Le bomeur, une vie de bobo chômeur.

« Quand Lola m'a ajouté sur Facebook, elle a checké mon profil.
En 586 photos, 320 statuts et 1780 friends, elle en a déduit que j'étais un connard.
Un connard prétentieux.
Pour mes 1780 friends, j'ai une vie cool. Ils ne me voient pas bader le dimanche soir, seul chez moi devant mon ordinateur, une rediffusion de "Zone interdite" en fond sonore, et mon paquet de clopes vides sur la table basse. Je ne vais pas poster de photos de mon rendez-vous Pôle emploi à 9h30 à Belleville en plein hiver et de mon arrivée en scoot sous la pluie.
En fait, j'ai un statut social virtuel cool.
Et un vrai statut social de merde. »

Il y a maintenant un peu plus de deux ans, Nathanaël Rouas, ex-directeur artistique dans une boîte de communication, alors au chômage, a créé le tumblr Le Bomeur. C'est dans ce blog satyrique qu'il a commencé ses "analyses plus ou moins sociobranlodémographiques (et plus ou moins autobiographiques) sur la vie des bobos chômeurs". Un terrain sociologique si vaste qu'il a finalement fini par consigner ses observations romancées dans un livre, Le Bomeur. Il est en effet à l'origine de ce néologisme de "bomeur", nom qu'il utilise pour désigner ses semblables, de plus en plus nombreux autours de lui, les bobos chômeurs. Comme lui, ils ont été "ancienD.A.dansuneboitedeprodmusique/créaenagencedecomm’/dirdeproddanslaTV" (ces "métiers à la con" désignés par l'anthropologue David Graeber) mais sont maintenant au chômage, sans réussir vraiment à se l'avouer. Pour tenter de préserver leur "face", leur image, les bomeurs montent des projets personnels, projets secrets, plus ou moins fumeux, dont ils savent eux-même qu'ils sont pour la plupart creux. C'est leur manière d'affronter le chômage, d'essayer par tous les moyens de conserver leur statut social, de briller encore pour leurs 1780 friends.

Une critique est assez récurrente, celle qui consiste à renvoyer l'auteur et les bomeurs à leur statut social "aisé". Ainsi l'ouvrage traduirait "le caprice d'un garçon gâté depuis toujours, habitué à une vie facile, durant laquelle il subit un léger contre-temps". Cette critique n'est selon moi pas méritée et passe un peu à côté de l'objet du livre. La force de l'ouvrage (mis à part de réunir les deux catégories sociologiques préférés des français, le bobo et le chômeur ), est celle d'enfin traiter le chômeur hors du cadre misérabiliste ou péjoratif dans lequel il est généralement enfermé. En effet, le bomeur "ne s'excuse pas d'être au chômage", il ne reste pas chez lui à pleurer toute la journée. Mais il vient nous rappeler avec provocation que, contrairement à ce qui est bien trop présent dans nos représentations contemporaines, cela ne fait pas de lui un profiteur, quelqu'un qui abuserait du système et pèserait sur notre économie. Ancien travailleur, il a cotisé pour cette assurance chômage dont il bénéficie et qu'il mérite.

Même s'il serait prétentieux de ma part de croire connaître quelque chose des réalités du chômage, il semble que la description qu'en donne Nathanaël Rouas au cours du livre n'en soit pas très éloignée, de l'overdose de temps à la situation ubuesque du "chômage au carré", la radiation du Pôle Emploi.

Enfin, le travail d'écriture m'a beaucoup plu, le style est fluide mais travaillé, la mise en page vient appuyer le récit (notez que ce n'est pas l'avis de tout le monde, j'avais pour ma part l'impression de lire mes propres pensées, mais il se trouve quelques personnes pour critiquer la forme et notamment l'utilisation d'expressions vulgaires...)

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20 Commentaires

  • Merci pour cette découverte DoubleAccentCirconflexe

    C'est durant mes 6 mois de chômage que j'ai découvert la valeur du statut social, ce qui ne m’empêche pas de pester sur mon emploi actuel. Si un mec est capable de rien glander et de gagner sa vie, moi je dis : respect.

    Pour le reste je serai plutôt en phase avec Lola DoubleAccentCirconflexe

  • Moi je viens de découvrir les "métiers à la con".
    J'ai bien du mal à me prononcer. Ça pourrait être de la sociologie avant-gardiste ou bien juste un socio-concept à la con scratch

  • Je ne suis pas d'accord avec l'appellation de "métiers à la con". S'ils existent, c'est qu'ils sont forcément utiles à quelqu'un, les patrons n'embaucheraient pas des types dont la valeur ajoutée est nulle, si ?

    Sinon ça donne envie de lire ce livre, j'avais eu l'occasion de survoler le Tumblr en question, ça m'avait fait sourire bien que je sois complètement étranger à cet univers. smile

  • Mais si Ertaï, c'est ça la beauté de la chose !
    Dans les grosses boîtes et administrations, ce n'est plus la valeur de la production qui compte, et en réalité elle peut même être négative, ça n'a aucune importance (pour les grosses boîtes car les bénéfices ne sont pas liés à l'activité mais aux opérations financières, et pour l'administration publique, parce qu'elle n'a à la base aucune vocation à être rentable). Comme la "déréglementation" néo-libérale rajoute en fait des tonnes de règles au lieu d'en supprimer, usurpant de ce fait le terme "libéral" on se retrouve dans ces organismes obligés de créer toutes sortes de métiers nouveaux, et à la con, qui n'auraient strictement aucun intérêt sans cette complexité artificielle du monde que nous avons construit de toute pièce (mais sans vraiment le vouloir).

    Dans les petites structures qui dépendent réellement de ce qu'elles produisent, on n'a pas assez de fric pour embaucher des gens inutiles, et donc... on fraude en court-circuitant les règles que personne ne comprend ni ne connaît (et dont les clients se moquent de toute façon). Et de temps en temps, un contrôle fait sauter la petite boîte qui fraude, dans la plus grande hypocrisie.

    Cela rejoins une perte de sens assez générale dans notre société. Elle est particulièrement nette dans le secteur du bâtiment : qu'ils soient pro ou amateurs, les gens réalisent des travaux insensés, sans se poser de questions.

    ps: dans le même genre, on pourrait se dire que ce n'est pas normal qu'une boîte puisse gagner de l'argent en virant ses employé, non ? et pourtant ça marche. dans les très grosses seulement.

  • Le Bashar a écrit :

    Comme la "déréglementation" néo-libérale rajoute en fait des tonnes de règles au lieu d'en supprimer, usurpant de ce fait le terme "libéral"

    Qu'appelles-tu "des tonnes de règles" qui ont été rajoutés par le néo-libéralisme ?

  • Je pense qu'il veut dire des "normes".
    Normes comptable, normes de sécurité, normes écologiques, normes de qualité, normes sociales, normes européennes, normes bancaires...

  • Normes en effet, mais aussi "règles". Quand on écrit dans une constitution qu'il ne faut pas faire de services nationalisés parce que c'est une entrave au commerce et à la concurrence, c'est une règle, et ce n'est pas libéral. Libéral, ce serait de dire qu'il n'y a pas de règles : si certains pensent que nationaliser un service ça marche mieux, qu'ils le fassent. Si certains pensent l'inverse, libre à eux de ne pas le faire. Le libéralisme est vraiment très proche de l'anarchisme, alors que le néo-libéralisme, est bien proche d'un totalitarisme : certaines choses sont interdites, mais d'autres sont obligatoires, tout en imposant une idéologie à laquelle on prétend qu'il ne peut pas y avoir d'alternative. Enfin, les organes de pouvoir supranationaux ne sont pas soumis aux systèmes démocratiques, et ont des règles qui disent que les états ne peuvent pas faire justice sur certaines choses : Tout cela n'est pas du tout libéral.

  • C'est intéressant, je n'avais jamais vu les choses de cette façon.

    Je comprends bien cette pensée au niveau macro-économique, mais pourquoi dis-tu que ces règles obligent à créer tout un tas de métiers à la con et qui ne servent à rien dans une boîte ?

  • Parce que ces règles s'appuient sur une normalisation extrêmement touffue, qui se complexifie à vitesse géométrique et qui implique très vite qu'on confie à des "spécialistes" le soin de s'en occuper. Par ex, les normes iso 900x qui au départ voulaient donner un cadre général et international à la qualité, ne sont en réalité sur le terrain qu'une montagne de paperasse inutile, mais il faut bien que quelqu'un s'en occupe. On créé donc des responsables qualités qui s'occupent de ça. Est-ce que ça augmente la qualité ? non, ça augmente les rapports qui disent qu'on respecte la règle iso 900x. On peut décider que c'est synonyme de "augmenter la qualité"... ou pas.
    Autre exemple, l'évolution de la réglementation thermique en construction en france, est en train de mettre en place l'obligation pour les entreprise de payer des gens spécialisés pour s'occuper de cette réglementation (incompréhensible). En conséquence, on fabrique un tas de métier à la con dans les grosses boîtes qui peuvent les payer, et on éliminer un gros paquet de petites boîtes qui ne peuvent pas le faire. ON transformer ainsi directement des métiers avec du sens : artisan, en métier qui n'en ont plus; producteur de paperasse dans un bureau.

    Tu me dira quel est le rapport avec le néo-libéralisme ? hé bien justement c'est que toutes ces normes supranationales, elles visent à supplanter les systèmes légaux nationaux, or, ces règles supranationales ne sont pas édictées par des organismes élus. Ainsi plus il y en a, et moins les états sont souverains. Abolir les frontières, ça peut paraître "libéral", mais ça ne l'est pas si c'est pour enfermer tout le monde dans une frontière plus grande et pour rigide encore.

  • Bien que l'on sorte un peu du sujet, je voulais relativiser un peu les derniers commentaires du Bashar.

    - Les norme ISO 9000 : oui c'est lourd-dingue, ayant travaillé pour Total j'en sait quelque chose. Mais dans ma boite actuelle il n'y a aucune procédure à part des consignes générales de la direction, donc dans les fait c'est le bordel. Des deux maux mieux vaux choisir le moindre.

    - Il existe des normes Européenne qui harmonisent au moins-disant, par exemple sur le Bio. Aujourd'hui le terme "Bio" signifie rien de moins que l'industriel "avant ogm", à tel point que le petit paysan/ artisan local à plutôt intérêt de développer son propre label avec son propre cahier des charges 100x plus drastique que "la norme". Donc c'est plutôt un encouragement à faire mieux que la norme pour se démarquer, non ?

  • A propos des "métiers à la con", même si l'inflation des normes pointée par Le Bashar est effectivement une bonne partie du problème, je crois que David Graeber ne pointe pas tant une distinction entre travail productif et improductif, mais plutôt entre travail socialement utile et travail vidé de sens. C'est en tout cas comme cela que je le comprends, le métier à la con étant celui qui te conduira à te réorienter passé quarante ans, dans le but de rendre ta vie "utile à la société". Étant donné la difficulté posé par la définition des "métiers à la con", je ne pense pas que l'on puisse considérer cela comme un réel concept sociologique. Néanmoins il me semble que c'est une réalité importante, d'ailleurs présente dans le bomeur:

    Mon prof de français de seconde m'avait prévenu:
    -Nathanaël, arrêtez de vendre du vent.
    Will et mon prof de français ont raison.
    Ted vend des pizzas et moi je vends du vent.

    @Human Ktulu, pour en revenir à la valeur du statut social, on assiste dans le livre à de nombreuses scènes "anodines" mais violentes symboliquement, le cas typique étant la demande d'un service, implicitement suivie par un: "de toute façon tu n'as rien de mieux à faire".

  • je crois que David Graeber ne pointe pas tant une distinction entre travail productif et improductif, mais plutôt entre travail socialement utile et travail vidé de sens.

    C'est aussi comme ça que je le comprenais. Mais il me semble qu'un travail insensé est forcément improductif, non ? (dans l'absolu, car relativement au temps passé il a produit quelque chose : rapports, notes ou paperasse quelconque).

    @human ktulu : ce n'est pas parce que dans ta boîte actuelle il n'y a pas d'organisation que la seule possible suive les règles rigides des ISO bidule. Moi en ce moment je m’intéresse de près aux concepts de management agile qui offrent des perspectives très différentes, et justement des moyens de redonner du sens à des choses qui n'en ont plus en changeant nos manières de faire.

    Pour le bio, c'est tout le contraire. On a conçu un label qui ne labelise rien à part le fait qu'on fait "comme avant". La conséquence pour toi c'est que ça devrait tirer la qualité vers le mieux ? mais non, la conséquence, c'est que maintenant il faut payer un label pour continuer à faire le même commerce qu'avant, sous peine d'être éjecté parce qu'on a pas de justifications, garanties etc.
    Un tel système ne pousse pas vers le mieux, il tue juste les pauvres. Je me souviens d'un producteur au marché qui déclare qu'il n'a pas le label bio parce que d'après lui, ce n'est pas à ceux qui font les bonnes pratique de payer, mais aux autres. Seulement voilà, pour vendre sa production, il est bien obligé de l'écouler en direct au consommateur via des marchés, parce que sinon le système l'en empêche, puisqu'il refuse de payer cette nouvelle taxe déguisée.

    Donc c'est bien un moyen de vider le sens du métier de paysan : s'il fait son job correctement en ce concentrant sur la qualité de son produit, on le plombe, alors qu'on le remercie s'il préfère se limiter aux règles simplistes du carcan bio, qui n'a pas honte d’appeler "bio" un truc qui peut contenir un certain pourcentage d'OGM et de pesticides.

  • Le management agile ... je ne connaissais pas le terme, mais suite rapide coup d’œil sur le wiki je vois que cela fait référence au "Lean" ... Idée de base très intéressante mais qui ne tiens aucun compte des stress que cela génère : nous sommes des humains, pas des machines !

    Du coups on se retrouve avec 2 catégories d'actifs : bomeur libre et travailleur exploité. Pas étonnant que l'entente entre les deux soient tendus !

  • hum, je ne sais pas ce que tu entend par "lean", mais le management agile ne conduit pas à plus de stress, au contraire. l'idée c'est de remettre les gens au coeur des choses. Tu peux regarder le manifeste agile : http://agilemanifesto.org/
    ou encore l'objectif défini par le groupe de travail qui continue sur le sujet et a abouti à la déclaration suivante : "Les organisations peuvent devenir des réseaux d’apprentissage d’individus créant de la valeur et c'est le rôle des leaders de donner le cap plutôt que de diriger la machine."

    L'idée de l"agilité ce n'est pas d'être "performant" ou efficace, mais d'être efficient. Et parfois, souvent, être efficient ça veut dire savoir s'arrêter avant d'en faire trop, un concept qui va très bien aux partisans de la décroissance wink

    Après, toute idée peut être mal comprise et/ou pervertie, et je pense que beaucoup de trucs qui se disent agile sont tout à fait usurpé. ouf

    ps: je voulais te linker le bouquin http://www.management30.com/product/how-to-change-the-world/ que je pensais opensource mais en fait il faut l'acheter. si tu le trouve quelque part tu pourra le lire et voir qu'on est pas du tout dans le lean à la toyota mais au contraire dans quelque chose qui chercher à remettre la créativité des individus au coeur des processus. L'exact opposé de la taylorisation.

  • Je vois le problème dans ma boîte, ancienne start-up qui se mue en PME: sur 70-80 on doit être 10-15 non-cadres et l'embauche se fait essentiellement sous forme de pyramide inversée. Du coup, les salles réunions saturent (de cadres, ça va de soi), la hiérarchie décide qu'il faut des locaux plus grands (pour faire plus de réunions) et ça finit par être un cercle vicieux.
    Et l'agilité, certains services ont voulu la mettre en place pour leur gestion de projets... mais avec des chefs de service qui veulent être au courant de tout et décider de tout, l'agilité perd tout son sens et toute son efficience frown

  • Merci pour l'info Bashar, c'est exactement le bouquin qu'il me faut DoubleAccentCirconflexe

    En tout cas ce n'est pas très "bomeur" tout ça ouf

  • Non en effet, mais l'agilité me semble être un moyen de réduire les métier à la con, et donc, de résoudre le problème pointé par les bomeurs.

    Et l'agilité, certains services ont voulu la mettre en place pour leur gestion de projets... mais avec des chefs de service qui veulent être au courant de tout et décider de tout, l'agilité perd tout son sens et toute son efficience

    Tous les agilistes semblent d'accord sur le fait que changer les cadres est encore plus dur que les exécutants. DoubleAccentCirconflexe

  • Halte à la casse sociale !
    Si on supprime les métiers à la con les bomeurs ne vont jamais retrouver leur emploi de branleur.

  • Vu que je suis tombé sur un intéressant article du Gorafi, je ne pouvais pas ne pas vous le partager razz

    http://www.legorafi.fr/2014/10/13/on-a-teste-pour-vous-avoir-un-travail/

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