La mort, cette amie

Mars émergea difficilement, ses paupières étaient quelque peu lourdes et il ne voyait que du noir. Après de longues minutes pour ouvrir les yeux et encore d'autres pour s'habituer à l'obscurité environnante, il arriva à la constatation suivante: tout n'était que noir à portée de vue. Le néant semblait s'étendre à l'infini, pourtant il pouvait voir clairement ses mains et le reste de son corps, alors qu'il n'y avait pas de source de lumière apparente. De même, il se tenait sur un sol dur et palpable et pourtant à vu d'œil rien ne semblait le soutenir à par du noir. C'était donc ça "l'après", un monde de vide infini et surtout sans âme qui vive. Finalement ça lui convenait pas mal, un monde sans personne, plus jamais la crainte de devoir subir les paroles des autres, plus jamais devoir se triturer le cerveau pour un malheureux dialogue avec un inconnu, quel bonheur !
« Vraiment ? »
Cette voix sembla venir de l'au-delà, mais le plus étrange était qu’elle répondait aux pensées de Mars. Sur le qui-vive, ce dernier pris une posture de combat. C'est alors qu'il se rendit compte qu'il n'avait plus son Suaire, il ne portait que ses habits quelconques. Pris d'un doute, il essaya de faire brûler son Cosmos : en vain ! Il semblait à la merci de cette voix et cette situation lui parut comique. Cette dernière se matérialisa enfin devant lui... Sous ses traits !? Diable, ce devait être une illusion ou pire, une attaque mentale.
« Ce n'est ni une illusion, ni une attaque mentale », répondit le double.
Ha ça! Mais pourquoi apparaître sous cette forme ?
« J'ai choisi cette forme pour vous mettre le plus à l'aise possible, en imitant quelqu'un que vous connaissiez bien.
-Et pourquoi ne pas vous montrer sous votre vraie forme ? », questionna Mars, à haute voix cette fois-ci.
-Pourquoi, et bien sans doute parce que je n'ai pas de forme propre... »
Cette réponse assez évasive et mystérieuse ne manqua de marquer l'incrédulité chez le Guerrier Céleste.
Là où Mars arborait une mine plutôt renfrognée et suspicieuse, son double arborait un petit sourire presque niais, immobile. Cette inactivité dura plusieurs minutes puis enfin la copie prit la parole :
« Vous voulez faire quelque chose ?
-Moi ? Non...et vous ?
-Vous voulez discuter ?
-Pas spécialement, pourquoi ?
-Un sujet de prédilection ?
-Non, je ne suis pas doué pour la conversation...
-C'est bien vrai... »
La raison de Mars lui rappela que s'engager sur la voie de la discussion pouvait mener à sa perte, surtout dans cette situation. Le double reprit :
« Les paroles des gens vous ont toujours blessé... »
Comment pouvait-il savoir ça, c'était quelque chose qu'il n'avait jamais dit à personne. Mais peut-être avait-il tenté ça au hasard.
« Qu'en savez-vous ?, répliqua Mars.
-Ai-je tort ? »
L'ennemi était rusé, mieux valait changer de conversation !
« Où sommes-nous ?
-Dans un endroit tranquille, isolé du reste du monde. Là où nous pouvons discuter tranquillement.
-Hé bien, moi qui croyais être mort...
-Mourir était-il votre souhait ?
-Qui sait ?
-Mourir était-il votre souhait ?
-En tout cas j'ai essayé en emportant Freezer avec moi...
-Mourir était-il votre souhait ?
-Qu'est-ce que ça peut vous faire ! »
Mars se sentait de plus en plus acculé, tout en lui criait que c'était un piège mental, mais quelque chose le forçait à maintenir le contact avec cette entité.
« J'ai essayé de vivre dans ce monde mais je n'ai rencontré que des échecs ; maintenant je pense qu'il m'est impossible d'être heureux ici. En conséquence je pense que seule ma mort fera disparaître cette souffrance. »
Ces paroles laissèrent sans voix le Guerrier Céleste. Comment pouvait-il savoir ça... C’était comme si cette chose connaissait toutes ses pensées et les édictait à voix haute.
L'endroit où ils se trouvaient s'éclaira d'un coup, et de partout des images défilèrent, sur le sol, le plafond, les murs, en bas, en haut, à gauche, à droite, partout. Pas n'importe quelles images, mais des images du passé de Mars Apis, et pas n'importe quel passé, des souvenirs durs du temps où il était adolescent, du temps où tout avait basculé pour lui et qu'il avait enfouis au plus profond de son être pour ne plus les revoir. Les images défilaient vite, et pourtant le moindre regard sur un petit bout suffisait à l'esprit de Mars pour rappeler à la surface la scène complète, et surtout la souffrance qui y était rattachée. Toute cette douleur soudain ravivée, il sembla au Guerrier Céleste qu'il allait devenir fou. Puis les images se turent et le double changea de forme pour prendre l'apparence de Samedi et reprit avec la voix fluette de la jeune fille :
« Moi non plus, je n'ai pas eu une adolescence facile ; à l'Ecole des Héros, tout le monde savait que j'étais la réincarnation de Sailor Saturne. J'ai porté cet héritage de la Sailor de la destruction comme une croix, tout le monde avait peur de moi, tout le monde craignait que je ne détruise le monde par une maladresse. Je n'avais aucune copine avec qui discuter, aucun amis sur qui me reposer...
-Je sais tout ça ! Je sais que ma souffrance n'a été que mentale et que de par ce monde, beaucoup d'autres enfants ont souffert et souffrent bien plus que moi ! Famine, mutilation, sévices... Je sais que je ne suis qu'un égoïste, c'est sûr...Cependant...
-Cependant ?
-Cependant il n'en reste pas moins que j'ai souffert et que je souffre. Pas la peine de me dire que tout le monde souffre, je le sais... Mais moi je n'ai plus la force de me battre pour ne plus souffrir, je ne veux plus, j'en ai assez...
-Et pourtant vous continuez à souffrir.
-Oui et c'est pour ça que je suis arrivé à la conclusion que la mort était ma seule porte de sortie. Et encore, peut-être que ce serait pire une fois de l'autre côté, mais malgré cette incertitude ça restait ma meilleure échappatoire.
-Pourquoi ne pas en avoir finit plus tôt alors ?
-Quand bien même avec toute ma puissance j'aurais pu le faire sans souci, je suis trop lâche pour me donner la mort. C'est comme mon nom, Mars Apis, Guerrier Céleste de l'Abeille et pourtant j'ai une quasi-phobie de ces insectes... Je suis un paradoxe vivant ! Alors j'ai attendu, attendu qu'un jour, la mort daigne venir me prendre. Je n'en ai pas peur, au contraire je l'accueillerais comme une libération, le sourire aux lèvres. Mais elle n'est pas venue, ça fait longtemps déjà que j'attends...
-Ça ne vaut plus la peine alors ?
-Oui ! »
Ecrasant alors sa vision et ses pensées, un moment s'imposa à son esprit et ses sens. Diantre fuck ! Il se souvenait de ce juron qu'il venait d'inventer et qui l'avait fait tant rire intérieurement. Tellement que malgré tout ce qui venait se passer, il ne put s'empêcher d'en rire à nouveau. L'endroit se couvrit alors de nouveau d'images, mais cette fois-ci des images relatant les moments heureux, les moments de joie avec ses parents, les prises de bec avec Camila qu'il appréciait tant, les fois où il parvenait à faire tourner les autres en bourrique, les heures passées dans les récits où son esprit était tant émulé à s'imaginer toutes ces choses fantastiques écrites, oubliant tous les moments de souffrance, oubliant tout, ne laissant qu'un goût sucré dans la bouche.
L'entité qui avait depuis disparu conclut sur cette question :
« La vie est dure mais, pour tous ces moments de bien-être, ne vaut-elle pas le coup ? »
Il ne savait pas, il n'était plus sûr, puis il comprit ce qu'il voulait dire. Il n'était pas sûr et ça le rendit joyeux.

Abasourdie par ce qui venait de se passer, la petite troupe regardait toujours à travers le trou béant dans le toit par lequel leur compagnon s'était envolé vers les cieux, emportant avec lui le démon. Un point lumineux finit par redescendre, empruntant le même chemin que les deux adversaires. Le Suaire se posa sur le dallage de la pièce, sans son porteur ; il avait d'ailleurs retrouvé sa forme initiale, les morceaux de l'armure ainsi agencés formant une abeille. Dans le firmament bien loin du regard des simples mortels, une volée de poussière d'étoile s'en allait.

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