Etre épicurien n'est sans doute pas ce que vous croyez

En philosophie, on a toujours nos chouchous. Sans aller jusqu’à être mon maître à penser, Épicure est l’un d’eux. C’est pour cela que j’ai eu envie de vous parler de sa philosophie.


Par contre, il faut que vous sachiez que l’homme est un philosophe méconnu. Même les historiens ont peu d’informations sur sa vie et son oeuvre. Et tout ça c’est la faute des moines. A l’époque médiévale, le clergé a redécouvert les textes des philosophes antiques mais au lieu de tout conserver pour la postérité, ils ont préféré privilégier les oeuvres les plus en accord avec leur idéologie religieuse. Dehors donc, les sophistes, relativistes et peu croyants, et les matérialistes comme Épicure.

Oui, Épicure s’inscrit totalement dans la lignée du matérialiste Démocrite, inventeur de l’atome. La physique atomiste semble guider totalement sa pensée philosophique. Une logique très antique. A l’époque, on ne compartimentait pas les sujets d’études comme aujourd’hui. Un philosophe était tout autant psychologue que sociologue, physicien ou biologiste. Ces convictions sur la physique de la matière, un peu datées, j’ai fait le choix de les écarter.

Dernière mise en garde, ce que je vous livre ici est une conception personnelle de sa philosophie basée malgré tout sur la lecture des rares textes qui nous sont parvenus.

Épicure en quelques mots

Épicure a vécu au IV siècle avant JC, en Grèce. Il n’a jamais connu de leur vivant Socrate ou Platon mais fut le contemporain d’Aristote. Cette période là, en Grèce, est connue comme l’âge d’or de la philosophie antique. Les philosophes de cette époque sont des rockstars. Ils ont leurs groupies, on leur érige des statues et les foules se déplacent pour venir les écouter.

Épicure ne déroge pas à la règle. C’est une célébrité de son temps. Par contre, il serait plutôt du genre “pour vivre heureux, vivons caché”. En effet, alors que tous les grands philosophes de l’époque vivent à Athènes. Lui a préféré s’offrir une parcelle de terrain aux abords de la ville. Il l’appelle son “jardin” et s’entoure de ses disciples et amis. On ne sait pas grand-chose sur le fonctionnement du jardin si ce n’est la manière dont il transmettait son enseignement à ses disciples.

En bonne rockstar, les philosophes de l’époque s’évertuait à être facilement compréhensible de leurs contemporains. Leurs pensées devaient se retenir aisément à l’oral (l’écrit n’était pas aussi répandu qu’aujourd’hui). Platon, avant lui, avait opté pour des saynètes. Des petites histoires dont le mythe de la caverne est l’une des plus célèbres de nos jours. Épicure choisit des formules simples, claires et directes. L’une d’entre elles, qui est le fondement de ce que l’on sait de sa philosophie se nomme le tetrapharmakon (le “quadruple remède”). Elle résume sa pensée en quatre phrases :

Les dieux ne sont pas à craindre ;
La mort n’est pas à redouter ;
Le bonheur, facile à trouver ;
La souffrance, facile à supporter.

En faisant ainsi, Épicure m’offre sans effort un plan en quatre parties.

La fatalité

A l’époque antique, les dieux sont les incarnations vivantes de la fatalité. Ils sont ces volontés surnaturelles qui influent sur notre petit destin de mortels. Epicure balaie tout cela d’un revers de manche. Si les dieux sont si “divins” alors ils se moquent de nos misérables petites vies. Bien que l’infortune, la souffrance et la mort existe, les Dieux n’y sont pas pour grand chose. Quant à la fatalité, elle est ce qu’elle est. Nous ne pouvons rien y faire alors nous tourmenter ne sert qu’à nous nuire.

La mort

De la même manière, la peur de la mort est, pour Epicure, une absurdité. Pour lui, mourir c’est disparaître. Une fois mort, nous ne ressentons rien, nous ne pensons rien. Bref, la mort c’est le néant. C’est le “rien”. Du coup, avoir peur de “rien” semble bien vain. La mort est un problème de vivant. Ce sont ceux qui restent qui souffrent.

Le bonheur

Pour Epicure, le bonheur est “l’ataraxie de l’âme”. L’absence de trouble. On traduit parfois cette citation comme une absence de souffrance. Je pense qu’il s’agit d’une erreur. Si c’était le cas, la dernière phrase du tetrapharmakon n’aurait pas beaucoup de sens. Cette définition du bonheur a, selon moi, un sens plus large. Epicure parle de souffrance certes, mais aussi de plaisir.

Le philosophe avait sa propre classification pour les plaisirs et les souffrances. Il distinguait deux caractères importants. Leur nécessité et leurs conséquences.
Ainsi, pour lui, les plaisirs les plus sains étaient les plus nécessaires (manger, boire, dormir, se lier d’amitié). Puis, il y avait les plaisirs dispensables mais sans conséquences néfastes (comme faire l’amour avec sa femme). Enfin, les plaisirs dispensables qui feront souffrir plus tard (comme tromper sa femme). Les premiers sont à assouvir en priorité, les deuxièmes pourquoi pas, les derniers surtout pas.
Le classement ne s’arrête pas là, puisque les souffrances connaissent le même traitement. Il y a les souffrances inévitables (comme tomber malade), les souffrances dispensables mais aux conséquences positives plus tard (étudier ou travailler au lieu d’aller s’amuser) et des souffrances que l’on s’impose alors qu’elles ne font que nous nuir (comme être jaloux).

Je fais volontairement une petite digression. Vous connaissez sans doute le terme “épicurien” qui est entré dans le langage courant (quoique qu’un peu soutenu) et qui signifie un amateur des plaisirs de la vie et notamment de bonne chère. Cet usage ne correspond pas vraiment au point de vue d’Epicure dont la vie semblait plus s’approcher de celle d’un ascète que d’un débauché. Cette déformation provient certainement de la propagande des adversaires de sa doctrine (Platon en tête mais aussi, bien plus tard, des latins comme Cicéron) qui caricaturaient les épicuriens comme des adeptes d’orgies et autres festins gargantuesques. D’ailleurs, pour la petite histoire, le vomitorium, salles utilisées par les riches romains pour allez vomir et continuer à s’empiffrer est un mythe. En latin, un vomitorium désigne une grande sortie d’amphitéâtre prévue pour la populace.

La souffrance

En ce qui concerne la souffrance, Epicure donnait à ses disciples des conseils tout simples. Eviter les souffrances inutiles et les plaisirs qui mènent à ces derniers. Quant aux souffrances inévitables et bien prenez les comme telles. La vie est faite de souffrances, il faut accepter cette vérité. S’en lamenter ne sert à rien. Voilà un point de vue courageux de la part de quelqu’un qui a souffert presque toute sa vie de ce qu’il semblait être des calculs rénaux extrêmement douloureux. Une conception très bouddhiste d’ailleurs mais ça n’a sans doute rien d’un hasard. Les philosophes grecs s’inspirèrent beaucoup des penseurs indiens.

J’ai toujours perçu la pensée d’Epicure comme une philosophie du “bon sens”. Etre à l’écoute de ses désirs physiques et mentaux en les modérant par sa raison. Se libérer des craintes inutiles et suivre son plaisir, ce souverain bien, sans le laisser devenir son maître. Une philosophie centrée sur soi, certes, mais dans l’idée le respect de soi est la première étape vers le respect des autres. Une approche radicalement différente de Platon qui développait une philosophie du “sens commun”où le bonheur s’atteint par la vertu, où les Dieux nous jugent,où nos actes aujourd’hui seront punis ou récompensés dans sa prochaine vie.

(Bannière réalisée à partir d'"Epicurus" et "Plato" par Mitch Francis, artiste sur la partie Philosophie du site There It Is, oeuvres utilisées avec permission)

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5 Commentaires

  • Tout d'abord, merci du fond du cœur d'avoir écrit cet article. Quand tu m'as approché récemment en me demandant un sujet d'écriture, je me suis rué sur le champ de recherche pour retrouver l'ancien topic de Demandes d'articles. Je savais que tu avais proposé un certain nombre chouettes sujets dont tu avais patiemment abordé la rédaction, un par un, obtenant par là-même le trophée non-officiel de l'auteur tenant le mieux ses promesses. Je t'ai proposé l'un de ceux que tu n'avais pas encore abordé, "la philosophie épicurienne", un peu au hasard, sûrement parce que je connais Épicure de nom mais que je ne savais pas le situer philosophiquement. Et tu n'as pas failli à ta parole, et pour cela je te remercie grandement. Mais ce n'est pas tout.

    En lisant ta description de la philosophie épicurienne, je me suis beaucoup retrouvé dedans. Je ne crois pas que les dieux existent ni qu'il faille le ou les craindre s'ils existent effectivement. Je ne crains pas la mort en elle-même, mais la décrépitude morale et physique qui la précède, je suis convaincu que le bonheur se trouve facilement, principalement en faisant ce que l'on aime. Je sais parfaitement que je suis parti avec un avantage énorme dans la vie pour arriver à ce constat, mais je pense qu'il peut s'appliquer à beaucoup de situations, riches ou pauvres, où les attentes sociales deviennent plus importantes que les attentes personnelles. Enfin, je ne crois pas aux vertus de la souffrance du type "si ça fait mal, c'est que cela fait du bien" à la CrossFit, et j'accepte les quelques revers de fortune inévitables tels qu'ils sont.

    Je ne sais pas si c'est la philosophie du bon sens, mais à moi elle me parle, et je comprends parfaitement qu'elle soit tombée dans l'oubli parce qu'elle n'est effectivement pas clinquante, comme illustré dans cette planche de BD [en]. Je sympathise d'autant plus avec Epicure qu'il a subi une campagne de calomnie jusqu'à ce que son nom signifie l'inverse de sa philosophie. Non mais sérieusement, avec une tête pareille, vous pensiez vraiment qu'Épicure était un débauché ? surprised

    Merci encore pour cet article, Cathaseris, et puisses-tu en écrire encore bien d'autres qui me parlent autant smile

  • et des souffrances que l’on s’impose alors qu’elles ne font que nous nuir (comme être jaloux).

    Il me semble que personne ne choisit d'être jaloux, et qu'il ne s'agit que d'une faiblesse émotionelle quasi inévitable (telle que la colère, la haine whatever) si ce n'est gagner en maturité.

    Tu peux m'éclaircir là-dessus ?

  • Rien que le fait de reconnaître que la jalousie est une souffrance qui ne fait que nuir et ne mène à rien de constructif permet de ne plus la subir frontalement et ouvre la voie vers la prise de recul, et c'est ça que tu appelles le gain de maturité. Au contraire, mettre la jalousie sur le compte de la fatalité n'aide pas vraiment à la gérer correctement.

  • En fait Kyradax tu as déjà la réponse. Si personne ne choisit de ressentir de la jalousie à l'origine, certains s'évertuent à la laisser s'exprimer et à la nourrir. L'état d'esprit général d'un individu influe fortement sur ses émotions et leurs expressions. A force de penser sincèrement que la colère ne résout rien, on se met fatalement de moins en moins en colère. Il faut prendre cet exemple dans cet esprit là. La jalousie est une source de souffrance inutile, je vais donc m'en détacher jusqu'à la faire disparaître.

  • Ce commentaire a été transformé en article ici : http://fr.aeriesguard.com/content/view/14625

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