C'est de cet instant flottant entre le moment où les Français sont déjà passés à la prochaine décennie tandis que les New-Yorkais font encore la queue dans les supermarchés bio que je profite pour jouer à Nostradamus et prévoir le sort du monde en 2011 et au-delà, dans une période de dix à vingt ans à compter de maintenant.
Je me suis livré récemment à cet exercice auprès de ma femme, un soir où elle me demandait une histoire avant de s'endormir. J'ai choisi de découper mon analyse par zone géographique, veuillez m'excuser à l'avance pour toute erreur de ma part dans les quelques données que j'avance, je n'ai pas la verve de Dragoris quand il s'agit de nous raconter les péripéties américaines au Proche-Orient, l'activité d'Al-Qaeda au Maghreb ou bien nos futures mésaventures avec le pétrole.
Le monde en général
Le principal sujet de préoccupation du monde dans les années à venir, c'est bien évidemment, non pas le Peak Oil en lui-même, mais ses implications géopolitiques. Avec la montée des puissances émergentes comme la Chine, le Brésil et l'Inde qui chacune peuvent prétendre à une part du lingot d'or noir et la stagnation voir la récession de la production pétrolière annuelle, le prix du baril va subir une augmentation brusque. Montée accélérée par l'optimisme des précédents rapports de l'AIE et les mensonges des différents Etats importateurs sur leurs véritables réserves en cas de coup dur.
Le choc sera terrible, à comparer avec les chocs pétroliers de 1970, car tout à été fait jusqu'ici pour qu'il arrive le plus tard possible pour ne pas affoler les places financières. Résultat prévisibles : les places financières seront affolées, avec des conséquences drastiques pour l'économie mondiale. Augmentation du prix de l'énergie liée au pétrole en général, ce qui va accélérer la mise en place des alternatives jusqu'ici délaissées ; Hausse du prix des transports dépendants du pétrole, avions, camions et voitures principalement, trains dans une moindre mesure.
Passons maintenant en détail les stars montantes de la future décennie.
La Chine
Sans conteste le gagnant de notre jeu "Qui va gagner des milliards", la Chine va de plus en plus s'imposer comme la nouvelle superpuissance du monde. Mais pas une superpuissance intrusive dans la géopolitique internationale. Je rappelle que la Chine, avec sa population dépassant le milliard d'habitants, est un mini-monde en soi. Et avec l'augmentation du niveau de vie des Chinois, dont les manifestations ouvrières dans la région la plus industrialisée font supposer un lent glissement vers un modèle occidental, avec un marché intérieur potentiel gigantesque.
Dans le même temps, les capitaux chinois se sont insinués dans toutes les strates économiques européennes et bientôt aux Etats-Unis, dont la perte de la place de superpuissance devrait sans doute faire revoir l'importance de la dette extérieure écrasante. La Chine disposera ainsi de multiples leviers de pouvoirs en Occident, ce qui devrait faire encore diminuer l'influence européenne et américaine sur la politique chinoise, notamment sur le sujet des droits de l'homme.
Le Brésil
Puissance montante d'Amérique du Sud, le Brésil se paye le luxe d'avoir un président féminin, comme l'Argentine, ce qui donne une très bonne image extérieure du pays. De plus, avec ce qu'il reste de forêt amazonienne, le Brésil ne peut faire autrement que de promouvoir l'écologie et la lutte contre le réchauffement climatique, tout en devant faire face à une forte croissance économique/démographique. Je suppose que le Brésil pourrait devenir un leader dans le domaine des énergies propres en profitant de sa forte croissance pour doper le financement des énergies alternatives et éviter de se retrouver coincé par l'augmentation fatidique du prix du pétrole.
Et pendant ce temps-là, dans les autres pays du monde...
Les Etats-Unis
Comme le Peak Oil, les Etats-Unis ont atteint le sommet de leur puissance géopolitique avec Georges W. Bush, en mettant à feu et à sang deux pays du Proche-Orient. Barack Obama n'aura pas le loisir de jouir d'une telle puissance, car "l'adversaire" du moment, la Chine, ne se laissera intimider ni par des sanctions économiques (on l'a vu, le marché intérieur est largement suffisant), ni par des menaces militaires, la Chine étant une puissance nucléaire. En plus de cette diminution d'influence géopolitique extérieure, les Etats-Unis devront faire face à des challenges intérieurs importants. Cohabitation jusqu'en 2012 avec probable retour au pouvoir des républicains, impact très fort de l'augmentation du prix du pétrole sur l'industrie automobile notamment, rétro-influence de la dette extérieure dont le poids va commencer à se faire sentir, surtout quand la Chine va commencer à demander des comptes.
L'Europe
Même si, à la surprise générale des places financières, l'Europe s'est serrée les coudes pour sauver l'Irlande de la faillite, la situation générale n'est pas brillante. Manquant régulièrement de cohésion politique, souvent réduite au tandem France/Allemagne, connaissant une forte remontée d'un sentiment nationaliste dans plusieurs de ses pays, l'Europe manque de puissance intérieure, et ne saurait donc avoir une quelconque puissance géopolitique extérieure. La montée du sentiment nationaliste sur fond d'islamophobie avec des composantes eurosceptiques a été particulièrement visible avec Jörg Haider en Autriche, mais la tendance monte uniformément dans beaucoup de pays d'Europe, et non des moindres : Allemagne, Italie, Pays-Bas, Danemark, Suède, France bien sûr, et même la Hongrie. Sans pouvoir politique central, l'Europe ne pourra rien faire de grand dans la décennie à venir. Et si la solidarité économique devrait encore prévaloir (mais pour combien de temps ?), les Etats européens ont d'ores et déjà compris qu'ils ne devaient compter que sur eux-mêmes avec des plans de rigueur économiques plus ou moins bien accueillis (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Espagne, Grèce et Roumanie) pour éviter une baisse de la cotation nationale par les agences de notations financières.
Le Moyen-Orient
J'ai encore de mauvaises nouvelles pour vous, ce n'est pas dans cette décennie que l'antagonisme Palestine/Israël sera résolu. Rien ne le laisse actuellement supposer, et les crises qui s'annoncent ne semblent pas propices à un apaisement des tensions. Par contre, le Peak Oil va bouleverser la stabilité de la région. Lorsque les sources de pétro-dollars de la péninsule arabique vont se tarir, les pays ayant su sortir leur économie de leur dépendance aux revenus du pétrole vont parvenir à sortir la tête du sable.
Politiquement, ce sera toujours le marasme, entre les provocations sans suites de l'Iran qui risque une dernière invasion américaine avant que le pétrole ne devienne trop cher pour lancer une offensive d'envergure, l'antagonisme avec Israël, l'antagonisme avec l'Inde pour le Pakistan, l'antagonisme avec la Russie pour les Tchétchènes, l'antagonisme avec la Turquie pour les Kurdes, avec des conflits d'intérêt autour du gaz qui prendront de plus en plus d'importance.
France
Je termine par ce qui nous intéresse sûrement le plus, le sort de la France dans les prochaines années. Malgré son impopularité record, Nicolas Sarkozy devrait être réélu en 2012, d'une très courte tête face à des socialistes encore et toujours désorganisés (on l'a encore vu avec le fameux pacte entre Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn et Ségolène Royal qui a éclaté deux jours après son annonce) et à des Villepinistes trop peu nombreux pour inquiéter l'UMP. Toutefois, si l'on en croît notre bien-aimé président dont 20 Minutes a rapporté ces propos qu'il aurait tenus : « Je suis là pour deux mandats et après "ce sera la dolce vita" », on ne devrait plus trop entendre parler de lui après 2017. Enfin normalement. Trop narcissique pour introniser un quelconque fils spirituel à la tête de l'UMP après son deuxième mandat présidentiel (qui s'annonce encore plus musclé que le premier, n'ayant pas à flatter les instincts populaires pour une nouvelle campagne électorale présidentielle), l'UMP se déchirera, n'ayant plus de leader spirituel unique et craint. Les paris sont donc ouverts et entiers pour le résultat de 2017.
Côté économique/social, la population encaissera là aussi de plein fouet l'augmentation du prix du pétrole, le gouvernement tentant vraisemblablement de conserver et une Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers forte, et les marges des grandes sociétés pétrolières françaises. La politique de rigueur économique initiée avec la réforme des retraites et la diminution du corps des fonctionnaire se poursuivra. Les réactions syndicales se feront entendre, mais la mobilisation des grèves à prévoir s'amenuisera sans doute avec le temps.
Vous comprendrez en ayant lu tout ça que ma femme dormit mal cette nuit-là, et bien qu'elle qualifiât mes propos de fort intéressants, elle me fit jurer facilement de ne plus lui en parler à une telle heure.
Je pense que c'est un bon résumé de la situation géopolitique actuelle
Les États-Unis ont tout de même encore le temps de perdre leur place de première puissance mondiale, encore quelques décennies. Et même alors, il faudra tout de même compter avec eux, de la même façon qu'aujourd'hui il faut tout de même bien compter avec la Chine au niveau international (surtout quand on parle de climat).
À noter pour la France que 2011 s'annoncera comme une année de campagne électorale
Hé bé... que d'optimisme dans tout ça...
Je trouve quand même ton propos assez déséquilibré : tu présentes d'un coté les pays extérieurs sur le thème des enjeux stratégiques et géopolitiques, et la france avec l'élection ou pas de la droite. Ca me parait être un tantinet superficiel.
Ce qui est important, c'est l'interdépendance des enjeux et au delà des questions énergétiques, la question posée demain sera liée à l'alimentation des peuples. Une bonne part des terres cultivées au brésil servent à alimenter la production animale européenne (et par extension, l'alimentation des européens), qui est tout sauf autosuffisante donc, et produite au brésil sur un régime de production absolument pas durable (monocultures, pesticides et ogm en veux tu en voila).
La Chine est hyper intrusive. Son action en Afrique depuis 15 ans vise simplement à s'accaparer les terres productives pour assurer l'alimentation des chinois, dans des proportions telles aujourd'hui que cela se fait au détriment des peuples autochtones. Mais c'est un pays qui n'a pas les moyens des ambitions de ceux qui la dirige. C'est un pays qui se désertifie à vitesse galopante, et qui ne pourra jamais assurer à sa population le style de vie à l'occidentale. Les ressources n'existent pas pour cela.
Concernant la politique française, je suis en train de lire un bouquin en ce moment qui me donne bcp à réfléchir. Les politiciens deviennent de plus en plus des communicants sans véritable pouvoir de décision (ils sont d'ailleurs choisis pour ca, pas pour leurs idées), qui fait que une élection présidentielle est un épiphénomène, dont le résultat ne permet pas une véritable inflexion dans les politiques menées. Ou alors vraiment à la marge.
La nature du pouvoir actuel de la politique devrait être comparée avec le programme politique du conseil national de la résistance, qui a servi de base pour la reconstruction du pays après la guerre et le régime de vichy. Finalement, ils s'étaient trouvés dans une situation proche du chaos avec un besoin de reconstruction effarant et une problématique de dépendance alimentaire qui avait conduit à maintenir le rationnement. Et bien, ils ont nationalisé tous les secteurs considérés comme stratégiques : banques, industries, services, ont imposé des règles du jeu différentes au patronat, ce qui a donné notamment la retraite par répartition, la mise à niveau du syndicalisme par rapport au pouvoir patronal, etc...
Pour le coup, on avait une vraie opposition entre l'économie dirigiste de l'époque, qui avait ses travers, mais qui a permis d'atteindre les objectifs de reconstruction qui avaient été fixés, et l'économie libérale mondialisée et le pouvoir à la finance, qui conduit les politiques francaises actuels à ne pouvoir actionner que des leviers somme toute dérisoires. A l'époque, après toutes les nationalisations, le pouvoir au main du politique était considérable, il avait tous les leviers. Alors qu'actuellement, le politique est faible, tous les leviers sont passés au secteur privé. Lorsque l'on parle de la nécessité de la transformation écologique de nos sociétés, on s'aperçoit de la nécessité de la reprise de contrôle des secteurs stratégiques au main du politique (enfin, du peuple, je parle pas du personnel politique en particulier), qui passe par la nationalisation et un retour à un système qui va plus loin que les incitations, inflexions dépendantes de l'humeur du peuple mesurée aux sondages d'opinion et popularité.
Enfin, si vous parlez de ca aux hommes politiques actuels, c'est probable que ceux ci hurleraient au bolchévisme rampant... Pourtant, c'est ce qui avait été fait par la résistance, qui allait des gaullistes aux communistes de l'époque.
Je recopie ici l'avis d'un de mes amis Facebook que j'ai trouvé intéressant :
Le débat part un peu dans tous les sens ! Mais tant mieux
Concernant les présidentielles, les choses ne sont certes pas figées, Sarkozy en 2007 a réussi le tour de passe passe de se présenter sans porter le bilan de la présidence de chirac, alors qu'il en était l'omni-ministre, mais je crois pas que les gens seront dupes au point de considérer son premier mandat positivement.
Par contre, est-ce pour cela que les voix se reporteront fatalement sur ses opposants, rien n'est moins sur. La plupart des gens qui me disent avoir voté Sarkozy en 2007 disent aussi qu'on ne les reprendra pas, mais aussi que la gauche et Royal n'aurait probablement pas fait mieux.
Et il est vrai que concernant la crise financière, on ne peut que constater que ceux qui ont été les principaux artisans de la dérégulation, c'est la gauche sous Mitterrand puis Jospin...
Mais au delà de ses questions de personnes, c'est vraiment la question des marges de manoeuvre du pouvoir politique, vis à vis des leviers dont il dispose (assez faibles), son endettement qui le plombe, et les échéances environnementales diverses, la dislocation de l'europe...
Ertaï magnifique article !
Eh bien, joyeuse année en perspective.
En lisant cela, je ne suis pas trop surpris, ces "tendances" ne sortent pas du chapeau et ça correspond à l'idée que l'on se fait de la probabilité de cet avenir.
Je note juste, comme quelqu'un l'a déjà fait remarquer, que cela m'étonnerait que le modèle chinois tende vers un modèle occidental au niveau société et surtout à propos des droits de l'Homme. Cela s'est vu avec le pris Nobel de la paix, cet opposant chinois ayant ratifié la charte (dont je ne me souviens plus du numéro...) contre le modèle actuel chinois. Son siège était vide lors de la remise du prix, mais peu de voix se sont élevée parmi les pays dans lesquels les droits de l'homme existent. J'attribue ça aux intérêts de ces pays dans la chine, et les possibles problèmes d'un refroidissement des relations avec ce pays. Vu l'évolution, avec toujours plus de billes chinoises dans ces pays, et toujours plus de contrat passés avec la chine, je doute que cela ne change...
Je voulais revenir sur une phrase d'Ivaldir : "Enfin, si vous parlez de ca aux hommes politiques actuels, c'est probable que ceux ci hurleraient au bolchévisme rampant... Pourtant, c'est ce qui avait été fait par la résistance, qui allait des gaullistes aux communistes de l'époque."
Même si ça a un peu moins de rapport avec l'année 2011 et le monde, je trouve que cette phrase montre que l'on est passé d'une situation ou les hommes politiques pouvaient encore s'unir dans un but commun afin d'affronter un péril pour la nation, à une situation ou le sport national est de rejeter la faute sur l'autre , et où ce genre d'unification n'est même plus envisageable. Certes, le contexte était une guerre, mais...
Bonne année, la bleusaille !
Je constate que j'ai oublié un paragraphe sur le moyen-orient, mais personne n'a bronché, on dirait que tout le monde s'en fout du Moyen-Orient
Quoi qu'il en soit, l'oubli est réparé, enjoy.
Ragnarork a écrit :
Je pensais plus à un modèle de société consumériste, pas libertaire.
Ragnarork a écrit :
Pour moi, c'est plutôt un bon signe, ça veut dire que la nation n'a pas subi de péril depuis la Seconde Guerre Mondiale. Le prochain péril sera sans nul doute l'explosion du prix du pétroles et des matières premières en général couplé à la dévaluation probable du dollar et/ou de l'euro qui mettra définitivement à bas le système financier international, mais d'ici là les hommes politiques n'ont aucune raison valable de s'unir, et c'est aussi bien comme ça. Donc pour moi les hommes politiques s'uniront encore contre un péril commun, mais tant que ce péril n'existe pas, ce sera cour de récré pour tout le monde.
Et superdjidane, pourquoi parles-tu de bleusaille ?