Le pourrissement ou l'invasion de l'imaginaire collectif occidental

N'ayez pas peur, sous ce titre à rallonge se situe un passionnant sujet de débat !


Il y a peu, je gribouillais sur mes notes de cours une forme aléatoire qui ressemblait à peu près à ceci :

Aussitôt me vint la phrase : "Tiens, on dirait une botte elfique". Cinq secondes plus tard, m’apercevant de ma crise de stupidité, je me frappais violemment le visage à l'aide de mon bras gauche. Pourtant, depuis, j'ai réfléchi. Pourquoi ai-je pensé à un objet elfique aussitôt ?
En vérité, je vous le dis, j'ai maintenant pris conscience du pourrissement de notre imaginaire collectif par les Tolkienites. J'y reviendrai.

Créée au XIXe siècle grâce aux avancées technologiques comme les moyens de transport qui résultent en la réduction des distances, ou le développement de la presse, mais encore la concentration de mêmes populations dans un même lieu (usines), la culture de masse a rapidement créée de toute pièce un imaginaire collectif, c'est à dire un ensemble de références auxquelles ont accès tous les membres d'une même nation.
Ce rôle plutôt bénéfique a atteint son apogée, à mon avis, vers les années 1930. Après la Seconde Guerre Mondiale est venu l'envers du décor : la parution d'ouvrages à un rythme toujours plus soutenu, et le développement de l'industrie de la culture ou de l'édition, qui ont abreuvé le public de plus d'ouvrages qu'il ne saurait en lire.

L'enrichissement de notre imaginaire collectif s'est alors accru, notamment avec la reprise des univers fantastiques du cercle des Inklings, dont faisaient partie Tolkien et Lewis. Mais c'est, à priori, à la fin du XXe siècle ou au début du XXIe siècle que s'est opéré un changement majeur, notamment avec l'industrie du cinéma : celle-ci a repris certaines versions de ces univers pour les imposer. Les littéraires ont aussi pris part à cette uniformisation d'un seul et même univers fantastique, puisqu'il est difficile de tomber de nos jours sur bouquin fantastique où les elfes ne sont pas liés à la nature ou les trolls de grosses brutasses (Oui, j'ai des contre-exemples, vous aussi, mais admettez que l'immense majorité de la littérature fantastique se contente de cette version là des personnages peuplant leur univers).
Car, enfin, il me semble que le temps n'est pas si lointain où un troll, c'était ça :

"The Little Troll"

Aujourd'hui, un auteur prenant à contre-pied ces archétypes qui sont pour la plupart issus de Tolkien effectuerait un véritable suicide. Imaginez un bouquin qui commencerait par "Les trolls sont de petits êtres gentils...". C'est la faillite assurée pour l'éditeur. On le voit également dans les films.

Armure elfique dans The Elder Scrolls V: Skyrim

Même des jeux vidéos comme les Elder's Scrolls, qui font des efforts de ce point de vue (invention de leurs propres races, etc.) sont pollués par ces archétypes.
Finalement, c'est une des facettes de l'uniformisation de notre monde qui s'effectue chaque jour un peu plus. Car, enfin, aujourd'hui, on ne voit dans la créature "Troll" que la brute. Auparavant, il y avait aussi le petit être. L'un des sens aujourd'hui a disparu ; et bien malin serait celui qui ne représente pas un Elfe comme un être avec des vêtements aux formes effilées.

Je pense qu'on pourrait sans doute appliquer le même raisonnement à la science-fiction, mais je ne m'y connais pas assez pour l'affirmer moi-même.

Je sais que le Refuge compte de très sérieux aficionados de Tolkien (spécial dédicasss Bashar et Ivaldir wink), mais je pense aussi qu'on a à peu près tous un avis sur la question. Essayons, ensemble, de voir si ce problème existe ou non, et d'en déterminer les causes et les conséquences smile

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7 Commentaires

  • Selon moi le problème n'existe pas. L'imaginaire est immersif bien plus qu'invasif. La majorité des personnes que je fréquente ignorent ce qu'est censé être un troll. Les autres pensent que c'est un nain de jardin avec un bonnet rouge. À mon avis ton diagnostic ne porte que sur ta propre consommation/production de produits "culturels". Peut être est-il temps de te diversifier, de fuir le déjà-vu et la facilité du divertissement passif / interactif (pour moi interactif c'est encore trop assisté pour être vraiment actif).

    En arrêtant de te laisser aller au prêt-à-penser tu découvriras qu'il n'y a pas de pourrissement culturel si l'on sait fournir l'effort d'être acteur plutôt que spectateur.

  • J'aurai tendance à penser que la culture populaire ne retient effectivement que ce qui est à la mode et qui laisse le plus d'impact. Néanmoins la mode est éphémère par définition et donc la culture populaire voit sa définition changer avec le temps.

    Prend par exemple les Transformers, dans les années 80 on avait une certaine de ce à quoi ressemblait visuellement un Transformer, de nos jours avec les films de Michael Bay c'est une autre vision qui s'impose à la jeune génération. Cet exemple implique aussi par ailleurs que la culture populaire peut être différente d'une génération à l'autre.

    Finalement pour moi c'est plus l'histoire du courant et du contre-courant. Le défi des auteurs d'aujourd'hui (et d'hier ?) n'est-il pas justement de se réapproprier les mythes de la culture populaire et les faire évoluer ? Un autre exemple est la représentation des elfes dans Harry Potter qui, tu en conviendra, ne ressemble en rien à un elfe de Peter Jackson/Tolkien. D'ailleurs la vision du Seigneur des Anneaux entre Peter Jackson et Tolkien n'est-elle pas elle-même différente entre les deux artistes ?

  • J'aurais tendance à être d'accord avec la conclusion de SpiceGuid sur le fait que tu es le seul responsable de ton conformisme culturel.

    Ce conformisme culturel n'a d'ailleurs rien d'anormal ni surtout rien de récent. Dans conformisme il y a "confort", le confort de savoir que si tu parles d'un troll à quelqu'un, il va s'en faire la même représentation mentale que toi. Parce que si toi tu penses à un petit lutin poilu et que lui pense à un géant stupide, la discussion va rapidement prendre une tournure désagréable pour les deux interlocuteurs, et ça personne n'a envie que ça arrive.

    Du coup, plutôt que d'avoir à expliciter toutes les notions culturelles que tu évoques (et d'avoir à risquer le "mais je sais ce que c'est, tu me prend pour une cruche ?" ), tu vas naturellement adopter la représentation la plus courante, ou alors changer d'amis pour des qui ont les mêmes représentations culturelles que toi.

    C'est la même raison qui fait que les univers "originaux" des jeux vidéos se ressemblent plus ou moins, c'est pour rassembler le plus de joueurs possibles.

  • En tous les cas, tu ne peux pas, Izual, te reprocher de ne pas avoir pensé à autre chose, car nous sommes tous sans exception couvert des pieds à la tête des conventions, des codes... Enfin, on les partage avec des personnes qui nous ressemblent dans certains domaines. Faire évoluer les codes demandent de la réflexion, c'est-à-dire tout le contraire de ce réflexe. 

    Mais ce phénomène n'est pas nouveau, n'exagérons pas. Le cinéma est un moyen de transmission certes, m'enfin bien avant ça d'autres codes nous réunissent. Si je dis ces deux mots "les Dieux", l'image qui vient à l'esprit de la grande majorité des personnes, c'est celle de personnes musclées et bien sculptées, certains tenant un éclair à la main à la rigueur, regardant les autres de haut. A quel moment peut-on les voir petits, poilus, avec une voix fluette et parlant sur un style "putain d'ta mère, je vais t'niquer !" ? Les codes, c'est ce qui nous unit tous, ça s'appelle la culture.

    PS : Skyrim, c'est le Ve Elder Scrolls

  • Ah bon ? Un troll c'est pas un débat volontairement provoquant aboutissent rapidement sur un point Godwin ? scratch

  • Ah je suis bien content d'avoir suscité quelques réactions avec mon  tr-- sujet titré peut-être un poil trop subversivement.

    En lisant les réactions, je note tout de même deux pistes de réponse :

    • Cette uniformisation existe, jusqu'à un certain point seulement. Elle peut être faussée par le fait qu'on ne fréquente que des gens qui nous ressemblent (pas bête).
    • Il ne tient qu'à nous de nous en échapper.

    Globalement, je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit. Pourtant, si on reconnait que cette uniformisation existe, il faut aussi la déplorer - c'était mon but en créant ce topic. Comme dit dans le premier post, plus personne ne prend de risques en s'écartant de ces stéréotypes établis principalement par le cinéma (Mais, en disant cela, je ne peux m'empêcher de songer à des univers comme AD&D qui ont du faire beaucoup de mal à la diversité des visions du monde fantastique).

    Il ne tient qu'à moi de m'en affranchir afin de réussir à ne pas voir dans ce gribouillis une botte elfique. Certes. Pourtant, c'est marrant, mais quand j'emprunte un bouquin de fantasy au hasard à la bibliothèque je tombe toujours sur les mêmes univers, grosso modo. Un auteur habile changera les noms des races, mais globalement il reste difficile de bousculer ces codes.

    Aka a écrit :

    D'ailleurs la vision du Seigneur des Anneaux entre Peter Jackson et Tolkien n'est-elle pas elle-même différente entre les deux artistes ?

    Sans doute, mais elles se ressemblent tout de même. Au fil du temps, et grâce à un média qui le permet beaucoup plus, l'une s'est imposée sur l'autre.

    Dragoris a écrit :

    PS : Skyrim, c'est le Ve Elder Scrolls

    Oups ! Corrigé.

  • Izual a écrit :

    Comme dit dans le premier post, plus personne ne prend de risques en s'écartant de ces stéréotypes établis principalement par le cinéma 

    Je ne suis pas d'accord sur cette généralisation un peu abusive tu en conviendras. Si au cinéma tu as l'impression de voir tout le temps le même univers héroïc-fantasy, c'est parce que les films plus originaux sont moins promus et surtout moins populaires.

    Même chose pour les livres, pour trouver des histoires vraiment originales, il faut savoir passer à côté des évidences (comme les livres de la série Bragelonne par exemple) pour avoir une chance de tomber sur des univers plus originaux.

    Mais attention, plus original ne veut pas dire que tu vas forcément aimer. Je suis un peu tombé des nues à la dernière AGCon quand j'ai appris que Dragoris et Ivaldir s'étaient tous les deux intéressés à La Horde du Contrevent en lisant mon article, mais qu'ils avaient été rebuté par l'écriture au point de laisser tomber la lecture rapidement. Alors que pour moi c'était justement le style d'écriture original qui justifiait sa lecture. De même, on m'a prêté les deux premiers tomes du cycle des Princes d'Ambre de Roger Zelazny, mais je n'ai pas vraiment accroché à cet univers pourtant très original.

    Comme je le disais plus haut le conformisme tient du confort, tendre vers l'originalité c'est se mettre en danger. Dans le cas des oeuvres culturelles, c'est se mettre en danger de ne pas apprécier le film ou le livre qu'on a choisi, et ce n'est pas toujours agréable parce qu'on a l'impression d'avoir perdu du temps. Avec un univers familier on sait au moins à quoi s'attendre de ce point de vue-là.

    Aka Guymelef a écrit :

    D'ailleurs la vision du Seigneur des Anneaux entre Peter Jackson et Tolkien n'est-elle pas elle-même différente entre les deux artistes ?

    Pour ma part, la vision du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson m'a frappée tant elle était quasi-identique à la vision que je m'étais faite de l'univers en lisant les livres quand j'avais 14 ans. A cet âge je ne crois pas que j'avais été encore trop pourri par le conformisme, je découvrais complètement la fantasy, mais les descriptions de Tolkien étaient si chiantes détaillées que l'image conçue était sans doute identique pour tous ceux qui ont lu les bouquins, construisant de fait la conformité.

    Alors oui on peut reprocher au cinéma de tuer tout imaginaire en imposant une certaine représentation à certains univers, mais dans ce cas-là c'est Tolkien lui-même qui a forcé cette représentation en ne laissant au lecteur aucune latitude d'imagination.

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