Eloge de la fuite, de Henri Laborit

J'avais parlé y a quelques temps d'une lecture d'un bouquin de Frédéric Lordon et en en discutant avec d'autres personnes on m'a conseillé de lire celui-ci. L'Eloge de la Fuite est un libre de vulgarisation écrit par un scientifique reconnu par ailleurs pour différences avancées importantes en biologie. Ce livre vulgarise les théories explicitées dans un ouvrage précédent qui s'intitule La Nouvelle Grille que je n'ai pas lu, et qui d'après ce que j'en ai compris devrais être beaucoup plus difficile à lire puisqu'il expose de la science à destination d'autres scientifiques.

L'Eloge de la Fuite est au contraire écrit dans un style accessible à tous, mais dont les sujets et concepts abordés peuvent, eux, être un peu renversants. C'est un vieux livre publié dans les années 70, il n'est donc pas chaud brûlant, pourtant j'y ai trouvé une version plus aboutie et plus riche que dans La Société des Affects. C'est sans doute dû au fait que Lordon partait d'en haut, de l'économie, pour descendre vers les individus, alors que Laborit part des individus pour en faire émerger les structures dans lesquels ils évoluent, et ce point de vue offre une perspective plus parlante, de concepts proches.

Comment résumer ce livre ? Je ne serais pas fidèle si je tente d'en synthétiser les idées, du coup je pense qu'il vaut mieux se contenter de décrire sa syntaxe plutôt que son message. Chaque chapitre est organisé comme si l'auteur devait répondre à une question posée par un tiers sur un sujet, on retrouve ainsi dans l'ordre :

  • Autoportrait
  • L'amour
  • Une idée de l'Homme
  • L'enfance
  • Les autres
  • La liberté
  • La mort
  • Le plaisir
  • Le bonheur
  • Le travail
  • La vie quotidienne
  • Le sens de la vie
  • La politique
  • Le passé, le présent et l'avenir
  • Si c'était à refaire
  • La société idéale
  • Une foi
  • Et puis encore...

et chacun d'entre eux consiste globalement à déconstruire tout ce qu'on pense du sujet en question pour le reconstruire avec un point de vue différent, à travers une nouvelle grille de lecture (d'où le titre de l'autre bouquin).

C'est passionnant, bien que ça puisse aussi sans doute être très désagréable à lire pour ceux qui vivraient dans un monde confortable de certitudes opposées à celles proposées ici. Pour ceux qui aiment les "idées neuves" c'est un livre à lire, même si en l’occurrence ça n'est pas si neuf que ça d'un point de vue historique, ça le reste dans le contexte actuel. En tout cas moi il m'a fallu tout ce temps pour entendre parler de ce gars sourire (mais je suis peut-être irréparablement inculte ouf )

L'image de bannière est issue d'une photographie d'Eric Beugnot "Birmanie, à contre-courant" utilisée sans permission.

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12 Commentaires

  • La médecine c'est usant moralement.

    Je le lirai un jour où je serai trop heureux. Un jour où j'aurai besoin d'un catalogue d'idées noires pour me rappeler que j'aurais mieux fait de m'étrangler avec mon cordon ombilical.

  • À ajouter à la longue pile de bouquins que je devrais lire...

    PS : pour poser pour la couverture de son livre, étant donné les yeux de ce pauvre homme, il semblerait que l'auteur ait consommé quelques substances illicites sourire

  • Je le lirai un jour où je serai trop heureux. Un jour où j'aurai besoin d'un catalogue d'idées noires pour me rappeler que j'aurais mieux fait de m'étrangler avec mon cordon ombilical.

    Pourquoi d'idées noires ? Au contraire moi je trouve que c'est un puissant moteur d'espoir, de trouver des moyens conceptuels, au moins théoriques, d'enfin de débarrasser de nos tares (en tant qu'espèce). C'est plutôt sans ça que je trouve ça désespérant razz

  • Certes. La question est de savoir : comment enlever les tares du plus grand nombre de cons.

  • "pour poser pour la couverture de son livre, étant donné les yeux de ce pauvre homme, il semblerait que l'auteur ait consommé quelques substances illicites"

    Il me semblait que les yeux des vieilles personnes étaient tous comme ça.

  • La question est de savoir : comment enlever les tares du plus grand nombre de cons.

    C'est un peu exagéré de considérer le plus grand nombre comme "con". Mais pour résumer une des pistes proposées ici, il faudrait diffuser prioritairement des connaissances liées au fonctionnement des êtres. On en revient au connais-toi toi-même.

  • Je pensais exactement la même chose que Zeami.
    Quand on sera des vieux fatigués nous aussi on aura des yeux de vieux fatigués.

    @Le Bashar
    Je ne suis pas convaincu que l'amour soit une tare. Qu'importe le trafic de neurotransmetteurs auquel le neurobiologiste aura eu le mauvais goût de le réduire. Il faut bien un minimum d'amour pour unir des êtres qui élèveront un(des) enfant(s).
    Et l'amour ça n'est que le premier chapitre, la première chose à fuir.
    Ensuite on apprend qu'il n'y a pas d'autre plaisir que la jouissance de dominer, que l'enfer c'est les autres, que le but de la vie c'est de devenir un cadavre...
    D'aucuns appelleraient ça de la lucidité. Moi j'appelle ça des idées noires parce qu'à force d'être martelées ça nuit au bien vivre ensemble. Il doit y avoir une autre voie que la fuite (par le suicide, la drogue ou la psychose dixit l'auteur).

  • C'est un peu frustrant cette présentation, impossible pour moi d'inférer un quelconque axe philosophique uniquement à partir du titre et des noms de chapitre. Je sais que je ne lirai pas ce bouquin, au contraire de Dragoris qui se berce encore d'illusion sur sa capacité à vider sa liste de livres à lire razz

    Juste à partir de "la fuite", je dirais qu'elle s'oppose effectivement à la philosophie du combat (ordinaire ?) et qu'elle propose la voie de moindre résistance comme alternative viable à l'effort et à la douleur. Me trompé-je jusqu'ici ?

  • Dans ce cas je vais tacher d'entrer un peu dans le détail.

    Pourquoi la fuite ? d'abord parce que justement c'est un mot qui, comme tous les autres, porte ses propres limitations via les connotations qu'on lui donne dans notre espace-temps. La fuite en l’occurrence n'est pas très bien vue chez nous dans notre temps. Ainsi prendre ce terme pour en faire l'éloge était une bonne manière de faire un titre étonnant.

    Pour Laborit, la fuite ce n'est pas une mauvaise chose, c'est juste le premier instinct qu'on a devant un obstacle qu'on ne sait pas (ou croit pas) surmonter. S'il y a une possibilité de fuite, on la prend. Le combat n'est forcé qu'en dernier recours si la fuite était impossible (ou si on n'a pas vu de possibilité de fuite, ou qu'on a cru qu'il n'y en avait plus, on si on s'est persuadé qu'il y avait quelque chose de gratifiant à se battre etc. ). Le combat peut prendre deux formes, celle d'une agression sur autrui si autrui il y a (peut importe qu'il soit la cause ou pas du problème, s'il est là il sera la cible), et à défaut, d'une agression sur soi-même.

    Enfin si la fuite était impossible, et si le combat est vain, c'est à dire que l'expérience acquise du sujet, seul sans adversaire, lui a précédemment appris que TOUTE action quelle qu'elle soit est inutile, alors survient l'inhibition de l'action, qui elle même génère toutes sortes de désordres métaboliques qui ne traduisent que "l'action" qui n'a pas pu avoir lieu, et se redirige quelque-part quand même au sein de l'organisme pour y faire des dégâts.

    Ce résumé grossier a été déterminé par des expériences sur des rats, donc des expériences très simples, et c'est pourquoi j'ai ajoutés quelques parenthèses qui faciliteront l'adaptation de la théorie au genre humain. L'être humain utilisant son imagination pour se créer de nouvelles portes de sorties, ou au contraire s'en cacher certaines qui sont devant lui, les étapes du comportement sont plus difficiles à percevoir. Mais Laborit se base sur les effets métaboliques des différentes phases, qui sont les mêmes, pour justifier le fait que cette manière de décrire le fonctionnement ne soit pas totalement fausse.

    Les postulats de base de Laborit sont déjà connu, on peut les retrouver ailleurs :
    - on ne sait rien, rien n'est certain (sauf peut-être l'incertain)
    - la liberté vient de l'ignorance, et seule la découverte de nouvelles connaissance peut en faire reculer les limites
    - l'être humain n'est pas un individu qu'on peut extraire de son cadre (sans autres humain il ne peut pas devenir humain, et sans cadre il cesse d'exister tout court)
    - la seule raison d'être d'un être, c'est de continuer à être
    etc.
    Il n'y a donc rien de "nouveau" dans tout cela, si ce n'est le fait de l'exprimer avec un langage bien plus actuel que des recueils de textes philosophiques antiques traduit et interprétés mille fois. Il parle notamment des discours du Christ (mais n'est pas chrétien) parce qu'il y trouve des explications qui lui semblent dire exactement la même chose que des chercheurs du 20è siècle, mais évidement au moyen de paraboles puisque, n'ayant même pas dans son langage de mots pour décrire ce dont il parle, jésus devait bien parler avec la langue de son temps (et du coup on peut nous ré-interpréter le discours en y trouvant ce qu'on veut y trouver, mais peut importe, ce qui compte c'est que le langage de Laborit c'est le nôtre, et qu'on le comprend beaucoup mieux).

    @spiceguid : le suicide pour Laborit c'est une agression contre soi-même, donc c'est si la fuite est impossible, alors que les drogues et la psychose sont très précisément des "fuites". Ce n'est donc pas une autre voie, c'est la même, sous un autre forme permise par notre imaginaire (il place sur un même plan la fuite vers l'art et la fuite vers la toxicomanie, et bien sûr sur un même plan toutes les toxicomanies, qu'elles soient légales ou pas, puisque la légalité n'est qu'un choix normatif totalement arbitraire).
    Il parle aussi à un moment de la lucidité, en disant que les ignorants la confondent et l'assimilent toujours au cynisme. (Mais que chacun aime pourtant bien se croire lucide. Cherchons quelqu'un qui dirait "je ne suis pas lucide" ? )

    Ensuite on apprend qu'il n'y a pas d'autre plaisir que la jouissance de dominer, que l'enfer c'est les autres, que le but de la vie c'est de devenir un cadavre...

    Tout cela n'est pas du tout ce qu'il défend. Je dirais plutôt qu'il dit qu'il n'y a pas d'autre moteur d'action que le désir de se gratifier, et que souvent ça entraine le besoin de dominer l'objet de cette gratification (mais pas toujours, le poids de la culture et de l'imagination pouvant produire l’effet exactement inverse). L'enfer n'est pas les autres, lui il dit au contraire que les autres, c'est nous. C'est l'individu lui-même qu'il nie, en expliquant qu'il contient tellement de parts des autres, et qu'il n'existerait pas sans elles, que c'est le concept même d'individu qui ne fait pas sens. Enfin le but de la vie... je ne sais pas ce que tu entend par "but". donc :
    - si le but c'est le "sens" de la vie : Laborit dit qu'il n'y en a aucun, et puisqu'il a vidé de son sens l'individu, la mort perd le sien également. Il ne reste donc que l'angoisse qu'on se donne d'une expérience dont on ne pourra jamais rien savoir faute de pouvoir la mémoriser.
    - si le but c'est la "volonté" de la biosphère : c'est possible qu'il y en ai une, mais elle sera à jamais au delà de nos capacités cognitives, donc c'est inutile de s'en faire.

    Enfin, je pense au contraire que ça ne nuit pas au vivre ensemble, mais que c'est justement un formidable outil pour l'améliorer. Comme dit Laborit, dès lors que tu pense que ton "adversaire" n'a pas le choix de ce qu'il fait, alors il devient complètement absurde de lui en vouloir, et tu te vois forcé de devenir tolérant, puisqu'il n'y a rien d'autre à faire. Le combattre est inutile puisque s'il y a un moins un type qui est comme lui, c'est que la conditions qui ont pu le produire existent, elles peuvent en produire un autre, et comme tu n'y peux rien, il faut bien l'accepter.
    Bon évidemment, les autres vont du coup te juger indifférent (si tu n'es pas jaloux), cynique (puisque tu juge vains leurs idéaux), et sans doute fou (puisque tu n'es pas normal) et si tu vivais en l'an 0 an palestine, de toute évidence on te crucifierait.
    Mais, tu pourrais réussir à sortir de l'inhibition de l'action, et de tout le cortège de symptômes pathologiques gênants qui vont avec. Et qui sait, si un jour c'est ta manière de voir qui devient majoritaire, alors hop, c'est les autres qui ne seront plus "normaux".

    Bon sinon sur le bouquin j'aurais peut-être pu préciser quand même qu'il est assez court. Ce n'est pas une longue lecture, c'est un petit format écrit assez gros. Ce n'est pas fastidieux.

  • Merci pour l'élaboration, cela confirme mes suppositions. Je suis content aussi que rien de ce que tu décris ne me semble révolutionnaire. J'étais déjà arrivé à des conclusions similaires par moi-même (et sans maltraiter des rongeurs !), ce qui est extrêmement gratifiant big grin king

    L'individu et l'individualité n'existent effectivement que dans nos têtes. C'est lié à notre raison d'être (pourquoi continuer à être si nous ne sommes pas cet unique flocon de neige que nous nous imaginons) et c'est exploité par la société pour provoquer soit la fuite (en proposant des achats gratifiant) soit le combat (en attisant la peur de perdre son individualité).

  • Moi je viens d'apprendre que la fuite est le moteur de l'homme, un concept qui me semble instinctivement correct. Je ne sais pas si cela se vérifie pour tout le monde (mais ça vient sûrement du fait que je n'ai pas lu le livre), car je connais au moins une personne dans mon entourage qui tient absolument à la confrontation pour tout (une personne très têtue). La fuite n'existe que si on remet cette personne en question, et de façon poussée (en y mettant du temps et de l'énergie, donc après une longue bataille).

  • Je lisais politis et une photo m'a fait penser à un illustration courante de ce que Laborit dit quand il dit que nous sommes les autres : toutes ces pancartes et slogans dans les manifestations où, après un drame, les gens clament "je suis ..." (charlie après les attentats, américain après le 9/11, le manifestant tué à siven, ou n'importe qui d'autre dans des drame divers).

    et c'est exploité par la société pour provoquer soit la fuite (en proposant des achats gratifiant) soit le combat (en attisant la peur de perdre son individualité).

    Mais "la société" ça n'existe pas non plus. C'est un mélange imbriqué d'une multitude de luttes qui pour une large parts s'ignorent. Et le tout est sur les rails de tous les préjugés culturellement accumulés par les ancètres, qu'on ne veut pas voir non plus.

    Donc par ex pour la société marchande, il voit le fait qu'on cherche à accumuler des choses moins pour le fait qu'elles nous gratifient directement, que par le fait qu'elles gratifient l'image qu'on a de soit, image elle-même dictée par la culture dominante qui nous a conditionné à juger que la réussite est matérielle et hierarchique. Et qu'une société ça doit croitre, que le progrès doit aller de l'avant, etc. etc. nous empêchant de fait de voir de quelconques effets bénéfiques à un recul, une diminution, une décroissance, moins de travail, une progression hierarchique du haut vers le bas...

    Sauf à avoir, via l'usage de son imagination, conçu des idées qui nous donnent quelque chose de gratifiant à faire l'inverse de ce que tout le monde fait. Mais ça aussi, pour que ça dure, ça implique qu'on change si d'aventure "tout le monde" devenait anti-conformiste, rendant conforme anormalité d'hier. (Laborit considère que les révolutionnaires sont équivalents aux réactionnaires sur leurs rails respectifs, la seule chose les différenciant étant le fait qu'à un instant T, leur idéologie soit majoritaire ou pas)

    Drago, je ne vois pas très bien comment on peut considérer la fuite comme un moteur. C'est une réaction à quelque chose. Si la motivation de base c'est de continuer à exister, on ne peut pas y parvenir en fuyant puisqu'on doit nécessairement capter de l'énergie extérieure pour l'utiliser. On fuit si, en cherchant à capter cette énergie, on bute sur des obstacles.
    Ta personne très têtue, du point de vue le Laborit, est quelqu'un qui s'imagine que la fuite est toujours impossible. Il ne lui reste donc que la bataille (du moment qu'il y a des adversaires. )

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