Le jeu éducatif

Jouer et apprendre est un vieux rêve de pédagogue. La volonté d’utiliser le jeu de l’enfant comme support éducatif perdure depuis que l’Homme a compris qu’il pouvait trafiquer ses penchants naturels pour en faire autre chose. La longévité du jeu éducatif -sans cesse réinventé mais toujours le même sur le principe- pourrait plaider pour lui. Pourtant, une idée qui dure n’en est pas forcément une bonne. Après tout, la théorie des humeurs a dominé le milieu médical presque deux millénaires avant d’être totalement abandonné.

Vous l’aurez compris, j’ai des doutes sur l’efficacité du jeu éducatif et je vais vous expliquez pourquoi.

Jeu et développement

Commençons par se débarasser d’une fausse évidence. Jusqu’à présent, aucune étude n’a réussi à démontrer de liens entre jeu et développement. Aussi bien chez l’enfant que chez l’animal, la pratique du jeu ne semble pas d’avoir d’effets notables sur ses connaissances ou ses capacités. Une lionne ne chassera pas mieux si elle a plus joué à chasser. Un enfant ne maîtrisera pas mieux, ou plus vite, les chiffres et les couleurs même s’il a plus joué à des jeux dans lesquels ils sont utilisés.

Pourtant, il est indéniable que le jeu est nécessaire à l’enfant. Tous les enfants jouent et, d’un point de vue médical, ne pas jouer est symptomatique de pathologies graves comme un trouble autistique.

L’intérêt du jeu dans notre développement n’est peut-être pas à chercher dans l’apprentissage de compétences formelles. Nous n’apprenons pas à devenir médecin en jouant au docteur. Nous construisons notre rapport à l’autre, à la société, à notre propre corps. Un tas de choses difficiles à quantifier ou à observer. Et pas vraiment en lien avec l’éducation telle que nous la concevons habituellement.

De l’élève au joueur

Dans l’absolu, toute activité peut être ludique. A l’inverse, pratiquer un jeu (déplacer des pions, manipuler des cartes en suivant des règles) ne garanti pas que l’on joue. Cela signifie avant tout que l’activité ludique n’est pas liée à un matériel ou à un contexte. Jouer dépend avant tout du joueur.

L’élément essentiel du jeu est psychologique. Jouer, c’est se mettre dans une disposition particulière. Jouer, c’est devenir joueur. Même s’il y a souvent des indices, il est impossible d’affirmer par la simple observation qu’un individu joue et ne fait pas autre chose. C’est le dilemme du joueur de poker ou du footballeur professionnel. Jouent-ils, travaillent-ils ou font-ils les deux à la fois ? A mon sens, il n’y a qu’eux pour nous donner la réponse.

Si on part du principe que le joueur est à l’origine du jeu, cela pose de sérieux problèmes au concept même de jeu éducatif. Si l’on cherche à utiliser le jeu pour l’apprentissage on ne peut pas être sûr que cela marche. S’il est facile de donner à des exercices un aspect ludique, il est beaucoup plus complexe de transformer à coup sûr un élève ou un étudiant en joueur. Tenter d’utiliser le plaisir naturel d’apprendre est une bonne chose mais il m’est difficile de ne pas être dubitatif quand on veut confondre l’élève et le joueur.

Le joueur, seul maître de son jeu

Le joueur n’est pas qu’à l’origine de son jeu. Il en est aussi le maître. C’est bien lui qui décide d’y entrer ou d’en sortir mais aussi lui qui détermine ce qu’il va en retenir. Pour le joueur ce qui s’apprend dans le jeu est secondaire. L’intérêt de l’activité ludique est justement qu’il puisse y trouver ce qu’il veut même si cela signifie qu’il n’y trouve rien d’autre que de l’amusement. C’est difficile, voire impossible, d’intervenir de l’extérieur pour choisir ce que le joueur va apprendre du jeu. Au moins bien sûr de transformer le jeu en autre chose.

Donner un aspect ludique à un exercice n’en fait pas pour autant un jeu puisque cela ne dépend pas du matériel ou des mécaniques mais de la présence ou non du joueur.

Eduquer sans élèves, jouer sans joueurs

Le problème du jeu éducatif c’est qu’il est impossible de dire à l’avance si l’élève-joueur va vraiment apprendre ou s’il va vraiment jouer. Cela fait pas mal d’inconnu. Difficile, du coup, d’intégrer cette pratique à l’éducation scolaire et à sa recherche permanente de résultats. A moins de revoir totalement notre système d’apprentissage (et, par conséquent, notre société tout entière) il paraît difficile de faire véritablement entrer le jeu éducatif à l’école. Rien n’empêche, par contre, aux enseignants de s’inspirer du jeu en s’appuyant sur la curiosité et le plaisir d’apprendre que l’on retrouve chez de nombreux enfants.

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18 Commentaires

  • De ma propre expérience, je trouve qu'un jeu éducatif n'est pas forcement amusant et qu'un travail n'est pas forcement ennuyeux. En effet, tout cela peut très vite devenir contre-productif.

    Le gros soucis selon moi c'est que dans l'apprentissage tout le monde est traité sur un pied d'égalité, or chaque personne a ses propres rythmes et à une capacité d’absorption différente. A partir du moment que les groupes sont d'un niveau relativement équivalent, l'enseignement peut devenir beaucoup plus stimulant et peut être capable d'entrainer un cercle vertueux d'apprentissage. Que cela soit un jeu ou non importe peu au final, jouer ne peut être qu'un loisir et non un travail.

    De toute façon les huiles de l'éduc' peuvent inventer tout les programmes qu'ils veulent, il n'y aura jamais le financement qu'il faut pour les mettre en pratique correctement.

  • Je suis d'accord avec cet article et je trouve que tu as écrit très justement. clap

  • Moi aussi, ça me semble très juste

  • J'ai toujours pensé qu'il fallait préserver la composante récréative du jeu.
    Ça ne lui enlève pas toute valeur éducative (car tout apprentissage n'est pas forcément un apprentissage scolaire) mais ça l'exclut du champ des apprentissages obligatoires.
    De même ça n'enlève pas au jeu la place qu'il occupe dans le temps extra-scolaire, chez les jeunes comme chez les moins jeunes. Une place aussi importante que celle du sport par exemple.

  • Plus importante Spice. Enfin, c'est mon avis.

  • Commençons par se débarasser d’une fausse évidence. Jusqu’à présent, aucune étude n’a réussi à démontrer de liens entre jeu et développement. Aussi bien chez l’enfant que chez l’animal, la pratique du jeu ne semble pas d’avoir d’effets notables sur ses connaissances ou ses capacités. Une lionne ne chassera pas mieux si elle a plus joué à chasser. Un enfant ne maîtrisera pas mieux, ou plus vite, les chiffres et les couleurs même s’il a plus joué à des jeux dans lesquels ils sont utilisés.

    Étrange, moi j'ai justement compris l'inverse. Je me souviens de mon manuel de SVT, où l'on comparait le cerveau de souris qui n'avait aucune activité à faire tout au long de la journée, avec celles qui au contraire avaient des tobogans, des roues et tout un tas de jeux auxquels jouer. Le cerveau des premières semblait atrophiée, tandis que celui des secondes étaient nettement plus développées (bien plus de connexions entre neurones). C'est pour moi l'évidence que les jeux permettent de développer l'intelligence, peut-être que c'est une fausse impression, et pourtant les animaux, dont certains prédateurs, semblent le démontrer : pourquoi jouent-ils ? D'un point de vue strictement objectif, le jeu est une perte d'énergie qui doit être compensée par de la nourriture difficile à gagner. Et pourtant, tous les jeunes animaux jouent (et les adultes également, mais moins). Pourquoi ? Selon moi, il y a un but à cela, et c'est le fait de s'entraîner pour être plus efficace.

    Pour le reste je suis également d'accord smile
    Il est vrai qu'avant j'avais tendance à penser qu'il était possible de n'apprendre que par le jeu. Mais il y a des moteurs plus puissants que le jeu pour ce faire, ou même certaines connaissances à acquérir ne peuvent pas du tout se faire par le jeu.

  • Ce que je comprends de ce passage, c'est que que jouer à quelque chose ne te rend pas meilleur à ce quelquechose. Donc le jeu "ciblé" n'est pas lié au développement. Le jeu en général, oui, comme l'indique d'ailleurs le passage qui suit dans l'essai :

    Cathaseris a écrit :

    Pourtant, il est indéniable que le jeu est nécessaire à l’enfant. Tous les enfants jouent et, d’un point de vue médical, ne pas jouer est symptomatique de pathologies graves comme un trouble autistique.

  • Ce n'est pas ce que je comprends smile
    Dans le passage que tu cites, Cath dit que le jeu est nécessaire psychologiquement à l'enfant, et que ne pas jouer relève du problème psychologique/psychiatrique.

    Lorsque tu dis "jouer à quelque chose ne te rend pas meilleur à ce quelque chose", instinctivement je sens que c'est faux, plus on pratique une activité et meilleur on est à cette activité (que ce soit rapidement ou lentement). Pour moi, à la base et chez les animaux, jouer c'est pratiquer. Lorsqu'un chat joue avec des insectes ou avec sa proie, n'est-ce pas un entraînement pour la chasse ? Pour moi, il est évident qu'un chat qui joue à attraper des mouches ne peut être que meilleur à la chasse aux souris.

  • Ce que j'ai compris de ce qu'écrivais cath, c'est que le jeu est nécessaire au développement, mais qu'il n'entraine pas pour une activité précise. Jouer à la chasse, ce n'est pas équivalent à s'entrainer à la chasse (sans jouer).

  • Jouer à la chasse, ce n'est pas équivalent à s'entrainer à la chasse (sans jouer).

    Pour moi le résultat est le même : on est meilleur chasseur ensuite. Et ça contredit la phrase "la pratique du jeu ne semble pas d’avoir d’effets notables sur ses connaissances ou ses capacités."

  • L'entraînement et la simulation (le jeu donc) sont pour moi bien différents. Dans le cas du chat, s'il rate une mouche, ce n'est pas grave puisqu'il ne comptait pas la manger de toute façon. Il n'a donc pas besoin de faire des efforts particuliers pour réussir. Pour les humains, c'est pareil. Jouer à la guerre ne te rend pas meilleur soldat. Jouer à chat ne te rend pas meilleur chat. Jouer au voleur ne te rend pas meilleur criminel. Par contre tous ces jeux vont participer à ton endurance physique et tes réflexes moteurs, mais tu ne joue pas "à l'endurance physique et aux réflexes moteurs", sauf si tu t'entraînes dans le but de participer à une compétition d'athlétisme. L'entraînement et la simulation ont donc deux "buts" bien distincts. Dans le cas de l'entraînement, le but est précisément de devenir meilleur à ce à quoi tu t'entraînes. Dans une simulation, tu vas faire "comme si" avec des règles qui peuvent être très éloignées de l'activité simulée sans aucun impératif de résultat.

  • Il n'est pas question dans l'article de "simulation". Je reprends la phrase de Cath : "la pratique du jeu ne semble pas d’avoir d’effets notables sur ses connaissances ou ses capacités."
    Pour moi si, la pratique du jeu a des effets notables sur ses connaissances (par exemple connaissance de son corps, ou comment peut réagir un terrain, ou une proie, etc) et de ses capacités (meilleure endurance, ou force, ou même meilleure intelligence, comme dans l'exemple que j'ai cité avec les cerveaux des souris plus développés quand il y a des jeux).

  • Oui, mais ils ne sont pas notables, dans le sens où les effets ne se voient qu'en creux, quand ils manquent parce qu'il n'y a pas assez de jeu. En clair, tous les enfants qui jouent (peu importe à quoi) bénéficient sensiblement des mêmes effets sur les connaissances et les capacités, sans qu'il y ait de particularité notable lié à un jeu en particulier. Tandis que les enfants qui ne jouent pas présentent clairement des manques.

  • Vraiment ? Je suis persuadé que les joueurs de jeux d'arcade ou de combats ont des réflexes plus rapides que les joueurs de jeux de réflexion. Pas toi ?

  • Je suis aussi persuadé qu'ils ont de meilleurs réflexes de jeux d'arcade ou de combat que les joueurs de jeux de réflexion. Quand à savoir si ces réflexes peuvent se généraliser à d'autres activité, je n'en suis pas sûr. Je pense que quelqu'un avec de bons réflexes peut devenir bon aux jeux d'arcade ou de combat, mais l'inverse n'est pas du tout évident.

    Cela fait des années que je joue à des jeux de course, d'action, et de stratégie, et pourtant je ne suis pas meilleur conducteur, je n'ai pas plus de réflexes qu'avant, et je ne suis pas meilleur stratège. Ceux qui parlent des bénéfices du jeu vidéo sont autant dans l'erreur que ceux qui parlent des dangers du jeu vidéo.

  • Un réflexe, c'est un geste que tu fais dans un temps de réaction très court. Si tu t'entraînes en jouant à des jeux qui nécessitent d'être très rapide, cette rapidité est forcément utile à quelque chose d'autre, comme saisir une balle au bond (ou réagir plus rapidement face à une menace ou une proie). Jouer à des jeux d'arcade ne te rend pas meilleur chasseur, mais peut te faire prendre des décisions plus rapidement.

    Les jeux auxquels tu joues ne sont pas des simulations de la vie réelle, donc non ça ne te rends pas meilleur dans les domaines que tu cites. En revanche, peut-être que tu y as gagné en prises de décision grâce aux jeux de stratégie, que tu analyses mieux ce qui t'entoure.

    Par ailleurs, les futurs pilotes d'avions de ligne "jouent" à un simulateur de vol. Les militaires américains font jouer leurs soldats à des jeux vidéos de guerre, non pour les rendre meilleurs combattants, mais pour les préparer à des situations difficiles pendant leurs opérations, et diminuer leur stress (en fait le but est que leur esprit confonde la réalité et le jeu).

  • Peut-être que tu te focalise juste sur des termes. Dans son article Cath me semblait dire qu'on apprend à vivre, en jouant, mais que je jeu ne nous entraine pas. Et c'est bien à cause de cette différence sur ce que la personne qui agit en attend : si elle fait quelque chose dans le but de devenir meilleur à cette activité, est-ce toujours un jeu ? et si elle joue, cherche-t-elle à s'améliorer vraiment ?

    Le jeu peut te rendre meilleur parce qu'il va développer ton socle de compétences disons "fondamentales", mais il peut aussi bien n'avoir strictement aucun effet pratique mesurable, contrairement à un entrainement dont l'objectif est d'avoir des effets très pratiques.

    Jouer à des jeux de stratégie ne te rendra pas stratège. ça te rendra apte à jouer à ces jeux, avec leurs règles (ou à les contourner si c'est ainsi que tu a décidé de jouer). Quel jeu est assez fidèle à la réalité, à part des simulateurs de pilotage ? (et quand on "joue" sur un simulateur, joue-t-on toujours si c'est dans le but d'apprendre à piloter pour de vrai ? )

  • Dans mon article j'affirme que la pratique d'un jeu n'entraîne pas d'améliorations tangibles dans les domaines qui semblent pourtant sollicitées (comme la chasse dans un jeu de poursuite ou les couleurs et les chiffres dans des jeux utilisant ces concepts dans leurs mécaniques).

    Cette affirmation, qui m'a surpris autant que toi Dragoris, je ne la sors pas de mon chapeau magique. La première fois que je l'ais lu c'était dans un ouvrage répondant au doux nom de "Petits joueurs : Les jeux spontanés des enfants et des jeunes mammifères" de Jacob et Powell. Il s'agit d'une méta-analyse éthologique qui reprenait donc les différentes études qui avait pu être faites autour de la pratique ludique des enfants et autres mammifères. Cette première lecture a été confirmé par une étude d'un laboratoire de psychologie cognitive (sur les enfants uniquement cette fois) en juin 2014. L'étude s'intéressait à l'effet de jeux éducatifs sur de jeux enfants (2 à 4 ans si je me souviens bien). La conclusion était que la pratique de ce type de jeu n'avait aucun résultat significatif sur l'acquisition des capacités et connaissances mis en oeuvre dans ces jeux.

    Cela semble allez contre l'évidence mais lorsqu'on s'y penche véritablement, on s'aperçoit que finalement... Pas tant que ça. Si on compare avec notre expérience d'adulte, cela revient à faire croire qu'on peut acquérir une culture générale en jouant à Trivial Poursuit, Time's Up ou Timeline ou, comme le disait Bashar, qu'on devient un général compétent en jouant aux échecs.

    Pour reprendre ce dernier exemple, peut-être que le jeu d'échec, le go ou le shogi on pu servir de support pour apprendre les rudiments du commandement militaire mais c'était, d'une part, dans un cadre bien précis qui nous permet de douter de l'aspect réellement ludique de la pratique de ces jeux et, d'autre part, cela devait s'inscrire d'une instruction beaucoup plus large et complète.

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