A la fin de mes vacances de Noël dans le Maine, ma femme, ma fille de 18 mois et moi-même avons fait une escale à Boston avant de rentrer à New-York. Nous y avons fait une rencontre qui nous a pris par suprise.
Cela ne fait que quelques années que je m'intéresse au féminisme, mais quand nous avons pris la décision d'avoir un enfant avec ma conjointe, j'étais bien décidé à appliquer ce que je savais, quel que soit le sexe du futur enfant. Nous avons découvert à sa naissance que c'était une fille, et immédiatement le plan s'est déroulé dans ma tête : limiter l'exposition aux stéréotypes féminins à commencer par le rose et réagir à toute familiarité physique ou verbale venant d'inconnus. Pourtant, je me suis trouvé désarmé dans la situation que nous avons vécu dans une rue de Boston.
Nous marchions tous les trois sur le trottoir, notre fille devant, sa mère et moi un peu en retrait. Un couple qui marchait dans l'autre sens, apercevant notre fille, vint à notre rencontre avec un air emerveillé. La femme, qui portait un hijab, se mit alors à genoux, ouvrant les bras vers notre fille qui s'est dirigée vers elle, la prenant dans ses bras et la montrant à son compagnon, qui semblait être originaire d'Asie Centrale, sans tarir d'éloges à son égard. Puis ils nous ont demandé de prendre des photos, avec nous, puis eux deux avec notre fille. La femme l'a alors reposée au sol et ils ont continué leur chemin non sans nous avoir couvert de remerciements.
Après les avoir perdus de vue, nous nous sommes regardés longuement avec mon épouse, incapables de comprendre ce qu'il venait de se passer. Un couple d'inconnus venait de considérer notre fille comme la leur, l'embrassant et la câlinant, puis ont pris des photos avec elle avant de s'en aller comme si de rien n'était. Après avoir déterminé qu'il n'y avait pas de menace immédiate pour la sécurité de notre fille, nous avons nous- mêmes continué notre route. Nous n'en avons pas parlé avant plusieurs heures, et seulement alors nous nous sommes demandés si nous aurions dû faire autre chose que rester planté comme des poireaux pendant qu'un couple d'inconnus pouponnait notre fille.
Au final, je ne pense pas que nous aurions faire autre chose. Certes, c'était une infraction flagrante de sa bulle personnelle, mais elle n'a pas semblé la relever, et puis on ne l'a pas forcée à faire quoi que ce soit contre son gré. D'autre part, le couple semblait authentiquement emerveillé à la vue de notre fille, du coup toute réaction surprotectrice de notre part aurait peut-être été considérée comme une agression vu que leurs intentions semblaient bonne. A aucun moment ils n'ont semble-t-il réalisé qu'aux Etats-Unis cela ne se fait pas de prendre dans ses bras n'importe quel enfant passant dans la rue, et du coup leur attitude était complètement détendue, profitant pleinement et sans arrière-pensée du court instant passé à rencontrer notre fille.
Je garde un souvenir mélangé de cet événement parce que cela s'est bien passé cette fois-ci, mais je me demande si j'aurais les réflexes et le courage de m'imposer dans une situation vraiment dangereuse.
Le courage ? Tu as peur de quoi exactement ? Être blessé ? Mourir ? Rendre la situation plus défavorable pour ta fille suite à une intervention démesurée ?
Je pense que si vraiment ta fille devait se trouver dans une situation que tu caractérises comme "dangeureuse", tu aurais la lucidité nécessaire pour réagir de manière la plus appropriée et intelligente possible dans la limite de tes capacités physiques et mentales vu comment elle compte pour toi.
C'est normal d'avoir peur, de se poser des questions, ce n'est que le reflet de l'attachement que tu portes pour elle après tout...
J'ai peur d'être tout simplement paralysé et de ne pas agir du tout, sans même parler des éventuelles conséquences de mes actes.
Honnêtement, si dans une situation de réel danger tu ne fais que simplement sortir ton portable pour appeler les secours tu seras déjà au dessus du citoyen moyen (ou ta femme), je pense qu'il soit inutile de culpabiliser là-dessus, nous ne sommes pas tous des guerriers.
EDIT: J'ai déjà eu vent de personnes ayant témoigné d'une aggression au couteau sans rien faire en se disant "bof... Quelqu'un finira bien par réagir..."
Après concernant la paralysie... Tu t'es déjà retrouvé dans une situation d'intense peur dans laquelle tu es resté paralysé ? Peux tu la décrire ? On a tous une manière différente de réagir à une situation de détresse.
Anecdote amusante me concernant:
Il y a 1 mois, je me suis promené avec mon ex amante dans mon village, et là, sur une route déserte, on croise 3 chiens errants qui nous grognent et aboient dessus avec un air qui était particulièrement belliqueux à mes yeux.
Immédiatement je me mets entre mon amie et les chiens sans bouger et je gueule à mon amie "AVANCE !" en serrant les poings, prêt à me battre. Elle me répond "mais...", je ne la laisse pas terminer sa phrase que je reformule mon ordre une seconde fois...
Et là, le plus calmement du monde, mon amie s'avance vers un des chiens pour le caresser en me disant "Mais ils sont trop mignons !".
Je me suis senti très con...
Je partage l'avis de Kydarax, ta réaction (ou non réaction) n'est pas choquante. Il n'y avait pas de danger immédiat, juste une situation incompréhensible selon nos codes de comportements. Je ne pense pas non plus que tu doives te remettre en question en terme de réflexes ou de courage. Tu aurais probablement réagis si tu avais décelé une quelconque malveillance. Par ailleurs, l'attention portée à l'éducation de ta fille et aux questions de genre a déjà tout du père presque parfait.
Ce que cela met en question en revanche, c'est notre capacité à communiquer et à saisir les sens du non verbal entre cultures différentes. Pour ça, ne t'inquiètes pas, la quasi-totalité de l'humanité est défaillante.
Mais c'est cela le soucis Kyradax, je ne suis pas du tout au-dessus du citoyen moyen. Et puis tu n'appelles les secours qu'une fois en sécurité, pas pendant l'incident.
Et oui je me suis plusieurs fois retrouvé dans des situations tendues dans lesquelles je suis resté paralysé, incapable de penser ou décider de faire quoi que ce soit. Heureusement, cela ne s'est jamais mal terminé, à chaque fois c'était plutôt mineur, mais rien n'indique que je réagirais mieux dans une situation plus grave.
La bonne nouvelle, c'est que cela n'arrivera probablement jamais, ni à moi, et encore moins à moi en compagnie de ma fille, mais cet événement m'y a fait penser.
Cross post avec Hindelstark : Merci pour la réassurance et les compliments !
C'était peut être un couple en mal d'enfant qui ont craqués devant une blondinette aux yeux bleues
Je comprends que tu puisses avoir peur de tes possibles "absence de réaction", mais au moins tu feras ce que tu pourras du mieux que tu pourras. Tellement de personnes évitent de faire de leur mieux, tu ne rentres pas là-dedans.
En revanche, je m'interroge sur le lien avec le féminisme dans cette histoire ?
Dragoris, comment peux-tu être si sûr que tellement de personnes évitent de faire de leur mieux ?
Sinon, le lien avec le féminisme est que je me suis juré de faire des réflexions aux inconnus qui auraient des comportements sexistes envers ma fille en public, comme la réduire à son apparence ou faire des commentaires désobligeants sexistes. Jusque là je n'ai pas été capable de répondre à quiconque complimentant ma fille sur son apparence, ni même les "God bless her" qu'elle reçoit, et cet événement m'a fait douter de pouvoir tenir cette auto-promesse à l'avenir.
Voyons... Rien que les agressions dans le métro ou la rue, quand personne ne bouge ?
Sinon je ne vois toujours pas le rapport avec le sexisme, je n'en trouve trace nulle part ici. Est-ce que ça aurait été différent avec un garçon pour toi ??
Dans tous les cas, tu penses que tout le monde pourrait intervenir mais décide intentionnellement de ne pas le faire ? Ce n'est pas ce que les expérimentations de psychologie sociale tendent à montrer, puisqu'il suffit d'une toute petite modification dans le comportement de la victime (à savoir désigner précisément un témoin) pour augmenter significativement les chances que ce témoin agissent, mais aussi que d'autres témoins non désignés agissent également. Or, si la décision avait été prise consciemment, rien de ce que la victime fait devrait avoir une influence, non ?
Je pense que tu surestimes juste le "mieux" que les autres devraient faire.
Il n'y en a pas eu lors de cet événement, certes, c'étaient juste des pensées périphériques que j'ai eues à propos d'interactions publiques avec ma fille.
Et je ne pense pas que ç'aurait été différent avec un garçon parce que je suis encore plus sensibilisé à l'éducation d'un garçon pour combattre le sexisme systémique à la source.
Bien sûr que tout peut avoir une influence. Il n'empêche, si une personne décide de ne pas intervenir alors qu'elle pourrait, c'est qu'elle ne fait pas ce qu'il faut.
Okay pour le sexisme, c'est juste que je ne comprenais pas pourquoi tu en parlais en préambule de cette histoire, comme s'il s'agissait d'un point de vue important pour comprendre ce qui t'a troublé
Dragoris a écrit :
Pas ce qu'il faut pour le bien de la victime, certes, mais tu es capable de porter ce jugement parce que tu es un observateur extérieur à la situation, c'est pourquoi je dis que tu surestimes le "mieux" que les gens devraient faire. Dans la même situation d'observation, ces mêmes personnes qui n'agiraient pas dans une situation de danger pour autrui diraient sans doute la même chose que toi, que les gens ne font pas ce qu'il "faut", mais encore faut-il définir le standard par rapport auquel tu juges les témoins d'une agression. Individuellement, le standard est de ne pas avoir d'ennuis soi-même, et de ce point de vue-là les témoins de la scène qui n'agissent pas font parfaitement ce qu'il faut.
Je ne peux pas m'avancer, ne te connaissant pas assez pour cela, mais j'ai vraiment le sentiment que si tu percevais une réelle agression dirigée vers ta fille, tu réagirais avant même de t'en rendre compte. C'est quelque chose que j'ai déjà pu constater, je ne suis pas un héros (faut pas lire ce que disent les journaux), témoins d'une agression, je sais que bien souvent je n'oserai pas intervenir, guettant le moment où la situation se dénouera d'elle-même. Pourtant j'ai pris conscience à plusieurs reprise que je n'aurai pas d'état d'âme lorsqu'une personne que j'aime est menacée, puisque instinctivement je l'associe à moi-même, je suis moi même agressé: si un coup se porte vers ma tête, mes mains se dirigent vers elle pour le bloquer, si un coup se dirige vers la tête d'un être aimé, même résultat. Je pense sincèrement que tu te surprendrais si l'occasion se présentait (en espérant bien sûr que ça n'arrive jamais).
Pour résumer, j'espère que cela n'arrivera jamais (et les probabilités sont de mon côté), mais si cela arrive, j'espère que je saurai réagir, et si je réagis, j'espère que j'améliorerai la situation plutôt que l'inverse.
ertai a écrit :
Pour moi il n'ont pas considéré ta fille comme la leur, ils ont agi d'une manière que toi tu réserve à une fille qui serait la tienne.
Idem pour l'infraction que tu juge flagrante de sa bulle personnelle.
Enfin je me demande si ces passants agissent vraiment de la même manière avec toutes les petites filles qu'ils croisent dans la rue, parce que ça pourrait rapidement devenir ingérable pour eux... (et à moins qu'ils ne viennent d'arriver et n'aient encore pas croisés de gamins, ils devraient comprendre assez vite que "ça ne se fait pas" là et maintenant ).
Mais le truc qui m'interroge le plus c'est que l'essentiel de la discussion ici se soit focalisée sur des questions liées à la peur, alors que l'événement d'origine semble être un simple et sincère témoignage d'affection.
Au sujet du sexisme par contre je me pose diverses questions :
- tenter d'éviter que ta fille soit la cible de commentaires sexistes doit-il fonctionner dans les deux sens ? c'est à dire : si on la complimente parce qu'elle est jolie, interviendra-tu pour faire cesser le compliment et demander qu'il s'oriente sur autre chose que son apparence ? si on l'insulte, je suppose que tu réagirais, que l'insulte soit sexiste ou pas, non ? Pense-tu devoir réagir "plus" si on lui dit qu'elle est moche plutôt que si on lui dit qu'elle est conne ? (enfin bon, plus tard parce qu'à 18 mois je doute que grand monde lui dise qu'elle est conne ou moche ! )
- le non sexisme s'applique autant aux couleurs qu'aux choix vestimentaires ou ludiques, donc j'imagine que si ta fille veut jouer le rôle du chevalier plutôt que celui de la princesse, tu lui offrira la panoplie du chevalier. ça ne devrait poser de problèmes à personne tant qu'elle est enfant, mais si elle persiste dans les choix stéréotypés masculins en grandissant, comment comptes-tu lui éviter de se faire marginaliser (notamment à l'école) et devenir le garçon manqué souffre-douleur de service (si elle n'a pas la carrure physique adéquate pour protéger seule sa position ) ?
- Si tu avais un petit gars au lieu d'une fille, voudrais-tu lui appliquer le même principe en sens inverse, et demander aux gens qui complimentent son audace ou son énergie, qu'ils complimentent plutôt ses beaux cheveux ?
- si ce petit gars préférait jouer le rôle de la princesse plutôt que celui du chevalier, lui offrira-tu la robe satinée et la commode-miroir avec la boîte de maquillage ? Une fois arrivé à l'âge scolaire, si tu envoie une fille habillée de manière masculine à l'école ça n'aura pas de conséquences (sauf peut-être dans des écoles à uniformes... ), mais si tu essaie d'envoyer un gars avec une robe, il sera sans doute recalé rapidement par les instances adultes qui considéreront sa tenue indécente (et encore plus rapidement par les autres enfants). Que ferais-tu dans ce cas ?
Je ne pense pas qu'ils font cela avec toutes les petites filles qu'ils croisent. Sans être chauvin, j'ai constaté que ma fille attirait plus l'attention en général que les autres enfants, filles et garçons confondus. Le fait qu'ils soient tombé en admiration devant ma fille n'est pas ce qui m'a le plus surpris.
C'est une question de différence de culture. Sur le coup, je n'avais aucun moyen d'être sûr que c'était un simple et sincère témoignage d'affection jusqu'à ce qu'ils s'éloignent parce que leur comportement m'était totalement étranger et est totalement étranger au pays dans lequel nous nous trouvions. Au final, mon absence d'action particulière était adaptée à la situation, mais elle a été produite partiellement par ma confusion plutôt que par une analyse critique de la situation.
Pour tes questions :
- Dans la théorie, oui, quelle que soit la bienveillance des intentions des gens qui la complimentent, je préfèrerais qu'elle ne base pas sa vision d'elle-même sur les compliments sur son physique qu'elle reçoit d'étrangers dans la rue. Dans la pratique, je ne cherche pas le conflit et jusque là je n'ai été que capable de remercier pour les compliments, même les "God bless her" qui me hérissent. Il est par contre plus socialement acceptable de réagir négativement à des insultes, mais je parierais que l'effet sur l'image de soi est sensiblement la même.
- Si cela doit arriver, je ne pourrai pas l'empêcher de se faire marginaliser dans des contextes sociaux que je ne contrôle pas. La seule chose que je pourrai lui dire est qu'il faut qu'elle trouve des gens avec qui être marginalisés ensemble et que la marginalisation n'est pas la fin du monde. Ce n'est pas sûr qu'elle l'entendra mais je ne pourrais jamais lui conseiller de vendre son âme pour essayer de se fondre dans la masse.
- Encore une fois, c'est la théorie à laquelle je souscrit, mais à moins d'être prêt à s'aliéner tous les passants, commerçants, autres parents d'élèves, enseignants, ce n'est pas faisable en pratique.
- Oui, je lui offrirais ce qui lui plairait, quoi que ce soit. A ce sujet je suis prêt à ce que ma vraie fille aime le rose plus que sa propre vie et me demande que des trucs rose à chaque fois qu'elle le pourra. Et je ne pourrai pas lui dire non. C'est une chose de reconnaître le conditionnement, c'en est une autre d'aller contre les désirs de tes enfants. La seule chose que je peux faire, c'est de ne pas forcer le rose ni bannir le rose non plus dans ce qu'on lui offre jusqu'à ce qu'elle soit capable de faire ses propres choix. Pour en revenir à mon hypothétique fils qui voudrait mettre une robe pour aller à l'école, je ne refuserais pas de lui mettre, mais je crois que je lui dirais à quoi il peut s'attendre à l'école. Je serais prêt à maintenir ma décision face à des adultes sauf menace d'expulsion. Les places dans les bonnes écoles sont rares et chères aux Etats-Unis, et je ne peux pas me permettre de faire l'école à la maison.
En somme tu veux faire en sorte que ta fille puisse faire son choix. Mais y a-t-il vraiment un choix entre "fait comme tout le monde, tu aura une place et tu sera protégé dans la masse" ce est qui la fonction première de tous ces stéréotypes il me semble, et "assume toi, fabrique ta place et... bat-toi en solitaire pour la conserver" ? Si la nature t'a fait plus intelligent, plus grand ou plus fort que la moyenne, ça sera sans aucun doute plus facile d'opter pour le second "choix" que pour le premier. Si tu n'a rien pour sortir du lot, comment raisonnablement choisir de le faire quand même ?
Étant moi-même dans le clan des marginaux depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, j'ai étudié toutes sortes d'expériences à ce sujet, et notamment les retours que font les enfants, une fois adultes, de leur éducation lorsqu'ils en ont eu une qui n'était pas conventionnelle. Les retours sont assez mitigés, grosso modo on en a une moitié qui sont très contents et ne changeraient rien (ce qui est mon cas), et l'autre moitié qui pestent contre leurs barjots de parents qui les ont condamnés à être des tarés inadaptés (ce que je peux très bien comprendre). Dans les deux cas les parents voulaient le mieux pour leurs gosses, mais ça fait quand même un taux d'échec très élevé.
Et de quelle manière tu décide que ce désir est acceptable ou pas ? Comment va-tu pouvoir éviter, si ta fille devient malgré toi 100% girly rose bonbon, de lui montrer par ton attitude et tes réactions que cela ne te satisfait pas, mais au contraire que tu veux accepter ses propres choix, quels qu'ils soient ? Parce que si tu estime que se glisser dans le moule c'est vendre son âme au diable, je vois mal comment ça pourrait ne pas se voir dans tes réactions. Je prend l'exemple des mes nièces, je suis certain que la plus jeune constate que sa passion pour la reine des glaces me laisse indifférent, alors que j'ai fait des efforts pour fabriquer des armes-jouet en bois pour sa sœur aînée qui veut être le chevalier.
Elles constateront toutes deux (c'est déjà le cas je crois) que toutes les femmes adultes qu'elles croisent peuvent être habillées de très diverses manières, alors que les hommes sont réduits à un choix beaucoup plus limité. Que s'ils accèdent à la gamme des choix possibles pour les femmes adultes, ça ne se fait que dans des circonstances exceptionnelles et que ce n'est pas "normal". Et ce constat se fera sans aucune intervention "active" de la part de qui que ce soit. Là encore je ne vois pas trop où se situerait le choix : pour quelle raison valable l'enfant déciderait-il de ne pas respecter la norme qu'il observe chez les adultes (et d'autant plus que sur de très nombreux autres sujets, ne pas le faire le conduit à être puni... ). Pour moi tout cela a de très fortes de chances de conduire à des injonctions contradictoires (non explicites).
D'une manière plus générale, le conditionnement "libre arbitre" dont tu veux remplacer le conditionnement "stéréotypes", à quelle société conduit-il ? (plus précisément, comment les gens sauront-ils qui ils sont et la place qu'ils ont, dans l'hypothèse où ils auraient réussi à éliminer tous stéréotypes.)
Ce n'est pas une question piège, je n'ai pas d'avis particuliers.
Je dois t'avouer que ton commentaire me plonge dans une certaine confusion. Je me souviens que tu as exprimé ton désaccord avec ce que tu appelles le dualisme, mais pourtant tu ne proposes dans ton commentaires qu'une série de dilemmes qui semblent à première vue insolubles. Pourtant, après être revenu dessus plusieurs fois, j'ai pu identifier des tangentes dans chaque dilemme. Dans l'ordre:
Oui, il y a un troisième choix, celui que j'ai moi-même vécu au collège : faire comme les marginaux pour être protégé dans la masse sans pour autant aller contre ma nature. En tant que marginal, tu n'as pas besoin d'être seul. Tu peux rejoindre un groupe de marginaux au prix de beaucoup moins de compromissions que si tu voulais te fondre dans la majorité.
J'ai un problème avec "plus intelligent" parce que l'intelligence recouvre beaucoup trop de choses pour qu'on puisse en parler aussi désinvoltement. Quoi qu'il en soit, mon avis est le suivant : tu n'as pas besoin de caractéristiques physiques ou mentales particulières pour te sentir hors du lot. Tu peux être un marginal "moyen" au sein d'un groupe de marginaux et t'en sortir.
Quid du taux d'échec de l'éducation "traditionnelle" si cela existe ? Même à l'emporte-pièce, ce taux de 50% de rejet semble plutôt indiquer pour moi que la personnalité de l'enfant joue énormément sur l'acceptation ou le rejet de l'éducation parentale, et je suppose indépendamment du type d'éducation prodiguée. Cela m'arrange évidemment parce que je ne serais de toute façon pas capable de prodiguer une éducation "traditionnelle" dont les tenants sont plutôt vagues pour moi. Au final l'éducation parentale dépendrait de la personnalité des parents, et, hors cas extrêmes, son "succès" (ou plutôt son acceptation) dépendrait de la personnalité des enfants.
Je crois que tu fais là une confusion entre l'acceptation et les goûts personnels. Le contraire de l'acceptation c'est l'interdiction, pas l'indifférence qui est plutôt de l'ordre des goûts personnels. Dans ton exemple avec tes nièces, tu n'as pas engagé verbalement ta nièce fan d'Elsa pour la convaincre que Frozen n'est pas acceptable ou que les chevaliers c'est mieux. Ton attitude indifférente vis-à-vis de la reine des glaces indique une certaine forme passive d'acceptation. Bien sûr, si cette nièce cherchait la validation de ses goûts auprès de toi, elle pourrait considérer ton indifférence comme un rejet de son univers favori, mais cela n'aurait pas de rapport direct avec ton comportement initial.
Dans le cas de ma fille, vu qu'elle va probablement chercher ma validation de ses goûts, je devrais sans doute faire preuve d'une forme plus active d'acceptation, même si je n'ai pas besoin d'aller jusqu'à mentir. Pour les vêtements rose par exemple, je n'ai pas besoin de dire que j'adore le rose, mais probablement juste que cela lui va bien.
Pourquoi faudrait-il une raison explicite, encore moins une "valable" (selon quels critères ?). Pour les injonctions contradictoires, la société en est déjà garnie, surtout pour les femmes, du coup même si je n'existais pas, elle serait soumise à des injonctions contradictoires. Le mieux que je puisse faire est de rajouter une injonctions à ne pas suivre toutes les injonctions
Je ne vois pas l'opposition entre les termes "libre-arbitre" et "stéréotypique". De ce que je comprends, il semblerait au contraire que je m'engage dans un conditionnement "libre-arbitre" parfaitement stéréotypique. De toute façon cela n'a pas d'importance, parce que la question suivante à propos de la société n'a pas vraiment de réponse absolue. Je ne sais même pas déterminer si l'éducation parentale "conduit" vraiment la société, alors savoir à quelle type de société elle conduit est une confusion supplémentaire. Enfin, la question de savoir qui on est et quelle place on a dans la société est une question universelle intemporelle qui ne dépend ni de l'époque, ni de l'éducation.
C'est bien pour ça que je te posais la question, de mon côté j'estime que le fait de ne pas être parent m'exonère d'avoir à formuler un avis
Il faut une communauté assez grande pour que les marginaux y soient déjà assez nombreux. Mais ok, je conviens de ton expérience, je n'ai pas pu faire la même. J'ai du régulièrement défendre les marginaux qui n'en avaient pas la capacité, autour de moi.
On s'en fiche, c'était juste pour ne pas limiter à des dons physiques, j'aurais pu mettre : débrouillard, dégourdi, autonome, malin, créatif...
Mais ça, n'est-ce pas le point de vue du marginal ? ceux qui sont dans la majorité n'ont pas tous l'impression qu'ils se sont compromis en quoi que ce soit.
Je voulais dire par "traditionnelle" celle qui véhicule les stéréotypes majoritaires dans une société donnée au moment de l'éducation de ces enfants.
Il me semble que si, on est dans le langage implicite, que les enfants apprennent tout autant que le verbal (mais dont il est moins aisé de savoir ce qu'ils en ont compris). être indifférent au mieux peut être pris comme tu le dis comme acceptation tacite, mais peut à mon avis tout autant être pris comme refus tacite, surtout si tu témoigne un grand enthousiasme pour d'autres choses. Les adultes sont bien capables de faire des raccourcis : tu n'a pas l'air enthousiaste = tu n'aime pas. Je trouve qu'ils le font d'ailleurs très souvent. ça va même plus loin car ça devient souvent "tu ne réagi pas comme je l'attendais = tu n'aime pas = tu ne m'aime pas", raccourci dévastateur.
Enfin bref, ce que je voulais dire c'est que nos réactions implicites sont autant utilisées par les enfants pour construire leur avis que nos réactions explicites. Et que si on contrôle à peu près bien les secondes, la plupart des gens ne contrôlent globalement rien aux premières.
Je ne comprend pas ta question. L'enfant n'a pas besoin de raison pour agir ? Quant à "valable" c'était pour lui, de son point de vue.
Il me semble que si : dans une société dans laquelle les enfants doivent reproduire et suivre en tous points la vie de leurs parents, la question de trouver sa place est caduque. Je crois cette question n'est pas du tout universelle et dépend avant tout du confort matériel de la famille dans laquelle on est né, et ensuite, de la conception de l'existence dans la société concernée.
Et donc qu'est-ce qui guide ton choix ?
Mais cela ne te dispense pas de formuler correctement tes questions, si ?
Du coup, est-ce que l'on venait chercher ta "protection" ? Cela rejoindrait mon avis sur le regroupement des marginaux face à l'ostracisation générale.
Oui, c'est le point de vue du marginal, mais on était spécifiquement en train de parler du scénario dans lequelle ma fille se révèlerait marginale, non ?
Ce n'est pas beaucoup plus clair pour moi, notamment parce que je doute que ce soit conscient. Quand tu fais comme les autres, tu n'as pas forcément conscience de faire comme les autres, surtout si comme tu l'as dit au-dessus cela n'entraîne pas de compromission spécifique. Du coup en l'absence de retour négatif sur l'éducation que je prodigue à ma fille, je n'ai aucun moyen de savoir si je suis des stéréotypes majoritaires ou pas.
Je suis d'accord avec cela, mais le niveau de la réponse des enfants à nos réactions implicites est également hors de notre contrôle. Au final, cela fait beaucoup que l'on ne contrôle pas, donc la seule chose que l'on peut faire est de donner explicitement le meilleur exemple que l'on est capable d'assumer et de croiser les doigts pour le reste.
Je pense qu'on n'a pas besoin de formuler explicitement une raison pour agir, et que toutes les raisons trouvées a posteriori seront valables pour nous-mêmes, à moins de souffrir d'une dissonance cognitive handicapante. Pourquoi dans notre fratrie de cinq enfants seulement deux se sont un jour rebellés contre l'autorité parentale ? Je ne crois pas qu'on puisse trouver de raison précise. Si je demandais à ma soeur aînée et mon frère puîné, je suis sûr qu'ils pourraient trouver des raisons valables à posteriori, mais cela ne changerait pas au fait que sur le coup ils ont juste ressenti une forte colère alors que le reste de la fratrie non.
C'est vrai théoriquement, mais ce n'est pas notre société. Tous les enfants ne doivent pas reproduire en tous points la vie de leurs parents, sinon on serait encore à parcourir une nature sauvage à la recherche de baies et de carcasses animales. Oui, il y a une injonction à reproduire la vie de tes parents, mais tout le monde ne la suit pas aveuglément. Et même ceux qui la suivent aveuglément ne sont pas exempts de réalisation douloureuse plus ou moins tardive (comme la fameuse "crise de la quarantaine"). Donc la question de la place dans la société se pose quoi qu'il arrive, que tu suives les traces de tes parents ou non. Même dans une famille pauvre, tu dois faire des choix de ta place en société. Les choix sont un peu plus limités et souvent plus cruciaux, notamment tous ceux qui ont un lien avec la délinquence pour un profit rapide.
Qu'en sais-je ? Sais-tu toi-même ce qui guide tes choix ? J'ai bien un assortiment de principes moraux, mais ils sont un peu en gélatine si on les teste un peu trop, et au-delà je fais de toute façon au pif, en suivant la voie de la moindre résistance.
Je ne saurais le dire. A l'époque je ne voyais pas ça comme ça, je n'ai même pas eu conscience d'être marginal au début. Longtemps pour moi c'était tous les autres qui avaient quelques bizarreries, et le fait que ce soient eux les plus nombreux ne m'avait pas poussé à réfléchir à ma position, même si je l'avais remarqué.
Par contre j'ai été vu comme une espèce de figure d'autorité, car on venait me demander mon avis (les normaux autant que les marginaux). Mais tant que je ne savais pas que j'étais marginal, je n'avais pas l'impression d'être attaqué sur mes positions, non plus que d'avoir à les défendre. Je dirais que cette perception là n'est arrivé que vers le lycée. Et à ce moment-là, je n'étais plus en position matérielle de défendre qui que ce soit : j'étais externe dans un lycée à 90% d'internes -> l'essentiel des réactions sociales avaient lieues quand je n'étais pas là. Je n'ai eu qu'à montrer les dents 2-3 fois pour convaincre les importuns qu'ils avaient plus à perdre qu'à gagner à se battre contre moi.
C'est une autre question.
Si tu me dis que tu ne sais pas, ça répond à la question que je posais.
Si tu veux que j'y réponde aussi, au sujet particulier de l'éducation des enfants, personnellement je pense que je me guiderais sur ce que je penserais le plus utile pour qu'ils aient une vie satisfaisante, sans empêcher ni leurs contemporains ni leurs descendants de pouvoir faire de même.
Dans la même veine que cet article, j'ai rédigé la réponse que j'aurais bien voulu donner à la femme qui a appelé ma fille "bossy"🇺🇸. L'article est en anglais car il n'y a pas de traduction satisfaisante de "bossy" avec les mêmes connotations.