Répondant à la demande populaire d'écrire un article sur la rationalité, je voulais vous soumettre en guise d'introduction à une petite expérience afin d'appuyer un futur propos un peu théorique par une démonstration je l'espère frappante.
Le but de ce jeu est pour vous de deviner quelle est la règle numérique à laquelle je pense et que la séquence de nombres [2, 4, 8] respecte. Pour trouver cette règle, vous avez l'occasion de me soumettre n'importe quelle séquence de nombres entiers signés pour chacune desquelles je dirai si elle respecte la règle ou pas. Une fois que vous êtes sûr de vous, envoyez-moi la règle à laquelle vous pensez par message privé.
Liste des séquences proposées :
- [2, 4, 8] => Oui
- [3, 9, 18] => Oui
- [1, 2, 3] => Oui
- [3, 5, 7] => Oui
- (i, 1, 0) => Non
- [18, 3, 9] => Non
- [3, 18, 9] => Non
- [1, 3, 4] => Oui
- [1, 3, 4, 6] => Oui
- [3, 1, 4] => Non
- [27, 28, 29] => Oui
- [27, 37, 47] => Oui
Solution
Human Ktulu a trouvé la règle en premier, je la publie dans une balise spoiler pour ceux qui voudraient encore chercher pour le plaisir de chercher:
Spoiler (Sélectionnez le texte dans le cadre pointillé pour le faire apparaître)
Les nombres doivent être dans l'ordre croissant
Voilà le corps de l'article que je voulais écrire sur l'introduction à la rationalité bayésienne.
Bayé-quoi ?
Cette philosophie fait référence aux travaux mathématiques du révérend britannique Thomas Bayes (1701- 1761) sur les probabilités. Le théorème de Bayes permet de formaliser l'évolution de la probabilité d'un événement étudié en fonction d'une observation d'un autre événement lié au premier. En particulier, il se démarque de la logique d'Aristote et de l'algèbre de Boole dans lesquelles une proposition ne pouvait être que vraie ou fausse sans incertitude à aucun niveau. Le théorème de Bayes permet de formaliser une logique basée sur des probabilité qu'une proposition puisse être vrai ou fausse, ou bien encore autre chose si un événement peut avoir plusieurs issues possibles.
Quel rapport avec le 2, 4, 8 ?
Ce petit jeu avait pour but de mettre en évidence le processus cognitif humain habituel quand il tente de trouver une explication à un phénomène et en quoi l'utilisation d'un raisonnement bayésien est plus efficace dans ce genre de situation. Cette expérience a été menée pas mal de fois, toujours avec un même comportement régulièrement observé :
- Le joueur imagine une règle qui fonctionnerait avec [2, 4, 8]
- Il propose une ou deux nouvelles séquences qui obéissent à la règle qu'il a imaginée
- Une fois obtenue confirmation que les séquences proposées obéissent bien à la règle recherchée, il expose sa règle, qui ne correspond presque jamais
Pourquoi une telle inefficacité dans le processus de recherche, qu'est-ce qui cloche dans notre cerveau ?
Biais de confirmation et autres raccourcis
Dans ce cas précis, le théorème de Bayes suggère que la proposition de séquences qui obéissent à la règle imaginée par le joueur ne fournit comparativement que peu d'informations sur la probabilité que ce soit effectivement la règle recherché. Par contre, proposer une séquence qui n'obéit pas à la règle imaginée est beaucoup plus intéressant si on se voit répondre qu'elle obéit bien à la règle recherchée.
Mais ce n'est pas vraiment comme ça que l'on est câblé dans notre cerveau. Que ce soit inné ou acquis, nous recherchons par défaut la validation de ce que nous croyons savoir sur le fonctionnement du monde. La rationalité bayésienne vise précisément à identifier et à limiter les effets négatifs de ces biais cognitifs sur notre compréhension du monde. A la clé ? Devenir vraiment intelligent, faire des choix plus éclairés en fonction de ce que nous savons vraiment sur le monde.
Human Ktulu vient de me proposer une règle par MP, avant même de proposer une séquence de nombres. Sans grande surprise, sa règle fonctionne effectivement pour [2, 4, 8] mais n'est pas celle à laquelle je pense.
Ça valais le coup d’essayer
Voici une autre séquence : [3, 9, 18]
Se rappelle soudainement pourquoi il n'a pas eu son BAC grâce aux mathématiques.
Heu, au hasard non-inspiré [1, 2, 3]
Oui et oui
[3, 5, 7] ?
Disons tout de suite que c'est n'importe quoi :
Par exemple on peut imaginer qu'il s'agit des triplets (a, b, a² + b).
Bon, ça marche bien sur les 3 exemples.
Et alors, ça me prouve que c'est la bonne réponse ?
Non. Ça pourrait être une autre réponse.
En fait quel que soit le nombre d'exemples et le nombre de mes propositions rien ne peut me prouver que j'ai trouvé la réponse souhaitée.
Avant qu'Ertaï ne réponde à Aka, rien ne me prouve que (3, 5, 7) n'est pas un triplet valide. Et si c'est un triplet valide alors ma règle n'est pas la bonne et je devrai en chercher une autre.
@Aka Guymelef : rassures-toi, ce genre de question n'est pas digne d'un examen de mathématiques, même pour un brevet des collèges. C'est tout juste bon pour un vulgaire test de QI.
@Ertaï : tu nous demandes de lire dans tes pensées. Nous n'avons pas la même idée de la rationalité.
(i, 1, 0) ?
[3, 5, 7] Oui
(i, 1, 0) Non, restons dans les entiers naturels signés.
Je partage ta critique sur le manque de rigueur mathématique de la question. Pourtant tu es capable de proposer une séquence/triplet de nombres, ce qui signifie que tu as compris le principe. Après, pour ce qui est de deviner effectivement, je te laisse trouver la meilleure méthode pour, sinon être sûr, t'approcher au plus près de ma règle.
Ah zut, j'avais tenté de donner une séquence invalide
L'ordre des numéros est important ou il est obligatoirement donné dans un ordre croissant ? Par exemple ma séquence [3, 9, 18] est toujours vraie si on écrit [18, 3, 9] ou [3, 18, 9] ?
Car comme le suggère Spice cela peut être de simples coordonnées ...
1, 3, 4 ?
1, 3, 4, 6 ?
3, 1, 4 ?
[18, 3, 9] Non
[3, 18, 9] Non
Edit:
1, 3, 4 Oui
1, 3, 4, 6 Oui
3, 1, 4 Non
Fichtre !
[27, 28, 29]
[27, 37, 47]
Oui et oui.
Ça commence à devenir évident ...
Le jeu est officiellement terminé, Human Ktulu ayant trouvé la règle, mais vous pouvez encore proposer des séquences et/ou des règles si vous le souhaitez
C'est très intéressant et ça rejoint tout à fait un sujet que je connais un peu plus. Le développement cognitif chez l'enfant.
Dès nos premières années, nous construisons notre conception du monde par nos essais et nos erreurs. Dans nos esprits se créent une image mentale du monde sans cesse réactualisée par nos expériences.
Des scientifiques se sont néanmoins aperçu que cette théorisation progressive du monde n'était pas forcément constante et linéaire. Quand on y regarde de plus près le développement cognitif humain ressemble plus à des montagnes russes qu'à une ligne droite ascendante. Il arrive notamment que l'enfant fasse d'apparentes régressions. Ce qu'on suppose (je ne sais pas si ça a pu être démontré), c'est que lors de ces régressions l'enfant teste d'autres pistes. En d'autres termes, il fait volontairement des erreurs pour être bien sûr d'être dans la bonne direction.
L'enfant serait-il plus bayesien que l'adulte ?
C'est tout à fait possible, surtout si les enfants concernés ne sont pas encore entrés à l'école primaire. L'école apprend aux élèves qu'il n'y a qu'une bonne réponse, celle du professeur. A partir de là, il n'est pas étonnant qu'il puisse y avoir des dissonances cognitives entre les expériences réelles et l'impératif de l'autorité. D'autre part, je suppose qu'il est d'autant plus facile pour un enfant jeune de changer d'avis tant que celui-ci n'est pas lié à un marqueur d'identité personnelle ou d'appartenance à un groupe social. A partir de là, l'avis n'a plus uniquement la valeur intrinsèque de représentation de la réalité, avec à la clé l'intérêt qu'il soit le plus proche de la réalité, mais également d'autres avantages qu'un changement d'avis ferait perdre.
Les vérités Bayésiennes ne sont pas plus éclatantes que les autres. Bayes n'a pas le monopole de la rationalité.
Les formules Bayésiennes portent sur des partitions/distributions de probabilités.
À mon avis c'est à l'opposé de l'apprentissage symbolique que l'on attend de l'enfant.
Ceux qui essayent de psychologiser les mathématiques font toujours une grave erreur d'interprétation. Le cerveau a ses propres mystères que les mathématiques ignorent. L'enfant a sans doute besoin d'apprendre l'arithmétique, sa relation avec les mathématiques s'arrête là, elle ne va pas beaucoup plus loin. En particulier l'enfant n'a ni le besoin ni les capacités pour appréhender le théorème de Bayes ou ses conséquences cognitives réelles ou supposées.
Personnellement la théorie des catégories me parait beaucoup plus structurante que le théorème de Bayes. Et pourtant je ne vais pas inventer un jeu pour infantiliser la théorie des catégories. Et je ne vais pas lui inventer des bienfaits sociétaux qu'elle n'a probablement pas. Une chose peut être universelle sans avoir aucune qualité sociétale. C'est la raison pour laquelle je suis contre l'apprentissage forcené de l'algorithmique déguisée en recettes de cuisine pour enfants. C'est inutilement discriminatoire pour ceux à qui ça déplaira et ils sont(seront) nombreux. Et pour ceux que ça intéresse il faudra de toute façon tout reprendre sur des bases universitaires. Par exemple sur les bases de la théorie des catégories pour les esprits les plus enclins à l'abstraction. Il y a un très bon wikibook pour ça.
Laissons les enfants libres de jouer avec leur ballon, leurs legos ou leur playmobils. N'essayons pas de brûler les étapes avec des méthodes américaines importées sous prétexte que la pression sociale pousse à ne former que des futurs BAC+5.
Ben quoi c'est utile les BAC+5. Dans ma boite on cherche des magasiniers de ce niveau là
EDIT : Pour en revenir au sujet, je suis en train d’expérimenter un type de rationalisme grâce au jeu d'échecs. Le truc intéressant, c'est que à force de jouer contre la même personne on a tendance à spécialiser son jeu.
SpiceGuid, j'ai du mal à ébaucher un semblant de réponse à ton commentaire tant il me paraît hors-sujet. Dans mon article initial:
Après avoir enlevé tout ça, il ne reste que ta mention de la théorie des catégories. En quoi est-elle plus "structurante" et en quoi cela est-il pertinent par rapport à ce dont j'ai parlé dans l'article initial ?
@Human Ktulu : quel est ce type de rationalisme ?
On est tel que l'on joue, a force de connaitre les réactions d'une personne on fini par pouvoir anticiper le jeu.
Par exemple mon collègue va systématiquement vers le suicide des dames si elles sont en confrontation direct. Donc je tente de jouer en évitant de positionner ma dame dans le champ d'action de la sienne, même protégé. Perso ce mode de jeu régicide ce n'est pas mon truc