Pensées sur les mathématiques

Une approche qui se veut philosophique sur la nature des mathématiques et en particulier un type d'objet qu'elles manipulent: les nombres, et qui mène à comprendre pourquoi il est possible d'admettre des idées innées chez l'homme.


Je ne sais pas pour vous mais quand je suis heureux, je me sens intelligent, et quand je me sens intelligent j'ai envie de penser plus. Bien sûr, ça ne veut pas dire que ce que je pense est meilleur ou plus abouti, mais c'est pourquoi je me propose de le partager ici. Commençons donc par ce qui m'a mené à cette réflexion: j'ai imaginé une discussion avec mon ancienne professeur de mathématiques, en voulant lui expliquer que le passage à une filière littéraire ne voulait en aucun cas dire que j'arrêterais d'étudier les mathématiques, et de fil et aiguille je suis revenu à un comic strip de xkcd que vous pouvez voir ici, et qui m'est toujours resté en mémoire. Or il y a une question qui m'est venue à l'esprit, et dont je ne crois pas que la réponse est évidente: qu'est-ce que c'est, les mathématiques?

D'abord, pourquoi dit-on "les" mathématiques, et non pas "la" mathématique, comme "la" physique ou "la" biologie? C'est bien le signe que ce n'est pas une science, mais des sciences;  En effet, on peut y dénombrer l'arithmétique, l'algèbre, la logique formelle, la topologie, toutes des sciences et des études qu'on nomme au singulier et qui montrent leur unité. On retrouve cependant, quelle que soit l'étude, un même raisonnement qui pourrait nous servir d'unificateur: la logique. Cependant, la logique s'utilise déjà sur de grands nombres d'objets, et si ce n'était qu'à partir de ce raisonnement qu'on pouvait unifier les mathématiques, alors la philosophie, la physique, et toutes les sciences du monde seraient des mathématiques. Les mathématiques ne sont donc pas un type de raisonnement, et ne peuvent pas être définies qu'à partir d'un type de raisonnement, au contraire, par exemple, de la philosophie. Il me semble alors qu'elles ne peuvent être définies véritablement que grâce à leurs objet, mais je ne saurais pas comment les nommer. Certes, les mathématiques réfléchissent généralement sur des objets qui paraissent abstraits, mais ils ont tous des applications pratiques ne serait-ce qu'en termes de modèles. Or le principe même des sciences "dures" et même certaines qui le sont moins ont pour objet de fournir des modèles s'appliquant à ce qu'elles étudient: la nature pour la physique, le vivant pour la biologie, les comportements de groupe pour la sociologie, etc. Les mathématiques ne sont-elles donc qu'une science qui étudie les objets abstraits pouvant donner lieu à des modèles? Je n'en suis pas sûr, et à vrai dire, le sujet me semble trop complexe pour que j'y réponde ici (si tant est que je puisse le traiter). Cependant, cette interrogation en a réveillé une plus ancienne, celle d'un professeur de terminale en mathématiques qui avait pour coutume de demander ce qu'est un nombre à ses nouveaux élèves.

A la lumière de ce que je venais de comprendre (c'est-à-dire une approche des mathématiques par leur objet d'étude), je me suis dit que si je l'avais aujourd'hui, je lui demanderais d'abord de définir les mathématiques, car ce sont elles qui en partie étudient les nombres, et elles également qui les définissent en tant qu'objets d'étude (pour certaines branches). Alors je me suis rendu compte que j'étais tout à fait capable de donner une définition du nombre qui peut-être ne convaincra que moi, qui est celle d'objet abstrait représentant une quantité précise de certain élément. Et, comme cette définition n'est pas claire au premier abord, s'il m'avait demandé de définir le nombre 1, j'aurais répondu qu'il s'agit de l'objet abstrait correspondant à l'unité d'un certain élément, qui existe avant le nombre 1 lui-même, qui est la formalisation de ce concept à des fins calculatoires ou mathématiques. En quelque sorte, il me semble que l'homme le plus simple saisit parfaitement le concept d'unité d'un objet sans pour autant comprendre ce qu'est le chiffre 1. Ainsi, je sais qu'une pierre par terre est une: elle n'est pas plurielle. Ce ne sont pas les mêmes pierres à côté de celle-ci, même si elles sont rangées dans la catégorie "pierre"; la pierre que je désigne est donc une unité, que je peux fractionner en différentes unités si je la casse: 1=1+1 en quelque sorte. Ainsi, je peux comprendre l'unité avant le 1, qui représente une quantité donnée que l'on formalise: ma pierre se brise alors en deux moitiés, et on trouve 1=1/2 + 1/2. Mais même avant ça, je peux trouver deux unités côte à côte et voir qu'elles ne forment pas le même objet, et savoir qu'elles sont deux, parce que je sais le concept sinon de dualité, au moins de pluralité; ou je le déduis du concept d'unité en remarquant qu'elles ne réagissent pas de la même façon, qu'elles sont séparées, bref, par l'expérience.

Ainsi, en me demandant comment définir le nombre, je crois que j'ai posé le doigt sur le principe suivant lequel on découvre de nouveaux concepts: et si le concept de pluralité me semble déductible du concept d'unité, je ne saurais pas comment trouver une genèse au concept d'unité. Mes cours de philosophie d'hypokhâgne ont commencé par l'interrogation fondamentale: "il y a", c'est à dire qu'avant même qu'un objet sentant se rende compte de son existence, il sait que quelque chose existe. Ici, par "chose", on entend "tout, n'importe quoi". Il ne se demande pas encore quoi, combien; "il y a" désigne aussi bien l'univers que la pierre qui ne sont pas différenciés. Or l'objet que je nomme sentant ici ne se sépare pas lui-même de cet environnement parce qu'il ne perçoit pas encore de différence. Je crois que c'est une manière correcte d'illustrer pourquoi je crois impossible maintenant qu'il n'y ait pas de concepts innés, d'idées prénatales. Bien entendu, je suis conscient du caractère artificiel de cet objet purement sentant, et qu'il ne représente peut-être pas le sentiment du premier être doué de sensation. C'est également bien maigre comme ensemble de concepts innés. Mais ce que je désigne ici touche uniquement les objets sentants: que dire des objets pensants qui, en plus de leurs sensations, sont capable de les comparer, de les analyser, de les rapporter à soi enfin. Ceux-ci, dont je crois que nous faisons partie en tant qu'êtres humains, et dont nous ne sommes peut-être pas les uniques représentants, en tant qu'êtres beaucoup plus complexes, ne devraient-ils pas eux-même reposer sur des concepts innés eux-même plus nombreux, comme par exemple la douleur et le plaisir, qui sont un des moteurs de l'apprentissage? Certes, vous me direz, ce sont des sensations, et non des concepts. Mais sans le concept de douleur, la sensation de douleur est une sensation tout à fait comme les autres, c'est-à-dire indéfinie et incompréhensible. Un "il y a" en somme. Ainsi, on peut associer à chaque type de sensation primordiale un concept inné, et trouver un nombre plus grand, quoique toujours assez simple, de concepts qu'on pourrait dire "innés", et qui pourraient ensuite expliquer la découverte et l'apprentissage d'autres concepts non-sensuels.

Mais bon, comme je crois faire un pavé inutile que personne ne viendra lire et/ou que personne ne comprendra, je ne vais pas continuer sur la réfutation d'un empirisme total ou d'un rationalisme total (qui d'ailleurs ne sera en aucun cas la preuve d'un esprit philosophique, étant donné que ces deux idéologies sont tout à fait stupides). Mais si quelqu'un venait par ici et s'intéressait à la question, je serais heureux de pouvoir lire ses commentaires, remarques, questions et corrections.

Bonne journée!

Luminox.

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11 Commentaires

  • chix

    moi être nul de chez nul en math

  • Tu connais sans doute le principe d'induction suivant :

    P(0) & P(n) ⇒ P(n+1) ⇔ ∀n∈ℕ, P(n)

    Deux remarques mathématiques :

    • Ce principe est dérivé d'une définition unaire des entiers, par exemple 3 = 1 + 1 + 1 + 0 (et non pas 3 = 1 + 1 + 1, sinon ça ne serait que de l'arithmétique, pas des mathématiques). En lui-même ce principe est une bonne définition des entiers. Il dit comment construire de nouveaux entiers, à partir de zéro.
    • L'important dans ce principe c'est P, il s'agit d'une proposition, c'est un élément de Ω (oméga et non pas Ω, ohm qui est l'unité standard de la résistance électrique), Ω est l'ensemble des propositions, c'est l'objet dont s'occupent les mathématiques. En lui-même ce principe est une assez bonne définition des propositions. Il dit comment construire une nouvelle proposition, à partir des deux propositions P(0) et P(n) ⇒ P(n+1) on construit la nouvelle proposition ∀n∈ℕ, P(n), et vive-versa.

    En généralisant ce principe d'induction on obtient plusieurs choses plus ou moins identiques :

    • la logique intuitionniste qui est une logique constructive
    • la programmation fonctionnelle
    • les types (en programmation) et les propositions (mathématiques) sont des notions plus ou moins identiques

    Remarque:Per Martin-Löf, l'inventeur de la théorie intuitionniste, est à la fois mathématicien et philosophe !

  • Si j'ai bien compris ce que tu veux dire c'est que grâce au principe de récurrence tu peux produire n'importe quel entier naturel en prenant 0 comme base et en ajoutant 1 pour chaque "rang" d'entier qu'on veut obtenir (rang 1 = 1, rang 2 = 2, rang 3 = 3, rang n = n, avec n un entier naturel quelconque).

    C'est donc comme ça qu'on définit un nombre en mathématique, du moins un entier naturel. D'accord.

    Donc comment définis-tu 1? N'est-ce pas une unité abstraite et arbitraire?

    Ensuite, si ça me permet de comprendre comment sont définis les nombres de façon mathématique,  ces nombres restent en apparence des objets tout à fait abstraits qui représentent une quantité. Ici, du moins pour les entiers naturels, il s'agit d'une quantité de l'unité abstraite "1", si j'ai bien compris.

    Enfin, si je comprends ce que tu veux dire, l'objet des mathématiques est l'étude des propositions. Mais je pense qu'il faudrait encore préciser ces propositions: je ne crois pas qu'une étude mathématique aide beaucoup sur la proposition "la route est violette" ou "Dieu n'existe pas".

    D'un autre côté, si on définit les mathématiques comme la science qui étudie les propositions mathématiques, j'ai pas l'impression qu'on va loin (pourtant ç'aurait été plus simple). Donc il faut trouver ce qui fait qu'une proposition est "mathématique".

    EDIT: ah, et pour Cynder: le sujet ici c'est beaucoup de philosophie au sujet de mathématiques, mais sur des questions assez simples: "Les mathématiques, c'est quoi" "Les nombres, c'est quoi" et puis un peu de réflexion pas forcément profonde sur le sujet des idées innées et qu'il en existe au moins une d'après moi, et que ça veut dire qu'il en existe beaucoup d'autres pour les hommes. Voilà, ça a l'air énorme et j'utilise des mots compliqués, je suis d'accord, mais c'est lisible (j'espère Lullab smile )

    RE-EDIT: Ca m'intéresse beaucoup cette histoire de théorie intuitionniste. Je verrais aussi pour Per Martin-Löf smile merci encore pour ta réponse!

  • Je vais te répondre à l'aide de code source Coq, c'est plus simple, plus pragmatique, et ça va plus vite.


    Question n°1: c'est quoi cette quantité 1 ?
    Réponse: Il n'y a pas de quantité 1, il y a un opérateur qu'on a arbitrairement appelé 1 + ...
    Cet opérateur on va désormais l'appeler succ (pour successeur).

    En Coq on défini les entiers naturel unaires à l'aide de zéro et succ :

    • zéro est un entier naturel unaire (nat1)
    • succ est une fonction de nat1 vers nat1
    Inductive nat1 : Set :=
      | zero: nat1
      | succ: nat1 → nat1. 

    Coq génère alors automatiquement le principe de récurrence correspondant :

    nat1_ind :
      forall P : nat1 → Prop,
      P zero →
      (forall n : nat1, P n → P (succ n)) → forall n : nat1, P n 

    Il n'y a pas qu'une seule façon de définir les entiers naturels. 

    On peut tout aussi bien définir les entiers naturels en base 2, c'est pratique par exemple pour prouver la correction d'un algorithme d'exponentiation rapide:

    • null vaut zéro
    • one vaut un
    • double double la valeur d'un entier en base 2
    • double_succ double la valeur d'un entier en base 2 puis renvoie son successeur
    Inductive nat2 : Set :=
      | null: nat2
      | one: nat2
      | double: nat2 → nat2
      | double_succ: nat2 → nat2. 

    Coq génère alors automatiquement le principe de récurrence correspondant à cette nouvelle définition:

    nat2_ind :
      forall P : nat2 → Prop,
      P null →
      P one →
      (forall n : nat2, P n -> P (double n)) →
      (forall n : nat2, P n → P (double_succ n)) -> forall n : nat2, P n 

     


    Question n°2: comment distinguer un fait ( "la route est violette" ) ou une profession de foi ( "Dieu existe", "Dieu n'existe pas" ) d'une proposition mathématique ?
    Réponse idiote: si Coq ne veut pas de ta déclaration alors ça n'est pas une proposition mathématique (valide).
    Réponse sibylline: c'est la théorie des Topos qui défini l'ensemble Ω.


    Ce que j'appelle ici "principe de récurrence" est un cas particulier de ce que j'appelle "récurseur" dans mon langage Moonscript. Content de voir qu'il y a au moins un membre du refuge qui voit à peu près de quoi je parle smile

  • Là j'ai du mal à suivre. Autant je peux comprendre que tu me dises que 1 n'est pas une quantité mais un opérateur, au sens où c'est un concept purement abstrait. Cependant j'avais demandé ce qu'était 1 sans dire qu'en mathématiques, c'était une quantité; alors oui, la définition de nombre que je donne est "objet abstrait représentant une quantité précise de certain élément", mais c'est plus pour expliquer d'où vient l'idée du nombre; je n'ai pas la prétention de donner une définition mathématique pure(en tout cas pas à mon niveau de compréhension). Et ce n'est pas non plus tout à fait contradictoire, étant donné que j'admet qu'il s'agit d'un objet abstrait (le fait de dire opérateur peut aider, mais qu'est-ce qu'un opérateur à proprement parler? Est-ce qu'être un nombre implique être un opérateur ou opérateur=>nombre?), et que la définition de nombre que tu me donnes est une définition purement mathématique et donc qui ne cherche pas d'où vient l'idée de nombre.

    Je pense que le fait que les nombres sont des constructions humaines a son importance dans la définition du nombre.

    Par contre, ce qui me pose problème, c'est de dire "si coq le dit, alors c'est mathématique". Il me semble que Coq a été créé selon certains principes et que ce sont ces principes qui font qu'il sait ce qui est mathématique ou non. Or ce sont ces principes qui m'importent. Mais je ne demande pas la partie codée, parce que je n'y comprendrais rien: je demande la partie écrite en français, ou du moins dans une langue que je peux comprendre, et qui me dirait ce qui fait qu'une proposition est mathématique.

    (Alors j'essaie de comprendre un peu comment marche cette théorie des Topoï mais j'ai un peu de mal à m'imaginer des ensembles sans élément. Il y a également des concepts que je ne connais pas -> "préfaisceau d'ensemble" par exemple, qui peuvent être plus ou moins complexe (je crois avoir compris celui-là, du moins à moitié, parce que j'ai encore du mal à me l'expliquer en mots). Par contre je n'y ait pas trouvé de quoi vérifier qu'une proposition est mathématique ou non)

    Enfin, les phrases "la route est violette" ou "dieu existe/n'existe pas" dans l'absolu sont des propositions qui peuvent être soit vraies, soit fausses, soit indécidables. L'une peut consister en un fait, l'autre peut consister en une profession de foi, mais ça ne les empêche pas d'être des propositions et donc de devoir être différenciées des propositions mathématiques. (Mais je chipote)

  • Je ne suis pas certain de comprendre la nature exacte de tes interrogations. Je vais me contenter de faire quelques remarques :

    • par définition 1 = succ zero c'est-à-dire que un est le successeur de zéro
    • oui, les définitions que je donne (en Coq) des entiers naturels sont purement behavioristes, elles ne sont pas initialement basées sur la notion intuitive de quantité
    • toutefois les définitions que je donne ne sont pas arbitraires, n'importe quelle opération que je peux définir à l'aide de ces "nombres" va immanquablement te renvoyer à une notion de quantité

    Par exemple :

    Fixpoint add m n {struct m} :=
      match m with
      | zero => n
      | succ p => succ (add p n)
      end.
    
    Definition two := succ (succ zero).
    
    Eval compute in add two two.
      = succ (succ (succ (succ zero)))
      : nat1 

    C'est-à-dire que 2 + 2 = 4.

    Mes définitions sont peut-être (trop?) abstraites cela n'enlève rien quant à leurs capacités computationnelles.

    Luminox a écrit :

    Je pense que le fait que les nombres sont des constructions humaines a son importance dans la définition du nombre.

    Quoi de plus humain que ma définition ? Tu peux prouver que 2 + 2 = 4, en comptant sur tes doigts. Pour le faire tu bascules 2 doigts puis les 2 doigts suivants. En clair tu utilises la fonction doigt-successeur. Le support est biologique mais le principe reste le même.

    Si j'avais codé l'addition en base 2 le principe serait similaire à celui d'un circuit intégré. En fait, quelque soit la façon dont tu comptes tu ne peux le faire qu'en appliquant un principe mathématique que Coq peut valider. Il n'existe pas d'autre moyen.

  • mais arrétez, je comprend rien et ça me stress cry

  • Jme demande si tu devrai pas te pencher du coté de la logique plutôt que des maths.
    Pour ce qui est abstrait c'est assez puissant en général.

  • Comme c'est un sujet qui a le vent en poupe, il y a justement un cycle de conférences inter-disciplinaire sur les topos (topoi), au programme :

    • topoi en mathématiques et logique
    • topoi en sciences physiques
    • topoi en philosophie

    Version française, inscription gratuite.

  • Je ne comprends déjà pas les sujets des conférences ouf

  • Toi, à priori, ce qui t'intéresse c'est plutôt l'informatique. Dans ce cas la vidéo d'Alain Prouté est l'introduction la plus accessible (voir expéditive) aux topoi dans la programmation.

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