Ceci est un essai écrit pour partager ma manière de concevoir le rapport à l'enfant.
La ludothèque dans laquelle je travaille accueille entre quarante et cent enfants par jour (voire plus). Concernant la prise en charge de ces enfants, son projet pédagogique est formel : Il n'est toléré ni de la part des parents, ni de la part du personnel de crier ou d'employer le moindre châtiment corporel sur les enfants. De plus, il ne permet aucune punition. Vous ne verrez donc jamais d'enfants au coin ou interdit de jouer. Bien que nous soyons situé au milieu d'une cité de Seine-Saint-Denis, les difficultés rencontrées sont tout à fait surmontables. Globalement, les accueils se passent bien. Je ne dis pas que tout est parfait, que ma structure est une douce utopie où tous les enfants sont d'une gentillesse et d'une sagesse à toute épreuves mais nous sommes très loin -vraiment très loin- de l'anarchie.
Ce constat peut étonner certaines personnes. Ces dernières pourraient me dire qu'il n'est pas possible d'accueillir autant d'enfants de manière ordonnée sans parfois être ferme, sans faire preuve d'autorité. Bref, sans punir et hausser le ton. Je leur répondrais que le personnel de la ludothèque ne manque ni de fermeté, ni d'autorité. Simplement, ils l'appliquent différemment.
« Rien ne vient de rien »*
La différence entre notre conception de l'autorité et celles d'autres structures se situe d'abord sur son origine. Notre autorité est perçue comme un double-don. Un don issu de la société (le moins important) et un don des enfants eux-même.
En effet, notre autorité repose sur un statut social. Nous sommes des adultes et des professionnels formés et responsables du fonctionnement de la structure dans laquelle nous travaillons. Tout cela nous donne une forme de légitimité au regard de l'usager (parents comme enfants). Il s'agit d'une d'une illusion dont il faut se méfier car si celui-ci, pour une raison ou pour une autre, la remet en doute, elle disparaît. Ce qui est donné peut aussi être repris.
C'est pour cela que pour appuyer notre autorité, un contrat (qui est écrit dans notre cas mais qui peut aussi être tacite) est établi entre l'usager et le professionnel, entre l'enfant et l'adulte.
En tant que ludothécaire, je demande à l'enfant de respecter certaines règles et d'accepter les conséquences en cas d'infraction. En contrepartie, je lui promet la liberté dans son jeu mais aussi un respect équivalent. C'est en partant de ce principe d'engagements réciproques que la suite se comprend mieux. L'autorité que nous avons sur les enfants n'est pas simplement une conséquence de notre statut d'adulte ou de professionnel. Elle est avant tout légitimée par ce contrat que signe les enfants. Par conséquent, nous n'avons pas à les prendre de haut. Si nous devons rappeler les règles à un usager, voire le sanctionner, ce sera toujours les yeux dans les yeux quelque soit son âge. La symbolique de l'estrade, l'adulte au-dessus de l'enfant, n'a pas lieu d'être. Nous agissons avec autorité parce que l'enfant c'est engagé à respecter les règles et, par cet engagement, il nous en a donné le droit.
L'enfant en tant qu'individu
Dans cette conception de l'autorité, l'enfant n'est pas perçu comme un adulte mais déjà comme un individu à part entière ce qui change beaucoup de choses. Si nous avons le droit de lui imposer certaines règles, nous ne pouvons pas tout nous permettre pour autant. Trouverions-nous cela normal si au cours d'un contrôle un policier se mettait à hurler et à chercher à nous humilier ? La réponse est évidente. Pourtant, il s'agit d'une pratique commune dans certaines structures. Puisque ce sont des enfants cela semble permis, comme si on niait leurs désirs, leurs opinions, leur sensibilité. Comme si, la seule manière de faire entendre raison à un enfant serait de l'intimider, de le rabaisser et accessoirement de lui casser les oreilles.
Une des choses étonnantes dans ces pratiques, c'est que l'on cherche rarement à savoir pourquoi l'enfant agit d'une manière ou d'une autre. Comme si nous supposions que l'enfant se comporte par instinct. S'il est sans cesse irrespectueux des règles, c'est qu'il doit avoir « le diable au corps ». Pourtant, poser simplement la question à l'enfant « pourquoi as-tu fait cela ? » permet parfois de résoudre très simplement des difficultés futures.
La très longue période durant laquelle ont a considéré l'enfant comme un être dépourvu de raison est derrière nous. Les réflexions d'éminents psychologues et psychanalystes comme Dolto puis les recherches en psychologie du développement, ont mis à bas ces anciennes croyances. Nous en gardons néanmoins des traces dans ce genre de comportement.
La manière d'interpréter l'autorité que je présente paraît non seulement évidente mais d'une efficacité déconcertante pour résoudre la majorité des cas. Par contre, elle nécessite une bonne dose de patience. Il faut prendre sur soi, répéter toujours les mêmes choses pour qu'elles soient finalement intégrées. Entamer un dialogue avec l'enfant n'est pas toujours facile. Il a souvent été échaudé par des pratiques violentes ou humiliantes. Il arrive que des enfants qui viennent d'arriver et ne sont pas encore habitué au fonctionnement de la ludothèque, nous testent. Ils vérifient d'abord que la liberté qu'on prétend leur donner est bien réelle. Ils parcourent chaque salle, saisissent des jouets, montent sur les tapis, vont aux toilettes en gardant les yeux rivés sur nous, à l'affut de nos réactions. Lorsqu'ils comprennent que nous ne réagiront pas, ils commettent quelques impairs. Ils ne rangent pas ou oublient de retirer leurs chaussures. Nous intervenons alors en leur rappelant calmement les règles de la structure. Il leur faut du temps pour croire la parole de l'adulte et ce n'est que lorsqu'ils sont pleinement rassuré qu'ils se mettent enfin à jouer. A partir de ce moment, nous savons que les règles seront à peu près respectées.
L'autorité de l'adulte au service de l'enfant
Le but de tout cela n'est pas de nier la hiérarchie entre l'enfant et l'adulte mais de la redéfinir plus justement. L'enfant a une connaissance plus limitée du monde et notamment des règles sociales et c'est pour cette raison qu'il a besoin de l'encadrement d'un adulte. Pour autant nous ne devons pas nier sa capacité à raisonner. Il est apte à comprendre les limites qu'il doit s'imposer. C'est un travail fastidieux de répétitions, d'explications, de réexplications mais qui doit se faire dans le soucis de l'intérêt de l'enfant. Pas seulement pour sa sécurité mais également pour sa future autonomie. Par la mise en œuvre d'une autorité à la fois ferme et bienveillante nous aidons l'enfant à devenir un homme.
* Citation de Lucrèce, poète et philosophe latin.
Question, quelle est la tranche et la moyenne d'âge accueillie au sein de votre ludothèque ?
Pourtant, malgré que nous soyons situé au milieu d'une cité de Seine-Saint-Denis [...]
Sinon, bah tu as l'air en effet d'avoir pas mal réfléchi à ce sujet, sympa d'avoir ton avis. Perso je peux pas tellement donner le mien parce que je suis entre l'adulte et la victime de l'autorité : )
Autre question que la tranche d'âge, la charge par personne, combien d'adultes pour encadrer combien d'enfants présents au pic de fréquentation ?
À mon avis réfléchir à la question ne suffit pas pour exercer ce genre de responsabilité. Il faut d'abord réussir à dépasser les humiliations/agressions que l'on a soit-même subies en tant qu'enfant de la part des autres enfants. Sinon la tentation est trop forte quand on a repéré le petit voyou de régler ses comptes avec son propre passé.
Récemment, alors que j'attendais à l'abri-bus, un groupe de 4 jeunes 12-14ans s'agitaient dans mon dos et l'un (où plusieurs?) me donnait de petits tapes sur la nuque. Une fois monté dans le bus j'ai bien vu lequel n'avait pas de titre de transport, le même qui narguait le chauffeur... si j'avais pu l'identifier dès l'abribus ça aurait pu mal se terminer pour lui
Le jeune con qui me provoque s'expose à une réaction disproportionnée.
Cathaseris a écrit :
Comment tu fais pour avoir un rapport dépassionné, tu as eu une enfance "protégée" ou bien c'est de l'angélisme ? Pourquoi je suis disqualifié pour ce genre d'emploi et pas toi ?
Je ne peux qu'être d'accord quand à vos méthodes, de par mon expérience la patience est en effet le meilleur moyen de faire passer un message, avec un enfant comme avec un adulte, la violence bloque les gens, ne les fait pas avancer. Et nos petits chérubins sont bien plus intelligents et complexes que bien des "parents" ne l'imaginent.
C'est un article intéressant, et j'ai deux-trois questions :
Vous accueillez n'importe quels enfants ? Ou plus précisément des enfants en difficulté ? Et quel est ton rôle par rapport à ces enfants ? Guide, Surveillant, ami ?
Je vais répondre aux différentes questions et remarques (toutes intéressantes ce qui est plutôt agréable... mais pas étonnant de la part de la "faune" qui grouille sur AG). Je modifierais l'article plus tard pour y ajouter élégamment mes réponses.
Aka a écrit :
Théoriquement, nous accueillons tout public de 0 à 99 ans. Techniquement, les ados et les adultes-joueurs se font rares. Grosso modo, les enfants commencent à venir à 1 an (parfois moins) et arrête de venir une fois au collège (vers 12-13 ans). La moyenne d'âge doit du coup tourner autour de 6 ans. Ce qu'il faut savoir c'est que nous sommes la seule ludothèque de France qui accepte d'accueillir les enfants seuls à partir de 4 ans (à condition que l'équipe les ait considérés comme assez mûr pour cela).
Spiceguid a écrit :
Nous nous fixons les mêmes limites que les centres de loisir : Un ludothécaire pour douze enfants. Ne compte pas dans ce nombre les enfants accompagnés d'un adulte. Pour te donner un ordre d'idée, aujourd'hui (jour de vacances) nous avons accueillis 57 enfants et nous étions 5.
Spiceguid a écrit :
Mes plus dures années ont été celles du collège et, bizarrement, c'est le type de public que j'aime le moins. Je crois que, dans les faits, le travail n'est pas si dépassionné que ça. On les aime bien ces gamins (certains plus que d'autres même si on fait tout pour ne pas le montrer). Je pense que c'est important d'avoir une forme de bienveillance envers l'humanité en général sinon on s'en sort pas. On ne trouve plus l'intérêt d'user d'autant de patience.
Mando a écrit :
La ludothèque est ouverte à tous sans restriction. S'il y a des difficultés récurrentes avec un enfant nous cherchons toujours des solutions avec les parents. Parfois on réussi, parfois non. Quelques enfants ont été exclus définitivement de la ludothèque mais ils se comptent sur les doigts d'une main.
Mon rôle par rapport aux enfants... Vaste question qui nécessite de revenir sur le métier de ludothécaire. Pour faire simple, mon rôle principal est de leur donner à jouer dans les meilleures conditions possibles. Cela prend en compte l'aménagement de la structure, l'entretien du fond de jeux et jouets, le respect des règles et une présence pas nécessairement active mais toujours bienveillante.
Autrement dit, quand ils ne sont pas là, l'équipe organise les espaces pour répondre à leurs attentes et -ne nous voilons pas la face- à nos propres objectifs (ça prend en compte le rangement, le choix des jouets, leurs nombres, leurs variétés, leurs dispositions). Il faut également acheter de nouveaux jeux et jouets, réparer les anciens, retirer les trop abîmés/dépareillés. Quand à notre attitude durant l'accueil en lui-même, outre le fait d'agir avec autorité (pas besoin d'y revenir je pense), nous sommes toujours présent, accessible et soucieux de leur bien-être (sans exagérer non plus, nous ne sommes pas leurs domestiques). Nous prenons tous beaucoup de plaisir à observer leurs jeux (quand nous le pouvons) et à s'amuser de leur ingéniosité. Là encore, lorsque nous avons le temps, nous jouons un peu avec eux (ils nous sollicitent beaucoup d'ailleurs : je dois être au moins à ma 200e partie de croque-carotte).
Des études ont démontrés que les enfants jouant avec leurs aînés dépassent leurs capacités cognitives habituelles durant leur session de jeu. De la même manière, nous pensons que cette attitude bienveillante qui prend en compte leur jeu comme une activité intéressante a un effet stimulant sur les enfants.
Je pense que tu le devines Mando, nous n'avons pas vocation à devenir leurs amis. Même si ça fait plaisir d'être apprécié, il ne faut pas tomber dans le piège d'une relation affective. Il y a une distance professionnelle à respecter sous peine d'arriver à une situation dangereuse à la fois pour l'enfant et nous-même.
Pour déterrer ce topic :
http://www.youtube.com/watch?v=w9363p9bgcc
Il est vrai que les châtiments corporels sont néfastes pour l'enfant et ne sont pas la solution pour que l'adulte garde son ascendant. Merci à tout ceux qui comprennent le coeur des enfants.
http://parents.autrement.free.fr/article.php3?id_article=16
Voilà...