Le jeu de société, parfois, c’est beau comme un coup de foudre. D’autres fois, ça pique comme les doigts dans une prise.
Ca y’est, c’est l’amour fou. Vous êtes sûr d’avoir enfin trouvé la perle rare. Vous commencez à tirer des plans sur la comète et puis, insidieusement, le doute s’intalle. Les défauts que vous trouviez charmants commencent à s’accumuler et vous devez vous rendre à l’évidence. Cette boîte d’Hyperborea achetée au prix fort, vous ne l’ouvrirez sans doute plus jamais.
Pourtant, tout partait plutôt bien. Le thème, classique mais sympathique, reprenait une esthétique sword & sorcery à la Conan. Pour habiller un jeu de civilisation léger mixant exploration, conquête et développement, on a vu plus malheureux. D’autant que le matos donnait envie. De jolies tuiles, des plateaux individuels en arc-de-cercle originaux et lisibles et des figurines à croquer. De ce point de vue, l’éditeur ne s’est pas moqué du monde. La boite vaut ses 60 euros.
La mécanique du coeur
Mais le vrai point fort, son coup de génie, est sa mécanique principale. Le bagbuilding. Vous connaissez sans doute le deckbuilding. Mécanique de jeu inspiré de Magic The Gathering et popularisé par Dominion, le deckbuilding consiste à créer son paquet de cartes au cours du jeu. Les achats et les rejets de cartes ponctuant la partie dans le but d’obtenir le meilleur deck possible.
Le bagbuilding, c’est la même chose mais avec un sac opaque et des cubes de couleur. Six couleurs représentent chacune un aspect de votre civilisation (dans l’ordre l’exploration, l’art militaire, la croissance démographique, le progrès, le commerce et la science). A son tour, on pioche trois cubes que l’on va placer sur son plateau individuel. Les combinaisons de couleurs vont activer différents effets (déplacements, attaques, pioches de nouvelles combinaisons, gain de points de victoire etc...) qui vont nous permettre interagir avec le plateau central et les autres joueurs. L’idée est fantastique. Au fil de la partie, notre civilisation gagne en caractère. De nos choix de cubes, une stratégie apparaît et le jeu de chaque joueur prend une teinte particulière.
Enfin, ça c’est sur le papier. Sur le plateau, ça ne se passe tout à fait comme cela.
Conan merci
Je suis médisant. Les premières parties tout roule. Le jeu semble tenir ses promesses. On joue en mode débutant, sans les pouvoirs, et tout se tient. Les parties sont un poil courtes pour profiter pleinement de la mécanique mais globalement les sensations sont là. Les tours s’enchaînent et on s’amuse à tester différentes approches... Puis on tombe sur un problème de règles. Comme une arête dans un plat de poisson prometteur. Pas grave. Un petit tour sur internet (car la règle papier est tellement pleine de coins sombres qu’on dirait Ankh-Morpork de nuit) et ça repart. Déjà, l’enthousiasme retombe un peu. Mais on se remet en selle. On y croit encore. Alors on s’enhardit, on teste les pouvoirs. Et là c’est le drame. La douche froide.
La manière dont les pouvoirs spécifiques à chaque joueur sont conçus à l'origine n’est déjà pas très bonne puisqu’ils sont basés sur une couleur de cube (donc une stratégie de jeu). Le pouvoir nous cantonne à une manière de jouer. Pas glop. L’exécution de l’idée est encore pire. La règle écrite est fausse, plein de manques et d’incohérences mais même en suivant la FAQ déjà parue on ne résout pas tous les soucis et les pouvoirs ne sont pas équilibrés. D’habitude, je suis le dernier à me plaindre d’un éventuel avantage d’un pouvoir vis à vis des autres mais là c’est si flagrant que ça en gâche complètement le jeu. A l’annonce de sa civilisation, on sait déjà quelle position on aura dans la piste des scores. Ça en est navrant et ce n’est pas fini.
Les cartes scientifiques que l’on obtient au cours de la partie et qui ajoutent des combinaisons de couleurs et donc des effets possibles, n’ont visiblement pas été correctement testées. Certaines combinaisons de cartes permettent de faire des boucles infinies. D’autres sont tellement puissantes qu’elles avantagent terriblement le joueur dont la stratégie correspond. Au bout de quelques parties, les abus deviennent clairs et s’enchaînent dévastant totalement le plaisir de jeu.
La tête dans le sac
L’écrin est sympa, la mécanique centrale est un vrai joyau mais, je ne sais pas, les joailliers (des italiens) devaient être bourrés ce jour-là. Et les éditeurs, dont c’est aussi leur boulot de peaufiner ce genre de choses ? Raté messieurs. C’est pourtant pas faute de s’y être mis à trois. Asterion, Yemaia et Marabunta (pour la version française) pour ne pas les nommer. Un tel potentiel gâché, ça me fait carrément de la peine. Surtout, maintenant que le soufflet est retombé bien malin celui qui trouvera un gogo pour en vouloir de ta grosse boîte. Même à moitié prix.
Justement, si la mécanique de base est bonne, n'est-il pas plus aisé de réécrire les règles pour avoir des pouvoirs et des cartes scientifiques équilibrés ?
Bonne question. Le problème c'est, qu'à mon sens, le plus pénible dans la création d'un jeu c'est l'équilibrage. On peut néanmoins espérer que des joueurs vont se casser la tête pour huiler la machine et le partager sur le net. En priant pour que certaines erreurs dans la mise en application de la règle ne soit pas rédhibitoires.
Alors, même sans arriver à un résultat parfaitement équilibré, n'y a-t-il pas des failles évidentes à combler pour rendre le jeu un peu moins frustrant ?
Bien sur. Retirer certaines cartes et ne pas jouer avec les pouvoirs. Le problème c'est que cela laisse un vrai vide. Contrairement aux impressions de premières parties le jeu n'offre finalement que peu de vraies stratégies valables. Du coup, malgré un plateau modulable, les parties finissent par se ressembler et le plaisir de jeu s'érode petit à petit.
Alors ça va être technique mais je pense qu'il y a un problème rédhibitoire dans ce jeu. C'est le "reset". En fait, quand ton sac est vide, avant de le remplir de nouveau avec tes cubes utilisées, tu débloques tous les bonus que tu as utilisé sur le plateau. Ils sont, du coup, réutilisables. Ces bonus étant très puissant, il est essentiel d'avoir le sac le plus petit possible. Ce qui retire totalement l'intérêt d'une couleur (l'orange) qui permet justement de piocher de nouveaux cubes. Les bonus étant, d'autre part nécessaire, je ne vois vraiment pas comment réparer cette erreur sans remettre tout à plat.
Dommage en tout cas, ça a l'air d'être un beau jeu