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« Toute chose possède son contraire et les deux étant le reflet exact de l'autre, l'ensemble est à l'équilibre » L'idée sous-jacente serait que cet équilibre soit universel, et qu'ainsi la proposition soit toujours vérifiée. L'idée sur-jacente est de pouvoir utiliser cette idée pour des applications pratiques directes : la force qui m'agresse doit pouvoir être annihilée avec la force contraire qui existe, mon seul travail étant de la trouver. Ce principe ne vise qu'à rassurer en faisant passer l'individu d'un état d'incertitude face à sa propre faiblesse à un état de certitude grâce à un objectif précis. Malheureusement l'équilibre n'est pas universel. La recherche de la force d'en dedans ne peut se faire au travers d'une vision « équilibriste » des choses. L'équilibre mène vers un état statique, il encourage une vision bilatérale. Il y a ma droite, il y a ma gauche. Or c'est la dynamique qui offre la force. La dynamique vient du mouvement. Le mouvement vient du déséquilibre. Le déséquilibre est une incertitude. C'est l'incertitude qui permet d'accéder à la force d'en dedans. Il n'y a pas ma droite, il n'y a pas ma gauche, il n'y a que le mouvement qui va de l'une à l'autre.
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Le Feydar et l'Etoile
Marea tranquillitatis, Luna - 9381 GS
Massad et ses hommes étaient arrivés en franchissant la porte dans une salle plus vaste que toutes celles qu’ils avaient parcouru auparavant. De nombreux appareillages étaient visibles un peu partout : sur les murs, au sol et au plafond. La pièce était jonchée de cadavres mélangés qui flottaient ça et là en apesanteur ou restaient accrochés aux parois. Des feydars et des cetfans. Ces derniers semblaient beaucoup plus grands que ceux qu’ils avaient déjà rencontrés. Le fond de la vaste salle résonnait encore du fracas d’une bataille. Au milieu d’une masse encore plus dense de corps se déroulait le duel interne final du mastodonte.
Le dernier feydar se trouvait devant un chevalier cetfan. Un face à face immobile. Le cetfan faisait presque trois fois la hauteur de l’homme, et son corps était allongé vers l’arrière. Il était impossible de dire s’il avait l'air d'être revêtu d’une sorte d’armure mais les précédentes rencontres avec les plus petits cetfans indiquaient qu'il s’agissait certainement de sa propre carapace. Rien ne permettait de situer son visage, mais de nombreux appendices pointus s’élevaient hauts devant lui, menaçants. Si la sensation de danger n’avait pas été aussi forte, Massad l’aurait presque trouvé belle cette créature, avec ses lignes fines et élégantes. Le feydar en face paraissait petit. Il ne portait pas de casque et on pouvait voir son visage concentré. Il n’avait nullement l’air effrayé par le face à face. Il tenait devant lui son épée et elle brillait de cet éclat sauvage que seul les feydars savaient maîtriser. L’épée n’avait que la taille d’un poignard face au cetfan, pourtant celui-ci semblait parfaitement conscient de la menace qu’elle représentait.
Alors que l’attente se prolongeait, Massad pu remarquer les nombreuses traces de lutte qui marquaient les deux adversaires. Fines incisions sur la carapace de cetan, par lesquelles suintaient un liquide sombre. Traces de sueurs, hématomes et perles de sang sur le visage du feydar. Et soudain la fantastique mêlée reprit de plus belle, et rares furent ceux qui étaient présent à ce moment qui auraient pu oublier un tel spectacle. Les mouvements du feydar dépassaient en vélocité tout ce que les ZVEA croyaient possible et l’absence de gravité sublimait encore la rapidité des enchaînements. Sans cesse il bondissait de paroi en paroi, feintant et chargeant. Sa lame tourbillonnait dans l’air ténu de la pièce, tellement vite qu’elle semblait être en de nombreux endroits en même temps. Tranchant, perforant et tailladant sans relâche. Mais malgré la rapidité du feydar le cetfan semblait plus véloce encore, et la masse de son corps cachait bien l’étonnante agilité dont faisait preuve la créature. Ses dards étaient peut-être moins tranchants que l’épée du feydar mais ils étaient en nombre, et de toutes tailles. Et jaillissant encore et encore, ils fouillaient l’espace toujours vide où juste un instant plus tôt se trouvait le guerrier humain.
Le combat semblait pouvoir durer indéfiniment, pourtant les déplacements faisant tourner petit à petit les deux combattants, le cetfan se retrouva finalement entre l'équipe de Massad et le feydar, leur présentant se qui semblait être son dos. Le Capitaine des ZVEA fut le plus rapide et saisi son fusil pour tirer une série de salves en direction de la créature. Mais il ne se passa strictement rien. Le duel se poursuivait inlassablement et le cetfan ne montra même pas un signe signifiant qu'il s’était aperçu du tir. Les paroles du feydar qui se trouvait devant la porte revinrent cruellement à l’esprit de Massad :
_ Si mes frères ne sont pas vainqueurs, fuyez. Fuyez et restez cachés.
Le petit yacht de Kérian sortit de l’hyperespace, mais ils ne s’attendaient à tomber dans la pagaille d’une bataille finissante. Aussitôt matérialisé, Daryl, qui occupait toujours le rôle commandant de bord s’insurgea contre les innombrables débris volants qui les entouraient de toute part :
_ Houlà ! accrochez-vous tout le monde, je ne sais pas qu’est-ce qui se passe ici mais ça va secouer !
Le vaisseau fut effectivement rudement secoué, bien sûr Daryl n’en avait cure puisque tout les circuits qui composaient son intelligence artificielle étaient bien protégés dans la coque du vaisseau. Mais Kérian et Waade durent se contenter du confort des sièges du poste de pilotage. Daryl stoppa finalement l’appareil et lança ses senseurs tout azimut. Il ne dit plus rien pendant un long moment et Kérian commençait à se sentir nerveux : il captait un véritable tumulte par ses sens particuliers mais de manière imprécise, car le vide de l’espace diminuait beaucoup ses capacités. Daryl alluma finalement l’holocom et y matérialisa une reproduction des environs. Le spectacle était plutôt confus mais une sculpture fantastique attira l’attention de tout le monde : un énorme et monstrueux vaisseau spatial semblait en train d’en dévorer un autre. Et Kérian fut surpris de reconnaître dans la proie la silhouette d’un croiseur de l’Union qu’il connaissait bien : le « Victorieux ». De nombreuses navettes évacuaient le navire condamné et fuyaient dans l’espace alentour encombré d’une multitude d’épaves et chasseurs en pleine action. Peu d’entre eux continuaient cependant à combattre dans un tel champ de ruine. Daryl agrandit la vue et on put même distinguer des formes humaines qui fuyaient le navire dans de simples combinaisons spatiales... Le spectacle était singulier. Waade déclara finalement :
_ J'ai l'impression que ce n'est pas vraiment là que nous voulions aller, n'est-ce pas ?
Daryl acquiesça :
_ Je suis désolé, je ne sais pas du tout ce qui a bien pu se passer. Le Saut était programmé vers Kigurtae, mais nous sommes arrivés ailleurs. Je n'arrive pas à faire le point, tous les hyperfaisceaux sont brouillés. Je vais tenter un repérage manuel.
_ Les hyperfaisceaux sont brouillés ?
_ En effet... voilà ça y est, j'ai trouvé notre position approximative. C'est étrange, nous sommes en lisière de la zone d'influence des cetfans. Nous sommes très loin de notre objectif.
_ Nous avions décidé d'aller vers Kigurtae pour tenter de trouver des indices sur nos mystérieux aliens, et pourtant nous tombons encore une fois sur l’Union et... la Cosmoguarde. Je pense que nous devrions partir d’ici avant que quelqu’un s’aperçoive de notre présence.
Mais Kérian lui répondit :
_ Trop tard.
Et ils virent passer devant le hublot du cockpit une escadrille très inhabituelle : une formation mélangée de Couroks-EF de l’Union et de TKS atmosphériques...
Daryl reprit :
_ De toute façon, tout nouveau Saut semble impossible. Il me faudra un peu de temps pour vérifier, mais j'ai l'impression que notre précédent Saut a, comment dire ?, « coupé la route » de la zone cetfan. Il est possible que ce soit un artifice des cetfans qui coupe les hyperfaisceaux, et que notre saut ai été interrompu en tentant de passer au travers.
_ Quelle bonne nouvelle !
Dans un ultime assaut le feydar plongea en tournoyant vers le cetfan, et brutalement le combat cessa. Aucun mouvement n’animait plus les deux corps enchevêtrés, et on crut un instant qu’ils s’étaient finalement entre-tués. Mais un hoquet fit sursauter la masse du cetfan et son corps recula légèrement. Tous purent voir alors ses trois griffes plongées dans la jambe du feydar. Mais tous purent voir aussi la pâle lueur de l’épée presque complètement plongée dans les entrailles de la créature. Alors d’un seul mouvement le feydar se retourna en dégageant sa jambe et releva sa lame toute droite, haut vers l’espace, elle trancha sur toute sa hauteur le cetfan blessé. Un liquide sombre et bouillonnant commença à couler par la plaie. Mais le feydar qui se trouvait maintenant au sol devant le monstre lança encore une fois son arme derrière lui, en un grand geste circulaire qui sectionna transversalement le corps de la créature agonisante, et l’épée acheva sa course dans la paroi. Elle s’immobilisa là, ternie et froide sans son éclat alors que s’élevait dans les casques des soldats présents une grande clameur, comme sortie des gorges de tous les feydars qui gisaient là.
Ce jour fit beaucoup pour la réputation du peuple de Feyd, les exilés, bannis de leur planète avant sa destruction aussi sauvage qu’inutile. Car il était dit avant que ces hommes et ces femmes étaient de puissants combattants, mais nombreux croyaient alors que c’était une rumeur diffusée par l’Union pour masquer sa défaite. Mais nul ne put contester désormais que les feydars avaient triomphé là où tous les autres étaient tombés. Dès lors la rumeur se répandit et s'amplifia. Il y eut même de nombreux humains qui vivaient sous la menace des attaques des cetfans pour leur vouer un véritable culte, car le premier de tous les êtres humain qui affronta un cetfan et en ressortit vainqueur, et vivant, était feydar.
Dans un dernier soubresaut, le mastodonte cetfan se referma sur le pauvre Victorieux qui subit le triste sort de tous les croiseurs humains de cette bataille. Transpercé par les deux mandibules, le navire était définitivement hors service. Ses occupants avaient éteint les moteurs subluminiques pendant leur évacuation, c’est peut-être ce qui empêcha le navire d’exploser complètement. Il resta là, éventré par le cuirassé des cetfans, lui-même affaissé, immobile, finalement vaincu. Il ne restait plus de chasseurs cetfans opérationnels, les curieuses sphères qui étaient apparues vers la fin de la bataille les avaient pourchassés sans pitié et proprement décimés. Les cinq frégates restantes de l’Union se regroupèrent non loin des carcasses imbriquées des deux titans pour récupérer tous leurs soldats dispersés dans l’espace. L’Avon, le plus petit des deux cuirassés de la Cosmoguarde dérivait sans contrôle, sa surface était ravagée et l’intérieur ne semblait pas en meilleur état. Les patrolers qui le fouillaient encore avaient perdus tout espoir de retrouver des survivants. Le navire n’était pas détruit mais il ne pourrait être réparé qu’au prix d’efforts extraordinaires. Il fut finalement mit en orbite géostationnaire à la verticale même du mont vitrifié de l’ancienne colonie minière. D’un commun accord les soldats de l’Union et ceux de la Cosmoguarde le transformèrent en un mausolée pour les innombrables victimes de cette bataille sans précédent. L’Avon ne résonnait plus que de l’écho des exploits passés, cercueil de métal aux milles plaintes fantomatiques.
L’Amiral Ar Matorn avait fuit son poste de commandement du Cyris alors que des cetfans menaçaient de l’investir. Il avait réuni le reste des vaisseaux de sa flotte qui restaient fidèles à la Cosmoguarde et repartait vers sa base en traînant autant d’épaves cetfanes qu’il avait pu remorquer. Il n’avait pas conclut officiellement de trêve avec l’Union mais aucun de ses navires ne fit preuve d’hostilité avant son départ et l'Union ne chercha pas à barrer la route de la flotte en repli.
L’Ex-Amiral du Victorieux avait finalement trouvé refuge à bord du Cyris à moitié déserté. De nombreux patrolers l’acceptaient comme nouveau pacha du navire, la reconnaissant pour ce qu’elle était : la commandante des forces de l'Union, qui avait amené sur les lieux les feydars qui leur avaient donné la victoire.
Massad Karp, le Capitaine des ZVEA survivant de l’abordage du mastodonte avaient eu juste le temps de s’en extirper avant qu’un nuage de gaz corrosif n’emplisse toutes ses coursives. On ne pouvait pas encore savoir s’il s’agissait d’un résultat des avaries du vaisseau ou si c’était une sorte de procédure anti-intrusion tardivement déclenchée. Il avait finalement rejoint la passerelle du Cyris, dans un dévastateur récupéré et cela lui rappelait quelques souvenirs : encore une fois, il reviendrait à la base de l’Union en vainqueur sur un appareil dérobé à la Cosmoguarde.
Les astronefs sphériques des alliés providentiels parcouraient encore la zone bien qu’ils fussent beaucoup moins nombreux. Ils étaient déjà repartis en nombre sans même avoir pris le temps de se présenter, comme indifférents à la présence sur les lieux d’autre chose que des cetfans. L'Amiral de l'Union avait donné l’ordre d’utiliser les signaux universels pour amorcer un contact. Ses tentatives étaient restées sans réponses. Bientôt, toutes les sphères eurent disparues.
Les principaux officiers discutaient calmement de choses sans grand intérêt, sur la passerelle du Cyris, comme pour se reposer de la folie des heures et des jours précédents. Mais le moment n’était pas encore au repos car l’intercom relaya la voix du leader d’un groupe de chasseurs :
_ Message au commandant, nous avons arraisonné un yacht battant pavillon indépendant, immatriculé au nom du Commador Kérian D’Ys. Que fait-on ?
Le commandant de la chasse était perplexe et ne savait pas trop quoi faire mais Massad qui avait entendu se rapprocha et répondit à sa place :
_ Kérian est ici ? Guidez-le jusqu’aux soutes du Cyris, et dites-lui que le Capitaine Massad Karp l’attend.
_ hum...
Le commandant des chasseurs acquiesça d’un signe de tête et l’autre finit par obtempérer :
_ A vos ordres.
Moins d’une heure plus tard le sas de la passerelle s’ouvrit sur une femme. Elle était vêtue d’un grand manteau à la mode feydare, ses long cheveux noirs étaient réunis en chignon par une broche finement ciselée. Elle avait la peau blanche mais le teint mat, peut-être légèrement métissé sans que ça ne soit très évident et ses yeux étaient d'un bleu vif. La nouvelle Amiral du Cyris lui jeta un regard amical :
_ Vous devez être Waade. J'ai entendu parler de vous.
Waade franchi la porte se s’approcha du groupe d’officiers :
_ Moi pas.
_ Oh ! Ça ne me surprend pas particulièrement. Kérian d'Ys n’est pas avec vous ?
_ Il est très intrigué par les nombreux artefacts cetfans qui jonchent les coursives de ce navire.
_ Oui c'est sûr. Nous n'avons pas encore eu le temps de faire du rangement. Pourquoi êtes-vous ici ? Vous cherchiez des cetfans ? Je crois me souvenir que l'Union a perdu votre trace depuis plusieurs semaines.
_ Nous sommes ici par pur hasard. C'est une chance que nous soyons arrivé sur la fin de la bataille plutôt qu'au début. Enfin, si on peut appeler ça « une chance » de se trouver ici...
_ Certes. Mais dites-moi comment êtres-vous arrivés, vous avez fait un Saut ? Nos hyperfaisceaux sont bloqués depuis plus d'une semaine.
Mais Waade resta énigmatique :
_ C'est un mystère, nous avons fait un Saut pour aller à un endroit tout à fait différent, mais nous sommes arrivés ici et y sommes restés bloqués, nous aussi. Cependant, un peu avant que vos chasseurs nous escortent ici, notre ordinateur de bord nous a informé que les hyperfaisceaux étaient rétablis.
_ Comment ? Officier de pont !
Un officier portant l'uniforme de la Cosmoguarde se rapprocha :
_ Amiral ?
_ Faites-moi un rapport sur l'état des hyperfaisceaux immédiatement !
Il parti rapidement, mais la désorganisation de la passerelle était toujours criante. Finalement l'officier cria du fond de la salle :
_ Tous systèmes opérationnels, Sir ! Hyperfaisceaux rétablis.
L'Amiral avait l'air contrite :
_ Contactez le QG de l'Union immédiatement et préparez un rapport sur notre situation. Scannez le système. Lancez une enquête : je veux savoir depuis quand exactement le brouillage cetfan a cessé. Et remuez-vous un peu, c'est intolérable que personne ne s'en soit aperçu plus tôt !
Massad était resté en dehors de la conversation et de la soudaine agitation sur la passerelle. Il n’avait jamais trop eu le temps de faire la connaissance de Waade et le peu qu’il en connaissait ne le rassurait pas trop. Puis la porte du sas s’ouvrit sur un homme de bonne taille. Il était vêtu comme les feydars mais n’avait pas du tout le visage métisse : il avait les cheveux très noirs, coupés assez courts et ses yeux étaient percés d'un iris complètement noir. Mais il aurait pu ressembler à n’importe quel soldat de l’Union. Ses premiers mots furent pour sa compagne :
_ Les cetfans n'ont rien de commun avec les visiteurs furtifs que nous recherchions.
Mais la remarque passa inaperçue en dehors de sa destinataire. Il fit un signe de tête amical à son ex compagnon d'arme et se tourna vers l'Amiral :
_ Alors, que comptez-vous faire maintenant que les cetfans sont vaincus ?
_ Nous allons finir de récupérer tous les soldats qui dérivent dans l'espace, récupérer quelques épaves et partir d'ici aussi vite que possible.
_ Mais et le cuirassé cetfan, on ne peut pas l'abandonner ici quand même, s'insurgea le capitaine des ZVEA.
_ Écoutez, capitaine, ma mission était d'étudier les cetfans de loin pour déterminer le fonctionnement de leur brouilleur. Nous n'avons pas pu éviter l'affrontement, et même si nous avons eu la chance de nous en sortir, nous n'avons pas la moindre piste en ce qui concerne les hyperfaisceaux. Je ne sais pas combien de temps il faudra pour que de nouveaux cetfans rappliquent ici, mais je ne tiens pas du tout à le savoir, et j'espère bien que nous serons partis d'ici là. Étudier le navire cetfan aurait certainement été très instructif, mais nous n'avons pas les moyens matériels de le transporter, ni ici, ni ailleurs. L'Union ne possède aucun navire-barge d'une taille suffisante pour déplacer un tel monstre. Et je suis sûr que le Commandor Zatombe sera de mon avis pour ne pas risquer du personnel à essayer de l'étudier surplace. Nous allons laisser quelques sondes en partant et on se contentera de regarder la suite des évènements d'une position plus sûre.
Elle se tourna finalement vers Kérian et lui retourna sa question :
_ Et vous dites-moi, que comptez-vous faire ?
_ Puisque nous sommes là, je pense que nous allons jeter un coup d'oeil sur cette épave. Peut-être irons-nous également faire un tour au sol. Vous avez été voir sur place dans quel état se trouve l'ancienne colonie ?
_ Les scanners ne révèlent plus aucune activité électrique ou radio, et on peut voir depuis l'espace que la montagne gigantesque qui abritait les défenses de cette planète a été complètement vitrifiée. Pour moi ça suffira à déclarer qu'il n'y a plus d'humains à sauver ici. Mais je vous déconseille de risquer votre vie à aller vadrouiller sur place. Nous n'avons aucune idée de ce que les cetfans ont pu laisser derrière eux.
_ Justement, je suis curieux.
_ Et téméraire. Bien écoutez, vous pouvez faire ce que vous voulez après tout, tant que vous ne représentez pas de menace pour ma flotte. Maintenant si vous voulez bien m'excuser...
Elle les quitta et s'affaira avec les officiers de pont. Massad se rapprocha alors :
_ Ça fait un bail qu'on avait plus de nouvelles. Vous étiez où ?
_ Nous sommes allés faire une petite visite aux cousins des feydars mais ça ne nous a pas beaucoup éclairé. Beaucoup de question sans réponses.
_ Les cousins des feydars...? Tu veux dire la FCTE ? Et alors, vous avez trouvé de l'aide contre les cetfans là-bas ?
L'incongruité de la question laissa perplexe Kérian et Waade qui s'échangèrent un regard.
_ Non. Les terriens n'ont pas d'armée d'après ce qu'on a pu voir, et ils ne semblent pas trop se préoccuper du sort de la galaxie.
_ Vraiment ? Alors pourquoi perdre du temps chez eux ?
Kérian commençait à sentir la taille du fossé qui le séparait de celui qu'il avait longtemps considéré comme un frère. Combien vaste était l'univers d'incertitude qui s'ouvrait autour de lui, alors que son ami s'enfermait dans des schémas si étriqués. Pourquoi perdre du temps en visitant la fondations ? Pourquoi chercher des explications sur le comportement de Salat et le destin qu'il avait tracé pour sa fille ? Il hocha la tête :
_ Nous comptions trouver de informations sur Salat. Tenter de comprendre le rôle qu'il a voulu faire jouer aux feydars. Et aussi le rôle qu'il a voulu nous faire jouer à nous.
_ Le rôle ? Mais ça me paraît pourtant évident. Regardez ce qui s'est passé ici : ce sont les feydars qui ont terrassé les cetfans. Sans eux nous y serions encore. Nous aurions peut-être même perdu. Qu'est-ce qu'il te faut de plus ? Le destion des feydars c'est d'aider l'humanité à se défendre contre les cetfans !
Kérian fit une moue peu convaincue.
_ Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce que les feydars risqueraient leur peau pour sauver les nôtres ? Pourquoi se battraient-ils contre les cetfans qui ne leur on rien fait ? Crois-tu que le destin des feydars soit de se battre contre les cetfans ? Est-ce que ça méritait la destruction de leur planète ? Ce ne sont pas les cetfans qui ont ravagé Feyd, mais la Cosmoguarde. Ce navire y a participé, ainsi que certaines personnes qui se trouvent actuellement sur cette passerelle.
Et à ces mots les officiers transfuges de la Cosmoguarde qui étaient à portée de voix se figèrent, car la conversation était audible par tous et il était évident qu’il parlait d’eux.
Mais Massad répondit :
_ Ils n’ont fait qu’obéir à leurs ordres. Ce ne sont pas eux qu’il faut blâmer.
Mais Waade n’acceptait pas cet avis :
_ Des ordres ? Ne sont-ils pas responsables d’obéir à des ordres démentiels ? C’est un peu facile de se décharger comme ça... Combien y en a-t-il dans la galaxie, des gens qui ne font qu’obéir aux ordres ? Combien sont-ils dans les armées mais aussi dans les usines, les centrales chimiques, les champs et les villes, à ne faire que leur devoir d’obéissance et par là même à apporter la mort, la destruction ou la pollution ? On a toujours le choix.
Et Kérian ajouta d'un voix ambiguë :
_ Je suis légalement Commandor de L’Union, hiérarchiquement votre supérieur à tous ici. Accepteriez-vous de suivre mes ordres si j'ordonnais de retourner sur Asyl et de bombarder la planète ?
_ Voyons c'est idiot ! Il n'est pas question d'ordres ou d'obéissance aveugle ici. Nous devons combattre les cetfans, ce sont eux qui nous ont attaqués les premiers !
_ Vraiment ? Comment peux-tu en être sûr ? Du point de vue cetfan, ne serais-ce pas les feydars qui ont attaqué les premiers, ici ?
Un silence glacial flotta un moment avant que le capitaine ZVEA ne reprenne la parole :
_ Mais enfin à quoi est-ce que tu joues ?
_ Je ne joue pas. Que ce soit le fait du hasard ou pas, j'ai décidé un jour de faire un Saut indéterminé qui a finalement conduit une planète entière a la destruction, et tout un peuple déraciné et en passe d'être embrigadé dans une guerre qui n'est pas la sienne. J'aimerai comme toi pouvoir tirer un trait sur ma culpabilité et effacer toutes mes questions d'un coup d'éponge magique, mais je ne peux pas. Je ne sais toujours pas quel est mon rôle dans le jeu de Salat, mais je ne peux pas croire que tout cela n'ai comme seule raison que de permettre à l'Union d'utiliser les feydars pour contrer les cetfans. Nous ne savons même pas ce que sont les cetfans, ni quelles sont leurs raisons de nous attaquer ! D'après ce que j'ai pu voir ici, ils sont considérablement plus puissants que nous. Cette guerre sera une hécatombe si nous ne cherchons pas un moyen de communiquer avec eux et de s'entendre.
_ On ne négocie pas avec des génocideurs !
Kérian prit une longue inspiration et soupira :
_ Mais nous ne sommes pas en train de parler de criminels ou de terroristes, là. Nous sommes en train de parler d'une race fondamentalement différente des êtres humains. Une race plus différente de nous que n'importe laquelle de celles que nous avons rencontrées jusque-là. Ça n'a pas de sens de les juger par rapport à nos valeurs.
_ Kérian, je ne te reconnais plus. Ils ont détruit notre monde, et toi tu parles comme si on pouvait discuter avec eux !? On ne discutera jamais. Il faut se défendre et les détruire !
Kérian ne répondit pas. Il n'y avait plus rien à dire. C'est Waade qui rompit finalement le silence tendu :
_ La soif de vengeance n'apportera jamais la fin du conflit. Seulement des morts. Seulement des larmes. Allons-nous en Kérian, nous n'avons plus rien à faire ici.
_ Pas si vite ! Vous m'avez l'air d'être dangereusement proches de la trahison. Vous ne pouvez pas partir comme ça, rétorqua Massad.
Et il fit signe aux sentinelles qui se rapprochèrent sensiblement. Kérian regarda la scène d'un air profondément navré. Puis il fixa les yeux de son ancien ami en lui déclarant d'une vois sans émotion :
_ Nous ne cherchons pas à trahir l'Union. Nous cherchons un autre moyen de protéger l'espèce humaine, c'est tout.
_ Ce sera au Commandor Zatombe d'en décider.
_ Non. Je n'ai pas besoin de son aval. Et ne croyez pas pouvoir nous retenir contre notre volonté.
L’autre ouvrit des yeux exorbités :
_ Tu lis dans mes pensées !
_ Je ne suis pas télépathe. Tu devrais pourtant être bien placé pour le savoir !
Mais alors qu’il disait cela trois gardes tentèrent de se rapprocher d’eux et il continua :
_ N’y pensez même pas.
Il sut que ce n'était pas le bon choix de mot immédiatement après les avoir prononcés : les soldats ne retinrent pas quelques exclamations étouffées « Il lit dans nos pensées ! »
Quoi qu’il fasse désormais, Kérian savait que cela se retournerait contre lui. Mais il ne pouvait se résoudre à utiliser la force pour s'échapper. Il fallait qu'on les laisse partir. Hélas cet instant d’hésitation avait suffit à une sentinelle pour braquer son arme sur lui. Kérian lança d’une voix sévère :
_ Vous ne valez décidément pas mieux que les autres.
Il sentait Waade tendue à ses côtés, prête au combat. Elle pourrait facilement désarmer les sentinelles proches, mais il fallait trouver un moyen moins brutal de quitter ce navire. Il regarda le soldat qui le mettait en joue et concentra toute son énergie Qeidal sur cette crise. Après un battement de coeur qui lui paru une éternité, il devint clair et il sut que la crise était passée. Il tendit juste la main dressée vers le fusil en disant simplement :
_ Non.
Et le fusil disparu.
Il jeta un regard vers Massad :
_ Ne soyez pas stupide et laissez-nous passer. Nous ne trahirons pas l'Union. Nous allons aller sur cette planète, explorer les restes laissés par les Cetfans et attendre ici qu'ils reviennent. Personne d'autre ne peut le faire.
Le couple quitta la passerelle, les sentinelles stupéfaites s'écartant sur leur passage. Quelques instants plus tard, alors que la tension n'était pas entièrement retombée dans le poste de commande, ils virent le petit yacht s'élancer de la soute et s'éloigner en direction de la planète. La flotte de l'Union partit dans l'hyperespace minutes plus tard. Il ne resta plus dans le système que les innombrables débris témoignant de la fureur des jours passés et les imposantes épaves des navires de guerre réduits au silence.
Deux jours plus tard, les sondes placées par l'Union autour de l'épave du mastodonte cetfan cessèrent de nouveau d'émettre et ainsi ils surent que les cetfans étaient revenus.
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