De l'importance du réalisme dans le Jeu de société

Est-ce qu'un jeu réaliste est nécessairement un bon jeu ? Cette question récurrente que ce soit pour les jeux vidéos ou les jeux de société ne possède pas de réponse définitive, mais dans le cas précis du jeu de société les paramètres de jeu modifiés par un réalisme plus ou moins grand sont la complexité des règles et parfois l'équilibre initial entre les joueurs.


Les exceptions qui confirment la règle

Dans le processus de conception d'un jeu basé sur un univers réaliste se pose toujours la question de savoir jusqu'où il faut aller dans la précision des règles liées aux spécificités de l'univers. C'est très important car cela dessine en filigrane l'avenir du jeu. Un jeu réaliste sera plus riche, plus complexe, destiné à des joueurs plus expérimentés, plus volumineux et enfin plus cher, tandis qu'un jeu simplifié sera plus léger, plus accessible, moins cher mais potentiellement moins intéressant à long terme. 

Il peut également être fait le choix hybride de conserver telle ou telle partie du jeu réaliste, tandis que telle autre part sera plus simple, avec moins de cas spécifiques et d'exceptions pour favoriser un jeu plus fluide. c'est le cas de Megawatts, de Friedemann Friese, mais ça n'a pas que des avantages.

L'impossible équilibre

Dans ce jeu de simulation de compagnies fournisseur de courant électrique, il est question d'acheter des centrales, de se fournir en matières premières pour les faire fonctionner, et enfin d'agrémenter son réseau pour améliorer ses revenus. Tous ces éléments de jeu sont réglés comme du papier à musique, au bout de quelques tours de jeu  on comprend leur intérêt stratégique et leurs implications à plus ou moins long terme.

Tous ? Non !

Car dans la phase de développement de son réseau électrique, on joue sur un plateau géographique représentant de vrais pays du monde comme la France, l'Allemagne, le Benelux ou encore le Québec. le but de cette phase est de raccorder le plus de villes possible car c'est le nombre de villes alimentées qui détermine le niveau des revenus de chaque joueur. Pour raccorder  une nouvelle ville à son réseau, il faut payer le coût de raccordement qui est proportionnel à la distance réelle entre cette ville et une autre ville faisant déjà partie de votre réseau.

D'autre part, la première implantation est arbitraire. Il est donc tout à fait possible pour un joueur de choisir de raccorder sa première ville dans une zone dense dont les coût d'interconnexion sont plus faibles et de ne laisser aux autres joueurs que le choix entre des zones plus chères ou de rentrer directement en concurrence avec lui. j'ai trouvé que malheureusement ce choix initial basé sur la répartition du plateau donnait souvent la victoire à celui qui peut s'installer en premier dans une zone peu chère.

Si cette répartition est effectivement réaliste d'un point de vue géographique et économique (les entreprises souhaitent le plus souvent s'installer dans les zones plus densément peuplées pour bénéficier d'un marché potentiel plus intéressant), j'ai trouvé que ça faussait l'équilibre initial entre les joueurs, même si d'autres part le jeu possède des règles intelligentes pour équilibrer le jeu en cours de partie.

Agrément de jeu VS Agrément mathématique

C'est sûr, des plateaux avec des positions de départ fixes et des coûts d'interconnexion symétriques seraient beaucoup plus stratégiques et équilibrés, mais aussi beaucoup moins immersifs et agréables à jouer. Après tout, ce jeu se base sur un univers original qui n'a pas l'air d'être "plaqué" sur des règles écrites à l'avance.

Finalement, je me suis rendu compte que Megawatts n'est pas un jeu aussi austère que la froide mécanique de précision des règles pourraient le laisser supposer. J'aborde donc désormais ce jeu plus comme un jeu d'ambiance que comme un jeu de stratégie pure. C'est sûr, il faut quand même calculer un peu, planifier à l'avance, mais les quelques éléments chaotiques (pioche de carte, positionnement arbitraire sur un plateau réalistiquement déséquilibré) font qu'il est impossible de prévoir trop à l'avance.

Au final, le réalisme dans le jeu est moins une question de complexité de règles que d'agrément de jeu et d'immersion. Car s'il est toujours possible de trouver des gens qui apprécieront des règles aussi tarabiscotées qu'elles puissent l'être, il est beaucoup plus difficile de trouver l'alchimie nécessaire pour immerger les joueurs dans l'univers choisi.

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7 Commentaires

  • Même si je comprends que le réalisme puisse prendre une part importante dans l'immersion de certains joueurs, ce n'est pas pour moi la priorité pour un jeu de société.

    Dans un jeu de rôle, un jeu vidéo, le réalisme et l'immersion sont primordiaux. De la part d'un jeu de société, je trouve ça plutôt frustrant quand tout le monde n'a pas les mêmes chances de tirer son épingle du jeu. Ou alors il faut vraiment que le jeu soit suffisamment riche pour permettre au joueur défavorisé d'avoir sa chance.

    Autant je suis bon perdant quand les chances étaient égales, autant je peux être lourd quand j'ai fait ce que je pouvais mais il n'y a rien que j'aurais pu faire pour gagner ! razz

  • Ah, dans ce style-là, Starcraft le Jeu de Plateau est très haut dans mon Hall of Shame. J'ai déjà passé 1h30 de jeu en sachant qui allait gagner à partir de la 20ème minute de jeu sans pouvoir rien faire pour l'en empêcher.

    Megawatts est moins comme ça, puisque même si le vainqueur peut être favorisé dès le premier tour par un bon choix, la mécanique fait qu'aucun joueur n'est laissé à la traîne, et les fins de partie sont souvent électriques ! Et puis l'abondance de plateaux différents (6 ou 8 en tout) permet de renouveler le plaisir du jeu qui aurait pu effectivement être frustrant, mais finit toujours par être agréable.

  • Mando a écrit :

    Dans un jeu de rôle, un jeu vidéo, le réalisme et l'immersion sont primordiaux. De la part d'un jeu de société, je trouve ça plutôt frustrant quand tout le monde n'a pas les mêmes chances de tirer son épingle du jeu.

    Si je suis cet argument, cela voudrait dire qu'un jeu de société se doit d'être fun pour tous et que donc le jeu réaliste stricto sensu n'a pas sa place.

    Personnellement je n'ai jusqu'à présent jamais joué à un jeu à la trame réaliste (genre Pandémie ou les Mystères de Pékin (pas sûr pour ce dernier)), de fait j'ai du mal à départager les deux. Cependant je pense qu'il y a deux axiomes sur lequel on peut tous s'accorder :

    1. Si le jeu est trop déséquilibré ou les façons de gagner sont trop peu nombreuses et linéaires, l'intérêt d'y rejouer est proche du nul
    2. Si le jeu est trop complexe, la propension de trouver des joueurs aptes à y jouer se réduit considérablement.
  • Aka Guymelef a écrit :

    le jeu réaliste stricto sensu n'a pas sa place.

    je ne suis pas si extremiste, je sais trouver mon plaisir dans un jeu réaliste mais pas très équilibré, j'énonçait juste la priorité de mes attentes quand j'essaie un jeu !

    j'aime bien les Aventuriers du Rail par exemple, qui favorise l'immersion à l'équilibre entre les joueurs !

  • Finalement tu as nommé l'important : les attentes. Tous les types de jeu se valent, après la question c'est si tes attentes sont satisfaites quand tu joues à un jeu. Si elles ne le sont pas, tu trouveras le jeu décevant, à moins que tu arrives à changer tes attentes à propos du jeu.

    Typiquement, avec Megawatts, vu la froideur des règles et l'originalité de l'univers qui n'incite pas à la fantaisie, je m'attendais à un jeu de programmation avec des stratégies à moyen ou long terme. Ce n'est pas vraiment le cas, du coup j'ai été un peu déçu, mais après coup je me suis dit qu'il pouvait aussi être abordé comme un jeu d'ambiance avec une base de règle solide qui ne laisse aucun joueur à la traîne, et comme ça j'ai pu de nouveau pleinement apprécier ce jeu.

    Concernant le jeu réaliste, il a tout à fait sa place, je pense notamment à tous ces jeux de reconstitution des batailles de la deuxième guerre mondiale, mais il n'a pas sa place dans ma ludothèque ! wink

  • Je suis un peu déçu par cet article. Il faut dire que le titre est trompeur. Je pensais aborder un article traitant du réalisme dans le jeu en général. Au lieu de cela nous n'avons le droit qu'au traitement d'un jeu, megawatt et de ce jeu tu conclus sur des règles générales. Mouais, je ne suis pas convaincu.

    Tu ne peux pas établir une conclusion inductive sur un fait unique. Il aurait été plus logique d'élargir ton champ d'analyse à d'autres ou de te passer purement et simplement de ces réflexions générales d'autant qu'elles semblent énoncées avec un peu trop d'évidence pour être honnête.

    Revenir à ce qu'on appelle réalisme dans un jeu et s'intéresser aux jeux qui se veulent réalistes m'aurait paru une perceptive plus intéressante. Je pense qu'avec des règles simples mais bien pensées et conçues pour coller à leur thème, on peut arriver à recréer des sensations proche de l'évènement simulé. A l'inverse dans mégawatt ce n'est pas la sensation qui est mise en avant mais le challenge, la recherche du meilleur coup. D'ailleurs, parler de jeu d'ambiance à propos d'une simulation de fournisseur d'électricité me paraît pousser quand même un peu loin les limites du fun.

  • Je comprends ta déception, j'avoue que cet article est un peu bancal à cause des raisons de sa création. Je voulais faire un article sur Megawatts, mais étant tombé sur un article qui explique de A à Z le fonctionnement du jeu, je me voyais mal faire un test standard avec explication des mécanismes et avis subjectif. Du coup, je me suis dit que je pourrais parler de la récente déception que j'avais eue à constater que le plateau était déséquilibré pour des questions de réalisme géographique.

    Le titre de l'article est sûrement trompeur, et la véritable conclusion de l'article est dans le dernier message que j'ai écrit : Finalement, l'important dans un jeu de société, et plus largement dans le jeu, ce n'est pas le niveau de réalisme du jeu, ce sont les attentes qu'on en a. Du coup les conclusions à propos du réalisme dans le jeu de société sont expédiées un peu rapidement parce que ce n'était pas vraiment l'important dans cet article. D'autre part, je n'ai de mémoire jamais vu de jeu se voulant réalistes avec des règles simples collant bien au thème, du coup je ne pouvais pas vraiment soutenir ce principe.

    Megawatts possède effectivement une composante de programmation (la recheche du meilleur coup) mais comme je l'ai dit elle est finalement assez limitée (le tour en cours) et les nombreuses possibilités de pourrir les adversaires dans les différentes phases crée une ambiance de fait. Même si au final le pourrissage volontaire n'est souvent pas intéressant, le fait qu'il soit simplement possible de le faire anime vraiment le jeu comme le font d'autres jeux plus clairement identifiés comme des jeux d'ambiance.

    Et le challenge est beaucoup moins présent qu'il n'y paraît, justement parce que le plateau de départ est déséquilibré, et parce que le jeu possède des mécanismes d'équilibrage qui donnent un coup de pouce aux joueurs distancés. Dès lors, les victoires sont toujours serrées, et les défaites rarement amères, ce qui pour moi n'est pas la marque d'un jeu avec du challenge, mais d'un jeu qui veut ménager son public. Mais il m'est arrivé de penser comme toi, sur la bases de préjugés par rapport à l'univers et à la précision des règles qui ne laissent aucune place à l'interprétation.

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