Eloge de la naïveté

Notre tête est farcie de concepts, d’idées reçues, de trucs comme ça. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Ils ont un peu le même intérêt que les réflèxes physiques. Ils nous permettent de réagir vite dans des situations déjà rencontrées. Le problème, comme souvent, n’est pas l’outil mais comment il est utilisé. Le problème, donc, est le nombre hallucinant de personnes qui partent du principe que les Autres lorsqu’ils agissent, ont de mauvaises intentions.

L’hostilité supposée du monde

“L’enfer c’est les autres” disait Sartre. Cela résume totalement ce qu’on pourrait appeler le réflèxe xénophobe. Etymologiquement xéno-phobe c’est la peur de l’étranger. La peur de l’Autre. Celui qui n’est pas nous. On a peur de l’Autre parce qu’il est une source potentielle de problèmes, de nuisances et de souffrances. Du coup on l’éloigne de nous. Et entre nous, -c’est-à-dire nous-même et tous ceux qui ne sont pas l’Autre- on le caricature, on s’en plaint. On ne cherche surtout pas à le comprendre. Ca l’humaniserait.

L’Autre n’est pas pour autant une victime. Au contraire, il réagit comme nous. Lui et ses Autres amis, ils se moquent et médisent de nous. Et même si l’on agit pareil, ça nous agace. Ca nous conforte dans l’idée que l’on se faisait de Lui. C’est peut-être la petite erreur commise par Sartre. L’Autre n’est pas l’enfer mais son diable involontaire.

“Trop bon, trop con.”

Qu’est-ce que cela a avoir avec la naïveté ? Eh bien être naïf c’est d’abord croire. Croire en l’Autre en dépit du bon sens du xénophobe moyen. Être naïf, c’est voir le monde sous sont plus bel aspect. Et parfois c’est vrai, se bercer d’illusion, être trompé et finir déçu.

Faut-il pour autant se laisser aller au réflèxe xénophobe ? A ne voir le monde que comme un champ de bataille ? Ce que l’on nomme aujourd’hui cynisme est une aussi grande duperie. A ce détail près qu’elle, elle ne rend pas heureux et ne contribue certainement pas à rendre le monde meilleur.

Être volontairement naïf c’est l’engagement de ne pas céder au “trop bon, trop con” ni au “tous pourris”. D’agir parce qu’on a foi en l’Homme sans attendre autre chose que la satisfaction d’avoir bien agit. Car oui, j’en suis persuadé, il faut de la naïveté pour être bon. C’est peut-être pour cela qu’on la confond souvent avec la connerie.

Voir le meilleur partout

Parfois ce que l’on s’efforce de voir fini par être. Lorsque l’on voit l’Autre comme un ennemi, inévitablement il le devient. Si au contraire notre vue exacerbe les meilleurs aspects de l’Autre alors celui-ci devient meilleur. C’est précisément cela la naïveté, des lunettes qui rendent le monde meilleur.

Devenir naïf n’influence pas seulement ce qui nous entoure. Cela change également notre manière d’agir. En arrêtant de voir le mal partout et de croire que tout le monde veut se servir de nous, on agit mieux. On arrête de se méfier pour commencer à coopèrer.

C’est dans ces cas-là que les gens s’arrêtent souvent aux déconvenues. Mon but n’est pas de contredire l’évidence. Oui, le naïf est plus facilement sujet à la malveillance. L’erreur est peut-être de s’arrêter à cela et, pour de l’argent perdu ou un égo froissé, retourner sa veste côté “cynisme”. Notre entourage nous veut du bien quand il nous met en garde contre l’hostilité du monde. Le naïf volontaire, lui, a de quoi lui répondre. A voir le mal partout on entretient le mal. La seule solution reste alors de chercher le meilleur en toutes choses. Une activité saine, meilleure pour l’âme et pour le monde. Alors mes amis, oubliez les avertissements et les inquiètudes, passez outre les déceptions et franchissez le pas ! Soyez naïf.

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9 Commentaires

  • " Soyez naïf " .

    Non.
    Entre la naïveté et le cynisme il y a le savoir.

  • C'est le genre de pensées positives qu'il faut avoir pour devenir enseignant.
    La vocation vient à force de pensée universaliste.

    À mon humble avis tu as oublié quelque chose de plus neutre, de plus ambiant que le bien et que le mal. Cette chose c'est l'indifférence. En vérité celui qui veut construire quelque chose ne se heurte jamais au mal. Par contre il se heurte toujours à l'indifférence. L'église catholique a fait beaucoup d'efforts pour cataloguer les péchés et bien trop peu d'effort pour l'étude systématique de l'indifférence.

    • L'indifférence "utilitariste". Qu'est-ce que ça m'apporte ? Qu'est-ce que ça me rapporte ? C'est trop naïf pour éveiller un quelconque début d'appétence.
    • L'indifférence "arbitrée". Ça m'intéresse mais je n'ai pas le talent, les compétences, le temps libre (mes études, ma carrière,...).
    • L'indifférence "boulimique". Celle du consommateur. Le fruit de l'effort naïf devient un produit que l'on avale comme un donut. C'était bon ou ça n'était pas bon. Peu importe, au mieux on laissera un commentaire élogieux, au pire on laissera une critique dévastatrice. L'important c'est de ne surtout pas s'impliquer. De digérer la création au lieu de la prolonger. De lui donner une fin au lieu de la perpétuer.
    • L'indifférence "administrative". L'effort naïf est louable. Il est évalué méticuleusement. Puis il est classifié, rangé méthodiquement dans un des nombreux rayons de la grande bibliothèque d'Alexandrie. Un érudit aura peut être l'opportunité de s'en émerveiller avant que tout ne finisse en cendres.
  • " Soyez naïf " .

    Non.
    Entre la naïveté et le cynisme il y a le savoir.

    Mais le savoir c'est neutre. Le choix -un peu manichéen certes- entre naïveté et cynisme n'a rien à voir avec le savoir en lui-même. L'important est ce que tu décides d'en faire, comment tu vas l'interpréter.

    À mon humble avis tu as oublié quelque chose de plus neutre, de plus ambiant que le bien et que le mal. Cette chose c'est l'indifférence. En vérité celui qui veut construire quelque chose ne se heurte jamais au mal. Par contre il se heurte toujours à l'indifférence.

    Je suis d'accord avec toi. Lorsque tu tentes de changer les choses la première difficulté que tu rencontreras c'est l'inertie des habitudes et de la routine des personnes qui t'entourent. Lorsqu'on le demande tout le monde est d'accord pour changer quand il s'agit de le faire il n'y a plus personne.

    Le découragement vient souvent de là. On cherche à changer les choses pour plusieurs personnes ou avec elles et elles nous déçoivent. Le naïf volontaire sait se prémunir contre ça. D'abord, il agit pour lui avant tout, pas pour les autres. Son moteur ce sont ses convictions, son éthique personnelle. Ensuite, une vraie foi de naïf ne s'évapore pas à la moindre déception. Untel m'a déçu qu'à cela ne tienne, j'irais voir ailleurs.

    Alors peut-être que cela ne sert à rien. Que nos efforts ridicules finiront broyés sous les rouages de la machine mais j'ai envie d'y croire. J'ai bien connu un vrai naïf aux actions qui me paraissaient de son vivant se résumer à vider l'océan avec une petite cuillère. Et puis j'ai assisté à son enterrement et j'ai compris, aux travers de l'interminable procession de témoignages qu'il n'avait peut-être pas changé le monde mais qu'il avait aidé des individus. Son action avait eu un impact concret sur des vies. Alors j'ai changé d'avis. Et je tente, tant bien que mal, de suivre son exemple.

  • C'est difficile de répondre après ça.

  • Moi aussi j'ai envie d'y croire, faute de quoi j'ai bien peur de "mourir à l'intérieur" comme disait Ertaï dans une autre discussion.

    Le naïf volontaire sait se prémunir contre ça. D'abord, il agit pour lui avant tout, pas pour les autres.

    Remplacer la démarche généreuse par une démarche égoïste, quasiment entrepreneuriale (minimiser les risques, maximiser l'impact...) ? C'est ce que je me demande ces temps-ci. Il y a-t-il un manuel du parfait hobbyiste, celui qui va changer le monde malgré lui ? Plus que jamais nous avons chacun les outils pour le faire. C'est d'autant plus rageant de ne pas avoir le mode d'emploi.

  • Hello,

    Une approche naïve a l'avantage de permettre l'observation de l'"Autre" sans être catalogué par ce dernier. En fonction du comportement en retour, on peut soit entamer un échange constructif qui va enrichir une relation, soit se contenter de l’indifférence. Comme le dit la citation populaire : "Je ne parle pas aux cons, cela les instruits".

    Il n’empêche que pas plus tard que hier, j'ai surmonté ma xénophobie naturelle pour tenté d'expliquer poliment à une personne que j'étais victime de son attitude et bien je me suis fait envoyer chier. Oui, l'enfer c'est bien les autres.

  • Je ne saisi pas la trame générale de cet éloge : la plupart des gens que je rencontre sont à la fois naïfs et xénophobes (à divers degrés), et donc je ne vois pas le lien entre devenir naïf et cesser d'être xénophobe.

    Ou alors, la distinction vient du fait que la naïveté doit être volontaire, auquel cas, naïf mais sans être ignorant, ne serait-ce pas tout plutôt de la sagesse ? Le discours par ailleurs semble énoncer le message "ne fait pas aux autres ce que tu ne veux pas qu'on te fasse", ou sa version sans négation "fait aux autres ce que tu veux qu'on te fasse", ce qui dans les deux cas est un principe fondateur de sagesse.

  • Suite à différentes réponses ici et ailleurs je me permet d'ajouter un petit paragraphe. Je découvre au fil des réactions qu'il en faudrait pas mal d'autres.

    “Naïf” a beaucoup de synonymes. Benêt, bêta, candide, idiot, ignorant... De tous ces jolis mots je n’en garde qu’un. Crédule. Le crédule c’est celui qui croit. Le naïf volontaire n’est ni plus bête, ni plus ignorant qu’un autre. Il a simplement foi en l’Homme. Une vraie foi, celle qui ne s’égare pas pour quelques déceptions. Il ne se fait pas d’illusions. Du moins pas plus qu’un autre. Simplement, il préfère s’intéresser aux bons aspects de la nature humaine. Là où le cynique préfère s’arrêter aux mauvais.

    Le cynique, lui, n’est ni plus sage, ni plus savant, ni plus futé. Simplement, pour se prémunir du mal il préfère le voir partout. Alors qu’en agissant ainsi il crée le mal et se prémuni du bien. En exerçant son œil à la médiocrité humaine, il se vautre dedans et il l’attire à lui.
  • Dans sa forme antique le cynique pratiquait la vertu. Je ne pense pas que qu'être cynique implique de voir le mal partout. Il me semblait que cela s'arrêtait aux convenances sociales. Ton cynique est plus qu' enragé !

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