Le père Noël n'existe pas

Le père Noël n'existe pas


Le ciel est gris, parfois blanc. L''environnement autour de moi reflète des couleurs claires, pâles et mortes ; Ce paysage m’offre pour seule vue de l’eau figée, car le pont que je culmine ne me permet que de contempler cette rivière, qui semble avoir arrêté le cours du temps, comme pour tenter de me rendre mon image... Le vent porte avec lui quelques gouttes d’eau enveloppées d’une poussière blanche, elles caressent ma peau. Les arbres, si mes souvenirs sont exacts doivent avoir perdu avec leurs feuilles leur aspect bienveillant, et devraient paraître maintenant dépossédés. Mais des arbres où je suis il n’y a plus, de toute façon. Alors à quoi bon… Déjà le soleil amorce sa chute.

Renonçant à l''observation, je ferme les yeux et un flot de souvenirs m'envahit. Tant de choses si lointaines, si futiles désormais. Je me vois quelques temps plus tôt. Je m’éloigne peu à peu de cette source de froid que représente cette fenêtre, qui m’offre cette vue sur l’extérieur. Ma bouche collée à la vitre laisse des empreintes sur le carreau, et porte un voile sur le paysage. L’hiver m’a toujours captivé, obsédé presque. Lorsque les sœurs me racontaient les histoires que les parents racontent habituellement à leurs enfants, j’écoutais religieusement. Noël pour beaucoup était synonyme de cadeaux, pour moi c’était une partie de rêve qui pour quelque temps seulement devenait réalité. Autour de moi, des grandes personnes s’affairaient presque frénétiquement ; des visages défilaient à la fenêtre : des enfants, des parents, des enfants, des parents… La rue était bondée de monde à cette heure de la journée et tous ces gens de bonne humeur semblaient accomplir de vieux rites en partageant cadeaux et rires, c’était du moins ce qu’une grande personne m’avait expliqué.
Pourtant, le temps passait, la salle où nous passions presque la totalité de nos journées commençait également à revêtir ses habits de fête. Le rite venait s’accomplir jusqu’à notre maison, guirlandes et boules multicolores et lumineuses s’invitaient au coin d’une porte, ou le long d’une paroi. Et la cerise sur le gâteau vint lorsque l’on amena le sapin. Tout d’abord nu, il s’habilla progressivement, grâce à nos mains malhabiles. A la fin, notre sapin était le plus beau, il brillait de mille lumières, resplendissait comme aucun avant ne l'avait fait. C’était notre sapin.
Noël était vraiment un moment particulier, qui nous mettait sur le devant de la scène, nous qui étions le reste de l’année conviés aux seules vues des fenêtres, spectateurs attentifs d’une vie à laquelle nous n’avions pas droit. Là où je suis je ne peux sortir me promener, jeter de grands yeux sur les vitrines, nous sommes donc ici tous frères dans notre solitude, car nous avons tous une chose en commun, qui nous rassemble. Aussi, Noël est le moment rêvé d’oublier notre captivité présente, de se prendre à rêver et imiter ces gens que l’on voit dehors. C’est la première fois que j’assiste à cette fête, car je suis arrivé l’année dernière, aussi revêt-elle un accent particulier à mes yeux.
Soudainement, des voix viennent me tirer de mes songes. Me retournant, je vois tous mes camarades occupés à revêtir le sapin de ses habits de roi, dans une ambiance festive. Je me joins volontiers à eux, il faut que la préparation de Noël soit parfaite si on veut être récompensé par le vieil homme. Alors je m’active, il faut que tout soit parfait.

Plus tard, mes yeux avaient de nouveau rejoint l’extérieur, le carreau froid faisant office de barreau à ma cage décorée. Tournant la tête, je passais du regard l’ensemble de la pièce, désormais déserte. Le sapin par moments émettait une belle lumière multicolore, les guirlandes et boules foisonnaient pendus à ses bras. La pièce que nous avions décorée voilà près d’une semaine était parfaite. J’y avais veillé. J’étais seul maintenant, les autres devaient sûrement dormir. Pourtant, ce n’était pas l’attente qui avait motivé ma veille, c’était autre chose, cette forme de tristesse que l’on ne peut exprimer que lorsque l’on se trouve seul… A l’extérieur, la nuit avait brisé le joug du soleil et pour encore quelques heures affirmait sa supériorité sur ce monde, et sur ma ville. De celle-ci, je ne vois plus qu’une ombre, portée par ce réverbère qui résiste dans sa solitude. Silence et obscurité sont les seuls termes qui résonnent dans la nuit, dans ma nuit…Il est en retard.
De mes souvenirs, j’arrive à extirper quelques scènes, qui encore non identifiées me paraissent bruyantes, et brumeuses. Cette femme qui parle serait-elle la directrice de ce centre ? Non, elle est plus jeune, elle est moins joufflue et n’affiche pas ce rire forcé caractéristique... Elle est belle.

Revenant quelques jours en arrière, je me rappelais cetteangoisse. La date fatidique se rapprochait, chaque journée à attendre était pour moi insupportable. Les grandes personnes avaient insisté pour que je ne reste pas seul, comme je l’étais d’habitude, alors à ma grande indisposition j’entendais ces conversations qui ne m’intéressaient pas et à laquelle on me demandais de participer. Pourtant, le moindre bruit me ramenait à la fenêtre, et à ce carreau qui restait mon observatoire sur l’extérieur privilégié. Je voyais ces mêmes scènes de la vie quotidienne, la pièce jouée à l’extérieur était toujours la même, seuls les acteurs changeaient. Bientôt moi aussi, je serais l’un d’eux…
Mais le bruit de ces spectateurs inconscients à qui on refusait le moindre rôle m’offusquait, et finalement me fit totalement perdre pied de mes rêveries. Mes camarades du jour, excités par leur activité présente parlaient très bruyamment et gâchaient mon plaisir silencieux. Il fallait maintenant écrire au vieil homme. Les cadeaux, voitures, poupées, jeux en tous genres étaient au menu de cette carte incomplète à mes yeux. Car mon désir pour Noël avait depuis longtemps pris forme. Comme le temps passait lentement…

Mais la nuit toute puissante avait pris dans sa nasse la moindre parcelle de lumière ; le rideau était tombé comme on dit. La pièce était toujours déserte, comme résonnait le petit gong de cette pendule insomniaque. Quatre heures, et toujours rien ni personne n’avait daigné se matérialiser devant ce sapin, et mes souliers que j’avais ciré pour l’occasion. L’attente s’était \r\n peu à peu transformée en désespoir, désormais le rêve de Noël prenait fin dans un réveil douloureux.
Un soupir, et une inspiration, une larme qui se faufilait de mon œil à mon menton, un regard vers cet extérieur m’indiqua que la nuit maligne semblait me narguer, l’avait-elle pris dans sa nasse, lui aussi ? Cette dernière pensée fut celle qui me poussa à remonter me coucher, avec les autres. Faisant attention à ce que le moindre bruit de mes pas sur l’escalier ne fut perceptible, j’arriva finalement devant la porte surmontée de l’écriteau dortoir, que j’ouvris sans un bruit. Mes compagnons de chambre dormaient à poings fermés, leur visage détiré faisait apparaître une certaine forme de satisfaction. Pour eux, le rêve agissait encore.
Ce fut cette nuit-là que pour la première fois me revint mon rêve, qui me hante désormais chaque soir, depuis que je sais. Cette même jeune personne que mes songes n'avaient pas identifié, elle riait. Je n’avais pas perçu un si beau visage la première fois. La scène se passait à l’extérieur, cette belle femme était entourée par un homme, et un petit garçon qui me ressemblait étrangement. La femme se baissa prestement jusqu’à ce visage, qui devait être le mien, et me baisa le front. Je m’entendis alors, à ma grande stupéfaction ouvrir la bouche et crier à cette femme qui commençait à s’éloigner « Au revoir, maman ! ». Elle s’en allait en compagnie de cet homme qui lui parlait maintenant, ils semblaient heureux tous les deux. Moi je restais seul, dans ce qui semblait être un terrain de jeu, de nombreux autres enfants utilisaient les portiques pour se balancer, et courraient dans la neige, chacun essayant d’atteindre l’autre avec de petites boules formées avec ce lit blanc.
Les premières gouttes de cette substance que l’on appelle neige me caressèrent la joue, je détournais les yeux des personnes qui s’éloignaient pour les ramener à mon espace proche. J’étais à coté d’un arbre, garni comme tous ceux qui le précédaient de cette fourrure blanche, acteur de cette vie. A quelques dizaines de mètres de moi, le sol se renfonçait brusquement et les quartiers de ma ville étaient coupés par une rivière qui avait choisi de faire son lit en plein milieu des activités humaines.
Absorbé par mes réflexions, je ne vis pas la scène suivante qui me parvint uniquement par des cris et le silence ensuite. Un violent crissement retint tout d’abord mon attention. L''action se passait sur le pont qui enjambait la rivière. Une voiture sans doute, avait perdu le contrôle, freiné désespérément et avait enfoncé un autre véhicule. Quelques personnes s’attroupèrent rapidement autour de l’accident, la première sur les lieux lança un cri sourd que je n’oublierais jamais plus. Plusieurs véhicules s’étaient arrêtés, la voiture avait arrêté sa course sur l’accotement. Pressentant le pire, je regardais de tous cotés ou avait disparu cette jeune femme qui se dirigeait vers le pont quand je la perdis de vue. Je ne la revis jamais. Son visage, son rire me hante. Je sais. Je sais désormais que personne ne la ramènera, pas même ce soir particulier de Noël.

Après un long combat qui vit de nouveau le ciel tomber face à la nuit, une cloche retentit. Un, deux, …, douze… Minuit. En ce soir du 25 décembre, le froid accompagné de cette brise glaciale me frappe le visage et me ramène doulouresement dans ma réalité. Les caresses de mon enfance se sont transformées en brûlures. Déjà plusieurs heures que j’assiste une fois de plus au spectacle de la vie, comme les représentations s’espacent puis finissent, je repense à ces carreaux, qui furent un temps mon fauteuil privilégié, et à cet ultime espoir qui me vit croire en ce vieil homme joufflu et affublé d’une barbe blanche abondante, et au retour de cette jeune femme…
Peu de temps s’était écoulé depuis la fin de mon rêve, un an, jour pour jour. La vie était devenue impossible pour moi dans cet orphelinat, regarder aux fenêtres était pour moi une telle souffrance, savoir que jamais plus je ne vivrais ces scènes. Le quotidien des uns restera pour d’autres un rêve inaccessible. Profitant des allées venues liées à la préparation des fêtes, j’étais parti. Je n’y retournerais plus. Mais j''avais beau revenir sur le lieu de mon enfance, il n''y avait plus rien, si ce n''est ce cri qui me hante. J''avais beau regarder autour de moi, il n'y avait personne, personne pour me voir, m''entendre crier sur cette scène, si ce n''est mon écho.
Tel un acrobate, je me vis passer de l’autre coté des garde-corps. Tout en relâchant ma prise sur les barres, j’eus cette ultime pensée. « Le père Noël n’existe pas. »

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