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Corserre :
planète tellurique moyenne gravitant autour d'un système à étoile double localisé dans la petite ceinture de la première périphérie galactique. La surface est complètement dépourvue d'eau liquide et presque entièrement recouverte d'un désert rocheux. La densité de l'atmosphère est bien supérieure à la norme et composée majoritairement de monoxyde de carbone empêchant toute forme de vie indigène. Les portions habitées se trouvent sur deux étroites bandes d'environ deux cent kilomètres près des pôles. Actuellement, une petite moitié des habitants de Corserre sont fermiers et mineurs, tandis que l'autre est composée de population difficilement quantifiable classée OS 9 par la Cosmoguarde : banditisme dangereux. Il est probable qu'à l'origine la planète n'ait été colonisée que pour ses riches gisements minéraux, mais la dureté des conditions de vie a défavorisé l'émergence d'un gouvernement central fort comme sur Bransy ou Noworl. On trouve encore dans le grand désert central de Corserre des gisements de bauxite, ainsi que des traces de platine et d'iridium. La planète se trouve sous protectorat du C.I.E. depuis 112 ans dans le but de juguler la prolifération des mafias locales, mais il ne semble pas que l'action de la Cosmoguarde rencontre un franc succès. Pour la liste de nos contacts en place veuillez traiter directement avec les services de renseignements de la Coordination.
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Requête RegStar,
Base de registre de l'Union - 9381 GS
Kérian avait un instant plus tôt vu les traditionnels traits lumineux laissés par les étoiles au moment du passage en vitesse hyperluminique. Toutes les étoiles semblaient plonger les unes vers les autres pour fusionner en un seul point au milieu de l’espace, juste avant de disparaître. Pendant ces quelques secondes qui lui parurent de longues minutes, sa mémoire passa en revue une multitude de souvenirs, tous ces sauts, toutes ces coordonnées et ce léger trac au début. Cette peur primitive du noir et de l'incertitude qui resurgissait sans crier gare. Et puis les sauts s’étaient tous bien passés, les désagréments physiologiques s’étaient avérés n’être finalement que psychologiques et l’habitude avait prit la place de la crainte... Pourtant quelque chose de supplémentaire cette fois : quelqu’un parlait. Qui était-il ? Ce petit homme rabougri était-ce là ce que conservait sa mémoire de son ancien instructeur académique ?
Kérian se souvenait des années d’études. Les immenses coursives de la station de l’Académie Spatiale de Tyrr, les exercices en apesanteur, les cours théoriques ennuyeux sur les équations qui régissaient l’immense horloge galactique. Mais ses réminiscences étaient attirées vers un lieu précis, vers le simulateur, et vers son petit instructeur tout sec. Le flot de ses paroles ne se tarissait jamais. Il parlait et il parlait sans cesse. Avait-il seulement le temps d’entendre ce qu’il disait ? Cette fois pourtant son discours se tenait. Le sens de ses paroles s’éclaircit peu à peu et Kérian les entendit résonner dans son oreille :
_ Ne sautez jamais au hasard c’est un acte très dangereux qui peut entraîner votre mort et celle de beaucoup d’autres personnes, ne l’oubliez jamais. Si l’onde immatérielle que vous êtes pendant un saut se reforme trop près d’une étoile, vous serez consumés par sa chaleur. Si vous vous rematérialisez dans une atmosphère, votre vitesse vous pulvérisera... À cette vitesse, l’air est aussi dense que le platzbéton... Mais tout cela n’est pas le pire, si vous vous réintégriez dans un autre corps dense à l'état solide, il s’ensuivrait une fusion incontrôlable qui pourrait entraîner une réaction en chaîne d’une puissance inouïe. L’expérience n’a jamais été reproduite mais il est dit qu’au tout début de l’ère spatio-temporelle une étoile stable a été transformée prématurément en supernova par des réactions de ce type. Le voyage spatial n’est pas un jeu même s’il s’est démocratisé à outrance : voyager dans l’espace signifiera toujours risquer sa vie, quelles que soient les sécurités prises car nous ne sommes pas fait pour vivre dans le vide. Retenez bien cela : la moindre erreur vous sera fatale et je n’emploie pas le conditionnel.
L’avait-il oublié ? Jusqu’où un soldat avait-il le droit d’aller dans son combat ? Même s’il se considère dans le camp des justes, un soldat peut-il risquer la vie de civils innocents pour faire triompher la justice ? Qui pourra affirmer que sa justice est la justice ? Peut-on condamner les guerres des autres quand nous-mêmes n’avons pas d’autre solution à proposer ?
Un éclair, une étincelle, non, cette fois il n’avait pas eu le choix, c’était ça ou rien. Il avait fallu qu’il saute au hasard, leurs poursuivants n’auraient pas fait de prisonniers, la Cosmoguarde n’en faisait jamais. Cependant le poids de ses incertitudes pesait sur lui en un mélange opaque, une impression qu’il n’arrivait pas à préciser...
Puis soudainement vint le choc du retour dans le continuum normal. En un millième de seconde, tous ses sens aux aguets, il perçut la terrible vérité : des nuages, des montagnes, un vol d’oiseaux. Ils étaient dans une atmosphère et leur vitesse fantastique allait les transformer en de vulgaires météores. Déjà il voyait le témoin lumineux de surchauffe sur son tableau de bord et la chaleur à l’intérieur du cockpit menaçait de le plonger dans l’inconscience.
Un sursaut, quelque chose venait de le tirer de sa torpeur, un bruit, ou peut-être un cri ? Il luttait de nouveau pour ne pas s’évanouir. Un bref éclair de lucidité lui révéla la présence d’une rivière, il se coucha sur ses commandes. Son appareil piqua brusquement, sa vision se retourna, il y avait une lumière aveuglante devant lui, des objets tombaient dans l’eau, du métal ! Un engin s’était craché sur la falaise... Le malaise le reprit et il perdit connaissance.
Une violente bourrasque redressa légèrement son appareil qui piqua entre les deux façades du canyon puis s’enfonça dans les flots en soulevant une impressionnante gerbe d’eau. Non loin de là, un autre engin en flamme passa comme une fusée en traversant l’eau soulevée de la rivière, ricocha plusieurs fois sur la surface liquide en tourbillonnant et laboura un long sillon dans la plaine avant de s’arrêter définitivement sur un rocher. Après un bref moment de calme, le silence fut de nouveau troublé par ce qui restait du vaisseau de Kérian qui jaillit de la rivière en provoquant un énorme remous qui submergea la berge. Poussé par le reliquat de sa vitesse initiale, l’engin s’immobilisa finalement, échoué sur le bord du cours d’eau. Les systèmes de survie du vaisseau, jugeant l’atmosphère extérieure respirable et la température du cockpit excessive, déverrouillèrent la fermeture de ce dernier et laissèrent l’air frais envahir l’habitacle.
Kérian se réveilla peu à peu. Il était mal. Ses muscles étaient douloureux, sa vision trouble et il était oppressé de chaleur. Ses pensées bouillonnaient par à-coups, comme un trop plein de vapeur qui s’échappe d’une marmite. Heureusement que les systèmes anti-gravité ont fonctionné jusqu’au bout. Il se débarrassa comme il put de son casque pour profiter pleinement de la fraîcheur toute relative de l’air extérieur. Combien de G avait-il encaissé en quelques secondes ? Sa cage thoracique le lançait horriblement. Il sortait en chancelant de l’appareil lorsqu’il aperçut la colonne de fumée de l’autre engin. Rassemblant alors ses forces, il saisit un sécuripac et bondit sur le rivage. Mais ses jambes lui firent défaut et il glissa sur la végétation de la berge. Il eut juste le réflexe de lancer son sécuripac avant de s’étaler de tout son long dans l’eau. L’eau fraîche eut au moins le bénéfice de le réveiller définitivement. Il grimpa laborieusement sur des racines et récupéra son matériel. Chancelant encore tout en se hâtant vers le vaisseau endommagé, il détacha l’antifeu de son sécuripac et l’arma pour l’utiliser. L’engin brûlant avait déclaré un début d’incendie dans l’herbe sèche de la plaine. En éteignant les flammes autour du vaisseau il appelait par son comlink sans savoir si celui-ci fonctionnait toujours :
_ Massad ? Sunon ? répondez bon sang !
Il ne pouvait pas voir à travers le platzverre teinté du cockpit lequel de ses deux équipiers se trouvait dans l’appareil. En étreignant la poignée d’ouverture d’urgence, il hurla de douleur : le fuselage brûlant avait laissé une marque rougie sur sa main. Il réprima un juron et vida le reste de son antifeu sur la poignée et sur le pourtour du cockpit. Il pressa finalement la commande et la verrière s’ouvrit de moitié, endommagée par le crash . Mais l’habitacle menaçait d’être englouti par la terre qui s’était transformé en une sorte de boue à cause de l’action de l’antifeu. Kérian s’engagea comme il put dans le cockpit en essayant de ne pas se brûler sur la paroi, mais son corps restait encore mou et récalcitrant. Il enleva le casque du pilote pour voir le visage de son équipier, toujours inconscient. Il demandait anxieusement en dégageant le corps de son ami :
_ Massad ? Tu m’entends ? Réponds-moi...
Enfin sorti de la carcasse fumante, il allongea le corps inanimé de Massad et activa le diagnoskit de son sécuripac. Il appliqua ensuite à même la peau les trois parties du droïd médecin : sur le poignet, l’œil et le cœur. Au bout d’un court instant la voix aiguë du diagnoskit annonça :
_ Dzzz...Le patient est inconscient, il souffre de brûlures et contusions multiples...dzzz...Brûlures au troisième degré au visage, au genou droit et au torse...dzzz...Le patient est dans un coma qui est dû à une commotion cérébrale...dzzz...La vie du patient n’est pas en danger...Méthodes de soins : application de gel T.U.M et repos dans un endroit frais... dzzz...Le patient sera extrait de son coma et rétabli dans trois jours.
Kérian était soulagé mais il se demandait ce qui était arrivé à Sunon. C’est alors qu’il se rappela la lumière aveuglante, il se retourna pour être face au canyon. Il aperçut les volutes de fumée noire qui s’échappaient du lieu de l’impact. Son visage s’assombrit et il s’abîma dans de sombres pensées pendant plusieurs secondes jusqu'à ce qu’une sonnerie électronique le tire de sa rêverie. Il se retourna et chercha dans le sécuripac une recharge de gel T.U.M. qu’il inséra dans le diffuseur du diagnoskit.
_ Dzzz...Merci, répondit ce dernier.
Kérian était trop exténué pour sourire devant cet essai des ingénieurs pour humaniser les droïds. Il se laissa tomber et s’allongea à même le sol à l’endroit où il se trouvait. Il laissa tous ses muscles se détendre et partit à l’exploration de ses sensations. Il ne semblait pas avoir de dommages sérieux, sa chute dans la rivière lui avait sauvé la vie. Il inspira profondément, l’air était chaud et au gré de la direction du vent ramenait l’odeur âcre et suffocante de l’engin accidenté. Mais quand le souffle poussait la fumée, l’odeur était agréable, comme celle des forêts en serre des parcs de loisirs de Tyrr. Pourtant le ciel était véritable ici, nul dôme, nulle lumière artificielle. Des planètes comme celle-ci existait-elle vraiment ? Ses réflexions s’effilochèrent peu à peu et il sombra dans l'inconscience, allongé à côté de son coéquipier au beau milieu de la plaine.
Il s’éveilla brusquement d’un rêve qui se terminait par un repas avec ses membres dans le rôle du plat principal. Il se redressa vivement et ses yeux en croisèrent d’autres : ils étaient sombres avec une pupille ovale encadrée par un iris jaune, deux perles fixées sur son regard. La peau recouverte d’écailles de la créature se confondait avec la végétation dans un mimétisme bien rodé. Soudain son cou sembla s’étirer et elle émit une sorte de grondement en hérissant une série d’épines derrière sa tête. Il n’en fallut pas plus pour Kérian, il dégaina son Brolt et éclata la bête d’un tir à bout portant. Il se releva rapidement, mais les alentours étaient calmes. La tête de la créature était à moitié désintégrée... Sa mâchoire inférieure pendait inerte et il en sortait des crocs dont la taille ne laissait pas indifférent. Il se dirigea vers son appareil, la nuit commençait à tomber et il songea qu’il devrait monter un camp avant de ne plus y voir clair du tout. Ses diverses contusions étaient toujours pénibles mais son entraînement lui permettait de passer outre. Le pire était passé. Il laissa ses pensées rationnelle établir un guide pour répondre à la situation : Monter un camp, récupérer le matériel et faire la liste de l'approvisionnement, faire la point sur la situation géographique. Il faudrait aussi activer une barrière pour se protéger de la faune locale, il n’avait jamais entendu parler de reptiles aussi gros... Les seuls dont il se souvienne tenaient dans la main et perdait leur queue quand on les attrapait. Mais mêmes ces petits animaux ne se promenaient pas en liberté : ils étaient confinés dans les parcs de végétation... Ici c’était plutôt eux qui étaient enfermés dehors, aucune construction n’était visible aux alentours. Il amarra solidement son chasseur à un des arbres qui abondaient dans cette région en ayant la désagréable impression d’être à la place du petit lézard de son enfance. Il regarda les arbres qui l’entouraient, ceux-ci ne dépassaient que rarement deux mètres de haut et leurs branches étaient étrangement plates, ainsi que leurs feuilles qui étaient complètement rondes, attachées à la branche en leur centre par en dessous. Kérian remarqua alors les fruits qui pendaient sur le pourtour des feuilles. Il en cueillit un et décida de le faire analyser par le diagnoskit après la construction du camp.
La nuit tombée, il installa Massad dans une des deux couchettes de la tente et entreprit de régler une barrière énergétique qui protégerait le camp des éventuelles bêtes sauvages. Il hésita sur l’intensité à choisir puis la pointa au maximum, peut-être l’échantillon de tout à l’heure faisait-il partie des plus petits ? Cela fait, il rentra pour se reposer et tomba sur le fruit qu’il avait cueilli en fouillant dans sa poche. Il le sortit et le posa sur le détecteur du diagnoskit de son ami qui demanda de sa voix stridente :
_ Dzzz...Quelles analyses désirez-vous ?
_ Analyse donc si c’est comestible, lui répondit-il en déroulant son survisac sur sa couchette.
_ Dzzz...L’objet est un fruit comestible, composé majoritairement de glucides, dont le goût doit ressembler à une orange ayant la consistance plus proche d’une dzzz...prune.
_ Eh bien, dit-il dans un soupir, au moins on ne mourra pas de faim.
Il saisit le fruit et mordit dedans à pleines dents. Une saveur incomparable se répandit dans sa bouche et il fut tout autant surpris que satisfait. Il s’endormit finalement en toute quiétude avec le ronronnement de la puissante barrière énergétique impénétrable.
Le lendemain, des jurons s’élevèrent du campement provisoire où Kérian essayait vainement de faire marcher sa radio hyperspatiale. Il était penché sur le cockpit de la carcasse de son appareil. Il était courbatu, il avait chaud, et ses espoirs de refaire fonctionner l'ordinateur de bord s'évaporaient avec son moral.
Il prit une profonde inspiration :
_ Bon rien ne sert de s’énerver, je suis échoué sur un monde inconnu, je n’ai aucun moyen de joindre qui que ce soit et le seul coéquipier qui me reste est inconscient ! Tout va très bien...
Il abandonna l’obstinée machine et regarda machinalement vers l’horizon. La vision était incroyable : pas de constructions, pas d’engins dans le ciel, pas de traînées de fumées stratosphériques droites et enchevêtrées... Non, rien que du naturel à perte de vue, c’était inquiétant. Pourtant quelque chose capta son attention, il courut récupérer les jumelles et les braqua vers la source de son excitation.
_ C’est bien ce que je pensais, dit-il tout bas, de la fumée.
Il augmenta le grossissement des jumelles et ne put retenir une exclamation :
_ Un bâtiment ! distance présumée cible, demanda-t-il rapidement à ses jumelles.
Une voix métallique lui répondit laconiquement :
_ Treize kilomètres cinq cent vingt trois mètres.
Il scruta la construction, il n’en avait jamais vu de semblables ailleurs, elle ressemblait à un bunker militaire mais vu la distance, l'ensemble avait une taille incroyable. Si son interprétation de l’échelle était bonne, le mur de l’enceinte devait faire une cinquantaine de mètre de hauteur pour plusieurs centaines de mètres de pourtour... S’agissait-il vraiment d’un bâtiment unique, ou plutôt d’un sorte de clôture avec autre chose dedans ? Quoi qu'il en soit, c'était enfin un bon point dans la suite de catastrophe commencée a veille sur Corserre.
Il baissa les jumelles et regarda l’ombre laissée par les arbres. Il supposa qu’il était au milieu de la matinée. La période de révolution de ce monde devait être assez proche des 24h de la journée standart car il se souvenait de la nuit précédente. Encore un bon point. Sur Corserre le jour durait près de 36 jours standarts, et la lumière éclatante qui vous assaillait jours et nuit étaient tout aussi nerveusement épuisante que le mois de nuit qui la suivait.
Il regarda le chemin qui le séparait de son objectif : une forêt inextricable composée essentiellement des petits arbres qui entouraient son campement, parsemé de plus gros qu’il n’avait pas encore vus de près. Le terrain semblait relativement plat et dénué d'obstacles majeurs : il était sur la bonne rive du fleuve qui avait amorti son crash.
_ Treize kilomètres, murmura-t-il, hum... En partant tout de suite j'y arriverai peut-être en fin d’après-midi.
Il réfléchit encore un instant puis se décida. Rester plus longtemps ici ne servait à rien. Il fallait qu'il trouve des gens pour déterminer sur quelle planète il se trouvait et commencer à organiser le retour vers le QG de l'Union. Il s’équipa pour le trajet d’un sac à dos avec quelques rations et d’un survisac qu’il logea dedans. Il commençait à faire très chaud et Kérian se demanda s’ils n’étaient pas tombés dans une région tropicale, pour tout arranger. Il retira son blouson et attacha son Brolt à sa ceinture, il prit aussi un fusil et un sécuripac neuf. Il logea une télécommande pour la barrière énergétique dans sa ceinture et l’activa derrière lui en s’éloignant dans la direction de la construction aperçue plus tôt, laissant son ami sous les soins attentifs du diagnoskit.
Après deux heures de marche parmi les arbres nains il s’arrêta au pied d’un des grands arbres qu’il avait aperçu le matin. Leur taille impressionnante contrastait étrangement avec les autres végétations basses qu’il avait vues jusque-là. Ils n’avaient pas de feuilles mais leurs énormes branches étaient terminées par des sortes de cristaux qui devaient bien mesurer trois mètres de haut. Il s’assit à l’ombre rafraîchissante de l’arbre géant et se restaura. Il s’apprêtait à repartir quand il aperçut une sorte de four en pierre, de l’autre coté de l’arbre. Le four portait des traces de feu bien qu’il soit vide de cendres. Il y avait des plaques de métal grossièrement polies sur les bords de la petite construction. Kérian se demandait quelle pouvait être l’utilité d’une telle construction lorsqu’il entendit un cri : une voix humaine ?... Non, plusieurs voix humaines. Kérian perçut ensuite des bruits de chocs et d'impacts qui s’éloignaient. Les exclamations ne semblaient pas trop lointaines mais leur direction n’était pas celle qu’il suivait. Il réfléchit rapidement et décida de changer de direction pour en avoir le cœur net. S’il y avait des humains ici et qu’ils se battaient, finalement on était en terrain connu. Restait à savoir pourquoi ils se battaient, quels étaient leurs moyens et contre qui. Dans tous les cas, la prudence s’imposait.
Il avançait depuis environ dix minutes quand il déboucha sur un large chemin qui était constitué de pierre taillées. La route semblait venir de direction de la construction lointaine et allait vers les collines que l’on apercevait à l’horizon. Il marcha rapidement dans cette direction et arriva bientôt sur une zone de bataille récente : la route était jonchée des cadavres de petits êtres très laids qui avaient la peau épaisse et écailleuse. Leur grosse tête était affublée d’une énorme bouche d’où dépassaient quatre crocs acérés. Les êtres étaient vêtus de cuirasses métalliques et la plupart portaient encore une sorte de hache, faite de multiples pointes aiguisées, les armes qui jonchaient le sol étaient toutes des armes blanches et les créatures ne portaient pas de bouclier de stase. Kérian compta une dizaine de ces cadavres avant de voir la dépouille d’un soldat humain ! L’homme portait une armure faite d’un métal bleu profond qui luisait argenté à la lumière. Son heaume, fait du même métal, était admirablement sculpté et son épée était brisée à ses côtés. Un gémissement attira l’attention de Kérian qui découvrit une jeune femme mortellement blessée dans les fourrés bordant la route. Il se rapprocha d’elle. Elle agrippa son bras d'une main ensanglantée et tenta de parler, sa main se crispant sous l'effort. Mais il ne comprit absolument rien à ce qu'elle tentait d'articuler. Il brancha alors son échotraduct et dans son dernier souffle elle lui confia quelques mots :
_ Les gu... les gorgues... ils sont re... revenus...
Elle expira dans ses bras en serrant convulsivement un objet en bois dans ses mains. Kérian était profondément peiné. Elle était jeune et elle ne méritait certainement pas de mourir si tôt mais même avec un diagnoskit, il n'aurait pas pu faire grand chose pour elle vu ses blessures. Il comprit que les gorgues devaient être ces petits montres bruns et se mis en quête d’une trace qui lui indiquerait leur nombre, s'ils avaient survécu à l'attaque et dans quelle direction ils seraient partis. Elle ne fut pas dure à trouver : la forêt était déchiquetée et le sol écrabouillé sur une grande largeur. Ils ne devaient pas avoir une grande avance.
La situation prenait une tournure inhabituelle et il devait réfléchir. Les gorgues n'étaient pas humain, ils avaient attaqués ceux-là avec des moyens rudimentaires, mais ces humains ne semblaient pas avoir mieux que des armes blanches pour se défendre. Aucun signe ne permettait de voir de traces ou d'impacts d'armes plus évoluées. Il devait pourtant choisir entre remonter la piste de ces créatures pour en apprendre plus sur elles ou rebrousser chemin et poursuivre son objectif initial d'atteindre la citée. Les traces de gorgues allaient dans une autre direction, il en déduisait donc que la citée abritait bien des humains. Que faire ?
Il commençait à sérieusement envisager la seconde solution quand un fait nouveau retint son attention : il y avait des pas humains bien visibles sur le bord du chemin prit par les gorgues. En se rapprochant pour vérifier, il aperçut également des traces de sang. Il y avait des humains blessés à ma merci de ces monstres !
S’il voulait obtenir l’aide des habitants du coin, il jugea que la meilleure chose à faire était de poursuivre les créatures et de tenter de secourir les prisonniers. En cas d’affrontement, ils ne résisteraient pas à ses armes sans bouclier. Il prit un cachet énergisant et se mit à courir sur la piste des gorgues.
Il courut deux heures durant, faisant des pauses régulières pour vérifier le chemin et écouter s'il percevait des bruits de ceux qu'ils poursuivait. L’après-midi était largement entamé quand il arriva finalement en vue d’un groupe qui gesticulait en poussant des grognements autour d’un arbre géant. Son échotraduct ne put lui traduire les braillements, le langage était donc articulé mais trop simple. Ces créatures n'étaient pas beaucoup plus que de simples animaux. Il se camoufla et activa par réflexe son bouclier même s'il le savait inutile contre les armes blanches. Il observa la scène et vit que ses déductions étaient justes : les gorgues ne possédaient strictement aucun équipement évolué. S'il décidait de les affronter, il n'en ferait probablement qu'une bouchée. Il continuait cependant par prudence d'observer la troupe en se déplaçant sous le couvert végétal pour contourner le camp. C'est alors qu'il vit plusieurs corps humains suspendus par les pieds aux branches de l’arbre. N’y tenant plus, il régla le monde de tir de son fusil AKAMA sur « automatique » et commença le mitraillage en règle de toute le troupe de monstres.
Quand il s’arrêta de tirer, une trentaine de corps calcinés ou partiellement vaporisés gisaient à terre et pas même une seule égratignure ne l'affectait. L'action n'avait durée que quelques instants. Les gorgues n'avait pas eu le temps de comprendre ce qui leur arrivait.
Il sauta alors au milieu de la clairière et s’empressa de dépendre les malheureux en priant pour qu’il ne soit pas trop tard. Il détacha deux hommes et une femme. Il sortit son diagnoskit mais les deux hommes étaient déjà morts de leurs blessures ou de leur pendaison... Il s’occupa de la jeune femme qui respirait faiblement. Il lui mit les trois parties du droïd médecin, au poignet, à l’œil, et sur le cœur en détachant le corset en cuir épais de la jeune femme. Il attendit anxieusement la réponse du diagnoskit qui déclara :
_ Dzzz... La patiente souffre de multiples plaies ouvertes et d’un afflux trop important de sang au cerveau à cause d’une position renversée prolongée ...dzzz...URGENCE, la patiente nécessite une perfusion de sérum O, URGENCE...
Il mit fébrilement la recharge demandée dans le droïd qui omit de dire merci et se plongea dans les soins de la jeune femme, s’efforçant de la remettre sur le chemin de la vie...
Kérian regarda de nouveau circulairement la clairière, mais aucun signe de vie ne perturbait le calme. Il ramena son regard sur la jeune femme blessée. Comme le travail silencieux du diagnoskit lui imposait une attente forcée, il put la regarder moins succintement. Elle semblait assez jeune mais tout de même plus âgée que celle qui était morte dans ces bras quelques heures auparavant. Elle avait un corps mince et la stature athlétique d'une personne sportive ou habituée aux efforts physiques. Sa peau avait le teint mat et assez foncé des métis et ses cheveux très noirs et ondulés. Il se dit qu'elle devait finalement être plutôt belle sous la saleté et les vilains hématomes de ses blessures.
_ Dzzz..., émit-il enfin, dzzz... la vie de la patiente n’est plus en danger, elle est dans un coma provoqué...dzzz... Elle devrait se réveiller hors de danger dans vingt heures...
Kérian émit un soupir de soulagement et fit le point avec son détecteur sur sa position. Il se trouvait à douze kilomètres de son « campement » et la nuit menaçait de tomber dans une heure ou deux. Il avala alors deux comprimés énergétiques dans le sécuripac en ramassant ses affaires et prit la jeune femme dans ses bras. Il se mit en route vers son camp en essayant de se hâter, l’état de la jeune femme nécessitait plutôt un repos paisible qu’un trimballage approximatif. La course et le supplément de charge l’épuisèrent et, malgré les cachets énergétiques, il n’atteignit pas le camp avant la nuit. Il déposa enfin son précieux fardeau sur sa couchette à côté de son ami et s’apprêta à passer la nuit à la belle étoile, complètement épuisé une fois de plus.
Son corps criait son besoin de repos, mais ses pensées ricochaient sans fin dans son crâne, l'empêchant de trouver le sommeil. Il regardait le ciel nocturne en repensant aux événements de la journée. Des humains vivaient sur cette planète mais leur équipement semblait étrangement primitif ? D’habitude on utilise les armes blanches en combats rapprochés parce que tout le monde utilise un bouclier de stase. Quel est l’intérêt de ce type d’arme si l’ennemi n’est pas protégé contre les projectiles ou l’énergie ? C’est comme s’il étaient aussi primitifs que les gorgues... Non, il chassa cette idée de son esprit. C'était impossible.
Il fut réveillé dans la matinée suivante par ce qui semblait être une voix. L’esprit encore embrumé, il tendit l’oreille, désorienté. Des paroles s’échappaient de la tente, il était question de paradis et d'anges. Retrouvant un peu ses esprits, il se redressa, encore plus courbatu et endolori que la veille, grimaçant. Il reconnu enfin la voix, c'était sans nul doute celle de Massad, finalement sorti de sa léthargie. Il passa la tête par l'ouverture de la tente. Son ami regardait avec délectation la jeune personne étendue à côté de lui, et marmonnait quelque chose comme sa satisfaction d'avoir un beau réveil. Finalement il tourna la tête et aperçut celle de Kérian. L’expression de Massad changea sur son visage, il regarda la tente, le diagnoskit et interrogea enfin :
_ Hé, mais qu’est-ce que je fais ici ? Où on est ? Et c’est qui elle ?
_ Le retour du héros ! s’exclama Kérian avec dérision, voyons, alors tu dors depuis hier, nous sommes échoués sur une planète inconnue, nos engins sont tous les deux hors d'usage, et entre nous on a eu une sacré veine de ne pas finir dans le même état, hier nous avons failli être dévorés par des lézards géants, et en tentant de rallier ce qui semble être une ville à l'horizon, je suis tombé sur un groupe de petits monstres brunâtres méchants et agressifs qui ont exterminé une petite troupe d'humain dont cette jeune personne à côté de toi semble être l'unique rescapée.
L'autre arborait une expression stupéfaite, et Kérian enchaîna sur un ton ironique :
_ Mais ne pleurons pas sur notre sort, ça pourrait être bien pire : nous avons fait un saut hyperspatial au hasard mais n'avons pas fait exploser un système solaire entier ! Et puis bien sûr, nous sommes toujours vivants.
_ Mouais, tout ça c’est formidable, surtout les petits monstres. Je peux me lever ? demanda-t-il à son diagnoskit.
_ Dzzz... Le patient peux se lever... encore deux ou trois jours et les brûlures ne seront plus apparentes... dzzz...bonne journée, fit le droïd en se détachant.
Massad réajusta sa tenue et sortit de la tente en jetant un dernier regard à la jeune femme endormie. Dehors il aperçut les restes carbonisés de son engin et s'exclama :
_ Pffiu ! Je l’ai échappé belle, heureusement que les chasseurs fabriqués par Courok Industrie on la peau dure. Tiens mais où est Sunon ? demanda-t-il soudain en cherchant du regard autour de lui.
Kérian montra les falaises du canyon :
_ Son appareil s’est écrasé...
Il regarda la falaise, mais on ne pouvait rien voir du drame depuis leur campement provisoire. Le visage devenu plus sévère, il le tourna vers son acolyte :
_ Alors on est les deux derniers. Sacré fiasco mon pote.
Kérian ne répondit rien. Sa colère contre la Cosmoguarde effaçait sa culpabilité d'être responsable de la mort des membres de son équipe. Mais après un temps de silence, Massad reprit, moins sévère :
_ Mais je note qu'encore une fois tu m'a sauvé la peau, mec.
Il allait répondre quand un cri accompagné des piètres recommandations d’un diagnoskit survint de la tente. Massad fut plus rapide que Kérian pour activer son échotraduct et s’élancer dans l’ouverture. La jeune femme semblait terrifiée par le diagnoskit qui s’accrochait désespérément à elle en tentant de la rassurer, ce qui ne faisait qu’augmenter son désarroi. Il s’approcha d’elle et lui dit gentiment :
_ Calmez vous, cet appareil, dit-il en montrant le droïd, est là pour vous soigner...
_ Qui êtes-vous ? demanda-t-elle peu rassurée.
_ Je m’appelle Massad Karp, et lui c'est Kérian D'Ys, dit-il en faisant un signe de tête vers son ami, il vous a sortie d’une attaque.
Elle leva vers lui un regard interrogateur :
_ Je suis désolé, lui annonça-t-il, les gorgues on tués tous vos compagnons.
Elle baissa un instant son regard puis le questionna :
_ Vous m’avez donc sauvé la vie ?
Sans lui laisser le temps de répondre elle se rapprocha de lui et lui traça du bout du doigt un symbole au visage, sur la tempe gauche. Devant son recul surpris elle s’expliqua :
_ C’est la tradition de faire le présent Riffa à ceux qui nous ont sauvé la vie, lui annonça-t-elle comme si c’était évident. Je m’appelle Elida, j’habite dans la cité d’Horak Tunefel. Il faut prévenir Farad du retour des gorgues, ajouta-t-elle d’un air soucieux. D’où venez-vous ?
_ Attendez, vous avez dit une cité ?
_ Bien sûr, Horak Tunefel mais... On ne peut pas m’enlever ce... truc ? Demanda-t-elle en montrant les morceaux du droïd collés à sa chair.
_ Si vous vous sentez bien, oui. La patiente peut se lever ?
_ Dzzz... Oui, le rétablissement a été plus rapide que prévu... dzzz... bonne journée, déclara le diagnoskit en se détachant.
Massad récupéra le droïd comme il glissait de la jeune femme. Elle rattacha son bustier et sortit de la tente. Kérian prit ses jumelles, régla le zoom et les tendit à Elida en lui montrant la direction de ce qu’il pensait être la cité. Vaguement surprise, elle comprit rapidement leur fonctionnement et leur confirma que la construction était une ville, celle d’où elle était originaire : Horak Tunefel. Ils discutèrent ensuite en mangeant quelques fruits. Les deux hommes ne furent pas très clair pour expliquer leur présence mais elle n’en fut nullement effrayée ; ce qui l’interpellait le plus c’était la couleur de leur peau. Elle semblait n’avoir jamais vu ni de blancs ni de noirs ? Avant que Kérian ne puisse la questionner en détail elle repartit sur son angoisse du retour des gorgues et oublia complètement le mystère de leur couleur de peau.
Les deux hommes rassemblèrent leurs affaires. Tout en s’équipant Massad l’observa plus en détail. Elle n’était pas très grande mais bien proportionnée. Sa peau était mate et bronzée et ses traits métisses mais Massad n’aurait su préciser de quelle origine. Elle portait un corset de cuir robuste et sculpté, une jupe d’un cuir plus souple qui lui descendait jusqu’aux genoux et de solides bottes de cuir également. Il trouvait que ces vêtements rehaussaient sa beauté et ne pouvait la séparer de sa vue. Elle surprit son regard et le gratifia d’un magnifique sourire qui illuminait son beau visage. Son regard fut capturé par ses yeux pâles, avec un iris d'un bleu si tenu qu'il paraissait presque dépourvu de couleur.
Quand Kérian vint le retrouver il préparait distraitement ses affaires en gardant un œil sur Elida : elle était plongée dans la réalisation d’un outil à partir d’une branche. L’autre la regardait aussi en lui disant :
_ Y’a pas un truc qui te tracasse ?
Se méprenant sur le sens de la phrase, le noir quitta son observation distraite en feignant d'être soudain très concentré sur son sac.
_ Non, pourquoi ?
_ Mais regarde-la, elle est habillée comme les hôtesses des parcs d’attraction, elle ne connaît pas les diagnoskits ni les jumelles... Et se fabrique je ne sais quoi avec une branche morte et un poignard que, soit dit en passant, je ne mettrais pas entre toutes les mains.
Massad la regarda de nouveau, mais en fronçant les sourcils :
_ Je n’avais pas fait attention... Il doit y avoir une explication. Bah ! Nous serons fixés en allant à la cité.
Quand les deux hommes eurent endossé leur sac à dos, Elida essayait habilement le résultat de son travail. Une arme, certainement, qui tirait des projectiles en bois fin et long. Une sorte de bâton effilé aux extrémités relié par une ficelle : elle encochait un projectile perpendiculairement au bâton et tirait sur la ficelle ; quand elle lâchait tout, le bâton se détendait brusquement en projetant l’objet pointu à une grande vitesse. Ça paraissait très primitif, mais plutôt efficace. Elle tirait avec une grâce et une précision absolue malgré l’imperfection de l’arme. Ils partirent enfin vers Horak Tunefel par le chemin qu’avait emprunté Kérian le jour précédent à travers la forêt miniature, des questions plein la tête.
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