Je suis en train de lire Swarmwise écrit par Rick Falkvinge, le fondateur du Parti Pirate suédois. Il décrit comme "swarm" ou "essaim" l'organisation militante qui a permis en quelques années d'élire des représentants au Parlement Européen. Bien qu'ayant une structure très souple, Falkvinge insiste qu'un essaim a besoin d'un leader pour prospérer. Je m'attends à ce que ce soit la raison pour que Nuit Debout ne devienne pas une force politique significative à moyen terme comme le Parti Pirate suédois a su devenir.
Je voudrais tout d'abord annoncer en préambule que je ne suis pas opposé aux actions de Nuit Debout, dont la sensibilité politique générale semble proche de la mienne. Je souhaiterais même que Nuit Debout prospère sous cette forme, mais je ne peux m'empêcher d'être pessimiste.
Qu'est-ce qu'un essaim ?
Selon Rick Falkvinge, un essaim est une organisation militante partant de zéro dont le but à terme est de changer le monde pour le mieux. Attirés par ce phare idéologique, des sympathisants et des militants peuvent rejoindre en masse le mouvement et participer comme bon leur semble. Cependant, bien qu'il soit crucial que les militants ait toute latitude pour dépenser leur temps libre pour la cause, l'auteur insiste que le mouvement a besoin d'une direction qui part d'un point focal, le fondateur qui peut ensuite déléguer la responsabilité d'animer les branches locales à un cercle d'officiers qui peuvent également déléguer l'animation à des sous-officiers si la taille de leur branche locale dépasse une masse critique.
Au-delà de cet organigramme souple, l'essaim a pour but principal de responsabiliser les militants. Ils ont le pouvoir de décider quoi faire dans l'intérêt de l'essaim. Bien sûr, les militants peuvent se regrouper pour effectuer des actions à grande échelle, et le rôle des officiers est de faciliter cette coopération entre militants, voire entre branches, mais pas de la décider en premier lieu. Cette approche participative évite les écueils traditionnels de la gestion hiérarchique classique comme l'attribution de budget ou la validation obligatoire par les différents échelons administratifs avant que quoi que ce soit ne soit entrepris.
Même sans rôle de gestionnaire opérationnel, le rôle du fondateur est important pour établir un exemple et pour répéter régulièrement non seulement le but principal de l'essaim mais aussi les jalons intermédiaires mesurables que l'essaim doit franchir de lui-même. Dans les premiers temps d'un essaim, le fondateur est un bon point focal pour les relations presse pendant que les activistes s'organisent d'eux-mêmes.
Quel rapport avec Nuit Debout ?
De ce que j'en ai vu jusqu'ici de ses 20 jours d'existence, le mouvement Nuit Debout ressemble plutôt bien à un essaim tel que Rick Falkvinge le décrit. C'est un mouvement activiste parti de rien avec le but clair d'empêcher la loi Travail promue par l'actuelle ministre du Travail, Myriam El Khomri, d'être votée. Initialement lancée sur la place de la République en marge de la manifestation contre la loi Travail du 31 Mars par François Ruffin, le rédacteur en chef du magazine Fakir, le rassemblement grossit de jour en jour, et les moyens de communication s'organisent, non seulement sur la place publique, mais aussi sur Internet.
Et même si les noms de François Ruffin et de Frédéric Lordon, un chercheur en économie au CNRS, reviennent régulièrement dès qu'il s'agit de Nuit Debout, aucun ne veut en assumer la direction. De ce que j'ai vu, c'est même censé être une qualité de ce mouvement qualifié "d'horizontal". Et cela se comprend parfaitement vu que le mouvement est né de la contestation du gouvernement et des partis politiques, fortement hiérarchisés jusqu'à l'exemple le plus fort de la direction politique nationale, le président de la République Française.
Toutefois, je pense que c'est une erreur de rejeter complètement le concept de fondateur. Car si pour l'instant, le but de Nuit Debout est clair, une fois la loi abandonnée ou votée, le mouvement devra trouver un second souffle. Et qui pourra lui donner sinon les deux figures principales qui ont refusé d'incarner le mouvement ? D'autre part, avant la constitution d'un éventuel parti politique, je pense qu'il est avantageux de disposer d'une personne qui incarnerait Nuit Debout afin de promouvoir facilement le message via les moyens de communication classiques comme la radio, la télévision ou encore les journaux. Si un site web peut se permettre d'être anonyme, comme le site officiel de Nuit Debout, en revanche les médias traditionnels ont besoin d'un invité, d'une voix ou d'une interview pour travailler le plus efficacement possible.
D'autre part, l'absence de direction claire, même sans organisation hiérarchique rigide, rend le mouvement Nuit Debout vulnérable à la calomnie et à l'éventuelle récupération. Ainsi, le nom de domaine nuitdebout.fr a été acheté par une société de communication parisienne nommée RAIZ qui a également créé les pages Facebook et Twitter au même nom. La société plaide évidemment la bonne foi, mais prend quand même soin de ne pas diffuser de slogans politiques via les comptes sociaux qu'elle administre. Au-delà, il n'y a pas de coordination au niveau national ce qui brouille le message pour ceux qui ne participent pas directement et fournit une cible facile pour ceux qui sont opposés au mouvement.
Conclusion
Le relatif succès initial du mouvement Nuit Debout est tout à son honneur, mais la route s'annonce incertaine et tortueuse au-delà de l'objectif initial du retrait de la loi Travail. Je suis personnellement convaincu que l'absence totale de direction est, sinon une erreur, au moins une occasion manquée de pouvoir définir des objectifs clairs à moyen et long terme et d'éviter certains écueils actuels (accrochage avec Alain Finkielkraut, degâts matériels en marge des manifestations) qui me paraissent évidents.
(Bannière et vignette issue d'une photo non créditée publiée sur la page Facebook officielle de Nuit Debout, utilisée sans permission)
D'après ce que j'ai lu ce n'est pas le cas. Nuit debout est encore plus iconoclaste que tu le penses puisqu'elle n'a pas de point focal clair autre que de réfléchir à un autre monde possible. En fait, je pense que Nuit Debout est mal comprise. Compte tenu de son optique, de ses méthodes d'actions et de son organisation, il ne s'agit pas d'un parti politique en devenir. Il s'agit à la fois d'un laboratoire d'idées (think tank) et d'un lobby populaire.
P.S. Et c'est Frédéric Lordon
Oui de ce que j'ai compris ça a plus l'air d'être une espèce de "forum populaire" pour trouver des idées.
Dans ce cas là ça peut être pérenne : ce n'est pas un quelconque parti politique qui cherche à se faire élire. Des partis politiques peuvent émerger de Nuit Debout mais c'est pas Nuit debout le parti.
Je pense surtout une chose, c'est que le type de mouvement qu'est Nuit Debout n'est pas adapté à l'univers des médias, à qui il faut absolument un truc qui rentre dans le cadre, sinon ils ne savent pas quoi en dire. En l'absence de porte-parole, les journalistes traditionnels ne peuvent faire que deux choses : décrire de façon neutre ce qu'il s'y passe (ça, on a vite fait le tour, et il faut bien meubler), et répéter comme des perroquets les réactions des politiques, qui ne voient pas cela d'un bon œil.
- D'un côté nous avons les Républicains, qui n'aime pas par essence même la notion de mouvement social, et qui préfère que les travailleurs soient dociles ;
- De l'autre nous avons le Parti Socialiste, qui n'aime pas le fait qu'une contestation naisse contre son projet de loi, mais qui ne peut pas prendre le risque de revendiquer être contre ce mouvement, sans quoi ce serait tourner le dos aux jeunes (qui votent en majorité à gauche).
Je pense que Nuit Debout va probablement mourir peu à peu, sans doute au bout de quelques mois (peut-être avant si les autorités le décident, en prenant un fait divers comme référence). Mais je ne confonds pas la mort de Nuit Debout avec une absence de pérennité, c'est tout le contraire : je pense que Nuit Debout va simplement muer et se transformer après une période de silence, pour devenir quelque chose d'autre. Sans doute faudra-t-il un an, ou quelques années. De la même façon que le mouvement des Indignés en Espagne, né en 2011, s'est réincarné en 2015 dans le parti politique Podemos. Les Indignés n'ont pas tout de suite modifié le pays, mais elle a créé trois ans plus tard une force capable de le faire.
Mais dans un premier temps, Nuit Debout est avant tout un lieu où se réunissent des gens partageant une même idée, celle que le travail ne doit pas se tourner vers le capitalisme façon El-Khomri. En second plan, il y a également un rejet de la politique en France en général. Et ce mouvement a un effet : c'est une lueur d'espoir pour ceux qui sen pensaient davantage seuls que cela.
Je veux dire : les médias relaient sans arrêt le même message, celui des économistes libéraux : il faut plus de flexibilité, plus de compétitivité, coûter moins cher, travailler plus... C'est sans fin. Et là, voilà que l'on se rend compte que l'on n'est pas le seul à trouver tout cela débile : des milliers de gens à Paris se réunissent parce qu'ils pensent eux aussi que c'est du n'importe quoi et que tout le monde rêve d'un autre monde. Je pense sincèrement que cela crée un élan et une motivation pour tout un chacun. Ce qui est sûr, c'est que cela a eu cet effet sur moi en seulement une heure de temps passé là-bas, et je suis certain qu'il en va de même pour beaucoup.
Edit : je viens de tomber sur ça
D'accord avec Dragoris.
Nuit Debout ira sans doute se coucher et c'est probablement sans importance puisque le principal est déjà fait : crier haut et fort que les macronades ça n'est pas la gauche que le peuple veut.
Après comment ça peut s'incarner politiquement c'est une question plus problématique.
D'une part il faudra dépasser les antagonismes qui ont forgé les partis anti-capitalistes actuels (le stalinisme a fait le PC,le trotskysme a fait Lutte Ouvrière,l'écologie a fait EELV).
D'autre part il faudra répondre à de vraies questions d'actualité :
Quelle économie dans un marché de la dette ? Faut-il continuer à vendre notre avenir ?
Quelle démocratie dans un monde financiarisé ? (Car il ne suffit pas de gagner dans les urnes)
Croissance durable ou décroissance ?
Uberisation. Réfugiés.
Faute de quoi on aura droit nous aussi à notre révolution conservatrice.
La version politique de ce mouvement serait un truc du genre NPA, un parti de contestation qui ne souhaite pas prendre les commandes d'une machine dont ils remettent en cause tous les rouages.
Le fait que Philipe Poutou représente +/- ce partit en dit long, aucune de ces réponses n'apporte de l'eau au moulin télévisuel, si bien que la plupart du temps les grands médias se rabattent sur Olivier Besancenot alors qu'il n'a plus aucune responsabilité ... Il doit donc sans arrêt se présenter en tant que "simple militant".
Le risque d'une hiérarchie dans un mouvement "libre" c'est que cela va de fait dénaturer ce mouvement. En fait il serait plus judicieux que les gens puissent se concerter au niveau local sous forme de micro-cellule et que ces cellules communiquent entre elles directement, c'est ce qui se passe dans certains pays pour faire avancer la sensibilisation des gens sur la question de l'énergie renouvelable.
Sauf que le sujet traité est loin de toucher la masse, tout simplement car il y a un grave problème d'éducation sur toutes ces questions. Les jeunes qui bossent avec moi ne savent pas vraiment d’où provient l'argent de leurs salaires, ils se contentent du fait que ça tombe tous les mois ...
L'autre problème est, je pense, une incompréhension totale de ce genre de manifestation populaire. C'est en dehors de leur logiciel du coup ils ne savent pas quoi en faire. Au lieu de surveiller attentivement ce qui pourrait émerger de ce mouvement, ils préfèrent le discréditer. C'est plus sûr.
Ma première réflexion à la lecture du billet était la même que cathaséris et martin_zepigue : la contestation de la loi est un prétexte déclencheur, mais pas la raison d'être du mouvement. Quel serait alors cette raison d'être ? Pourquoi les gens qui sont là-bas y sont ?
Je pense que c'est parce qu'ils veulent un nouveau contrat social et politique. Et cette raison d'être là n'est pas née avec nuit debout : elle prend ses sources dans les échecs du système précédent à accomplir ce qu'il prétendait accomplir. Ce mouvement l'incarne en ce moment, mais il n'est pas le seul, et il va forcément muter en autre chose, mutation qui dépendra aussi fortement de la manière dont ce qu'il y a en face "l’accueille".
Les citoyens essayent de se réapproprier leur souveraineté, parce qu'ils trouvent de moins en moins légitimes ceux à qui ils l'ont normalement cédé (Bon évidemment, tous ne le diraient pas comme ça, dans une manière très "Lordonnienne").
Sur une prospective à assez long terme (deux générations) moi je vois ce nuit debout comme une des bulles du bouillonnement issus de la décomposition des état-nations du 20è siècles, qui vont se recomposer en entités régionales un peu plus petites (avec diverses variations géographiques). Et ça m'étonnerais beaucoup que ces recompositions évitent la case guerre civile, qui sans nations bien claires sera mondiale, et qui a d'ailleurs déjà largement commencé. Pourquoi je pense qu'on n'évitera pas cette case ? Parce que même à l'échelle d'une province-région, 50% de souveraineté accordée au pouvoir en place par la moitié des gens qui ne veulent pas changer, ça suffit à financer beaucoup de munitions, et que par ailleurs, la résolution non violente de conflits ne fait pas vraiment partie des points forts de notre culture pédagogique (tout spécialement en france).
Si c'est un mouvement aux buts encore plus flous que ce que je croyais, alors je donne encore moins cher de sa peau, surtout s'il n'y a pas de leader et des votes à la majorité. Ceci est un autre point que Rick Falkvinge aborde dans son ouvrage, la démocratie ne fonctionne que si ses participants n'ont pas le choix de quitter la structure qui met en oeuvre des moyens démocratiques de décision. Dans le cas contraire, tout vote génère de la division palpable car ceux qui s'estiment déçu du résultat d'un vote quelconque peuvent juste abandonner le mouvement. Avec un vote à la majorité absolue, cela peut créer jusqu'à la moitié de déçus, et cela peut sévèrement handicaper un mouvement qui ne peut compter que sur le bon vouloir de ses membres.
Enfin, réfléchir, discuter, imaginer de nouvelles façons de voir les choses, c'est bien beau, mais sans le pouvoir politique pour les mettre en place, ce n'est rien de plus que du vent. A partir de là, il y a deux manières d'opérer, via les urnes ou via les armes, et les deux me semblent improbables pour la suite de Nuit Debout. Dans un cas, il faudrait constituer un parti politique, ce qui étoufferait lentement mais sûrement toute volonté de réforme globale en devant se plier au système actuel, et dans l'autre la logistique n'est clairement pas de leur côté.
Plus tu écris Ertaï, plus je me demande. Depuis quand es-tu devenu un vieux con ?
"Ce truc-là, je connais pas, je comprend pas. Ca reconnaît pas les codes. Ca rentre pas dans la norme. Ca marchera pas." Que ta prédiction soit vraie ou non, le simple fait que tu te poses la question en ces termes pose problème.
C'est un mouvement populaire d'un certain nombre de personnes qui tentent de faire les choses autrement parce qu'ils ne veulent plus du système actuel. Alors avant de te faire oiseau de mauvaise augure, commence peut-être par éveiller ta curiosité.
Je suis supris que tu poses cette question. J'ai toujours été un vieux con. Je n'empêche juste personne de faire ce dont je n'ai jamais eu l'occasion, à savoir passer sa jeunesse. Je sais maintenant trop de choses pour m'attendre à ce qu'un tel mouvement aboutisse à quoi que ce soit dans un pays tel que la France sans une extraordinaire débauche de violence. Note que ce n'est pas mon souhait. Je préfère vivre espionné et soumis à mon patron que mourir dans une insurrection. D'autre part, je pense que cette hypothétique débauche de violence n'arriverait que par un extraordinaire concours de circonstances malheureuses dont j'espère que la France passera à côté, au contraire de la Grèce ou de l'Ukraine. Mais ces deux derniers exemples me rappellent si besoin il était qu'un pays peut basculer dans le chaos pour les plus nulles des raisons.
Je n'ai pas l'impression d'avoir besoin d'éveiller ma curiosité dans le cas de Nuit Debout parce que je sais déjà ce dont ils parlent, et je suis déjà d'accord sur les grands principes. Ne pas discriminer quelle que soit la raison, mettre en place le revenu de base, renverser les politiciens à la botte des entreprises privées, instaurer une démocratie liquide, limiter la consommation de ressources naturelles, etc... même si pour un certain nombre de militants c'est une découverte pour moi c'est du connu depuis plusieurs années, et je sais aussi que ces idéologies peuvent être corrompues plus ou moins facilement.
Du coup je trouve cela chouette que des gens se rassemblent sur la place de la République et ailleurs pour agiter les mains devant des speakers qui prêchent des convaincus (ou des qui se découvrent convaincus, ce qui est une bonne nouvelle), je trouve cela chouette qu'il y ait des sites webs, des chats, des outils en ligne de démocratie directe autour du concept, mais il manquera toujours une certaine légitimité territoriale et une vraie capacité à changer les choses. Par exemple l'existence de la "Commission Constitution" me fait sourire tristement. Je ne doute pas qu'ils discutent de sujets drôlement intéressant, mais je ne m'attends pas à ce que le résultat de leur travaux soient appliqués un jour sauf cataclysme que je ne souhaite pas non plus.
Parce que le fait est qu'en France le gouvernement n'a pas besoin d'une réelle légitimité populaire. En prenant en compte l'abstention, le vote blanc et ceux qui refusent/oublient de s'inscrire/voter, ce sont seulement 30% des Français qui ont effectivement déposé un bulletin portant le nom de François Hollande dans les urnes, mais même parmi ceux-ci tous n'ont pas voté "pour" François Hollande pourtant. Donc tant que le nouvement Nuit Debout ne rassemble pas plus de 18 millions de Français, la mascarade électorale continuera, et cela semble très bien parti pour 2017 avec le retour du retour du retour de Nicolas Sarkozy qui a plus de casseroles judiciaires que d'années à gouverner la France, Emmanuel Macron qui voudrait bien lancer son mouvement populaire pour sa tronche, le FN en éternel chien d'attaque qui ne voudrait surtout pas qu'on lui retire sa laisse, et le PS pris en porte-à-faux avec une politique gouvernementale résolument de droite, ce qui achève de rappeler que la politique gouvernementale n'a qu'un lointain rapport avec la couleur politique du Président de la République élu au suffrage universel direct.
Donc oui, je suis un vieux con, mais cela ne veut pas dire que j'ai tort. J'aimerais bien avoir tort sur ce coup, note, mais cela ne me semble pas honnête intellectuellement étant donné les connaissances dont je dispose. Et tu sais bien que j'ai horreur de la mauvaise foi.
"Je sais déjà ce qu'ils se disent." "Je sais déjà que ça ne va pas marcher." C'est de la paresse intellectuelle. Si tu sais déjà alors tu n'as plus à réfléchir, tu n'as plus à t'intéresser.
C'est vrai, tu as toujours été un vieux con. Au lieu de vivre l'instant, tu analysais. Au lieu de faire parler des passions, tu rationalisais. Mais maintenant tu es passé à l'étape suivante. Tu t'es enlisé dans tes propres conclusions, tes propres certitudes. Tu ne vois plus le monde qu'en cochant des cases déjà préconçues. Tes réactions sur mes dernières lectures m'avait déjà fait douter mais maintenant j'en suis sûr. Tu ne lis plus, tu n'analyses plus. Tes réflexions tournent en boucle autour des mêmes repères, fermées à la nouveauté, au changement. Ta curiosité est morte.
Cela explique aussi tes faiblesses argumentatives de plus en plus flagrantes et ton indolence à les combler. Ca ne t'intéresse plus de construire une réflexion convaincante. Tu es déjà convaincu. Le fait que tes idées soient arrêtées, les rendent de fait inintéressantes car paresseuses. Ton opinion perd de la valeur car elle est construite autour de tes idées préconçues de la chose et non de la chose elle-même.
Tout ça doit bien te convenir. Tu t'es fais ton opinion sur le monde, tu n'as plus à le comprendre. Tant mieux pour toi. Tant pis pour les autres. Un conseil seulement. Arrête d'écrire, tu verras que ça ne te sers plus.
J'te trouve vachement agressif vis-à-vis d'Ertaï, Cat.
T'as sans doute raison, mais que se passera-t-il si l'avenir prouve qu'Ertaï avait parallèlement aussi raison ?
Moi aussi je te trouve hyper agressif Cath, ça n'a pas lieu d'être je trouve.
Je n'ai pas l'impression que Ertaï soit "un vieux con". Emprunt de cynisme, peut-être (dans un sens non-péjoratif), sans doute dû à des désillusions, mais ça ne justifie pas de tels propos tout de même.
Bref, passons à autre chose.
Le Bashar a écrit :
Je ne pense pas que ça puisse se faire. Déjà que les nations peuvent écrasées par d'autre nations, et assez faibles face à des transnationales, qu'en sera-t-il si elles éclatent au profit de plus petites régions ?
J'aurai aimé ne pas être la 3ème personne à commenter sur ce sujet mais je ne ressens pas la fermeture d'esprit que Cathaseris attribue à Ertaï.
De savoir qui a raison, ou qui a tort m'importe peu, je trouve que les arguments sont pertinents dans les deux camps, j'ai l'impression que le seul conflit vient de l'interprétation de Cathaséris de la manière de penser d'Ertaï.
Je pense qu'il te serait intéressant de chercher à comprendre pourquoi les arguments d'Ertaï (ou même les interventions d'autres réfugiés car ce n'est pas la première fois) ont pour conséquence des réactions aussi aggressives de ta part, Cathaséris. Pourquoi te sens tu offensé et obligé d'insulter les personnes qui, dans l'expression de leurs opinions sur ce site, ne possèdent pas la richesse d'argumentation que tu attends d'eux ? Est-ce que je me trompe ?
Vu sur un tronche en biais : ce qui semble évident n'est pas forcement vrai, le plus important c'est l'esprit critique
Concernant la réaction de Cathaséris, je penche pour l'option "réanimation musclée". C'est le scénario le plus bienveillant à mon égard de ceux que j'envisage. Dans ce contexte, je comprends sa colère parce que je l'ai ressentie aussi après mon flagrant échec argumentaire sur Homo Rationalis. J'ai été tellement frustré de constater le manque d'agilité de mes pensées à ce sujet-là que j'ai même préféré quitter le débat de honte. Je ne saurais pas dire si j'ai vraiment changé, j'ai plutôt l'impression que je ne parviens pas aussi bien qu'avant à masquer des faiblesses argumentaires structurelles sous un vernis linguistique chatoyant. Principalement parce que je m'en rends compte moi-même et que cela m'horripile, et puis peut-être aussi que j'ai fait le tour des sujets que je pouvais aborder superficiellement, et quand il faut rentrer dans le fond, il n'y a plus personne.
Si on est effectivement dans ce scénatrio-là, j'imagine que Cat a sorti les électrochocs et tente de me réanimer ou plutôt de me ramener à un état antérieur qui nous convenait sans doute mieux à lui et moi. Comme un secouriste tentant le tout pour le tout, Cat n'hésiterait pas à filer des bourrades juste pour obtenir une réaction vu que ses méthodes plus douces n'ont pas fonctionné jusque là. Et Dieu sait qu'il a été patient avec moi. Atterré devant un Ertaï qu'il ne reconnaît pas et n'a plus rien en commun avec, il n'aurait cure de retenir ses coups. Est-ce que j'ai bon ?
Les autres scénarios que j'imagine ne méritent quand à eux aucun commentaire de ma part.
Oui. Tu crois que ça va servir à quelque chose ?
Tu es mon seul lecteur tu sais. Sans toi, je n'écrirais sans doute plus.
Je suis à la fois désolé et honoré de l'apprendre
Ertaï a écrit :
J'expérimente personnellement des méthodes de prise de décision sans chefs et sans votes, et qui peuvent donner de très très bons résultats (bon c'est pas garanti non plus ). D'après ce que j'ai compris, il y a dans nuit debout des gens qui connaissent ça aussi, je ne vois pas pourquoi ils ne s'en serviraient pas. Le vote, et tous les désordres qu'il entraine, font je crois partie de ces choses que nuit debout cherche justement à faire évoluer.
Au sujet de la légitimité du gouvernement, pour moi elle vient moins de la faible proportion de votants que du fait que la quasi totalité de la population respecte les grandes lignes du système de taxation qui traduit concrètement "je te donne mon pouvoir". Les moyens d'agir ne viennent pas des urnes, ils viennent du fric.
Dragoris a écrit :
Je ne suis pas sûr de bien comprendre ta question. A défaut, je te propose de regarder ce qui se passe dans tous les endroits où cette décomposition est déjà en cours ? Il y a des tas de pays qui existent toujours sur nos cartes mais qui n'existent plus dans les fait depuis des années.
Même en Europe, la majeure partie des frontières n'ont même pas un siècle.
Ce qui nous paraît solide et immuable ne l'est pas toujours vraiment.
Pourrais-tu être plus clair sur ton point de vue ? J'ai dû comment le morcellement en entité régionales pourrait mener à la disparition de l'état-nation. Les désirs independantistes des régions comme la Catalogne, l'Ecosse, la Flandre ou la Corse entre autres ne s'accompagnent pas du tout de la remise en cause de l'état en tant que régime politique (ni même de la nation dont ils sont rattachés). Au contraire, ce que veulent les indépendantistes s'est fonder un nouvel état.
De même, j'ai pas l'impression que la décentralisation française se dirige vers ça. J'ai d'ailleurs plutôt l'impression que l'état traîne les pieds pour transférer les compétences et les moyens aux régions. Mais c'est une situation propre à la France. Beaucoup de pays fonctionnent sur un principe d'un état fédérant des entités plus petites (les Etats-Unis, l'Allemagne...) et, c'est peut-être un manque de connaissance de ma part, mais j'ai pas l'impression qu'il y ait une remise en cause nouvelle et fondamentale de cela.
J'ai plutôt l'impression que la remise en cause de la souveraineté des états va se faire par le haut via des entités inter-nationales ou supra-nationales voire même mondiales. Peut-être est-ce là encore une conviction née des influences science-fictionnesque (comme Star Trek) et de mon absence de connaissances à ce sujet...
Pourrais-tu donc éclaircir ton opinion et expliquer également comment tu fais le lien entre cette conviction et nuit debout. En effet, dans tout ce que j'ai pu lire et entendre sur le mouvement, je n'ai pas entendu parler d'une prise de position forte autour de ce sujet.
Je vous ajoute ici un extrait du communiqué (très chouette) "Construire l'hacienda, brûler les palais" de la Commission Construction de Nuit Debout qui explicite bien ce que je pense, à savoir que Nuit Debout est plus un espace de dialogue qu'un "mouvement activiste".
Pour le coup je suis au moins aussi sceptique qu'Ertaï sur les débouchés possible (mais d'un point de vue un peu différent puisque je serai plutôt favorable à une réponse insurrectionnelle plutôt qu'au maintient de la situation actuelle, déjà extrêmement violente). En effet, il me semble que le courant démocratique "all inclusive" comme le dirait Lordon, achèvera le mouvement à coups de "désolidarisations" des actions de "l'ultra-gauche".
J'ai l'impression que l'on ne pourrait parvenir à un morcèlement géographique qu'à une seule condition : que le coût prohibitif de l'énergie rende le transport et la communication longue distance très difficile. Dans le cas contraire, je suis plutôt d'accord avec Cath, on va plutôt vers un regroupement géographique dont Internet facilite le rapprochement et la gestion. La souveraineté des états est déjà actuellement remise en question notamment par l'OMC et le FMI. Les accords commerciaux négociés en secret comme ACTA et plus récemment TAFTA/TTIP —qui accorderait effectivement plus de pouvoirs aux tribunaux internationaux de commerce qu'aux différents gouvernements — sont une récente manifestation de cette tendance à l'agglomération mondiale.
Je vais essayer de préciser ma pensée. Dans mon esprit, si les nations du 20 ème siècle réduisaient leur superficie géographique, elles n'en changeraient pas pour autant de nature. Donc effectivement, elle ne "disparaissent" pas. C'est plus une mutation qu'un changement de paradigme sur le concept même de nation ou d'état, ou sur le fait de continuer à donner souveraineté à un organisme quelconque pour agir à notre place. Le fait que ces entités soient plus petites n'est qu'un impératif thermodynamique car au delà d'une certaine taille l'autonomie entre ressources consommées et produites n'est plus possible, et donc si elle est dépassée, ça ne peut pas durer.
cathaséris a écrit :
Pour moi ça n'est pas un futur, ça c'est un passé. La souveraineté des états a déjà été remise en cause par celle d'organismes supranationaux non mandatés. La grèce en a fait les frais, le brésil c'est en cours, et ma foi la france aussi tant que tout ce qu'on nous propose c'est la politique dictée par certaines instances européenes à qui nous n'avons donné aucun mandat. Et je ne parle pas des pays plus petits ou plus éloignés dont on se fiche pas mal chez nous.
Sinon je n'ai pas de lien à proposer entre cette vision et nuit debout, à part que pour moi elles prennent leurs racines au même endroit. Je note toutefois la grande violence sous-jacente aux discours que hindelstark a mis en lien, et qui me semble tout à fait illustrative, et confirmer mes craintes que le conflit actuel a peu de chance d'aboutir à une résolution autre qu'un simple rapport de force.
Je trouve qu'il y avait infiniment plus de maturité potentielle dans les mouvements plus anciens issus des concepts élaborés par Gandhi.
Par exemple, combien parmi tous les manifestants de nuit debout ont commencé par arrêter de subventionner le système qu'ils combattent, en cessant d'acheter ce qu'il produit ? (ce qui leur permettrait en même temps de cesser de payer les taxes, et ce, sans même se mettre en illégalité)
ertaï a écrit :
En France tu veux dire ? parce qu'en syrie par ex cette condition n'a pas été remplie.
Le Bashar, il me semble difficile de prendre l'exemple de la Syrie qui est encore en guerre civile et en guerre territoriale multinationale. Oui, on assiste à un morcèlement géographique parce que de multiples groupes armés, syriens ou non, contestent la souveraineté du gouvernement syrien. Mais la situation est encore très instable, du coup ce n'est pas vraiment représentatif d'un morcèlement géographique pérenne. La tendance générale de tous les côtés du conflit me semble quand même être de mettre la main sur la plus grande région géographique possible, pas de consolider les quelques régions qu'ils contrôlent actuellement.
Pareil que Ertaï, je ne pense pas que la Syrie soit un bon exemple d'auto-réduction de territoire par un effet thermodynamique. Sinon l'Alsace-lorraine perdue par l'Allemagne en serait un exemple égal ?
D'accord mais ce genre d'initiatives est difficile à faire suivre par assez de monde en général. Il faut une réelle coordination et un bon dévouement au mouvement.
Le Bashar, tu fais bien de remarquer le peu de maturité politique du mouvement actuel. D'après mon expérience, on retrouve en manifestation (notamment aux côtés du Mili et de ses fractions les plus violentes) des personnes qui font là leur premiers pas dans le milieu militant et dont la radicalisation est relativement rapide (c'est ce que j'avais noté en soulignant la récurrence des citations de rap dans sur les banderoles ici ).
Cependant, malgré l'extrême violence que cela recouvre, je ne suis pas alarmé outre-mesure, voire même, plutôt rassuré. C'est peut-être con, mais voilà en quelques lignes comment j'en arrive à penser ça : Je ne suis pas particulièrement adepte de la violence que je ne glorifie pas de manière viriliste. Je suis d'ailleurs physiquement plutôt limité pour vraiment souhaiter d'en venir à une telle extrémité. Cependant, depuis que je m'intéresse à la politique j'ai toujours eu le sentiment que "nous n'étions pas écouté" et que rien ne pourrait changer sans rapport de force et confrontation directe. Le rejet par le parlement de la constitution Islandaise issue des mouvements de contestation d'après la crise de 2008 est notamment l'un des exemples qui m'a le plus marqué. Seulement voilà, si ne pas être écouté ne me semblait pas être une raison suffisante pour envisager une réponse violente, j'ai depuis peu un autre sentiment : Non content d'être sourd, l'Etat veut nous briser. C'est ce que je retire de toutes les dernières manifestations et je me retrouve parfaitement dans l'analyse de cet article, l'objectif de la répression n'est pas celui de maintenir l'ordre, mais de faire peur :
"L'objectif de cette réplique ultra violente est donc bien de dissuader les manifestants à être solidaires des éléments les plus violents du cortège. Par la peur, les empêcher de revenir grossir le rang des anonymes et des radicaux lors des prochains rassemblements."
Du coup, j'en suis là, parmi les anonymes, à soutenir la violence, rêver d'une insurrection parce que je suis fermement convaincu que de la violence sociale à la violence d'Etat, rien ne nous sera épargné, que la seule réponse à notre portée est de rendre les coups pour peut-être finalement pouvoir porter le coup le plus fort. (Néanmoins étant plutôt ignorant sur le sujet je veux bien des exemples "des mouvements plus anciens issus des concepts élaborés par Gandhi", je lirais ça avec attention!)
Hindelstark, tu traduis une colère que beaucoup de monde ressent. Et beaucoup se retrouvent dans ta description de cette envie de violence ("il faut une bonne révolution"). Mais justement, il y a plein de façons de faire un bras de fer contre l'État, la plus facile étant la confrontation directe et violente, contre laquelle l'État est mieux organisée, a davantage d'expérience, a davantage de moyens. Mais comme dirait Asimov "la violence est le dernier refuge de l'incompétence". Le Bashar a donné un exemple de ce que peut être une démonstration de force non-violente : le refus d'acheter. Moins de consommation, c'est moins d'argent dans les caisses de l'État, c'est donc l'affaiblir en toute légalité. Il y a d'autres exemples à imaginer.
Gandhi a inventé un concept, que l'on traduit chez nous par "non-violence". De ce concept découle directement celui de désobéissance citoyenne, quelque fois appelé à tort "désobéissance civile". Le cœur du sujet est bel et bien la citoyenneté. L'objectif de l'action est de reprendre la souveraineté qui a été confisquée de manière illégitime :
- soit par un tyran ou une dictature
- soit par un pouvoir élu, mais qui outrepasse son mandat
- soit tout simplement parce que le gouvernement trahi les principes fondateurs de la nation et met en péril son unité
Dans tous ces cas, il est du devoir du citoyen de reprendre le mandat qu'il a accordé au pouvoir en place, pour le redonner à quelqu'un d'autre qui l'utilisera en conformité avec le mandat ou les principes du citoyen. Voilà l'idée générale. Évidemment, le pouvoir fera tout ce qu'il peut pour délégitimer la résistance, et faire croire que c'est une révolte anti-nationale qui met la nation en péril, une traitrise, voir une attaque externe, bref : qu'il faut la mater. C'est pourquoi le concept de désobéissance citoyenne est régulièrement nommé "civil" -> ce n'est pas légitime d'écraser ses propres citoyens surtout s'il réclament juste qu'on respecte le contrat politique. En revanche c'est tout à fait légitime d'écraser une révolte civile assimilée à des gens qui refusent tout contrat politique. Ce ne sont plus alors des citoyens, mais des brigands, des hors-la-loi, et ceux là on peut les mater sans états d'âmes.
Mais comment reconnaitre les citoyens des brigands, parmi les révoltés ? Ils peuvent agir exactement de la même manière (bien que les brigands soient en général réduit à l'expression de la violence seule, alors que les citoyens ont des moyens d'expressions plus larges). La différence tient uniquement aux motifs de la révolte : le citoyen veut agir pour augmenter le bien commun, le brigand veut agir pour augmenter son bien à lui.
L'état n'a donc de cesse de présenter tout citoyen révolté comme un simple brigand de sorte qu'il puisse le combattre par la police sans que personne ne s'en émeuve. Voire même que tout le monde le félicite. Les citoyens révoltés de leur côté sont régulièrement tentés de faire cause commune avec les brigands, qui grossiront leurs rangs (le problème, c'est qu'une fois la bataille gagnée grâce à eux hé bien... ils seront toujours là ! et toujours aussi peu motivés par le bien commun )
Gandhi a constaté que la violence n'est pas un moyen efficace pour lutter contre un état : il est toujours bien mieux armé que les révoltés, donc c'est un bain de sang. Il s'est posé la question : d'où vient le pouvoir ? qui le possède ? qu'est-ce qui donne cette force écrasante à l'état ? c'est nous. Le peuple :
- c'est le peuple qui, en obéissant, fourni la main d’œuvre (policiers, soldats, mais aussi fonctionnaires divers moins visibles et néanmoins indispensables)
- c'est le peuple qui finance l'état, car tous les fonds publics sont issus de prélèvement sur les plus-values réalisées à la base par l'activité du peuple.
Il a également constaté que pour l'état c'est facile d'empêcher quelqu'un d'agir : hop, prison. En revanche c'est beaucoup plus dur de forcer quelqu'un à agir contre son gré (ce n'est pas impossible, mais c'est beaucoup plus compliqué que de juste menotter des gens). Enfin, Gandhi considérait qu'une fin ne peut être atteinte durablement en utilisant des moyens qu'elle condamne. Si on condamne la violence d'état, alors on ne peut prétendre créer un meilleur état en l'imposant par l'usage de la même violence : on ne fera que changer le rapport de force, mais les révoltés seront toujours là.
Ainsi, il invente une forme de résistance fondée non pas sur l'activité (qu'est-ce que je peux faire pour changer les choses ? sur qui je tape ? ) mais sur la non-activité (qu'est-ce que je ne vais pas continuer de faire, pour que les choses ne continuent pas comme ça ? à quoi je cesse d'obéir ? ). Et l'arme la plus puissante dans cette caisse à outil, c'est le boycott. Évidemment cette manière de voir fonctionne mieux dans le contexte de l'inde d'où elle est partie : une foule écrasante de gens, pauvres, contre une minuscule minorité ultra-riche. Boycotté, le pouvoir ne peut plus se financer, car il faut payer aussi les gens chargés de recouvrer les impayés, et comme les impayés le sont par des gens qui ne possèdent aucune richesse, on ne peut rien récupérer en leur confisquant leurs biens pour les revendre (d'ailleurs personne ne veut ou ne peut les acheter ! ) : la manne se tari très très vite. L'élément déclencheur dans l'action de Gandhi en Inde a été de lancer un appel au boycott d'une taxe sur le sel (comme celles que nous avions ici au moyen-âge). L'état ne pouvait pas forcer les gens à le payer puisqu'ils n'avaient pas d'argent (et qu'ils organisaient entre eux leur insolvabilité).
En dernier recours l'état tente de massacrer les civils récalcitrants, mais ça s'arrête assez vite aussi car ses militaires doivent être payés eux aussi, et d'autant plus cher qu'on leur demande de faire des choses abjectes. A ce stade si l'état est malin il négocie. Sinon, le pays s'effondre dans la guerre civile, attisée par des luttes de clans (certains massacrés vont considérer qu'ils l'ont été non par des fonctionnaires d'état sur ordre, mais par un clan quelconque qui voulait éliminer leur clan à eux, et d'ailleurs ça peut être vraiment le cas puisque le pouvoir est rarement bien répartis entre les clans). Une fois qu'ils ne soit plus payés, et devant l'évident scandale de leurs ordres, certains militaires seront tentés par le coup d'état. Une fois ce stade atteint, il ne peut plus être interrompu tant qu'il reste de l'énergie dans le système (il peut être alimenté par l'extérieur, donc ça peut durer trèèèès longtemps).
Donc le problème chez nous pour le moment, c'est que les révoltés sont riches. Même s'ils pensent être pauvres. Gandhi non plus n'était pas pauvre au départ, il était même dans ce qu'on appellerait la bourgeoisie cultivée. Il a choisi volontairement de devenir pauvre, dans le but de devenir plus fort. En effet, moins il possédait de choses, et moins celui d'en face avait de prise sur lui pour faire du chantage, à base de "si tu te calme pas je te prend ce que tu as". A la fin, dépossédé de tout, il ne reste plus qu'à éliminer physiquement l’intrus puisqu'il est devenu 100% réfractaire à toute tentative de chantage (mais à ce stade Gandhi était suivi par une telle quantité de disciples que l'éliminer en aurait fait un martyr, les dirigeants britanniques de l'époque ont été assez malin pour éviter cette erreur).
Pour finir, j'en revient à ça : "La différence tient uniquement aux motifs de la révolte : le citoyen veut agir pour augmenter le bien commun, le brigand veut agir pour augmenter son bien à lui."
Qu'est-ce qui motive les gens qui sont dans nuit debout ? Veulent-ils refonder un contrat social et politique pour rassembler de nouveau un peuple qui se clanise (càd : regrouper tout le monde, y compris les "salauds" parce que les exclure ne les fera pas disparaitre du territoire, si on ne veut pas les intégrer, il faut les enfermer ou les tuer - les désintégrer... ) ? Ou veulent-ils seulement abattre les trop riches pour améliorer leurs perspectives personnelles (càd : prendre leur place), augmenter leur confort perso, et éliminer les salauds ?
Le premier cas peut conduire à une résolution négociée qui refonde l'unité républicaine actuellement en cours de dislocation. Le second ne conduit qu'à la guerre.
Quant à la violence de base : lancer des cailloux sur les CRS, ça sert à quoi ? casser une vitrine d'une banque ? Les CRS sont là pour se prendre les pavé à la place des vitrines, donc leur taper dessus, non seulement ça ne lutte pas contre le système mais pire, ça l'entretient et le justifie ! ça défoule de les insulter, mais en pratique, ça ne lutte pas contre le système.
Empêcher les députés de rentrer chez eux ou de dormir (sans les battre, juste en bloquant le passage), retirer son fric des banques : ça serait considérablement plus efficace, et il n'y a pas assez de CRS pour surveiller tout le monde sur tout le territoire, donc, il n'y aurait même pas de violence par bavure/provoc (il y a des tas de flics dans les gens cagoulés qui commencent les échauffourées... )
Idem pour les média : marre que les grands média racontent n'importe quoi ? -> il faut investir leurs rédactions et les forcer à écouter en le empêchant de travailler, parasiter leur distribution, les noyer sous les fakes etc.
Pour finir le boycot est aujourd'hui considérablement simplifié par rapport à la situation qu'a dû affronter Gandhi. En effet pour lui, les revenus de l'état étaient issus de taxes diverses, droits de passage et autres, et il fallait se mettre en danger de subir des poursuites si on refusait de les payer. Chez nous ce n'est plus le cas : nos imbéciles de dirigeants ont eu l'idée tout à fait sotte d'instituer la TVA, et qui plus est de miser la majeure partie des revenus dessus ! Du coup, pour les priver de leurs revenus, il n'est même plus nécessaire de refuser de payer un impôt, il suffit juste de cesser de dépenser son fric. Et on ne peut pas être attaqué en justice parce qu'on a refusé d'acheter. C'est vraiment une arme ultime, et je me demande bien combien de temps encore il faudra pour que les révoltés s'en rendent compte. La merde du mois que je n'achèterais pas fait beaucoup plus mal au système que le pavé sur le casque du CRS. Nous tenons le système par les couilles, lui en est conscient (je crois) mais pas nous.
Dans les actions de Gandhi il y a aussi une expression très nette de la différence entre citoyens et brigands. Que ce soit en afrique du sud ou en inde, à chaque fois pendant que Gandhi travaillait sur des revendications de droits, les pays se son retrouvés en guerre contre d'autres nations. Que faire dans ce cas pour le citoyen militant, non-violent ? Laisser son état être vaincu, en refusant de combattre dans son armée, ce n'est pas citoyen (et puis le vainqueur sera peut-être encore pire, qui sait). Mais s'engager pour assassiner des soldats adverses, ce n'est pas non-violent. Gandhi a proposé à chaque fois une alternative, en s'engageant (et en poussant ses sympathisants) en tant qu'ambulancier (infirmier). Ainsi il œuvre en tant que citoyen à participer à l'effort de sa nation pour maintenir sa souveraineté. Mais il ne trahi pas ses principes de considérer que la violence est inefficace sur le long terme. Effet secondaire tout à fait intéressant, les soldats blessés qui ont été secouru se souviennent ensuite toute leur vie, qu'ils sont encore vivant grâce à l'ambulancier indien qui a bravé les balles et les obus pour venir les secourir. Or Gandhi luttait contre des discriminations xénophobes. Les soldats essentiellement occidentaux, xénophobes au départ, parce que ne connaissant pas ces étrangers qui leur font peur, se trouvent après la guerre être de solides alliés. Ils n'ont plus peur de l'étranger, qui est devenu un frère d'arme, qu'ils ont vu braver les mêmes dangers qu'eux. Ils ont pu constater son dévouement citoyen. Ils savent que ce n'est pas un "brigand" qui est révolté juste parce qu'il veut leur voler leurs biens. Et le reste de l'opinion publique aussi sait que ces gens qui manifestent se sont mis en danger de mort pour défendre le pays. Ceci les met dans la position d'accepter d'écouter leurs revendications, ils ne seront peut-être pas d'accord, mais au moins ils savent désormais qu'elles sont légitimes. La négociation pour trouver un compromis pourra avoir lieu, le parti non-violent a montré que même s'il refuse de taper, il n'en est pas moins déterminé.
Mais toute la question revient sur la nature profonde des motivations des gens. Or il me semble que la majeure partie d'entre nous sont tout à fait ignorants de leurs motivations, ils expriment des raisons à ce qu'ils font, mais elles ne correspondent pas à leurs actes et montrent bien ainsi qu'elles ne sont que des justifications. Le révolté veut-il agir pour plus de justice entre les gens ? ou veut-il simplement être calife à la place du calife ? S'il était motivé par la justice, peut-être qu'au lieu de caillasser des CRS, il commencerait par accueillir des réfugiés qui demandent asile, non ?
@Ertaï et drago : je pense que ce n'est qu'une question d'échelle. Si on regarde la syrie sur les 20 dernières années on ne voit pas la même chose qu'en regardant sur les 500 dernières années (ou plus). Pour moi ce n'est pas le chaos actuel qui est l'état anormal, mais l'état précédent qui était artificiellement stable (et conséquence directe de nos ingérences coloniales, c'est à dire que leur situation est le résultat direct de notre situation de surrégime).
Notre empire (au sens de ascendant) s'étend largement au delà de nos frontières d'état. Sa dislocation commence par les zones les plus éloignées, les plus difficiles à tenir. Or comme elles sont nécessaires pour alimenter en carburant (au sens large) l'entité centrale qui surconsomme à mort, plus son empire sur les extrémité flanche, et plus elle flanche elle aussi, jusqu'à finir par reprendre une taille adéquate. Si c'est la guerre dans toutes les zones productrices de carburant, c'est parce que notre empire sur elle se disloque à la marge. (et c'est aussi pour ça que les civils des ces zones fuient sans se tromper vers le centre identifié de cet imperio qui flanche. Le sang reflue au cœur.).
Les paysans fuient vers le citadelle... seulement la citadelle n'a pas de ressources si elles ne les prélève pas sur les paysans.
dragoris a écrit :
Je ne vois pas le lien entre la poursuite d'une revendication territoriale contestée multiséculaire entre deux nations (alsace-lorraine) et l'implosion d'un état entièrement artificiel, créé de toutes pièces par des puissances étrangères et imposé sur des frontières géographiques sans correspondance culturelle ou historique avec les populations du secteur (le tout dans l'unique but de conserver un accès sûr au pétrole) ?
Merci pour ce nouveau pavé Bashar
Sur le Facebook de Nuit Debout, et pour tous ceux qui ont signé la pétition contre la loi El Khomri, il y a ceci :
Une action est prévue demain, donc, devant l'Assemblée nationale.
Le Bashar a écrit :
Effectivement, maintenant que tu as expliqué ton point de vue, la comparaison paraît bien bancale.
Mais pour moi, le régionalisation, c'est la mort des États. Je ne vois pas comment ceux-ci pourront résister à la puissance des multinationales.
D'une manière générale, le monde s'internationalise. Les problèmes aussi. Se morceler en plus petites entités me paraît pas être la réponse idéale. En ce qui concerne la Syrie, je ne suis pas au courant de tout. Ce que je sais par contre c'est l'objectif revendiqué de DAESH. Ils cherchent à recréer un califat, un immense territoire qui regrouperait les pays musulmans.