats ! gueula Terence.
Aussitôt, les Phalangistes s’accroupirent à couvert derrière son armure. Au bout du couloir, des miliciens se débattaient à contrecourant des civils, qui fuyaient la progression de l’équipe d’infiltration. L’un des ennemis ouvrit le feu vers Terence, mais c’est un employé du palais qui s’écroula net. L’ancien Marine n’eut pas besoin de se demander s’il fallait répliquer, les armes des miliciens ne faisaient pas le poids contre sa puissante protection. Pas comme les mitrailleuses des Marines. Néanmoins, les phalangistes juste derrière n’eurent pas autant de scrupules. Ils tirèrent dans le tas, de sorte que les miliciens paniqués ripostèrent de plus belle. Les hurlements et les invectives de Terence furent rapidement couverts par le bruit des armes durant la minute qui suivit. Et lorsque claquèrent les dernières balles, le spectacle fut édifiant. L’ampleur de la boucherie bondit aux yeux. Les murs éclaboussés de rouge et le sol jonché de corps étaient écœurants.
- Vous vous foutez d’ma gueule !? tonna Terence en se retournant, fou furieux. J’vous ai dit d’épargner les civils, putain de bordel de merde ! Le prochain que j’vois tirer dans le tas, je l’descends aussi sec. S’il le faut, j’vous descends tous ici enfants de putain que vous êtes, et j’vais moi-même prendre tout seul c’foutu palais. Z’avez compris sales bâtards de vos races ?
Mais personne ne prit la peine de répondre. Ils n’en avaient rien à foutre.
Et il fallait bien continuer la mission.
Alors, il suivirent le couloir et enjambèrent les cadavres. Longèrent les murs en sang. Écrasèrent les stylos, blocs-notes, tasses de café ou mallettes lâchés par les employés dans la confusion et la mort. Mieux valait ne pas regarder de trop près sous peine d’être pris de nausées.
Au bout d’un interminable moment, le couloir bifurqua à gauche avant de donner sur les escaliers de service. L’équipe monta trois étages sans rencontrer de résistance, puis, sortant des escaliers, tombèrent subitement nez à nez sur une troupe de dix Marines. Terence bondit en arrière se mettre à couvert, bousculant violemment sous son énorme poids le Phalangiste derrière lui. Celui-ci se tint la mâchoire, une dent venait de sauter sous le choc.
La porte qu’ils venaient d’ouvrir se criblait de balles.
Heureusement que mes réflexes sont encore bons, pensa Terence l’espace d’un instant, sinon j’aurais pris la place de la porte.
Il saisit la seule grenade accrochée à la ceinture de son armure.
On va voir si Swinn avait raison de s’la péter sur le matériel de Raynor.
Et, après l’avoir dégoupillée, il la balança.
Le souffle tonitruant de l’explosion fit basculer tout le monde à terre et en arrière sur les escaliers. Et coupa sûrement le souffle à la plupart des Phalangistes. Le bâtiment dans son ensemble vibra d’un seul tenant, comme s’il menaçait de s’effondrer. Lorsque la sensation s’évanouit, seul Terrence demeurait encore debout, grâce à son armure. Profitant de la confusion, il se rua dans la pièce et se prépara à tirer… Mais le spectacle fut saisissant. Un tableau apocalyptique.
Il ne restait plus grand chose des Marines. Leur armure, pourtant semblable à celle de Terence, n’avait pas suffi à les protéger et ils avaient presque entièrement disparu. Le presque, c’était un bout de membre ici et là ayant été soufflés, et des monceaux de métal fondu et encore fumant trainant sur le sol. Ou ce qu’il en restait. Un trou menait vers l’étage d’en-dessous. Et derrière, le mur séparant le hall du bureau du gouverneur s’était volatilisé. Le bureau impérial ne comportait plus que deux cloisons d’ailleurs, puisque la grande baie vitrée donnant sur l’extérieur avait également volé en éclat. Et ça avait été du verre blindé, s’il vous plaît.
Ok Swinn, mon salaud, tu peux t’la péter.
Seul encore debout, Terence s’avança. Pourvu que le gouverneur n’ait pas été tué, les instructions de la mission étaient clair : il fallait le prendre vivant. Sautant par-dessus un trou causé à même le sol, il enjamba les décombres du mur et surveilla attentivement le sol à la recherche du corps du gouverneur. Il devait être inconscient quelque part, ou peut-être que…
Un coup de feu partit, une balle fut déviée par la visière du casque. Terence repéra le bras qui avait tiré, sous un meuble craquelé. Il se saisit de la main tenant l’arme et la broya d’un simple mouvement du poignet, grâce à la puissance énorme de ses doigts conférée par l’armure. Son propriétaire poussa un hurlement. Terence tira le membre vers lui, révélant le gouverneur Kindra.
- M’sieur le gouverneur, vous tombez à pic, railla-t-il de son sourire carnassier.
Terrible !!
2-3 ptits trucs comme une remarque à toi pour expliquer qu'ils sont dans un camion, et deux enchaînement de paragraphe où on sent une incohérence... tu les as sans doutes réécris...
Ha mince, j'avais oublié XD? Je corrige ça demain.
Merci à toi d'avoir tout lu, encore une fois !!
Réécris pour le camion. Tu peux me dire si tu te souviens où avoir vu les paragraphes incohérents ?
J'ai trouvé peu logique le passage où la fille sort seule s'occuper des miliciens.
Le fait qu'elle se trompe de porte d'abord, mais qu'en plus en étant dans la maison d'à côté elle ait une vue imprenable sur eux m'a paru un peu louche...
Sinon y'avait un truc vers la fin mais j'ai relu et je ne l'ai pas retrouvé donc sans doutes me suis-je trompé...
Moui, c'est immeuble que j'aurais dû mettre, pas maison.
Merci de ton commentaire, je vais voir ça, en effet c'est problématique.