Bonjour, et bienvenue dans le monde merveilleux des sujets de Luminox. Maintenant que vous êtes installés confortablement dans vos idées sur comment les histoires se racontent, je viens vous poser quelques questions.
Vous n'êtes probablement pas sans savoir, si vous êtes sur ce forum, qu'il existe de nombreuses plaintes relativement récentes sur les scénarios d'un grand nombre de jeux vidéos actuels. Les joueurs aguerris, qui ont goûté aux joies des jeux des années 90 et précédentes, déplorent la linéarité de la narration des nouveaux jeux vidéos: on peut ainsi voir déplorer que Final Fantasy 13, pourtant très éloigné du premier opus, laisse une part aussi infime à l'exploration, qui est une des plus grandes forces de ce qui était prévu comme le dernier jeu de Square Enix; de même, des shooters comme Call of Duty sont présentés comme la lie de l'écriture scénaristique, et on flagorne ses prédécesseurs, comme Quake, qui permettait au joueur de se perdre dans ses méandres. On distingue alors dans ces exemples deux types de narration vidéoludique: une qui dirige le joueur et lui offre directement toute l'histoire (Call of Duty, FFXIII), et une qui se construit par l'interaction du joueur avec son environnement, et qui nécessite la liberté d'interaction de ce dernier.
On peut présenter une forme de narration intermédiaire: celle qui détermine les conséquences de différentes actions par des "choix" présentés de façon directe, par exemple dans des dialogues ("tapez 1 pour être d'accord, 2 pour vous moquer, 3 pour tuer votre interlocuteur"), qui, s'ils permettent au joueur de se sentir en contrôle de ses actions, le laissent finalement dirigé par les options prévues par les développeurs et l'empêchent de créer sa propre histoire. Celle-ci reste cependant interactive, au contraire du premier type de narration présenté.
Si je viens présenter ces réflexions, c'est que certains jeux "récents" viennent mettre en perspective l'opinion qui était dominante ("La narration doit être construite par l'interaction du joueur avec l'environnement"). Prenons par exemple Bastion, qui est très linéaire dans ses niveaux et son exploration, mais qui présente l'intérêt d'avoir un narrateur qui crée la narration et l'interaction: ses phrases dépendent en effet de ce que fait (ou ne fait pas) le joueur, et ce jeu a été vanté pour la qualité de sa narration sur des critères qui sont pourtant reprochés aux Modern Warfare, entre autres le côté linéaire et cinématographique. Portal 2, apprécié par une très grande quantité de monde, n'avait presque aucun aspect exploratoire, et son scénario (et, par extension, la façon dont il est présenté, c'est à dire sa narration) n'a pas manqué d'éloges.
Les critiques restent les mêmes pourtant pour de nombreux jeux qui ont un franc succès - en particulier la série des Modern Warfare. Une question alors se pose: la narration présentée par les amateurs (les critiques professionnels pouvant être subventionnés pour octroyer un jugement favorable) est-elle vraiment supérieure à celle qu'ils défendent?
J'ai parlé principalement de jeux vidéos, mais je voudrais également utiliser ce thème comme un tremplin pour ouvrir sur d'autres modes de narration: l'oral, le livre, le cinéma, la chanson, le jeu vidéo et j'en passe sont tous des médiums qui peuvent permettre de raconter une histoire: ils sont donc des médiums de narration. Chacun d'entre eux a ses spécificités qui rendent plus faciles certains types de narration: un livre semble ne jamais pouvoir être aussi interactif qu'un conteur, qui pourrait cependant tout aussi bien se contenter d'un monologue fixe au contraire d'un "Livre dont vous êtes le héros". On connaît des visual novels qui séparent leurs épisodes en modules qui dépendent de choix présentés à l'écran, comme on connaît les films classiques du cinéma actuel qui présentent une trame narrative complète inaltérable. Mais y'a-t-il véritablement une narration optimale pour un mode? Est-ce que les histoires elles-mêmes auraient, de la même manière, un mode de narration préférentiel? Et si oui, sur quels critères?
Voilà, entre autres, un aperçu des questions sur lesquelles je voudrais avoir vos avis, vos arguments, vos exemples, vos opinions et tutti quanti. Ceci est un espace de discussion libre, il n'est pas formaté selon les règles d'un débat et prétend pouvoir bénéficier de tout apport, aussi modeste soit-il, de la part de ses intervenants.
Que le combat (d'idées, pacifiques, sans trop d'insultes) commence!
Dans une époque pas si lointaine (à l'échelle de l'homo-sapiens) il y avait 0% de jeu et 100% de scénario. On appelait ça le jeu d'aventure. On pouvait entrer des commandes au clavier, par exemple :
et ça faisait avancer l'histoire (ou pas).
Mmh, on peut pas vraiment dire que c'était 0% de jeu.
Y avait un côté "puzzle", fallait deviner ce que le développeur voulait que tu fasses.
Et y a toujours possibilité de combats avec jets de dés.
Après on va éviter de s'attarder sur une définition de "jeu", hein ...
Spoiler (Sélectionnez le texte dans le cadre pointillé pour le faire apparaître)
D'ailleurs, en parlant de jeu d'aventure, je viens de finir Alone in the Dark 1 & 2, où on a parfois vraiment le problème de "divination" obligatoire. Exemple: Une porte est fermée à clé mais tu peux poser une bouteille de vin empoisonnée derrière.. en l'ouvrant , ce qui est totalement illogique et introuvable sans soluce. Mais je digresse.
Je pense que c'est parce que suivant les jeux, la narration est plus ou moins importante. Dans Portal 2, il faut souvent se poser et réfléchir au puzzle, et la narration n'est donc pas malvenue, ni la linéarité (on aurait l'impression de manquer des énigmes intéressantes si il y avait trop de choix).
Dans Modern Warfare, qui est un jeu de tir si mes souvenirs sont bons, l'action est beaucoup plus présente, ça bouge de partout : il n'y a pas de temps pour la narration. Et la linéarité est aussi beaucoup plus visible, du fait de la répétitivité des jeux de tirs.
Sinon, concernant les livres (avec les "livres dont vous êtes le héros" et le livres "classiques"), je pense que les histoires racontées par les "livres dont vous êtes le héros" ne serait pas du tout adaptées à une édition "normale". Les scénarios sont le plus souvent trop "bateaux" pour ça.
Je suis presque certain que cet optimum n'existe pas, puisqu'il résonne avec notre imaginaire et que ce dernier est subjectif, culturel et évolutif. Théoriquement, on pourrait considérer qu'il existerait un optimum mais il ne serait valable que pour un panel de gens faibles et pendant un laps de temps assez court. C'est bien ce qu'on constate avec des oeuvres anciennes qui ont marqué leur époque, et qui pour la génération d'après font totalement flop.
On pourrait se dire que certaines oeuvre continuent de toucher les gens, longtemps après. Ont-elles touché une sorte de graal de la narration, ou n'ont-elle qu'eu la chance d'utiliser pour leur histoire des éléments contextuels qui sont plus durables que d'autres ?
Au sujet de la question est-ce que les histoires doivent laisser de la liberté ou pas, je pense que ça dépend aussi du contexte. Certaines seront parfaite seulement si elles ne laissent aucune liberté, et d'autre ce sera l'inverse.
C'est drôle, je suis justement en train d'écrire un article sur un STR qui a un aspect narratif très développé.
Je n'en dit pas plus pour le moment
Je me permet de recentrer légèrement la discussion, quoiqu'elle présente des arguments intéressants.
La subjectivité de nos imaginaires n'est pas pertinente ici par exemple: on ne s'intéresse pas directement au côté plaisant ou attractif d'une histoire, que le scénario soit "bateau" nous est donc indifférent; la question porte sur la façon dont elle est racontée, c'est à dire la narration, et la qualité de cette dernière. Bien sûr, on peut dire qu'une histoire est bien racontée si elle est plaisante, mais limiter la qualité de la narration à ce seul critère mène, comme le montres Le Bashar, à un subjectivisme assez stérile, étant donné que les seules réponses qu'on obtient deviennent "ça dépend". Or "ça dépend" de choses qui sont extérieures à la narration, comme par exemple la mode, les conventions en vigueur, et ainsi de suite; par ce chemin, on sort du cadre de la question.
Une façon dont je peux mettre en évidence qu'il existe une forme préférentielle de narration pour certains médiums est la différence très nette qui existe entre les livres dont vous êtes le héros et les jeux vidéos rpg du type Baldur's Gate.
Le livre dont vous êtes le héros fonctionne généralement avec un système de points, d'inventaire, de combat que le joueur-lecteur doit gérer lui-même. Ce qui, d'un côté, permet au joueur de s'impliquer dans l'univers (tenir compte de la quantité de nourriture qu'il possède, de ses objets, etc...) mais l'en distrait également ("J'ai perdu trois pvs, moins un parce que j'ai pris l'avantage résistant... ah non ça ne fonctionne que contre le poison...") et, en cas d'erreur, le laisse continuer seul sans aide, dans un univers alors biaisé. L'histoire dépend donc d'un système qui en est extérieur et qui en retire le joueur. Au contraire, même si les systèmes des jeux rpgs type Baldur's Gate sont bien plus complexes, les calculs du système sont automatisés, ce qui présente l'avantage de permettre au joueur de se concentrer uniquement sur ce qui arrive en jeu, tout en conservant les mécanismes d'implication du joueur (l'inventaire peut être simplifié mais pas supprimé par exemple).
On trouve alors qu'il existe, pour une narration ouverte à choix discrets (c'est à dire en nombre limité et dénombrables), un médium préférentiel; et qu'en conséquence, en ce qui concerne le livre, ce type de narration est moins intéressant qu'une narration linéaire.
(Notez que je ne cherche pas à dire qu'il faudrait supprimer les "livres dont vous êtes le héros", le but de la discussion étant surtout de réfléchir sur les questions que je me pose.)
Je voudrais également faire la différence entre narration et narrateur. Dans tout jeu (vidéo) il y a une forme de narration interactive qui n'a pas besoin de narrateur.
Si, par exemple, on suit l'escouade dans une mission de Modern Warfare, que d'un coup des ennemis débarquent, vous tirent dessus, vous forcent à utiliser le terrain de façon à les défaire, il y a une narration, il y a une histoire qui s'est créée: celle de l'embuscade et de la façon dont elle a été déjouée. on peut parler de "narration non-verbale": il n'y a pas eu de description de l'événement, il a été vécu - mais au travers un médium qui permet au joueur son immersion tout en lui présentant une histoire qui n'est la sienne que par identification. De la même façon, quand Chell doit résoudre un problème dans Portal (1 ou 2), il n'y a pas de petite voix qui dit "Comme Chell avait du mal! Elle a d'abord tenté de poser le bloc à côté du bouton rouge, puis devant; réalisant que cela ne fonctionnait pas, elle a sauté sur le bloc, comme pour se venger de son inefficacité", mais c'est un événement qui est raconté à travers les interactions du joueur dans le jeu. Peut-être qu'une fois le problème résolu elle obtiendra un dialogue spécial qui félicitera (ou critiquera si c'est GladOS) sa vitesse de résolution: cette fois ce sera de la "narration verbale", qui pourrait prendre la forme suivante:"Bravo! Vous avez résolu l'énigme en trois secondes sept dixième de moins qu'un singe aveugle."
C'est pourquoi on ne peut pas dire que la narration n'a pas sa place dans Modern Warfare. Mais peut-être est-elle moins bien faite dans cette série de jeux, ce qui semble démenti par son succès.
Pour reprendre sur le côté exploratoire du jeu d'énigme, que martin_zepigue présente comme préférentiellement linéaire en narration, je me permet d'opposer en exemple antichamber, très proche de Portal dans son esthétique, mais aussi très exploratoire. La narration verbale est fournie par des panneaux qui exposent des maximes ou des petites pensées relatives à chaque passage/énigme, et qui lui aussi a été acclamé: il ne semblerait donc pas qu'il y ait nécessairement une préférence pour une narration linéaire dans un jeu de puzzle.
Ta réflexion initiale présente une faiblesse qui empêche de se concentrer sur le fond du problème : tu te réfères aux prétendues critiques négatives du scénario de Call of Duty, puis tu t'attaches à montrer qu'elles ne sont pas fondées.
Mais je ne me souviens pas que la série des Call of Duty ait jamais été critiquée sur sa qualité narrative. Je me souviens de critiques sur la durée de la campagne solo, jugée trop faible, sur la répétitivité des titres de la série dont un opus sort chaque année, sur sa prise en main censée être très (trop) facile par rapport à Battlefield, et enfin sur la toxicité de sa communauté de joueurs adolescents en ligne.
Du coup toute ton argumentation tombe un peu à plat pour moi parce que le présupposé de départ ne tient pas. Heureusement ton commentaire précédent recentre effectivement le débat sur ce qu'il aurait dû être depuis le début.
Pour répondre à ta question initiale, je ne crois pas qu'il y ait objectivement une narration optimale pour un médium donné. Comme tu l'as montré par tes exemples, la narration linéaire peut fonctionner dans le cadre des films, des livres et des jeux vidéo, tout comme la narration non linéaire peut fonctionner dans le cadre de livres et de jeux vidéo, dont certains sont regroupés dans la catégorie dite des "films interactifs" comme Fahrenheit, Heavy Rain et encore plus récemment Beyond : Two Souls.
Comme tu l'as souligné, il y a effectivement des medium plus pratiques pour certains modes de narration. Le film se prête naturellement bien à la narration linéaire, plus encore qu'un livre qui peut être lu dans n'importe quel ordre. Le jeu vidéo se prête naturellement bien à la narration non-linéaire grâce à son interactivité. Un exemple qui me vient à l'esprit est RimWorld, une simulation de colonie futuriste qui commence avec le crash d'un module de survie contenant trois personnes, un stock nourriture et du metal. A partir de là, le joueur va pouvoir diriger le devenir de la colonie, mais pas directement le sort de ses colons, un peu à la manière des lutins de Dungeon Keeper. Le travail (construction, agriculture, patrouille) est assigné par le joueur, et les colons décident eux-mêmes d'entreprendre telle ou telle tâche, tandis que des événements semi-aléatoires surviennent pour pimenter le jeu. Toute la subtilité narrative provient des interactions entre les colons et l'environnement (ou les colons entre eux) que le joueur n'avait pas prévu et auquel il doit réagir indirectement. Pillards, blackout, animaux sauvages sont autant de paramètres qui vont provoquer le genre de narration non-verbale dont tu parlais, et rapidement l'attachement aux colons qui ont chacun un nom, un background et des particularités propres supplante la gestion froide de la survie de la colonie.
Mais sur quoi te base tu pour dire qu'il existe cette narration préférentielle ? le nombre d'oeuvres produites ? leur succès commercial ? ton sentiment perso ?
Dans la mesure ou toute forme de narration s'appuie sur une interprétation du message faite par celui qui le reçoit, j'avoue ne pas voir comment on pourrait en discuter en faisant abstraction du contexte ? Comment veux-tu évaluer la qualité de la narration dans l'absolu ?
Prend la différence entre les livres dont vous êtes le héro et baldur : certes c'est différent, pourtant les premiers jeux RPG d'ordi étaient des copies conformes des livres dont vous êtes le héro. C'est seulement au bout d'un certain temps que le nouveau média a fait apparaître de nouvelles idées. Est-ce que du coup on peut dire que l'ordi est un support préférentiel pour des RPG D&D qui enchainent un nombre invraisemblable de combats, impossibles à jouer à la main ? oui, mais d'un autre côté pour avoir un sentiment proche, certains joueurs font des grandeur nature.
Plutôt que des supports préférentiels, moi je vois plutôt des impossibilités techniques à faire certaines choses avec certains supports.
Il est vrai que j'ai sans doute accordé trop d'importance à Modern Warfare. Pourtant, des critiques sur la narration que cette série emploie et partage avec d'autres jeux de tir moderne existent, et j'en donne l'exemple avec deux vidéos de TotalBiscuit (un youtubeur renommé qui teste des jeux vidéos avec sa série "WTF is...?"
Modern Military Shooters in a nutshell
Dans cette vidéo, qui porte principale sur Medal of Honor: Warfighter, Totalbiscuit décrit plusieurs défauts qui le gênent dans son approche des jeux de tir à la première personne moderne, entre autres l'abondances de cinématiques, qui se retrouve dans Modern Warfare.
Have single-player FPS gone backwards?
Ici, Totalbiscuit défend l'idée selon laquelle dans un jeu FPS, l'exploration et les actions sont plus importantes que l'histoire - ce qui revient à préférer une narration non-verbale à une narration verbale. Pourquoi? parce que le jeu est un mode de narration qui met le public à la place du personnage principal; or, en tant que héros, le joueur veut se sentir en contrôle de l'histoire. Ainsi, d'après lui, une narration linéaire ne peut pas être satisfaisante dans ce genre vidéoludique. C'est donc parce qu'elle ôte le contrôle, ou son sentiment, au joueur que la narration linéaire est moins bonne, pour ce médium, que la narration ouverte, qui elle permet au joueur de contrôler ses actions et ainsi de se sentir véritablement un héros.
On pourrait lui opposer l'argument selon lequel un jeu à narration linéaire est souvent plus facile et donne à son joueur un sentiment de toute-puissance qui lui donne l'impression d'être en contrôle, mais je crois qu'il répondrait que ce sentiment est finalement assez frustrant, parce qu'après quelques exemples le joueur se rendra compte qu'il n'a aucun contrôle sur les événements.
Un jeu que je voudrais citer à ce sujet, sur l'importance du contrôle du joueur sur sa destinée (ou de l'illusion de ce contrôle) est The Stanley Parabole, dont il existe de nombreux Let's Play sur youtube, et je vous incite chaudement à en regarder un ou même à jouer au jeu lui-même; c'est une réflexion portée sur l'interaction entre le joueur et le développeur, et l'importance (ou l'insignifiance) de la narration dans un jeu.
Afin d'éviter de trop digresser, je vais revenir sur ta réponse: tu dis qu'il n'y a pas de narration favorite pour un mode de narration parce que différentes narrations peuvent coexister pour un même mode. Mais ça n'indique aucune réponse: au contraire, pour qu'il y ait un favori, il faut des concurrents, donc l'existence de plusieurs options de narration au sein d'un même mode est une condition qui pourrait entraîner d'avoir une narration préférentielle pour un mode. S'il existe des modes préférés pour une narration, pourquoi pas l'inverse? Je concède tout de même que cette démonstration reste encore à faire.
Pour répondre au Bashar, je n'ai pas véritablement de critère, je cherche à voir s'il y en existe un qu'on pourrait utiliser qui pourrait montrer qu'il existe une narration optimale pour un mode. Dans la phrase que tu cites de moi, je pose le fait que s'il existe un mode préférentiel sur un autre pour un type de narration (le jeu vidéo de genre RPG sur le "livre dont vous êtes le héros"), alors le couple "livre dont vous êtes le héros" + "narration ouverte" présente des défauts (devoir se préoccuper de la complexité du système, la possibilité de passer outre la façon dont l'histoire a été construite en "trichant" pour aller aux passages préférés); au contraire, un livre de type roman avec une narration linéaire (pourquoi pas l'appeler "fermée" d'ailleurs, par souci de clarté, comme elle n'offre pas d'options à explorer) ne présente pas de défauts flagrants. On pourrait donc dire que la narration fermée est plus intéressante que la narration ouverte pour le livre; et si on peut comparer deux narrations pour un mode et former une hiérarchie de préférence entre les deux, qu'est-ce qui nous empêche de le faire sur d'autres modes?
Peut-être qu'on peut élargir la discussion sur les genres. Dans un même mode (jeu vidéo, littérature, cinéma) il existe plusieurs genres (FPS, RPG, etc... théâtre, roman, etc... série, film d'animation...). Peut-être est-ce plus le genre qui appelle une narration, et pas un mode. Un "livre dont vous êtes le héros" semble n'avoir de sens qu'avec une narration ouverte, tout comme un roman semble n'avoir de sens qu'avec une narration fermée. Mais est-ce que c'est le cas?
Enfin, si on cherche à affirmer qu'il n'y pas de narration optimale pour un mode, dire "je ne pense pas que ça existe" ne suffit pas. Il faudrait le démontrer, par exemple en prouvant que choisir un critère mènerait à une impasse, ou qu'il ne peut pas en exister qui soit indépendant de la réception (c'est à dire le public).
Pour le coup, je ne suis pas du tout d'accord avec TotalBiscuit, je n'ai jamais accroché aux vieux jeux vidéo Duke Nukem-like et on ne m'y refera pas rejouer de bonne volonté. Je n'ai pas la prétention de croire que les FPS doivent être aujourd'hui comme ils étaient il y a maintenant 20 ans. Je n'aimais pas ces jeux parce qu'ils étaient trop durs pour moi. Il fallait avoir des réflexes et être précis à la souris, du coup je ne dépassais jamais les premiers niveaux.
J'ai récemment installé Battlefield 3 que j'avais de disponible sur Origin, et je me suis rendu compte que j'avais exactement le même problème qu'avec les FPS plus anciens : je ne suis tout simplement toujours pas assez bon pour progresser dans ces jeux.
Je passe sur la remarque sur le réalisme de la première vidéo quand dans la deuxième vidéo il se mange des dizaines de balles 9 mm qu'il guérit instantanément en ramassant des kits de soin qui traînent par terre.
Tout cela pour dire que la critique est forcément subjective.
Ah, la fameuse Preuve Irréfutable© ! Je ne souhaite pas développer sur ce piège rhétorique parce que ça me fatigue un peu dans l'instant, je me contenterais de ça comme explication :
Ertaï a écrit :
Sans vouloir paraître pédant, j'aime bien avoir à faire face à des démonstrations, les opinions peuvent être utiles pour avoir un aperçu des impressions que nous laissent l'une ou l'autre chose, par exemple des questions qui orientent des discussions, mais le jour où je me laisse convaincre par un "je ne crois pas" sans explication est celui où je n'aurais plus peur de me pendre
Au passage, j'ai donné des exemples de preuves, mais je n'appelle pas forcément à ce qu'elles soient celles-là. Je ne prévois pas ce qui peut être convainquant. Et je ne vois pas en quoi il s'agirait d'un piège rhétorique, étant donné que j'ai cherché à démontrer (ou qu'à défaut j'ai retiré) toute chose que j'avançais.
A part ça, je suis d'accord avec le fait que chaque génération a des créations qui lui correspondent, et qu'il ne faut pas figer la façon dont on construit les jeux (en l'occurrence de tir en vue subjective) sous prétexte d'avoir trouvé un modèle satisfaisant. Mais la difficulté omniprésente, qui te rebutait et te rebute, n'était-elle pas aussi un outil de narration? Peut-être un peu simpliste: il cherchait à faire du joueur un héros par ses compétences au lieu de lui en donner l'illusion au travers du jeu. Il n'empêche que c'est une méthode qui a son intérêt et qui peut être défendue, mais simplement qu'elle ne te convenait pas.
Dans cette conversation, c'est un piège rhétorique parce qu'on parle d'oeuvres artistiques. Or l'art n'a d'une manière générale que faire de l'optimisation, et toute tentative pour prouver l'existence (ou la totale absense) d'optimisation dans des oeuvres d'art se soldera par un clair manque de preuve et des arguments basés sur les goûts personnels. Mais cela ne prouve pas la thèse inverse non plus. C'est un peu malhonnête également d'ouvrir la discussion par "Qu'en pensez-vous ?" pour arriver à "Ce n'est pas avec ce genre d'arguments que vous allez me convaincre". Je me sens un peu trahi par la révélation surprise de ton but caché, du coup j'adopte une position défensive qui par conséquent nuit au débat. Au lieu de m'ouvrir, je tente plutôt de refermer une discussion devenue champ de mines rhétoriques.
Si tu veux des arguments un peu plus logiques, je dirais qu'il n'y a pas d'optimal de narration dans quelque médium artistique que ce soit parce que s'il y en avait un, tout le monde s'empresserait de l'utiliser. Le simple fait que des gens choisissent délibérément de produire des créations dont la narration ne colle pas au medium d'un point de vue pratique montre bien que la motivation pour utiliser telle ou telle forme de narration n'est pas liée uniquement à sa facilité de mise en oeuvre en fonction du medium. On peut dégager des grandes lignes de types de narration plus ou moins pratique pour tel ou tel médium (comme on l'a déjà fait plus haut), mais tu ne parviendras jamais à l'absolu d'un optimal tant la narration est subjective.
Puisqu'il faut une démonstration, tâchons donc d'en faire une.
Postulats :
La narration est un support pour un message qui va de son auteur à son spectateur. En produisant ce message l'auteur a une motivation (même s'il ne la connaît pas). En recevant ce message le spectateur en est affecté (ou peut y être totalement indifférent mais nous allons laisser de côté ce cas particulier pour le moment).
Certaines œuvres peuvent se contenter de ce postulat, et dans d'autres on va avoir plusieurs auteurs simultanés, plusieurs spectateurs est aussi possible, et même dans le cas des jeux, une multitude de messages dont le joueur n'en recevra qu'une partie, puisqu'elle est dépendante de ses propres actions et modifications induites sur le message par rétroactions. Mais toute cela ne change pas la logique de base.
Conséquence :
Il est impossible d'extraire le message de son contexte doublement subjectif, des motivations de l'auteur, et des affectations du spectateur. Le message sans auteur n'existe pas (ou plutôt il n'est pas différenciable du bruit cosmique). Le message sans spectateur n'a qu'une existence purement virtuelle et reste lié à l'imaginaire de son auteur faute d'avoir touché quelqu'un.
Question :
Quand doit-on considérer que la narration est réussie ? Qu'elle ai un spectateur est indispensable, mais à part le cas où ce dernier reste totalement indifférent, je pense qu'on peut dire dans tous les autres cas que le message est réussi. Même si l'affectation produite chez le spectateur ne correspond pas à ce que voulait l'auteur (puisque celui-ci peut très bien n'être pas conscient de ce qu'il dit vraiment).
Donc il ne peut pas y avoir de narration optimum, sauf, si on décide d'abord de ce qu'on va arbitrairement appeler cet "optimum", en fonction des affectations produites sur le spectateur (parce que c'est à ce moment là seulement que le message commence à exister, et qu'il n'y a donc que ça comme point de repère fiable).
Le jeu qui a été présenté ces derniers temps comme un exemple du storytelling, c'est The Last of Us. Et pourtant je trouve pas que ce soit un exemple particulièrement probant.
L'histoire de TLoU est bonne, y a pas à dire. Mais elle est aussi très linéaire, et beaucoup de ses mécanismes sont les mêmes que ceux d'un film. Si on élimine l'aspect gameplay du jeu, il n'y a pas énormément de choses à modifier pour créer un film solide ; éliminer quelques-unes des plateformes destinées au combat contre l'AI (qui sont d'ailleurs parfois répétitives et pas toujours nécessaires), raccourcir quelques passages, et voilà. L'idée d'un film à la première personne n'est pas mauvaise en soi, et l'expérience de jeu est intéressante, mais j'ai pas l'impression qu'on exploite complètement les possibilités du medium.
Je n'arrive pas à saisir à quoi tu t'attendais ? Si The Last of Us a été présenté (par qui ?) comme un exemple de storytelling (pour quelles raisons ?), le fait qu'il se rapproche beaucoup de la cinématographie tendrait à confirmer la présentation. En effet, le storytelling (ou narration, en français mais ça fait moins chic) linéaire est le plus courant et le plus accessible. Dans ce sens là, les jeux vidéo n'ont historiquement pas toujours brillé. Entre les jeux de réflexes, de combat ou de réflexion, l'amateur d'histoire n'avait pas beaucoup à se mettre sous la dent. J'ai l'impression que la narration, même sans ânonner un discours marketing, est en progression dans le domaine du jeu vidéo.
Est-ce un bienfait absolu ? Pas pour tout le monde visiblement, vu que l'arrière-garde du jeu vidéo représentée par Total Biscuit regrette les FPS masochiste sans l'ombre d'un scénario. Et même pire que ça, il regrette la présence de narration dans des jeux qui n'ont rien à voir avec les Duke Nukem like à part cette vue à la première personne. A-t-il regretté l'absence d'armes à foison dans Mirror's Edge ou , lui aussi jeu à la première personne ?
Concernant l'exploitation du médium, si tu ne regardes que les productions AAA, indépendamment de tout jugement de qualité à l'emporte-pièce, c'est quand même très réduit en terme de nombre de titre par rapport à tout ce qui est fait. Pour chaque titre AAA publié, il doit y avoir quelque chose comme 3 ou 4 titres indépendants, et une centaine de jeux vidéo amateur.
Et la raison pour laquelle il y a finalement si peu de jeux rentables par rapport à la quantité de créée, c'est parce toutes les exploitations du médium ne sont pas forcément viables. Si ton jeu ne plaît qu'à 10 personnes dans le monde, tu peux te targuer d'avoir créé quelque chose de vraiment original dans le monde du jeu vidéo, mais c'est à peu près tout. Du coup la majorité des créateurs de jeu vidéo font la même chose que ce qui se passait dans la peinture par exemple, ils prennent un truc qui marche et le refont à leur sauce, et tant pis si tu n'as pas l'impression que le medium est complètement exploité
Nonon je m'attendais à rien, hein, j'ai même pas de PS3 ou 4 Je trouve juste que c'est une part intéressante de la discussion sur les mediums. Est-ce qu'une bonne narration est quelque chose de similaire dans un jeu vidéo et dans un film ? Les deux opinions se rencontrent.
Ce que je voulais dire, c'est que pour certains, faire parvenir le jeu vidéo à faire croire que tu es dans un film est un but narratif à atteindre. Pour ceux qui ne sont pas d'accord, il y a plein d'alternatives narratives dans le jeu vidéo en général, et critiquer The Last of Us comme ne correspondant pas à leurs attentes narratives me semble vain, quelle que soit la popularité du jeu et ce qu'il a pu en être dit par ses promoteurs ou des critiques partageant l'avis du concepteur. C'est comme venir dire à quelqu'un qui est en train de manger des épinards que tu n'aimes pas ça. A part si on veut te forcer à en manger, un tel avis négatif ne me semble pas constructif : le type va quand même continuer à manger des épinards et toi non, mais il va sans doute se méfier de toi la prochaine fois que tu t'approches de lui.
Bon, je prend en route mais je vais essayer d'intervenir sur tout ce qui m'a donné envie de faire des remarques.
Déjà, Luminox je ne suis pas vraiment convaincu par le "tout est narration". Je pense qu'on devrait rester sur sa distinction d'avec le gameplay. D'abord parce qu'elle a l'avantage d'être claire ensuite parce qu'il ne faudrait pas oublier l'importance de l'intention du développeur. Selon moi pour qu'il y ait narration, il faut qu'il y ait intention de raconter une histoire. Si je reprends ton exemple sur l'embuscade dans un FPS. Pour moi, il s'agit d'une phase de gameplay. Si, en effet, tu peux toujours t'amuser à en faire une histoire, il n'y a pas de volonté réelle de créer (ou de faire avancer) à ce moment précis du jeu.
Ensuite, cette histoire de formes narratives différentes et le choix entre celles-ci fait écho à un article que j'avais écrit sur le jeu de rôle papier. L'idée était de présenter deux façons de mener une partie, soit en suivant un scénario préétabli, soit en improvisant. Les deux sont valables, simplement elles n'ont ni les mêmes qualités, ni les mêmes défauts. Le scénario permet une meilleure maîtrise du rythme et d'éviter les ralentissements et autres errances scénaristiques d'un MJ en mal d'inspiration. L'improvisation permet, quant à elle, de donner plus d'importance aux joueurs dans la narration et offre plus de chances à tous de sortir des sentiers battus et des petites habitudes scénaristiques.
Il est facile de faire une analogie avec les narrations fermées et ouvertes présentés pour les jeux vidéos. Les narrations fermées, plus scriptées, permet d'obtenir une histoire plus maîtrisée, mieux rythmée et potentiellement plus tape-à-l'oeil qu'une narration ouverte. Cette dernière offre plus de liberté et de contrôle au joueur.
Enfin, je pense que dans les critiques exposées ici sur différents jeux AAA on ne peut pas faire l'impasse sur la subjectivité. Si la narration de Modern Warfare et consorts est si critiquée, c'est d'une part en raison de son manque d'originalité, (il ne fait que reprendre la recette déjà éculée de ses prédécesseurs) d'autre part en raison de sa mauvaise qualité sur le fond (les ficelles sont grosses et enjeux vus et revus). D'autres exemples montrent que la narration scriptée est beaucoup moins critiquée lorsqu'elle sert une histoire originale. Finalement peu importe la forme du bol tant que la mayonnaise prend.
À propos d'éventuels nouveaux modes de narration non-linéaires.
J'ai cherché comment les modéliser. Avec les réseaux de Petri, les HFSM (Hierarchical Finite State Machine), les graphes de boîtes, ou bien les bigraphes ? Probablement aucun de ceux-là. Je ne trouve pas le modèle mathématique correspondant. Pour le dire autrement : il est tout à fait possible que les nouveaux modes de narration n'existent jamais ailleurs que dans l'imaginaire méta-ludique. Car il est rarissime que l'on invente un usage avant son modèle mathématique sous-jacent.
Ma tentative d'explication pour cet état des choses : un modèle mathématique est contextuel alors que la narration est situationniste.
Après tout n'est pas perdu. Je suis peut être passé juste à côté. Ou bien alors la solution viendra d'un philosophe-mathématicien. Ou bien d'un jeu qui va tout révolutionner sans passer par la case prise-de-tête.