23 0 Abécédaire pour choisir la vie de son nouveau-né de sexe masculin

Louis était le héros de cette histoire qui avait ceci de particulier que Louis n’y figurait pas. Il n’était même pas dans le titre. Cette histoire parlait de sexe, de conflit, de drogues, de violence, d’insoumission ; Louis était un bureaucrate sans histoire qui s’ennuyait presque autant qu’il ennuyait les autres. Il n’avait pas grand-chose en commun avec les personnages de cette histoire, et semblait en fait les évoquer par élimination : il incarnait tout ce que ces jeunes oriflammes fougueuses abhorraient et craignait silencieusement tout ce qu’eux voulaient personnifier. Il était pourtant leur égal à bien plus d’égards qu’on ne saurait l’imaginer au tout premier abord, ni même au second ; tout comme eux, Louis détestait l’autorité, simplement un peu moins qu’il craignait de s’en voir libéré. Tout comme eux il aimait fuir la réalité et se réfugier dans des univers bariolés et simplifiés, par la télévision plutôt que par les drogues. Et par-dessus tout, il aimait aussi passionnément le sexe, à la simple différence que lui en obtenait rarement. Du sexe pour combler un vide, du sexe pour remplir le trou béant qui se trouvait quelque part à l’exact milieu de lui-même, un emplacement précis qui était partout à la fois. Un trou qu’il tentait de combler par, à défaut de sexe, de la nourriture riche, de masquer par des vêtements. Des vêtements qui lui conféraient le pouvoir de devenir invisible aux yeux de tout le monde : dés qu’il sortait de chez lui il se retrouvait seul, bien plus qu’il ne l’était avec lui-même dans son deux-pièces aux murs blancs. Il passait au travers du monde, moins puissant qu’un courant d’air, moins tangible qu’un spectre et moins mémorable qu’un clignement d’œil. Louis était très seul, indéniablement, mais ces jeunes esprits libres dont parlait l’histoire dont Louis était le héros étaient aussi seuls que lui dans leur tourbillon centrifuge qui les emportait toujours plus loin les uns des autres et de tout le reste…