Comme l'article d'Ertaï sur Boston m'y a fait penser, je vous partage ici un exposé sur La Dimension Cachée, d'Edward T. Hall. C'est un travail très scolaire (et oral) que j'ai peu retouché donc il peut être laborieux à lire. Aussi ce n'est qu'un exposé partiel des travaux de l'auteur et je vous recommande vivement la lecture du livre en entier, d'autant que je suis persuadé que ces sujets de recherche mériteraient d'être plus connus.
Edward T. Hall est un anthropologue américain de renommée internationale diplômé de l'université de Columbia. Il y a obtenu son doctorat après avoir vécu et travaillé de 1933 à 1937 avec les nations Navajo et Hopi dans les réserves indiennes du Nord-Ouest de l'Arizona.
Le thème principal de sa recherche, qui est notamment développée dans le livre que je présente ici, est celui de la perception culturelle de l'espace. Il a eu l'occasion de se confronter de près aux différences culturelles de la perception, en tant qu'officier de l'armée américaine en Europe et aux Philippines pendant la seconde guerre mondiale.
Pendant les années 1950, il a travaillé pour le département d'État des États-Unis. C'est le département exécutif fédéral chargé des relations internationales. Il est donc l'équivalent d'un ministère des Affaires étrangères. Là-bas, il enseignait les techniques de communication interculturelle au personnel du service étranger. C'est le moment où les Etats-Unis affirment leur domination sur le bloc de l'Ouest, donc on peut facilement imaginer à quel point la bonne entente et la bonne compréhension des alliés étrangers est importante.
Le problème est que l'on ne peut pas « enseigner » une culture, on ne peut pas la connaître par le simple échange verbal : il faut l'observer, l'expérimenter soi-même, la vivre. De plus, pour comprendre une culture étrangère, il faut comprendre les racines de sa propre culture, car la culture constitue l'ensemble des principes cachés qui régissent le comportement dans une société ; c'est à la fois le dit, le non-dit et la manière de le dire ou de ne pas le dire. Pour Edward Hall, « Les mots cachent plus de choses qu'ils n'en révèlent sur la communication », nous sommes ici assez proche de l'ambiguïté résiduelle normale chez Goffman.
Face à cette difficulté dans l'enseignement de la communication interculturelle, Hall développe un enseignement interactif et expérimental avec ses étudiants, dont il note parfois les observations dans ses ouvrages. Aussi, il s'intéresse tout particulièrement à l'étude du non verbal qui regroupe la communication corporelle et inconsciente.
C'est le sujet de son ouvrage le plus connu, The Silent Language, (le langage silencieux) 1959, qui est d'ailleurs l'un des livres majeurs du domaine de la communication interculturelle qu'il a contribué à formaliser aux Etats-Unis entre 1951 et 1955.
Edward Hall est d'ailleurs à l'origine d'une définition relativement avant-gardiste de la culture, qu'il formalise dans l'ouvrage Au-delà de la culture, 1979. C'est une réalité cachée, trame de l'existence humaine produite dans l'interaction qui échappe en grande partie à notre contrôle. Elle peut néanmoins faire l'objet de revendication identitaires. Cette définition constructiviste de la culture accepte les différences contre l’universalisme et le danger du jugement d'une culture par une autre (chose courante dans l'histoire des communications interculturelles, particulièrement dans le cas de la colonisation d'un peuple par un autre). Malgré une très forte inspiration prise chez Franz Boas, Edward Hall propose une proposition intermédiaire à un relativisme culturel « radical », l'interaction humaine étant la constante dans la construction d'une culture.
The Hidden Dimension (La Dimension Cachée), 1966
La dimension cachée est celle du territoire de tout être vivant, c'est l'espace nécessaire à son équilibre, sorte d'espace vital. Le postulat de Hall est que chez l'homme cet espace est culturel. Il a déjà là l'intuition de ce qu'il développera plus tard dans Au-delà de la culture ; Au-delà de la culture étant un livre presque militant, sorte d'injonction à se délivrer de la dimension cachée de l'être humain.
Comme je le disais, la dimension cachée est un espace culturel. En effet, chaque civilisation à sa propre manière de concevoir les déplacements du corps, l'agencement des maisons, les frontières de l'intimité ou conditions de la conversation. L'objet de l'ouvrage est de mettre au jour ces structurations culturelles de l'agir humain, l'étude étant principalement centrée sur l'organisation de l'espace social et personnel ainsi que sa perception par l'homme.
C'est ce que désigne le terme de « proxémie », central dans ce livre mais aussi dans l'oeuvre d'Edward Hall. Celui-ci définit son néologisme comme « l'ensemble des observations et théories que l'Homme fait de l'espace en tant que produit culturel spécifique ». L'idée est de montrer comment les différences spatiales, temporelles et corporelles, sont construites culturellement.
La Dimension Cachée est un livre singulier car c'est avant tout un ouvrage de vulgarisation. L'auteur se place ici en tant que lanceur d'alerte comme on le dirait aujourd'hui. En réintégrant les conduites spatiales de l'homme dans la catégorie du comportement animal et en soulignant les différences culturelles, il pointe ici les dangers des cités modernes, la surpopulation, mais aussi la perte d'identité.
Aussi, Hall n'est pas praticien de l'ensemble des savoirs qu'il utilise au long de sa démonstration. Il fait régulièrement référence aux travaux de Lorenz, Hediger, Tinvergen pour la zoologie et Boas, Sapir et Whorf pour l'anthropologie et la linguistique.
Pour présenter ce livre notre plan se développera selon deux axes principaux, suivant l'architecture globale de l'ouvrage. Dans une première partie nous nous intéresserons donc à l'infraculturel, (ce qui est sous la culture), ici l'éthologie animale et la biologie humaine avant de voir dans une seconde partie en quoi le niveau microculturel doit être considéré comme la trame de l'existence humaine. Comment la culture structure les interactions humaines.
Ethologie animale et biologie humaine, étude de la base physiologique universelle
L'éthologie est l'étude du comportement des diverses espèces animales, dans leur milieu naturel ou non. L'éthologie est ici utile pour déterminer la part « naturelle » des comportements humains, dans la mesure ou les animaux ne rationalisent pas leur comportements lorsqu'ils sont observés.
Le comportement animal et le passé biologique de l'homme, le niveau infraculturel
Régulation de la distance chez les animaux
La territorialité est le concept de base de l'étude du comportement chez les animaux. Il a été formalisé par Howard Hall comme la conduite adoptée pour prendre possession et défendre un territoire contre les membres de sa propre espèce. La territorialité renforce la sélection naturelle dans la mesure ou seul un animal capable de défendre son territoire est apte à survivre. En plus de la préservation de l'espèce, la territorialité intervient aussi dans les fonctions personnelles et sociales et structure les relations de domination entre les membres d'une espèce.
En plus de son territoire, on peut considérer que chaque animal est entouré d'une séries de bulles aux formes irrégulières qui maintiennent un espacement spécifique entre les individus. Le biologiste Hediger les classe ainsi :
- Distance de fuite : Distance à partir de laquelle un animal sauvage prend la fuite, cette distance est généralement proportionnelle à la taille de l'animal. Au travers de la domestication, l'homme a réussi à réduire cette distance chez certain animaux. Malgré notre propre « domestication », cette distance est observable chez l'homme dans certain cas de danger. Les schizophrènes tendent aussi à avoir des réactions de fuite lorsqu'ils sont approchés.
- Distance critique : Distance qui couvre la zone étroite qui sépare la distance de fuite de la distance d'attaque. Dans un zoo le lion fuit devant l'homme jusqu'à rencontrer un obstacle insurmontable ; ce n'est qu'acculé qu'il attaque l'homme qui rentre dans la distance critique. Celle-ci est mesurable en centimètres (cf dompteur au cirque).
Contact et non contact chez les espèces animales : Dichotomie inexplicable, certaines espèces éprouvent la nécessite du contact physique, d'autres l'évitent à tout prix. Pas de logique observable (cf les différents pingouins). Cette dichotomie semble être culturellement ancrée chez les humains. Hall considère que les occidentaux sont une espèce « sans-contact », contrairement aux arabes. - Distance personnelle : Distance normale observée entre deux membres d'une espèce « sans contact ». Elle peut changer selon le statut social, en effet, les animaux dominants disposent généralement d'une distance personnelle plus grande.
- Distance sociale : C'est la distance au-delà de laquelle l'animal perd contact avec le groupe, mais surtout celle au-delà de laquelle l'anxiété commence à se développer chez l'animal. La distance sociale est en partie déterminée par la situation. Chez les singes, à la naissance c'est ainsi le bras maternel qui détermine la distance sociale. Lorsqu'un danger approche, celle-ci diminue. Chez l'homme, la distance sociale à considérablement été allongée par les nouvelles technologies de la communication qui permettent d'intégrer des activités de groupes très éloignés.
Comportement social et surpopulation chez les animaux
Pour Edward Hall, la doctrine de Malthus qui lie démographie et réserves alimentaires doit être reconsidérée. En effet, selon lui, les rapports à l'espace et le stress de surpopulation ont un rôle dans la régulation démographique. Il se base notamment sur les expériences de Calhoun.
L'organisation de Calhoun devait permettre d'observer plusieurs colonies de rats à n'importe quel moment et ainsi apporter des informations sur la réaction des organismes vivants aux différentes modalités du surpeuplement. Ce qui intéresse particulièrement Hall ici ce sont les précisions apportées quant aux effets physiologiques du comportement social particulier engendré par le surpeuplement. En effet, dans sont expérience, Calhoun maintient une population de rat dans une situation de stress pendant 3 générations et observe donc les effets du stress, d'abord sur les individus, puis les générations.
Rapidement apparaissent ce que Calhoun nomme le « cloaque comportemental », des aberrations dans le comportements des rats, issu de la trop forte densité démographique. Ces perturbations sont observables notamment dans les conduites de séduction, l'activité sexuelle, la reproduction ou l'organisation sociale. Certaines femelles « oublient leurs petits », des violations de territorialités plus fréquentes et des comportements agressifs.
En résumé, on note que même chez un animal comme le rat, la surpopulation détruit des fonctions sociales importantes, provoquant désorganisation et effondrement démographique.
Plus loin, exposant les travaux de Parkes et Bruce, Hall explique les causes biochimiques de la crise de mortalité suivant le stress de surpopulation. D'après les deux biologistes, les glandes odorifères présentent à différents endroits du corps des mammifères produisent des régulateurs chimiques Ces sécrétions ont de nombreux rôles, par exemple, elles favorisent l'intégration au groupe (cf les oiseaux et leur petits) et ont donc aussi leur rôle dans la diffusion de la « pathologie de la surpopulation ».
Concernant l'homme, Hall conjecture que l'affaiblissement du sens olfactif au profit de la vision aurait permis à l'humain de tolérer un plus quand « entassement » En effet, si nous avions un odorat aussi développé que le rat, nous serions capable de sentir la colère des autres individus, de manière générale notre existence serait plus intense parce que moins contrôlée par la conscience. Hall affirme là que les centres cérébraux de l'olfaction sont plus anciens et primitifs que les centres visuels.
Selon lui, les perceptions et relations des individus dans l'espaces sont différentes culturellement en raison de l'importance différente accordée respectivement à la vue, l’ouïe et l'odorat dans les différentes cultures, c'est pourquoi dans la partie suivante nous nous intéresserons au rôle du sensoriel préculturel dans la perception de l'espace
La Perception de l'espace, le sensoriel préculturel
L'homme dispose de deux types de récepteurs, les récepteurs à distance (yeux, oreilles et nez) et les récepteurs immédiats qui délivrent des sensations par le toucher (peau, muqueuses et muscles) même si la peau peut être récepteur à distance cf main près du feu.
Récepteurs à distance
Le système olfactif, la communication chimique :
Comme nous l'avons vu avec les travaux de Bruce et Parkes, l'odeur est à la base l'un des modes de communication les plus primitifs, il permet de différencier les individus, mais aussi de déchiffrer leur état affectif, d'identifier la présence d'un ennemi, de repérer un territoire ou de la nourriture.
Chez les humains, on note des différences dans la perception et l'utilisation des odeurs. Ainsi, les américains évoluent dans un milieu « neutre » et aseptisé, leur odorat est faible, contrairement aux arabes qui, par exemple, reconnaissent une corrélation entre l'humeur d'une personne et son odeur. (baigner autrui de son haleine/refuser un mariage à cause de l'odeur).
D'une manière générale les yeux sont meilleurs informateurs que les oreilles. En effet, l'oreille est très efficace dans un rayon de 6 mètres et permet la communication jusqu'à 30 mètres environ. En revanche, l'oeil (sans aide extérieure) peut enregistrer une quantité extraordinaire d'informations dans un rayon de 100 mètres et est un moyen de communication efficace dans un rayon de 1 500 mètres. Ainsi ils diffèrent par la quantité d'espace qu'ils peuvent contrôler efficacement. Ainsi, à 400 mètres, une barrière sonore est indécelable, contrairement à un mur à la vue.
On observe des différences chez les individus, par exemple, l'aveugle apprend à sélectionner les hautes fréquences acoustiques pour localiser les objets qui l'entourent.
Mais la perception de l'espace n'implique pas seulement ce qui peut être perçu, mais aussi ce qui peut être éliminé. Selon les cultures, les individus apprennent dès l'enfance et sans même le savoir, à éliminer ou à retenir avec attention des types d'informations très différentes (cf apprentissage du langage). L’acquisition de ces modèles perceptifs marque les individus pour la vie.
Récepteurs immédiats
L'espace thermique :
La peau humaine émet et détecte les rayons infrarouges. L'homme dispose ainsi d'un double système émetteur et récepteur qui fonctionne par modifications thermiques de la peau dans différentes régions du corps.
Un individu peut percevoir l'élévation thermique de la surface du corps chez un autre individu de trois manières : par ses propres récepteurs thermiques s'ils sont assez rapprochés, visuellement (afflux de sang= température=peau rouge) ou par olfaction (transpiration)
La température est un facteur important dans le rapport à l'autre, elle transmet des émotions, colère, excitation sexuelle, etc. La perception de la température est si importante qu'elle est devenue une partie intégrante du langage aux travers de nombreuses expressions telles que « un regard froid », « un feu intérieur ».
Les expériences tactiles et visuelles sont intimement liées. Pour le peintre Georges Braque, les deux sont nécessaire pour appréhender l'espace. Ainsi, le tactile sépare l'observateur des objets alors que le visuel sépare les objets les uns des autres.
Chez l'homme, l'oeil remplit de nombreuses fonctions : Il permet d'identifier à distance des aliments, des personnes, les matériaux... ; D'éviter les obstacles et les dangers lorsqqu'on se déplace ; De fabriquer des outils, se soigner et soigner les autres, se renseigner sur l'état affectif d'autrui.
La vision est une synthèse de l'image rétinienne et de la perception. Le psychologue James Gibson nomme la première le champ visuel et la seconde le monde visuel, qui lui, est construit et dépend de l'expérience de l'individus (cf les différents mondes visuels homme/femme).
Ces différences dans la perceptions nécessitent donc de s'attacher à la dimension culturelle qui les sous-tendent, c'est l'objet de ma seconde partie.
La culture, trame de l'existence humaine
La culture comme structure des interactions humaines
Comme je l'ai précisé en introduction, la proxémie est « l'ensemble des observations et théories que l'Homme fait de l'espace en tant que produit culturel spécifique ». La proxémique comme mise en valeur du rôle de la culture dans la construction de l'espace et la communication.
Hall défend l'idée que la morphologie urbaine se forme inconsciemment en fonction de la perception inconsciente de l'espace mais aussi du temps, et que ces perceptions diffèrent fortement selon les cultures. Ainsi, la façon d'organiser l'espace, en particulier les domiciles, serait en relation avec ces différences culturelles.
L'inadaptation des structures urbaines et architecturales à certains groupes sociaux serait l'une des raisons principales des troubles sociaux urbains, et c'est notamment ce qui pousse Hall à l'étude de la proxémique. D'ailleurs, selon lui, si l'homme continue d'ignorer les conséquences du surpeuplement, de l'acculturation et de l'état de stress qui en découle, l'homme risquerait de provoquer l'équivalent du comportement cloacal. Il voit d'ailleurs un parallèle entre celui ci et la peste noir qui a anéantit les deux tiers de la population Européenne au XIVème siècle. En effet, si celle ci à été causée par le bacillus pestis, son effet a surement été accentué par le surpeuplement et l'insalubrité des villes médiévales.
La distance n'est pas le seul marqueur de la communication étudié par l'approche proxémique. L'interaction visuelle, la direction du souffle, de micro-mouvements des mains peuvent également avoir une signification non consciente différente selon les cultures.
D'après lui, l'ensemble de ces différences sont corrélées à la structuration du langage, ce qui pourrait expliquer qu'elles se maintiennent sur plusieurs générations même avec un changement radical d'environnement (comme dans le cas de l'immigration).
Il se base ici sur les travaux de Franz Boas, le premier anthropologue à avoir mis en évidence la relation existant entre langage et culture par l'analyse des lexiques respectifs de deux langes.
Ainsi, pour les Américains la neige n'est qu'un simple élément du temps, elle est désignée par deux mots, neige ou grésil. En revanche, chez les Esquimaux, il existe de nombreux termes pour la désigner. Le vocabulaire est nécessairement plus précis car il désigne un aspect fondamental de l'environnement. Pour Whorf, dans son ouvrage Language, Tought and Reality chaque langue contribue pour une part importante à structurer le monde perceptifs de ceux qui la parlent. Les systèmes linguistiques se caractérisent par un accord implicite et non formulé qui constitue une communauté de parole, qui organise le monde en concepts et significations. Le monde réellement perçu, est en partie construit d'après l'habitus linguistique des différents groupes culturels.
L'étude des arts et de la littérature permet de mettre en valeur les différences de mondes perceptifs selon les cultures. D'après l'artiste américain Maurice Grosser, dans son livre The Painter's Eye, l’artiste « voit » et utilise son moyen d'expression propre pour rendre cette perception. Le langage comme la peinture donnent des représentations symboliques et l'artiste aide le profane à structurer son univers culturel (par ex peinture médiévale traduit des hiérarchies sociales)
Anthropologie de l'espace : Un modèle d'organisation
Nous avons déjà vu que l'implicite est une part importante de la communication, puisque seulement une partie du message est énoncé, le reste étant complété par l'auditeur. Cependant, la teneur de l'implicite varie selon les cultures. Hall prend l'exemple du cirage des chaussures par un cireur. En Amérique, il est inutile d'indiquer précisément la couleur du cirage à employer. Au Japon en revanche, celui qui ne donne pas cette précision risque de retrouver noires ses chaussures jaunes.
La culture structure les actions humaines de manière redondante, elle fixe des cadres, au sens de Goffman dans son ouvrage Les cadres de l'expérience. Elle fixe le réseau de référence qui permet de parler, agir sans avoir constamment à réfléchir à comment le faire.
Les cadres inculqués donnent du sens aux situations vécues et permettent d'interpréter les situations et les comportements. Il donne des indications sur la « façade », la strate protectrice du moi qu'une personne doit présenter à l'autre pour ne pas être en décalage avec le contexte. Ainsi, Hall remarque que beaucoup d'hommes semblent avoir deux personnalités, une pour la maison et une pour le bureau, les éléments architecturaux ont un rôle dans la définition du cadre du contexte.
Espace à organisation fixe
L'espace à organisation fixe est l'un des cadres fondamentaux de la vie des individus et des groupes. Il comprend des aspects matériels, mais aussi des structures cachées et intériorisées qui régissent les déplacements de l'homme sur la planète. Les bâtiments construits et leur agencement, leur mode de groupement sont des exemples d'organisation fixe de l'espace.
L'organisation d'un village ou d'une ville, ou l'intérieur des maisons ne sont pas l'effet du hasard, mais répondent à des structures caractéristiques qui varient selon l'histoire et la culture.
Ainsi, de nos jours, à l'intérieur de la maison occidentale on trouve des pièces particulières qui correspondent à des fonctions particulières alors que jusqu'au 18ème siècle il n'y existait pas d'espaces privés ou spécialisés. Ceci a une influence sur la conception même de l'enfance ou de la structure familiale. En effet, depuis que l'enfant dispose d'une chambre avec la possibilité d'y avoir des activités particulières d'enfant, il n'est plus considéré comme un « petit adulte » (Churchill « Nous donnons des formes à nos constructions et à leur tour elles nous forment » ; vérifié aussi avec les "dispositifs de pouvoir" chez Foucault).
Espace à organisation semi-fixe
Humphry Osmond dirige un centre de recherche médicales démontre la relation entre le comportement et l'espace à organisation semi-fixe.
Osmond distingue deux types d'espace, les espaces sociofuges, comme les salles d'attentes, qui ont pour effet de maintenir le cloisonnement entre les individus et les espaces sociopètes qui provoquent les contacts, les terrasses de café par exemple. En étudiant quantitativement les conversations de femmes âgées à la caféteria de l’hôpital, il parvient à ces résultats :
Les conversations entre F et A, de coin, sont deux fois plus fréquentes qu'entre C et B, côte à côte, qui à leur tour sont 3 fois plus fréquentes qu'entre C et D, en face à face.
Il y a donc une forte corrélation entre le placement dans l'espace et les fréquences de communication. Cependant il faut remarquer qu'un élément sociofuge dans une culture peut être sociopète dans une autre. De plus, l'espace sociopète n'est pas universellement bon de même que le sociofuge n'est pas universellement mauvais. Ce qui est souhaitable est donc l'adéquation de l'espace à la situation et donc si possible une flexibilité de l'espace. Au japon par exemple les murs sont mobiles et peuvent être déplacés selont l'exigence de la situation. Aux Etats-Unis les gens se déplacent d'une pièce à l'autre selon l'activité.
Espace informel
L'espace informel est pour Hall la catégorie la plus importante pour l'individu en cela qu'elle comprend les distances que nous observons dans nos contacts avec autrui. Les modèles de cet espace ont des significations très précises et jouent un rôle fondamental dans la définition des cultures. Aussi, méconnaitre leur signification peut conduire au désastre, l'interruption de la communication ou la violence.
Proxémie et communication
Dans notre première partie nous avons vu la classification des territoires animaux selon Hediger. Le modèle de Hall est relativement similaire, cependant, à de rares exceptions près, la distance critique et la distance de fuite ont été éliminées des réactions humaines.
Pour établir cette classification, sur la base des travaux du linguiste George Trager, Hall observe les modifications de l’intonation de la voix en comparaison avec le changement des distances. Dans son ouvrage The Silent Language, il en distingue ainsi 8. Ici, il n'en garde plus que 4, la distance intime, personnelle, sociale et publique, modulées chaque fois en deux modes, proche et lointain.
Chez l'homme le sentiment de l'espace est dynamique, en effet, l'homme n'est pas contenu une fois pour toute dans les limites de la peau, mais prolongé par une série de « champs à extension variable » qui diffèrent selon chacun, il existe donc des introvertis et des extravertis, des autoritaristes et des égalitaristes. Chacun dispose de « personnalités situationnelles » dépendantes des cadres vu plus haut, mais aussi de l'habitus de la personne. Ainsi, les distances mesurées peuvent varier légèrement suivant la personnalité des sujets et les caractéristiques de l'environnement. Par exemple, un bruit intense ou un faible éclairage auront pour effet de rapprocher les individus les uns des autres.
Distance intime
La présence de l'autre s'impose et peut même devenir envahissante par son impact sur le système perceptif. La vision, l'odeur, la chaleur du corps, le souffle de la respiration de l'autre sont tous perceptibles.
En mode proche elle est la distance de l'acte sexuel de la lutte ou de la protection. Le contact avec l'autre est presque complet. En mode éloigné (de 15 à 40 cm environ), la tête et le bassin de sont pas facilement mis en contact, cependant les mains peuvent être jointes, la voix est utilisée étouffée, proche du murmure.
Cette distance intime n'est pas admise en publique par les adultes américains. Comme parade défensive, dans les transports en communs en situation de contact, ceux ci retirent l'intimité de la situation en se tenant le plus immobile possible en contractant les muscles des zones touchant autrui, détente et plaisir sont interdits dans le contact aux étrangers
Distance Personnelle
La distance personnelle est celle qui sépare habituellement les membres d'une espèce sans-contact, c'est la bulle protectrice qu'un organisme crée autour de lui pour s'éloigner des autres.
Dans son mode lointain, cette distance est celle de la limite de l'emprise physique sur autrui. Elle correspond à l'expression anglaise « tenir quelqu'un à longueur de bras ». La chaleur corporelle n'est pas perceptible, mais les détails du visage et des vêtements, cheveux blancs, rides, tâches sont visibles et la hauteur de la voix modérée.
Distance sociale
C'est la limite du pouvoir sur autrui, les détails intimes du visage ne sont plus perceptibles et personne ne touche ou n'est supposé toucher l'autre sans effort particulier. Les personnes qui travaillent ensemble pratiquent généralement la distance sociale proche.
Dans son mode lointain elle est celle où l'on se place lorsqu'on vous dit : « Eloignez-vous que je puisse vous regarder ». A cette distance ce sont les yeux qui sont le mieux vus, en cas d'entretien prolongé il est donc important de maintenir un contact visuel.
Distance Publique
C'est la distance qui nous place hors du champs ou un autre individu se sentirait directement concerné, on peut croire que l'orateur « pense debout » selon les propos de Hall. La voix est haute, et la couleur des yeux difficilement perçue. Dans son mode lointain, la distance publique correspond à celle qu'imposent automatiquement les personnages officiels important. Les acteurs de théâtre savent qu'à partir de cette distance d'environ 9 mètres la subtilité des nuances de signification données par la voix normale et les détails de l'expression des gestes sont peu perceptibles, il leur faut donc exagérer leurs comportements.
Ces quatre distances des rapports interindividuels valent pour les Américains et les Européens et sont différent de ceux pratiqués dans le reste du monde.
Néanmoins dans sa proxémie comparées des cultures allemande, anglaise et française, on remarque que les cultures occidentales diffèrent sur de nombreux points. Les différences culturelles, liées à des comportements inconscients sont de fait généralement attribués à la maladresse ou au manque d'éducation. Ainsi, on considère aux Etats Unis que deux ou trois qui discutent entre elles sont séparées des autres par une démarcation invisible, un mur virtuel qui garantit son caractère privé. Cela ne suffit pas pour un Allemand qui selon le terme « lebensraum » (+- espace vital), vit son espace de comportement comme un prolongement de l'ego et nécessite une isolation phonique physique (un mur).
L'une des différences de base entre les cultures tient au fait qu'elles prolongent respectivement des éléments anatomiques et des comportements différents de l'organisme. Dans chaque cas d'emprunt culturel, l'élément emprunté doit être adapté par la culture empruntante.
Dans la comparaison avec les proxémies des cultures japonaises et arabes, les différences apparaissent plus clairement. Ainsi, l'analyse des jardins japonais fait apparaître l'habitude japonaise de conduire l'individus à l'endroit précis où il sera en mesure de découvrir quelque chose par lui même. C'est la raison pour laquelle le
Japon a éprouvé des difficultés à intégrer l'automobile dans une culture où les lignes (routes) ont moins d'importance que leurs points d'intersection.
Chez l'Arabe, la localisation de la personne est par rapport au corps est très différente. La personne existe quelque part au fond du corps. Ainsi, il n'existe pas de d'équivalent du mot viol en arabe, le moi étant enfoui dans la profondeur du corps. Aussi, chez les Arabes les relations amicales impliquent une participation directe et regarder autrui latéralement est considérer comme une impolitesse.
Conclusion
Nous sommes donc devant des structures proxémiques très diverses. Leur analyse permet de déceler les cadres culturels cachés qui déterminent la structure du monde perceptif et sensoriel d'un peuple donné et donc sa conception des relation interpersonnelles.
Ceci revêt une très grande importance alors que dans le monde globalisé, les contacts multiculturels sont de plus en plus fréquents. Les relations internationales ne sont pas les seules à devoir prendre en compte la dimension culturelle. Ainsi, dans le domaine économique, les firmes multinationales devrait se servir de cette étude afin de pouvoir fournir des cadres de travail adaptés à leurs différents salariés et collaborateurs.
Edward Hall note aussi que ces variations devraient être prise en compte par les urbanistes qui devrait concevoir les villes en fonction des structures proxémiques de leurs habitants. Il dénigre donc le préjugé a-culturel utilisé par les fonctionnalistes selon lesquelles les différences entre les peuples ne sont que superficielles.
Pour lui, crise ethnique, crise urbaine et crise du système éducatif sont liées, l'étude de la dimension cachée, la dimension culturelle est un préalable nécessaire pour une compréhension globale de cette vaste crise. C'est pourquoi cet ouvrage est au moins autant un livre de prescriptions pour les pouvoirs publics qu'un travail de recherche.
Félicitations, tu viens de remporter le trophée du plus long titre sur Aeries's Guard v9 !
Bon, maintenant il va falloir le lire cet article.
Ahah, en vrai ce n'est qu'une grosse fiche de lecture, mais si tu as le temps, je te recommande vraiment le livre, qui fourmille d'anecdotes et d'exemples que je n'ai pas développés.
En effet, un bouquin tout à fait intéressant.
Article corrigé, mis en page et mis en avant
C'est une étude très intéressante, pour ma part je suis toujours faciné par les personnes parmi cent qui sont plus à l'aise dans une culture d'adoption que dans leur culture natale. Je ne parle pas de la superficialité de l'appropriation culturelle, je pense à ces personnes qui tentent de se rapprocher par tous les moyens d'une culture spécifique. J'en connais au moins trois, une française qui se sent plus à l'aise en Afrique qu'en France, et un français et un américain qui sont inexorablement attirés par la culture japonaise au-delà de la simple fascination. Le premier s'est installé là-bas et s'est marié avec une japonaise, le second vient d'entamer les démarches pour s'y installer.