La société des affects, pour un structuralisme des passions

Il s'agit d'un livre de Frédéric Lordon (et si vous me dites que le titre est aussi obscur que son sous-titre, je vous comprend mais l'intérieur est bien pire).

Je suis en train de lire ce bouquin suite à une chaîne de hasards : une vidéo de Usul linkée ici dans je ne sais plus quel sujet, qui m'a donné l'envie de lire ce que ce Frédéric Lordon écrivait, puis prendre un de ses bouquins récents au pif à la bibliothèque. Je suis donc tombé sur La Société des Affects qui parle si j'en crois le quatrième de couverture de réconcilier l'idée que nos décisions sont influencées à la fois par nos affects mais aussi par les structures dans lesquelles on vit. D'une manière plus générale, ça veut dire essayer de faire cohabiter l'idée que nous faisons des choix (le libre arbitre tout ça) mais que ces choix n'en sont pas vraiment puisqu'ils résultent des influences préalables des structures (l'environnement, les autres).

Ce bouquin est très intéressant, et tout particulièrement pour moi au sujet de certaines questions que je me pose (et que j'avais posées notamment dans le sujet Question de choix) toutefois je ne peux pas vraiment en recommander la lecture. Le style littéraire est assez monstrueux, les deux premiers chapitres sont presque illisibles tant les tournures de phrases sont complexes et les mots choisis méconnus et inusités par le commun des français. Mais si ça ne vous rebute pas, c'est une lecture très stimulante (et ça devient plus lisible ensuite).

Si je puis tenter de résumer l'idée générale, ça semble aller dans le sens de la réponse que Cathaseris avait faite dans le sujet précédemment mentionné, sur le fait que le libre arbitre n'existe pas. Ici l'explication me semble plus fondamentale (mais j'ai l'impression qu'elle dit la même chose que ce que Cat voulait dire) en faisant remonter l'opposition à la pensée néolibérale à deux modes de pensée à leur origine, pendant la philosophie des Lumières, en les personnes de Descartes et Spinoza.

Le premier a fondé la pensée libérale, en arguant que l'homme et sa pensée existent en tant que tels, dans l'absolu, et qu'il réalise ses propres choix. Qu'il doit penser par lui-même. En conséquence, c'est le fondement méritocratique de la pensée néolibérale (ou libérale, puisque dans ce cas précis la fondation est la même) : le self made man qui ne doit ses réussites et ses succès qu'au seul mérite de son travail et des choix qu'il a fait individuellement. Et le corollaire, c'est que ceux qui ne réussissent pas n'ont pas assez essayé et donc que la société ne leur doit rien. Descartse définit l'être humain comme une "substance", qui a la propriété d'être entier et complet, et d'être formé par soi-même sans besoin d'autre chose. (logiquement en lisant cette définition vous devez voir qu'elle semble contredite par les faits puisqu'un être humain ne surgit pas du néant)

Le second a fondé une autre forme de pensée qui me semble n'avoir pas de nom vu qu'elle a perdu la bataille idéologique ces trois derniers siècles. Elle postulait que l'individu est un "mode" c'est à dire une simple partie d'un tout plus grand, à qui il emprunte certaines choses pour exister et à qui il est conditionné. Il n'est qu'un carrefour de flux qui viennent d'ailleurs et qui repartent ailleurs ensuite. Pour Spinoza la seule chose qui serait une substance telle que définie ci-dessus, c'est Dieu, seule chose capable de se créer par elle-même et de s'autosuffire. Les hommes quant à eux n'en sont pas là, puisqu'ils dépendent de leur environnement pour exister. Du coup le fait qu'ils aient l'impression qu'il n'y a pas de cause qui prédétermine leurs choix est moins le résultat d'une absence réelle de cause, que de leur simple ignorance de ces causes.

Voilà l'idée générale en résumé. Ce qui est intéressant ensuite c'est que Lordon montre à quel point notre pensée est influencée par les postulats cartésiens, y compris chez ceux qui déclarent ouvertement être anti-libéraux. Ainsi par ex, le fait de considérer que la société doit changer grâce à la somme des efforts individuels est une application directe du postulat libéral que les gens seraient autodéterminés et penseraient par eux-même en toute autonomie. Au contraire une pensée antilibérale fondée par des principes spinoziens considérerait que la société ne peut changer que si le cadre de la structure est modifié pour diriger ses flux internes d'une autre manière. On retrouve la même opposition sur les structures étatiques et financières par ex, lorsque les dirigeants demandent au monde de la finance de se "moraliser" comme si la vertu des individus dans le système financier était capable de lutter contre la nature même du système. Si on pense que les individus font leurs propres choix, on peut prétendre que le système peut se moraliser. Mais si on considère que la structure dans laquelle évoluent les individus est à l'origine des choix qu'ils font, alors la moralisation est littéralement insensée dans un système qui a été conçu pour générer du profit par tous les moyens possibles.

On trouve de même des parallèles amusants lorsqu'on décortique le fonctionnement de certains trafiquants de stupéfiants, qui fonctionnent en tous points comme de parfaits entrepreneurs libéraux (mais juste sur un secteur illégal) et sont donc plus proches des représentants du système que le "mouton" ordinaire, même si on présente ces trafiquants comme des ennemis de la société. Ils sont pourtant les parfaits représentant de la méritocratie de self-made men, évaluant leurs activités en terme de rapports coût-risques-profits.

En fin de compte, Lordon encourage donc ceux qui voudraient que le système change à travailler d'abord sur une réinvention d'un paradigme qui serait vraiment affranchi de la pensée cartésienne, et s'inspirerait plutôt de la spinozienne. Réintégrer l'être humain dans le tout dont il fait partie, le voir de nouveau comme un système ouvert (qui reçoit des flux et en relâche, et donc n'existe que par ces flux) et non plus comme un individu (qui existerait en tant que tel, peu importe ce qu'il y aurait autour). Ne plus penser en terme d'autosuffisance, mais en terme d'interdépendances.

Cette pensée je dis la "réinventer" parce qu'elle me semble en total accord avec les paradigmes de certaines sociétés que les cartésiens ont décrétées "primitives". Dans leurs technologies, sans doute, mais plus modernes que nous dans leurs pensées.

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51 Commentaires

  • Jusqu'ou plaisir et douleur peuvent être maîtrisés ?

    Je pense que l'on connaît tous des cas spectaculaires de telles maîtrises. Les fakirs et leurs tapis de clous. Les maîtres du tantrisme capable de jouir sans toucher leur partenaire. Ces exemples prouvent qu'avec de la volonté et de l'entraînement nous sommes capable d'influencer énormément nos réponses instinctives à notre environnement. Il y a des exemples moins impressionnant mais plus quotidien. Le juron que l'on lâche après avoir marché sur une brique LEGO a de légers effets antalgiques.

    La maîtrise se fait aussi en amont. Par le contrôle de nos désirs et de nos appréhensions. S'interdire une glace parce qu'on a déjà bien manger ou résister à l'envie de rester dans l'avion pour son premier saut en parachute. Nous avons la capacité naturelle d'inhiber nos actions. Si nous ne naissons pas avec, elle se développe chez tous avec plus ou moins de succès.

    Tout ça pour dire que nous ne sommes pas totalement esclaves de nos plaisirs, de nos souffrances et de leurs projections dans le futur.

    Pour en revenir au sujet initial.

    Plus je lis ton texte plus je comprends que l'essentiel n'est pas tellement cette histoire d'affects et de conatus. Ce ne sont que des outils pour parler d'autre chose. La vraie question est la distinction entre individu et citoyen.

    L'individu, c'est l'être qui pense par lui-même, fait ses propres choix et développe sa propre manière de penser. C'est un anti-conformiste au sens où il préfère réfléchir de lui-même plutôt que de suivre le chemin qu'on lui propose. (C'est l'alignement "chaotique" dans D&D).

    Le citoyen, c'est l'être qui respecte et applique les valeurs de la société dans laquelle il vit. Il s'est construit autour des valeurs qu'on lui a inculqué. Il se soumet aux lois, en reconnaît la nécessité. C'est notre côté conformiste. (C'est l'alignement "loyal" dans D&D).

    Si je comprends bien la thèse de l'auteur que tu nous as présentés ici, il considère notre société comme une société individualiste. Tourné vers des notions de libertés, d'autonomie et de responsabilité. Il pense que ces notions ne correspondent pas à la nature intrinsèque de l'Homme qui est plus celle du citoyen càd un être sans libre-arbitre construit à son insu par son environnement (not. social).

    Si c'est bien ça la théorie de l'auteur, alors je ne peux pas y suscrire. Pour plusieurs raisons.
    D'abord parce c'est grossir le trait. Doit-on croire vraiment que notre société voit la nature de l'être comme une "substance" ? Pourquoi se serait-elle tracassée à prendre en charge l'éducation ? L'éducation, on le sait, ce n'est pas qu'instruire. Par l'éducation, on inculque des valeurs parfois au mépris de la vérité ("nos ancêtres les gaulois" ça vous dit qqchose ?).

    C'est aussi -tout simplement- parce que je suis autant attaché à la notion d'individualité qu'à la notion de citoyenneté. Si je ne crois pas au libre-arbitre, je ne suis pas (comme Ertaï) convaincu que tout est contextuel. Si notre nature était purement conformiste, càd totalement soumis aux stimulis environnementaux nous serions beaucoup plus semblable dans nos réactions et nos modes de pensées. Il y a une part d'innée, une part de "nature" qui est évidente. Il y a des gens qui sont conformistes, d'autres qui le sont moins. Des gens qui se soumettent aux idées de leurs temps, d'autres qui ne peuvent pas s'empêcher de les remettre en cause.

    Encore une fois la solution, à mon sens, se trouve dans la nuance. Nous sommes tous à différents degré des individus et des citoyens. Nous ne choisissons pas vraiment de l'être mais nous le sommes.

  • est-ce qu'on peut totalement annuler toutes les douleurs ou plaisirs instinctifs ?

    La question surtout c'est : est-ce qu'on doit ?

    Je ne comprend pas pourquoi est-ce que ça serais la question importante ? "ce qu'on doit", c'est ce qu'on nous a appris à devoir, non ? et donc c'est justement tout ce qui vient modifier les instincts, il est vrai de manière plus ou moins spectaculaire.

    Si je comprends bien la thèse de l'auteur que tu nous as présentés ici, il considère notre société comme une société individualiste. Tourné vers des notions de libertés, d'autonomie et de responsabilité. Il pense que ces notions ne correspondent pas à la nature intrinsèque de l'Homme qui est plus celle du citoyen càd un être sans libre-arbitre construit à son insu par son environnement (not. social).

    ça m'a l'air la bonne direction, mais son propos n'est pas aussi réductionniste. Par ex lorsque tu demande si la société voit réellement la nature de l'être comme une substance : on ne peut pas le dire comme ça. Pour Lordon cette idée est dans "nos sous-sols mentaux", et elle influence le reste. Mais ça ne veut pas dire que tous les occidentaux ont cette idée aussi précisément dans leur conscience. Certains l'expriment pratiquement telle qu'elle, mais la plupart en sont incapables (voir la trouvent plutôt fausse si on leur demande d'y réfléchir, tout en continuant de défendre un comportement qui la met en oeuvre).
    C'est précisément l'inverse, c'est parce qu'ils l'ont dans leur fondation, qu'ils ne pensent même plus ensuite à l'influence qu'elle a en construisant d'autres concepts.

    Ensuite, ce n'est pas parce que cette idée nous influence qu'on ne peut pas s'apercevoir des contradictions qu'elle génère et agir quand même en conséquence, comme par ex de continuer à mettre en place un système d'éducation parce que manifestement, sans, ça ne se passe pas très bien. Ou alors de constater médicalement que plus les gens sont seuls et "autosuffisants", et plus ils sont malades, et donc de leur prescrire de socialiser pour y remédier. Ou encore de modifier notre urbanisme pour y inclure du "bruit" au sens mathématique de sorte à s'éloigner de la simple efficacité impersonnelle qui a eu des effets dévastateurs. Mais ça n'empêche pas de croire que ça serait "mieux" en expliquant le fait que ça ne marche pas parce que nous ne sommes que des hommes imparfaits. Comme si nous étions inadapté au concept, alors que c'est l'inverse, c'est les concepts qui nous sont inadaptés puisque c'est nous qui les produisons.

    Si notre nature était purement conformiste, càd totalement soumis aux stimulis environnementaux nous serions beaucoup plus semblable dans nos réactions et nos modes de pensées.

    C'est à ça qu'il explique que non, parce que les affections produisent objectivement un effet subjectif. La même peut produire un résultat différent sur deux personnes, mais elle peut aussi produire un résultat différent sur la même personne, selon le moment. La quantité de variables est trop grande pour que, même totalement déterminées, ça ne produise pas au final un résultat qui semble chaotique. Je crois que c'est ça son idée.
    Donc s'il est clair qu'il efface complètement la notion d'individu, qui pour lui est une illusion, en revanche ce que tu a appelé le citoyen il n'existe pas non plus parce que ces citoyens pensent être des individus, et donc l'obéissance qu'ils ont vis à vis des règles est inconsciente en tout ou partie. Et cette pensée d'être des individus affecte évidement la manière dont ils réagissent aux stimulis, de même que les rétroactions que leurs actions provoquent sur les stimulis ou leur origine.

  • "ce qu'on doit", c'est ce qu'on nous a appris à devoir, non ? et donc c'est justement tout ce qui vient modifier les instincts, il est vrai de manière plus ou moins spectaculaire.

    Je ne crois pas que nous soyons uniquement le résultat de notre éducation. Evidemment, avec des parents différents, dans un contexte social différent j'aurais été quelqu'un d'autre. J'aurais défendu d'autres valeurs. Mais, pour autant, il n'y a pas que le contexte qu'on observe et qu'on vit. Il y a notre oeil qui est déjà là. Nous ne naissons pas comme une page blanche prête à être remplie par tout ce que nous voyons. Nous avons déjà des capacités innées et, aussi, je pense un embryon de caractère. Ou plutôt un potentiel différent de notre voisin. C'est comme l'idée d'un jardin. Bien sur, son apparence va dépendre des fleurs et des arbres qui y poussent mais en fonction de la terre déjà présente, ces plantes ne vont pas pousser de la même manière.

    Il y a aussi la question de la raison dont on a pas parlé. Sans nier l'influence de ce que nous vivons sur notre capacité de raisonner, on ne peut pas nous nier l'introspection. Il y a un va-et-vient incessant entre nos expériences et ce travail intérieur de réflexion. L'un influence l'autre en permanence.

    Maintenant que nous en sommes là, je pense qu'il faudrait se poser la question des conséquences de ce type de réflexion. A mon avis, ce serait une erreur de partir dans cet extrême et de penser que l'Homme n'est qu'un produit de son éducation et de la société dans laquelle il vit. Si on part de ce principe absolu, il faudrait une société paternaliste qui régisse par la loi tous les aspects de notre vie. Si nous sommes le pur produit de notre société, alors les libertés individuelles n'ont pas d'importance. L'essentiel étant que notre société soit morale. Si les lois qui la régissent et les valeurs qu'elle défend le sont alors l'Homme, le citoyen, sera un être moral.
    l'idée me fait peur et en plus je n'y crois pas parce que nous ne sommes pas des fourmis. Personnellement, je ne crois pas au libre-arbitre mais je crois aux libertés individuelles. Je crois en nos individualités respectives qu'elles proviennent d'une somme unique d'expériences, d'une nature déterminée, de nos capacités cognitives de raisonnement ou d'un mélange des trois.

  • Je lis un autre bouquin dont un passage parlait justement de l'influence de la manière d'éduquer sur la capacité à faire preuve d'introspection. L'auteur défend l'idée que si les parents mettent l'accent sur la culpabilité en faisant réfléchir l'enfant sur son acte et les conséquences qu'il a eu sur les autres, ça cultive son empathie alors que s'ils mettent l'accent sur la honte, cela produit des gens impersonnels capables d'une grande barbarie. D'après cet auteur, la première méthode ne peut être que récente et résultat des découvertes en psychologie, notamment post-freudienne.

    Donc ça m'a fait penser à ça parce que d'après lui cette capacité ferait partie des choses qu'on doit acquérir (et donc dans l'optique de lordon, d'une influence externe issue d'une structure).

    Je ne vois pas non plus les gens comme des pages blanches, toutefois je pense que s'il est possible de réécrire complètement toute la page, ce qu'il y avait à l'origine n'a pas d'importance. D'où mon questionnement sur les limites de cette transformation qu'il est possible de faire.

    Maintenant que nous en sommes là, je pense qu'il faudrait se poser la question des conséquences de ce type de réflexion.

    Là c'est curieux parce que lordon n’aboutit pas du tout à tes conclusions. Je ne suis pas certain de bien comprendre pourquoi.

    Paternalisme : pour lui c'est justement un système conforté par la vision d'individus autosuffisants.
    Loi : pour lui le fait qu'on la respecte ou pas dépend des seuils auxquels chacun place l'intolérable. Donc la loi n'est pas ce qui fait le cadre, c'est parce que les gens groupé décident tous ensemble de se tenir dans une limite que ce cadre apparaît, provisoirement.
    Liberté : effectivement elle n'a pas d'importance car il réduit le seul droit au "droit naturel" qui est en réalité un rapport de puissance. Le droit naturel c'est ce que je peux faire sans qu'une force plus grande que la mienne ne m'en empêche (il n'y a pas de jugement moral).
    Morale : comme pour la loi, pour lordon elle est l'émanation d'un groupe à un instant donné.

    J'imagine que parler de l'ensemble des notions exprimées dans son livre aiderai à suivre sa pensée. Car il ne parle pas que du structuralisme des passions. Il parle aussi des difficultés de la sociologie à se positionner à et à se faire comprendre. De la puissance des institutions et de leur absence de légitimité. De l'absence de sens du concept de servitude volontaire. Et de l'origine libérale des idéaux antilibéraux. L'ensemble est un espèce de patchwork qui n'a pas été fait pour se lire dans l'ordre, mais il est clair qu'il forme un tout quand même.

  • Je repensais à un détail : si le fait de ne pas être totalement déterminé par l'environnement c'est parce qu'on a une part d'inné non influençable, est-ce que ça ne revient pas à dire justement qu'on est doublement déterminé ? d'une part par les influences externes, et d'autre part par notre instinct sur lequel par définition nous n'avons aucun contrôle ? Quel degré de liberté individuelle peut-on avoir grâce à cet instinct qui nous pousse à faire quelque chose plutôt qu'une autre ?

  • Je lis un autre bouquin dont un passage parlait justement de l'influence de la manière d'éduquer sur la capacité à faire preuve d'introspection. L'auteur défend l'idée que si les parents mettent l'accent sur la culpabilité en faisant réfléchir l'enfant sur son acte et les conséquences qu'il a eu sur les autres, ça cultive son empathie alors que s'ils mettent l'accent sur la honte, cela produit des gens impersonnels capables d'une grande barbarie. D'après cet auteur, la première méthode ne peut être que récente et résultat des découvertes en psychologie, notamment post-freudienne.

    J'aime bien l'idée.

    Je ne vois pas non plus les gens comme des pages blanches, toutefois je pense que s'il est possible de réécrire complètement toute la page, ce qu'il y avait à l'origine n'a pas d'importance. D'où mon questionnement sur les limites de cette transformation qu'il est possible de faire.

    Je comprends mieux ton questionnement mais je trouve que tu évacues trop vite le pourquoi des choses. Si ce qui est écrit à l'origine est inutile pourquoi est-ce écrit ? De plus, il ne faut pas comprendre notre innée (notre nature humaine) comme quelque chose étant en opposition avec nos acquis. D'après moi, la notion de justice et de moral sont des fondamentaux de la nature humaine. Simplement, le temps, l'expérience mais aussi nos réflexions développe ces notions. On peut considérer une chose comme bonne en voir les conséquences et changer radicalement d'avis.

    Paternalisme : pour lui c'est justement un système conforté par la vision d'individus autosuffisants.

    Moi aussi j'ai du mal à comprendre. Si on part du principe que ne sommes pas des individus et que nous sommes totalement soumis à notre environnement social n'est-il pas logique de penser qu'il faut une société forte qui prend les décisions à la place des citoyens qui la compose ?

    Loi : pour lui le fait qu'on la respecte ou pas dépend des seuils auxquels chacun place l'intolérable. Donc la loi n'est pas ce qui fait le cadre, c'est parce que les gens groupé décident tous ensemble de se tenir dans une limite que ce cadre apparaît, provisoirement.

    C'est une vision un peu angéliste. Je pense qu'il y a d'autres facteurs qui rentrent en jeu. Le plus fort de tous étant notre nature conformiste. C'est une vision qui -à mon sens- a été conforté par toutes les études d'après-guerre sur la soumission à l'autorité (Milgram et consort).

    Morale : comme pour la loi, pour lordon elle est l'émanation d'un groupe à un instant donné.

    Et que fait-il de l'éthique ? Cette morale propre à l'individu et qui peut être en totale opposition avec la morale sociale supérieure.

    Je repensais à un détail : si le fait de ne pas être totalement déterminé par l'environnement c'est parce qu'on a une part d'inné non influençable, est-ce que ça ne revient pas à dire justement qu'on est doublement déterminé ? d'une part par les influences externes, et d'autre part par notre instinct sur lequel par définition nous n'avons aucun contrôle ? Quel degré de liberté individuelle peut-on avoir grâce à cet instinct qui nous pousse à faire quelque chose plutôt qu'une autre ?

    Nous sommes doublement déterminé. C'est totalement ce que je défends. Par contre, ça ne s'oppose absolument à la notion de libertés individuelles. Est-ce que, sous prétexte que tu es déterminé par ta nature et tes expériences tu n'as pas le droit à la liberté d'expression, à la liberté de culte, à la liberté de circuler... ?

    En fait, ce n'est pas parce que je ne crois pas que nous ayons réellement un libre-arbitre que je ne crois pas à l'idée que chacun est libre de ses opinions. Je ne veux pas -et je suis sur que toi non plus- d'une société qui, sous prétexte qu'on est des êtres déterminés, nous disent quoi croire, quoi penser et quoi faire.

  • Et pourquoi tu n'en veux pas ? perplexe

  • Je comprends mieux ton questionnement mais je trouve que tu évacues trop vite le pourquoi des choses. Si ce qui est écrit à l'origine est inutile pourquoi est-ce écrit ?

    Parce que notre organisme est issu d'une longue histoire sans direction ? Mais peut-être que ça va nous amener sur des considérations théologique, je ne connais pas tes positions à ce sujet. Personnellement, je suis athée et ne vois aucune intentionnalité dans l'évolution de la vie. En conséquence je ne vois pas dans ce qui est en nous une base "sacrée" qu'il faut préserver, mais un simple résultat contenant une certaine part de reliquats inutiles. Par ex, il ne nous reste plus que quelques poils de notre fourrure, et ils ne remplissent plus de rôle. Il nous reste le réflexe de chair de poule qui hérisse les poils : inutile sans la fourrure disparue. Il nous reste un appendice, qui nous cause plus de problèmes qu'autre chose, et des dents de sagesse etc.
    Dans notre fonctionnement cognitif aussi, il y a des trucs qui restent, et qui ne servent plus. Je ne vois aucune raison de tenter de les préserver, a priori ?

    Est-ce que, sous prétexte que tu es déterminé par ta nature et tes expériences tu n'as pas le droit à la liberté d'expression, à la liberté de culte, à la liberté de circuler... ?

    Il n'a jamais été question de dire que parce qu'on est déterminé, on n'a pas le droit à une certaine part de liberté. Il était question de dire que même si on a cette liberté d'un point de vue légal, elle reste une illusion. Par exemple :
    Nous avons la liberté de nous exprimer... dans les limites de la loi (pour certains sujets) et dans les limites de ce qu'on s'autorise à dire pour le reste. Et cette limite dépend plus de ce qui nous entoure que de nous. Parce que tout seul on peut sans doute dire ce qu'on veut, mais ça ne sert à rien.
    Nous avons la liberté de culte... dans les limites de ce qu'on est capable de croire, ce qui est également largement codifié par ce qui nous entoure. Et pareil que l'expression, seul tu peux bien croire ce que tu veux, en définitive ta croyance ne prend corps que si tu la confronte à quelqu'un d'autre.
    Et la liberté de circuler, c'est la plus limitée de toute : nous ne pouvons circuler librement que sur les voies dédiées à ça, puisque tout le reste du territoire est "interdit", propriété privée d'une entité quelconque. Donc on peut circuler librement... mais seulement sur les voies balisées pour ça. Et même sur ces voies, il faut en respecter les règles strictes. Tu pourra me dire que le piéton il est libre de faire ce qu'il veut, mais personnellement, quand je suis piéton je constate très vite à quel point c'est faux et que je suis obligé de respecter toutes sortes de règles si je veux rester en un seul morceau.

    Je ne veux pas -et je suis sur que toi non plus- d'une société qui, sous prétexte qu'on est des êtres déterminés, nous disent quoi croire, quoi penser et quoi faire.

    L'idée c'est que la société nous dit déjà quoi penser, quoi croire et quoi faire, mais que nous n'en sommes pas conscients. Et elle n'a aucun besoin de prendre un prétexte pour le faire parce que c'est à ça qu'elle sert, à nous tenir dans des bornes, quelles que soient par ailleurs ses prétentions de légitimité. De plus la société n'est pas une entité consciente, et donc elle n'a pas d'intentions. Ce qui rejoins cette question-là :

    Si on part du principe que ne sommes pas des individus et que nous sommes totalement soumis à notre environnement social n'est-il pas logique de penser qu'il faut une société forte qui prend les décisions à la place des citoyens qui la compose ?

    Si on part de ce principe, alors la société prend déjà les décisions. Il ne "faut" pas avoir une société forte ou faible. On a déjà. Mais cette société est un principe instable, qui dicte la majeure partie des normes auxquels ses membres vont se plier, mais en même temps qui n'est elle-même que le résultat du fait que ses membres acceptent de s'y plier. On dirait que tu préfère voir la contrainte induite par la société, mais elle-même n'est qu'une émanation. Que cesse l'acceptation de la multitude qui lui donne sa force, et elle s'évapore.

    Donc ce n'est pas vraiment la société qui dicte quoi que ce soit. C'est la force générée par le fait qu'une multitude accepte de céder sa puissance personnelle, qu'ensuite cette puissance de la multitude vient contraindre l'ensemble en retour. Et c'est un équilibre instable perpétuellement renouvelé, qui cède tôt ou tard, lorsque la force exercée par la société devient intolérable pour ses membres, et qu'alors un trop grand nombre d'entre eux décident de cesser de lui céder leur puissance. Quand ils sont trop nombreux à ne plus céder, l'institution perd sa force et une autre émerge. C'est réducteur parce qu'évidemment "la société" est en réalité le résultat d'un vaste ensemble d'institutions qui sont pour certaines en lutte les unes contre les autres. De même que "la société" est un amalgame d'un vaste ensemble de sous-groupes, donc la puissance collective se déplace comme un fluide.

    C'est ça l'idée de Lordon, il n'y a pas de jugement sur "il faut" ou "ça doit". C'est une réflexion qui viendrait ensuite : si on part du postulat que ça fonctionne comme ça, alors, que faudrait-il comme conditions pour que la société qui émerge en soit une qui soit d'après nos propres critères, "bonne", et qu'elle dure le plus longtemps possible.

    Mais là le bouquin ne dit rien sur ça.

    ps : en tout cas merci cat d'avoir continué à discuter, ça m'aide à affiner ma propre compréhension que de tenter de la reformuler.

  • Moi je n'ai plus de bras à force de pelleter du sable ouf

  • Parce que notre organisme est issu d'une longue histoire sans direction ? Mais peut-être que ça va nous amener sur des considérations théologique, je ne connais pas tes positions à ce sujet. Personnellement, je suis athée et ne vois aucune intentionnalité dans l'évolution de la vie. En conséquence je ne vois pas dans ce qui est en nous une base "sacrée" qu'il faut préserver, mais un simple résultat contenant une certaine part de reliquats inutiles. Par ex, il ne nous reste plus que quelques poils de notre fourrure, et ils ne remplissent plus de rôle. Il nous reste le réflexe de chair de poule qui hérisse les poils : inutile sans la fourrure disparue. Il nous reste un appendice, qui nous cause plus de problèmes qu'autre chose, et des dents de sagesse etc.
    Dans notre fonctionnement cognitif aussi, il y a des trucs qui restent, et qui ne servent plus. Je ne vois aucune raison de tenter de les préserver, a priori ?

    Laissons Dieu de côté. Je parlais du pourquoi dans un sens biologique (ou évolutionniste). Il y a une direction, qui change selon notre environnement. Direction ne veut pas dire volonté. Certes, il y a des reliquats inutiles. Je pense que dans nos instincts aussi. Mais déjà cela veut dire qu'on a des instincts, une nature. Tu m'accordes déjà ça ?

    Si tu me l'accordes, je pense que la notion de reliquat ne peut permettre de l'écarter absolument. Un exemple, à la naissance un enfant sait déjà reconnaître un visage humain d'une gueule animale. Il sait également faire la distinction entre un sourire et une mine inquiète. Nous avons de façon innée des capacités d'empathie. Peut-on parler de reliquat ?

    De plus, ton hypothèse ne tient pas en compte la notion de "potentiel" que j'avais développé plus tôt.

    Il n'a jamais été question de dire que parce qu'on est déterminé, on n'a pas le droit à une certaine part de liberté.

    Ce n'est pas ce que tu disais deux posts plus tôt. Et le fait qu'elles soient limitées n'est pas le sujet.

    L'idée c'est que la société nous dit déjà quoi penser, quoi croire et quoi faire, mais que nous n'en sommes pas conscients.

    J'avoue avoir du mal à comprendre qu'on puisse penser cela. Nous ne sommes pas des fourmis.

    C'est ça l'idée de Lordon, il n'y a pas de jugement sur "il faut" ou "ça doit". C'est une réflexion qui viendrait ensuite : si on part du postulat que ça fonctionne comme ça, alors, que faudrait-il comme conditions pour que la société qui émerge en soit une qui soit d'après nos propres critères, "bonne", et qu'elle dure le plus longtemps possible.

    Nos critères ? Je croyais que nos convictions étaient toutes issues de la société. Pourquoi, alors, la société ne nous inculte-t-elle pas que ses critères, ses valeurs sont les bonnes ? Si nous ne sommes pas des individus mais seulement un agrégat d'affects alors nous ne sommes pas capable de juger de ce qui est bon de ce qui est mauvais.

    Et pourquoi tu n'en veux pas ?

    Parce que j'aime débattre, réfléchir et penser. Et je n'aime pas l'idée qu'on me refuse ce droit.

    Si on part de ce principe, alors la société prend déjà les décisions. Il ne "faut" pas avoir une société forte ou faible. On a déjà. Mais cette société est un principe instable, qui dicte la majeure partie des normes auxquels ses membres vont se plier, mais en même temps qui n'est elle-même que le résultat du fait que ses membres acceptent de s'y plier. On dirait que tu préfère voir la contrainte induite par la société, mais elle-même n'est qu'une émanation. Que cesse l'acceptation de la multitude qui lui donne sa force, et elle s'évapore.

    Cela signifie-t-il qu'il n'y a aucune différente entre une démocratie et une dictature ?

    Je reviens sur la servitude volontaire, le conformisme et Milgram. J'aimerais que tu m'expliques comment Lordon intègre cela dans sa réflexion. Ou plutôt il réussit à l'écarter.

    Autre chose que je ne comprends pas. Si la société édicte des normes qui sont appliqués ou non par ses membres alors ces font des choix. Ces choix proviennent d'où puisque nous sommes censés être le pur produit des normes édictées par la société ?

    Moi je n'ai plus de bras à force de pelleter du sable

    Je ne peux que conseiller de t'accrocher smile

  • Moi je n'ai plus de bras à force de pelleter du sable

    Je ne peux que conseiller de t'accrocher

    Moi aussi sourire

    Cat, pourrais-tu corriger cette phrase dans ton avant dernier paragraphe : Si la société édicte des normes qui sont appliqués ou non par ses membres alors ces font des choix.

    Je n'arrive pas à en reconstruire le sens.

  • Je n'arrive pas à en reconstruire le sens.

    Normal, manque un mot ouf

    Si la société édicte des normes qui sont appliqués ou non par ses membres alors ces derniers font des choix.

  • Mais déjà cela veut dire qu'on a des instincts, une nature. Tu m'accordes déjà ça ?

    D'accord avec ça.

    Nous avons de façon innée des capacités d'empathie. Peut-on parler de reliquat ?

    Je pense que non, le reliquat ne s'applique a priori qu'à des choses que nous avons mais dont nous ne développons aucun usage par la suite, et qu'on peut donc enlever sans conséquences néfastes. L'empathie si on l'utilise n'est plus un reliquat. Mais elle pourrait l'être si on ne l'utilise pas. On peut sans doute trouver des sociétés qui décident que l'empathie produit plus de problèmes que de solutions (comme par exemple le japon féodal), et préfèrent ainsi en contraindre le développement au profit de quelque chose d'autre ? Est-ce que tu veux qu'on décide que ce qui fait partie de nos instincts soit considéré par défaut comme étant "bon" ? Ou est-ce qu'on doit baser le jugement sur autre chose : comment juge-tu de ce qu'on devrait conserver ?

    Au sujet du potentiel, je n'arrive pas à le voir comme un facteur limitant. Ton exemple du jardin me rend l'idée encore plus difficile à concevoir. Parce que dans un jardin, la couche la plus importante c'est la partie vivante de surface et cette dernière contient plus de la moitié de trucs vivants. Ce qu'il y a en dessous peut n'avoir plus qu'une influence tout à faire marginale si les facteurs limitant la croissance des plantes sont par ailleurs abondants : avec beaucoup d'eau, de chaleur et de soleil, on trouvera la même profusion en surface (d'ailleurs c'est bien pour ça qu'on peut cultiver "hors sol"). L'influence de ce qu'il y a en dessous sera si subtile qu'il faudra peut-être survoler la zone à un moment très précis de l'année pour la voir se révéler un peu.
    Donc le potentiel, ok il existe. Mais c'est si facile de décaper la terre végétale pour la remplacer par une autre que je ne vois pas en quoi son influence est remarquable.
    Mais si on sort de l'exemple du jardin pour revenir aux gens, ça me semble pareil. Si la couche culturelle peut être si dense qu'elle rend l'influence du potentiel indiscernable sans outils perfectionnés, alors personnellement je considère que cette influence peut être négligée. On peut avoir notre golf avec sa pelouse anglaise... en pleine péninsule arabique.

    Il n'a jamais été question de dire que parce qu'on est déterminé, on n'a pas le droit à une certaine part de liberté.

    Ce n'est pas ce que tu disais deux posts plus tôt. Et le fait qu'elles soient limitées n'est pas le sujet.

    Je disais que la liberté n'a pas d'importance puisqu'elle n'est que le résultat d'une lutte de puissance. Toi tu me demande si au prétexte qu'on est déterminé, on n'aurait pas le droit à la liberté. Je voulais parler du fait qu'on l'ai ou pas, et non pas du fait qu'on y ai le droit ou qu'on la mérite.
    Le fait que je n'ai pas de liberté, alors que je pense en avoir, ce n'est pas de l'ordre du droit ? Car si on est totalement déterminé, cette liberté qu'on croit avoir ou qu'on croit ne pas avoir, est illusoire de toute façon. Je ne comprend pas pourquoi tu fais venir ici le droit.

    Ce "droit" à la liberté, c'est bien un produit de la société ? Ou est-ce que tu veux parler d'un droit naturel, un truc inaliénable ? scratch

    Quand tu dis ça :

    Nous sommes doublement déterminé. C'est totalement ce que je défends. Par contre, ça ne s'oppose absolument pas à la notion de libertés individuelles.

    Comment s'exprime pour toi cette liberté individuelle pour un individu qui est déterminé ?

    Si nous ne sommes pas des individus mais seulement un agrégat d'affects alors nous ne sommes pas capable de juger de ce qui est bon de ce qui est mauvais.

    J'ai dit dans les premiers messages que chaque conatus a la faculté de juger et de décider qu'un affect est bon ou mauvais selon ce qu'il estime y gagner ou perdre en puissance. Nous poursuivons ce que nous imaginons que cela conduit à la joie (ou à la tristesse). Chacun d'après ses propres affects, juge qu'une chose est bonne ou mauvaise, utile ou inutile.
    Nos convictions sont le résultat des affections produites par la société, mais chacun y réagit différemment en fonction de sa trajectoire socio-biographique et de sa situation présente.
    Seulement nos imaginaires sur lesquels on se base pour juger sont aussi le fruit des influences externes puisqu'on les a construit à partir d'elles.

    Si c'est cette histoire d'instinct qui te gène, on peut dire que l'imaginaire construit est fondé sur le résultat, quand l'individu commence à exister, des premières affections sur ses instincts primordiaux. Plus la personne grandit, et plus les affections produisent d'affects, qui sont tous issus du point de départ. (mais dans ce cas pour moi le point de départ commence lorsque l'être vivant commence à exister, ça serait donc dès que l'ovule est fécondé. Les premières affections sont donc plutôt d'ordre biochimique et en relation avec la mère pendant la gestation. Les premiers affects sont de nature physiques et non physico-psychique comme le seront les suivants au fur et à mesure que le psychique se construit.).

    Cela signifie-t-il qu'il n'y a aucune différente entre une démocratie et une dictature ?

    J'ai du mal à saisir comment on passe du paragraphe que tu citais à cette question.
    Du point de vue du rapport des puissances, démocratie et dictature sont toutes deux des structures qui sont maintenues en l'état par la captation des puissances personnelles de gens qui s'y plient, au profit d'une institution qui les utilise ensuite pour les contraindre à respecter des règles. Les différences ce sont le types de règles, et la manière de motiver les gens à s'y plier.
    Dans une démocratie le président espère tirer plus de puissance de la légitimité induite par le fait qu'il soit élu. Il motive les gens à lui céder leur puissance en leur promettant une existence plus joyeuse, ils s'y plient poussés par le désir de vivre mieux. Et comme ça joue sur les affects positifs, le type de gouvernement lui-même est jugé "bien". -démocratie, je te pousse par la recherche de plaisir-
    Dans une dictature le dictateur espère tirer plus de puissance par la légitimé qu'il fabrique en éliminant ses rivaux et en faisant craindre des représailles arbitraires à tout le monde. Il motive les gens en faisant peser sur leur survie un risque tel qu'ils sont mus par le désir d'éviter de mourir. ça joue sur les affects négatifs, et donc une dictature, c'est "mal". -dictature, je te pousse par la fuite du pire-
    Mais les deux cessent d'exister de la même manière si leur population cesse de leur céder sa puissance. Ce qui sera jugé intolérable par les uns et les autres sera peut-être identique (des meurtres arbitraires par ex), mais les seuils qu'ils mettront avant de s'y révolter seront très différents.

    Est-ce que ça répond à ta question ? confused

    L'idée c'est que la société nous dit déjà quoi penser, quoi croire et quoi faire, mais que nous n'en sommes pas conscients.

    J'avoue avoir du mal à comprendre qu'on puisse penser cela. Nous ne sommes pas des fourmis.

    Toute la question est là. Lordon cite souvent une phrase de spinoza qui dit "Les hommes se trompent quand ils se croient libres ; car cette opinion consiste en cela qu'ils sont conscients de leurs actions mais ignorants des causes qui les déterminent.".

    Nous devrions repartir de là. Selon toi qu'y a-t-il dans les actions humaines qui ne soit pas déterminé ?

    Nous ne sommes pas des fourmis, ok, mais que veux-tu dire par là ? Que les fourmis c'est des automates guidés par des hormones ?

    Autre chose que je ne comprends pas. Si la société édicte des normes qui sont appliqués ou non par ses membres alors ces derniers font des choix. Ces choix proviennent d'où puisque nous sommes censés être le pur produit des normes édictées par la société ?

    On fait vraiment un choix. On décide de choisir la solution qui nous semble la meilleure. Seulement c'est les valeurs qu'on donne aux choses, pour les choisir, qui sont le fruit des influences externes. Il n'y a pas de valeurs dans l'absolu. C'est parce que des personnes s'efforcent vers certaines choses que celles-ci en deviennent valorisées. (il inverse désir et valeur en disant que ce n'est pas parce qu'une chose a de la valeur qu'on la désire, mais que c'est parce qu'on la désire, qu'elle en prend). Et personne ne valorise les mêmes parce que personne n'a eût la même histoire, non plus que le même point de départ.

    Je vais citer un passage entier de Lordon, peut-être que ses mots seront mieux que les miens (le passage résume et clos un chapitre qui détaille la même chose et s'intitule "l'action sans auteur" dans lequel il explique qu'on n'a pas besoin de conserver l'auteur pour avoir des actions, et que le conatus seul peut suffire à les expliquer même si ça semble contreintuitif) :

    "On sait gré à l'astronomie de nous informer que, contrairement aux apparences, la terre n'est pas plate, mais beaucoup moins aux sciences sociales de nous dire que nous ne sommes pas exactement tels que nous croyons être. Or on ne peut qu'être surpris du degré auquel les sciences sociales humanistes, quoique sous des formes parfois très sophistiquées, valident à nouveau la représentation spontanée que les individus se font de leur conditions d'hommes : ils sont des sujets dotés de l'intériorité d'une conscience morale, sans doute contraints ils jouissent néanmoins en principe d'une liberté de délibération et de décision, leur esprit commande dans la clarté l'action à leur corps, ils sont les auteurs de leurs actes, et, le cas échéant, en répondront. Tout ce qu'un individu pourrait dire spontanément de lui-même, l'humanisme théorique y adhère et le ratifie en lui donnant forme savante."

    Ensuite il dit qu'on n'a pas besoin d'avoir un esprit commandant souverainement à un corps pour avoir un corps en action, contrairement à une prime évidence. Un conatus suffit. Un élan de puissance qui veut continuer d'exister. (à ce sujet je pense que la fourmi nous serait donc identique, ce n'est pas plus que nous un automate, mais un conatus. Le nombre et la complexité de ses affects et des actions qui en résultent, sont juste beaucoup plus faibles que les nôtres. L'avantage de cette hypothèse c'est que du coup on n'a plus besoin de perdre son temps à tenter de trouver une limite entre les êtres vivants : à partir de quelle complexité celui-ci cesserait-il d'être un automate pour devenir un cogito ? -> si tous les êtes vivants sont conatus, il n'y a plus de barrières ni de séparations à trouver, il y a juste une différence de complexité, et des différences sur les moyens d'action. Un arbre je crois qu'on ne peut même pas dire que c'est un automate qui fonctionnerai à je ne sais quoi, en revanche il rentre parfaitement dans la description du conatus, telle que puissance déterminée à exister et maintenir l'absorption continue de flux externe qui lui permet d'éviter l'état stable, la mort, et la dispersion entropique qui s'ensuit.
    Je met tout ça entre parenthèses parce que c'est moi qui suppute, et non lordon, qui n'utilise pas de comparaison avec les fourmis ou les autres formes de vie dans ce livre).

    "L'homme est un élan de puissance mais originellement intransitif et sous-déterminé. Or toutes ses déterminations complémentaires lui viennent du dehors. Il n'est pour rien dans les affections qui lui arrivent et tout ce qui s'en suit se produit sur un mode quasi-automatique : loin d'être l'instance de commandement qu'on s'imagine souvent, la psyché n'est qu'un lieu sur lequel s'affrontent les affects déterminés par le travail de l'ingenium, tel qu'il est lui-même le produit hétéronome d'une trajectoire (socio-)biographique. Les balances affectives qui en résultent déterminent à leur tour des efforts vers les sources imaginées de joie et loin des causes imaginées de tristesse. Toutes ces idées ont été formées, non par quelque cogito souverain, mais dans le sillage même des affects antérieurement éprouvés par lesquels se sont constitués des manières de sentir et de juger."

    J'avoue que ce qui me fascine dans cette idée, c'est justement qu'elle a la force d'abolir les séparations entre les différentes formes de vie, que j'ai toujours trouvé artificielles. Au contraire manifestement de la majeure partie de mes semblables qui eux, pensent d'emblée être très différents de toutes les autres formes de vie, parce que ça leur semble être de l'ordre de "l'évidence". Je me souviens de toutes les discussions que j'ai pu avoir avec plein de gens sur le thème "nous ne sommes pas animaux" qui leur semblait un postulat indépassable et évident.
    Toutefois là c'est mon interprétation, parce qu'à lire lordon, je n'ai pas du tout l'impression que lui il utilise sa propre idée pour en faire ça.

    Les robots de asimov aussi sont des conatus, puisque le désir de continuer à exister est l'une de leurs trois lois. En revanche la plupart des automates réel n'en sont pas.

    Du coup je souhaite remercier tous les participants pour m'avoir permis d'arriver jusque-là et clarifier ainsi ma propre pensée. cadeau

  • Hello,

    Un truc qui représente très bien le processus naturel d'évolution des êtres vivants et au final toute formes de choses, c'est l’observation des champignons. Je ne parle pas des délicieux bolets que l'on cuisine dans l’omelette, mais plutôt des espèces présentes partout sous formes mycélium.

    Des recherches ont montrés que si on implante une petite colonie de champignons dans un environnement stérile, il va d'abord "scouter" en se développant dans un peu toutes les directions, et en cas d’échec va même être capable de recycler ces ressources. Une fois une source d'approvisionnement découvert, il va développer une sorte "d'avant poste" puis tout un réseau pour échanger depuis la "base" et "scouter" de nouveau depuis le "poste avancé". Peu à peu l’ensemble forme un tout cohérent qui parait doué d'une conscience.

    Ce qui est intéressant c'est que l’observation de ces phénomènes naturels mettent en évidence que le résultat n'est jamais prévisible par avance et que forcement l'environnement a un impacte aussi majeure qu'inattendu sur le développement du champignon.
    Donc la nature est plus intéressé par le développement en lui-même que par le résultat (peu importe que des disgracieux reliquats ou appendices soient conservés dans le processus), car une forme de vie n'est pas une fin en soit mais peut être que le début d'un nouvel écosystème ?

    Je suppose que l'on peut faire aussi un parallèle avec la philosophie ...

  • car une forme de vie n'est pas une fin en soit mais peut être que le début d'un nouvel écosystème ?

    La "fin en soit" de la vie, c'est justement de repousser le plus longtemps possible la fin et la mort. razz
    De ce point de vue les champignons ont de sérieux avantages sur nous !

    Sinon je me suis aperçu que j'avais oublié de répondre aux dernières questions de cat :

    "Je reviens sur la servitude volontaire, le conformisme et Milgram. J'aimerais que tu m'expliques comment Lordon intègre cela dans sa réflexion. Ou plutôt il réussit à l'écarter. "

    La question de la servitude volontaire est une démonstration sur un chapitre entier, et je ne crois pas pouvoir la résumer sans la trahir, d'autant qu'elle s'appuie sur des travaux que je ne connais pas (de Bourdieu et Durkheim). Je vais tenter une synthèse (mais ne rétorquez pas ensuite que c'est "simpliste" parce que si ça l'est ce ne sera précisément qu'à cause de ma synthèse).

    Il part de Bourdieu lorsqu'il disait que la théorie marxiste du travail et l'analyse lévi-straussienne du don sont les exemples les plus aboutis de l'erreur objectiviste consistant à omettre d'inclure dans l'analyse la vérité subjective : l'investissement dans le travail, donc la méconnaissance de la vérité objective du travail comme exploitation, fait partie des conditions réelles du travail, puisqu'il pousse à trouver dans le travail un profit intrinsèque irréductible au simple revenu financier.

    C'est bien dans l'écart entre la vérité objective et subjective que se loge la domination, et sous sa forme la moins repérable lorsque la domination objective est vécue subjectivement comme une condition heureuse. Mais il ne faut pas s'arrêter à l'antinomie objectivisme/subjectivisme, et dire ainsi qu'il y aurait la vérité objective de l'exploitation et de l'autre des vérités subjectives heureuse du travail, mais qu'il y a deux vérités objectives : celle du rapport salarial, et celle de la production des vérités subjectives qui l'accompagnent. Et celles-ci sont doublement intéressantes parce qu'elles contribuent à produire le monde social, mais parce qu'elles sont aussi produites par et dans ce monde social.

    Utilisons les concepts spinozien pour étudier ça : s'il n'y a pas d'actions sans désir conatif d'agir, et si la domination requiert du sujet un certain type d'actions, alors on peut dire de cette domination qu'elle consiste en une certaine production d'affects et de désirs. La domination fait désirer l'obsequium de spinoza et bourdieu, c'est à dire le comportement ajusté aux requêtes de la norme dominante. Si le corps se met en mouvement tous les matins pour aller travailler, c'est qu'il est soumis à un certain régime d'affects et de désirs : lequel ?

    Pour répondre à ça il faut étudier non pas juste la domination salariale, mais toutes les dominations à diverses échelles qui se jouent au quotidien pour chacun. Or si les affections et désirs sont par essence locaux, on peut refuser de les voir comme autonome, et les voir comme les expressions locales de structures globales qui soutiennent telle ou telle forme de domination.
    Comment les sujets viennent-ils à se ranger sous la domination d'un souverain ? C'est un problème de philosophie politique. Dans quelle combinaisons de désirs et d'affects ? C'est un problème de philosophie politique spinoziste. Engendrés dans quelle configuration de structures sociales ? C'est un problème pour un structuralisme des passions.
    Faire prévaloir la norme du souverain est donc une affaire de production d'affects et de désirs. En d'autres termes, gouverner, c'est conduire par les affects puisque c'est en affectant les individus qu'on les détermine à se conduire d'une certaine manière.

    Tout cela peut s'appliquer à la production capitaliste de l'obsequium salarial, à la condition qu'en son début on ai une économie marchande à travail divisé, qui empêche les gens se survivre sans accéder à la monnaie.

    Historiquement, le capitalisme a produit pour les premiers salariés un régime de désirs et d'affects négatifs : travailler pour gagner de l'argent pour survivre, c'est le désir de ne pas mourir et d'éviter la misère. Peur du dépérissement et désir d'accéder à l'argent devenu indispensable pour assurer la persévérance de l'être : c'est bien un régime de désirs et d'affects.
    Mais ensuite le capitalisme a évolué vers le fordisme produisant une grande mutation. Ce nouveau régime ne fait pas seulement reculer la précarité en augmentant les salaires de tout le monde, il ajoute également des affects joyeux de la satisfaction du désir d'objets marchands à une échelle inédite.
    Enfin logiquement la crise du fordisme et l'entrée du capitalisme dans sa forme néolibérale provoque également la mutation de son régime de désirs et d'affects. Si le fordisme avait rompu avec les affects tristes du capitalisme primitif, il proposait des affects joyeux externes, l'engagement dans le travail ne se faisant pas pour lui-même mais dans la perspective des objets auxquels il donne accès. L'innovation du néolibéralisme consiste à faire entrer le salariat dans un régime d'affects joyeux internes : produire de la joie par l'engagement dans le travail lui-même, voilà la nouvelle frontière. Le travail doit devenir une occasion "d'accomplissement" "de réalisation de soi", la source de bonheur professionnel, voir de bonheur tout court. Le propre du capitalisme néolibéral est donc qu'il parie sur la vérité subjective du travail comme aucun autre ne l'avait fait avant. L'entreprise néolibérale applique donc à la lettre (mais sans doute à son insu) le traité politique de spinoza : "Il faut conduire les hommes de façon telle qu'ils aient le sentiment, non pas d'être conduits, mais de vivre selon leur complexion et leur libre décret."

    Et c'est là qu'on arrive à la contradiction parce que si les gens sont libres, alors comment se fait-il qu'ils acceptent la servitude ? Le capitalisme a bel et bien été capable, n'en déplaise à Marx, de produire en certaines circonstances des salariés contents. Toutefois, connaissant la vérité objective de l'exploitation, le point de vue extérieur met le consentement de ces salariés en doute, il le suppose vicié d'une manière ou d'une autre : les salariés disent qu'ils consentent, mais en fait ils croient qu'ils consentent. Ils ont dit oui sans être forcés formellement, mais à quelque chose qui devrait les faire souffrir : ils sont dans la servitude volontaire. Ils sont contents, mais contents trompés, ils sont aliénés : impossible d'aimer le contrôle de gestion des stocks douze heure par jour, on ne peut pas en faire un accomplissement existentiel. Et pourtant les intéressés confirment c'est "leur choix".
    Et c'est là que les philosophies subjectivistes se piègent elles-mêmes. Au nom de quoi opposer au sujet qu'il n'est pas libre ? Comment tenir ensemble la reconnaissance de la liberté du sujet et la certitude qu'il s'égare ? Le moyen de sortir de cette contradiction est de voir qu'elle est le résultat du cœur même de la métaphysique de la subjectivité, qui ne sait pas quoi faire d'un consentement libre mais trouvé critiquable, parce qu'alors il jette le doute sur tous les autres, qu'on aimerait garder.
    Le point de vue spinoziste se débarrasse de tout d'un coup : la liberté et ses problèmes, les consentements bizarres et la servitude volontaire. Pas plus quand il se rend au travail sous l'aiguillon de la faim que lorsqu'il y va "pour s'accomplir" le salarié n'échappe à l'ordre de causalité passionnelle, et c'est rigoureusement le même déterminisme qui est à l’œuvre dans les deux cas.

    Le sens commun se refuse à se rendre à cette indifférenciation, toutefois on ne nie pas qu'il y en ai une, mais seulement qu'entre contrainte et consentement ce ne serait pas une histoire de liberté mais de tristesse ou joie. Contrainte est le nom que nous donnons à une détermination accompagnée d'un affect triste. Consentement, celle qui vient avec un affect joyeux. C'est la joie - pas la liberté - qui fait dire oui à ce qui de toute façon demeure une détermination.
    Ignorant de ce que son consentement doit à tout son passé d'affectations et d'affects, l'individu dit qu'il consent chaque fois qu'il lui est proposé de s'adonner au désir de poursuivre ce qui lui semble un bien. Contrainte et consentement ne sont donc pas autre chose que le produit de regards subjectifs pris sur le fait objectif de la détermination.

    C'est d'autant plus difficile de l'accepter que notre vision de nous-même est déterminée par notre imaginaire dont on ne peut pas s'affranchir, alors qu'il est lui-même partiellement issu de nos rencontres avec l'extérieur.
    D'ailleurs en général un regard extérieur sait mieux voir que le regard sur soi-même ces mécanismes qui nous animent. Il est rapide alors de dire que untel est "aliéné" car il ne se rend pas compte de sa situation, il "n'est pas lui même". Et pourtant ce que le regard extérieur voit si bien sur autrui et si mal sur soi-même, c'est que l'effet de l'extérieur sur soi, et jusque dans la constitution même de soi, est la condition absolument universelle de tous les modes finis (par différenciation des substance dont nous avons parlé au tout début).

    Si être aliéné c'est être la proie de forces extérieures, et n'être pas capable de se gouverner intégralement soi-même, alors l'aliénation est la condition universelle du mode fini humain (en n'excluant pas que certains puissent parfois connaître le régime des affects actifs et de la causalité adéquate - processus entièrement internes, voir spinoza).

    Voir des causes extérieures sur le comportement d'autrui n'offre aucune raison suffisante de s'en croire affranchi soi-même, ainsi toute tentative de disqualifier les désirs d'autrui au motif que, d'origine externes, ils ne seraient pas vraiment "les siens" se dissout moins dans l'erreur que dans la trivialité.

    Ainsi lorsqu'on décrète que quelqu'un est sous l'emprise d'une servitude volontaire, c'est pas lui qui ne consent pas, c'est nous, qui ne consentons pas à son consentement parce qu'à cette chose à laquelle lui il dit "oui", nous, nous aurions dit "non". Bien évidemment ça fonctionne dans les deux sens, et pour celui qu'on considère aliéné, l'aliéné, c'est nous.
    Il n'y a donc pas d'un côté la servitude (contrainte), de l'autre le consentement (liberté), et entre les deux une case bizarre pour des égarements de la liberté (servitude volontaire) : il n'y a qu'une universelle servitude passionnelle, c'est à dire l’assujettissement à l'enchainement des causes et des effets, qui détermine chacune de nos mises en mouvement. (mais sans oublier qu'un assujetti triste ou heureux, cela fait de considérables différences ! )

    Et c'est ces différences que l'entreprise néolibérale entend bien exploiter, notamment par le biais des structures sociales qui vont dissimuler l'égalité réelle (nous sommes tous humains) derrière une inégalité imaginaire (toute les raisons que nous donnons pour justifier les inégalités).
    Par ce biais l'imaginaire de chacun est orienté vers une auto-limitation (pour la plupart) ou l'inverse (pour les régnants) qui légitime dans les deux cas soit leur impuissance, soit leur domination.

    "Ce qu'on imagine ne pas pouvoir, on l'imagine forcément, et l'ont est par cette imagination même, disposé de telle sorte qu'on a effectivement pas le pouvoir qu'on imagine ne pas avoir." (spinoza)

    La croyance en sa propre incapacité, et partant de son illégitimité (imaginée) du dominé est ainsi l'exact corrélat symétrique et inverse de la croyance des dominants en leur légitimité d'évidence, et en les capacités naturelles qu'ils ont de gouverner. Alors que Bourdieu a assez expliqué quels mécanismes sociaux et quels complexes institutionnels produisent ces affects, c'est la société entière et toutes ses structures qui produit le saisissement des corps et les affections qui augmentent la puissance d'agir et uns, et dépriment celle des autres.

    ps : désolé pour le style littéraire, j'ai fait ce que j'ai pu ouf

  • J'ai repensé aux questions que posais cathaséris sur le droit en rapport à la liberté et je pense avoir saisi son problème. Cat, on dirait que tu juge d'emblée l'absence de liberté comme une contrainte négative. Mais le fait de dire qu'on n'a pas de liberté parce que nous sommes déterminés, ça ne veut pas dire que tout ce qui nous détermine est négatif. On peut voir une affection comme une force qui nous pousse, et serait la "fuite de" mais on peut aussi avoir une affection qui produise une force qui nous attire, et serait le "désir de" comme par exemple quelqu'un qui te dit je t'aime. ça t'affecte. ça te force à faire quelque chose. Donc ça te prive de liberté. Et pourtant ce n'est pas négatif.

    Donc le postulat que la liberté n'existe pas ne prédestine pas plus à une société dictatoriale qu'à une utopie de bisounours. Il est sans objet de s'interroger sur le "droit à" pour quelque chose qui n'existe pas et c'est pourquoi ne je peux pas répondre à la question à ce sujet.

  • Hello,

    Mais rien n’empêche de résister. Exemple avec une expérience que j'ai eu avec un vendeur de cuisine qui avait déployé tout son talent commercial afin que je ne sorte pas avant d'avoir signé le contrat.
    Je n'ai pas signé quand il l'avait décidé, il m'a harcelé au téléphone jusqu'à obtenir un autre RDV. Mais je ne suis pas venu seul cette fois-là smile

    Même si a terme je pense signer avec ce monsieur car il propose la meilleure offre, cela reste MA liberté de décider quand. La question qui c'est posé a été : "combien êtes vous près à acheter ma liberté", mais au final je pense que c'est si précieux qu tout l'or du monde ne peu suffire smile

    C'est peu être ce qui est le plus impressionnant, malgré le peu d'espace de décision qui nous reste, des petits malin veulent faire encore pression dessus pour nous en extraire la moindre goute ...

  • Ce que tu décris là est un contre-exemple, du point de vue du structuralisme des passions, ce qui t'a fait "résister" n'est pas ta liberté de le faire, mais la joie éprouvée à faire ça plutôt qu'à signer immédiatement à ce que tu as jugé comme une contrainte inacceptable à ce moment là. wink
    Ta vérité subjective, c'est que tu es content d'avoir exprimé ta liberté (qu'elle existe ou pas en réalité n'a pas d'importance tant qu''elle existe pour toi). La vérité objective, c'est que tu va quand même au final acheter pour faire ta cuisine le même tas de panneaux en copeaux+colle que tout le monde achète 15x le prix que ça vaut. razz

  • Je crois qu'en ce qui me concerne j'arrive à la conclusion de mes réflexions sur le sujet. Je l'ai décortiqué, dépecé même et je peux affirmer avec certitude que trop de choses ne me conviennent pas pour être convaincu. Ma position se résume en deux points assez simples finalement.

    La nature des systèmes

    Le travail de Spinoza dans l'Ethique est monstrueux. Le système construit est élégant, logique et parfaitement cohérent. Son interprétation par Lordon est intéressante mais il y a tout de même un problème. Un défaut originel inhérent à ce genre de système. C'est la propension a l'universalité. La tentation moniste, ou en d'autres termes, la tentative d'expliquer l'Homme, ses aspirations et des actions sous le prisme d'une seule et même force. Même si le concept de Conatus est convaincant en soi tout expliquer par lui et, pour moi, une erreur. L'Homme est bien plus complexe que cela. On le voit bien quand il cherche à expliquer des actes qui ne rentrent pas dans sa logique (le suicide, le conformisme...). Cela devient vite une usine à gaz complexe alors qu'il y a des explications plus claires, plus simples et plus faciles à démontrer.

    Je comprend que ce doit être un rêve pour les philosophes de trouver LA clef qui permettra de déchiffrer le comportement humain. De tout comprendre de son fonctionnement. La vérité, à mon sens, c'est que cette clef n'existe pas. Il n'y a pas d'explication unique à l'Homme mais des causes multiples. Ce qui nous mène au deuxième point, sur la nature de l'Homme.

    La nature de l'Homme

    Nous avons réussit à aboutir à un consensus (je crois) sur le fait que l'Homme est l'agrégat de nombreuses choses. Sa nature d'abord et peu importe si l'on croit ou non qu'elle puisse être totalement changé comme la terre d'un jardin. Personnellement, je ne crois pas que l'on puisse changer notre nature. On peut seulement l'exprimer de différentes façons. Mais ce n'est pas -ou plus- le sujet. Passons à la suite. Et la suite c'est son environnement. Ces fameux affects qui nous on donné du fil à retordre.

    Mais l'Homme n'est pas que ça. Il est plus que le simple agrégat de toutes ses choses. Il est capable avec tout ça de produire quelque chose de totalement nouveau et original ce qui fait de lui un être à part. Un individu unique et séparé et pas le simple morceau d'un tout. Pas simplement une cellule dans un corps ou un rouage dans une machine.

    Prenons un exemple, celui de l'imagination, de la créativité. Prenons Tolkien que tout le monde connaît. Tolkien et sa nature paisible de promeneur solitaire. Tolkien et sa grande connaissance du folklore occidental et des langues anciennes. Ce Tolkien-là a repris ces mythes et légendes qu'il connaissait si bien pour écrire ses livres mais ces livres ne sont pas qu'une reprise de ces mythes. C'est une production unique. Alors bien sur c'est un produit de son temps mais nous savons tous très bien qu'un autre professeur tout aussi érudit que lui n'aurait jamais produit la même oeuvre. Son traitement est unique car il a été forgé par un individu unique.

    On peut vouloir croire que nos capacités introspectives soient le pur produit de nos influences extérieurs mais la vérité est plus complexe et se démontre dans ce que nous produisons. Si dans nos productions, le style et le mode de pensée de notre société transparaît inévitablement il s'agit toujours de quelque chose d'unique.

    Cela ne prouve pas notre capacité de libre-arbitre mais ce n'était pas le but. Cela prouve seulement que nous ne sommes pas des fourmis et que nous méritons un autre traitement que celui de simple rouage d'une mécanique complexe qu'elle soit la nature (le Dieu de Spinoza) ou la société.

    Conclusion de la conclusion

    Voilà, j'en arrive à ces conclusions. J'adhère à l'absence de libre-arbitre de l'Homme, à l'influence fondamentale de son environnement mais je m'oppose à son absence d'individualité. Je rejette, parce qu'elle ne me semble pas correspondre aux faits, une théorie moniste de l'Homme. Une théorie qui déterminerait une cause unique à toutes ses actions ne me semble pas viable.

    Enfin, je m'oppose à faire de l'Homme simplement le rouage d'une machine. Il l'est peut-être du point de vue de la machine mais il ne peut pas -et ne doit pas (eh oui la morale compte quand on construit un modèle philosophique)- être résumé à cela.

    Il ne faut pas oublier que la notion d'individu est une notion récente. Auparavant, l'Homme était perçu comme ce rouage et il était même à ce titre privé parfois de libertés. La notion d'individu a créée des dérives mais c'est elle également qui a permis l'avènement des libertés individuelles qui nous semblent aller de soi aujourd'hui. On peut remettre cela en cause, trouver un système efficace pour nier l'individualité, mais il faut quand même réfléchir aux gains et aux pertes de ce nouveau modèle.

  • "moniste" signifie bien "étant considéré comme un mode" au sens de spinoza ? (juste pour être sûr)

    On peut remettre cela en cause, trouver un système efficace pour nier l'individualité, mais il faut quand même réfléchir aux gains et aux pertes de ce nouveau modèle.

    Je crois que c'était justement le point de départ : quels sont les gains réels si la société ainsi construite est si inefficience qu'elle se cannibalise elle-même et toute la planète en quelques siècles ? A quoi aurons servit les avancées, si elles ne durent pas ?

    Mais sinon je pense que lordon utilise son concept non pas dans une vocation universaliste de tout expliquer avec un truc unique, mais plutôt pour en faire une raison principale, mais non unique. L'impression d'universalisme vient je le crains plus de ma manière d'en parler que de la sienne.

    Au sujet de l'homme séparé du tout, j'avoue que je ne suis pas d'accord, et je pense que ce n'est pas dans une volonté de réduire l'homme à plus simple qu'il n'est, mais plutôt de voir plus complexe qu'on ne le croit tout le reste. La fourmi par ex, ne créé pas d’œuvre littéraires, toutefois aucune fourmi ne réagira exactement de la même manière qu'une autre en face d'une problème identique. C'est pourquoi pour moi la seule différence entre nous et elles c'est juste un niveau de complexité. Quand j'étudie une fourmi et un humain, je vois infiniment plus de points communs que de différences.

  • "moniste" signifie bien "étant considéré comme un mode" au sens de spinoza ? (juste pour être sûr)

    Moniste signifie un seul. Ce qu'il faut comprendre ici c'est qu'on semble résumer la motivation des actions humaines à une seule chose : le Conatus (la puissance d'exister).

    Je crois que c'était justement le point de départ : quels sont les gains réels si la société ainsi construite est si inefficience qu'elle se cannibalise elle-même et toute la planète en quelques siècles ? A quoi aurons servit les avancées, si elles ne durent pas ?

    Tout le débat tournait autour de l'idée de société individualiste ou collectiviste. Si tu ajoutes l'écologie on ouvre un nouveau débat qui supposerait qu'on débatte sur de nouveaux présupposés (ex. : Une société individualiste est-elle forcément dépensière en énergie ?). Personnellement, je n'ai pas tellement envie de me lancer dans ce débat.

    Mais sinon je pense que lordon utilise son concept non pas dans une vocation universaliste de tout expliquer avec un truc unique, mais plutôt pour en faire une raison principale, mais non unique. L'impression d'universalisme vient je le crains plus de ma manière d'en parler que de la sienne.

    Quelque part je m'en moque de Lordon. Ce n'est pas avec lui que je débat et je ne lirais très certainement pas son livre. Mes réactions sont partis d'une phrase que tu as énoncé plus haut et qui disait "il n'y a pas de priorités personnelles dans cette théorie puisque nous sommes complètement le jouet de nos affects.". J'ai expliqué que je n'étais pas d'accord et pourquoi je ne l'étais pas. Je n'ai plus rien à dire dessus. J'ai donc clos le débat.

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