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Patrolers - recrutement - :
Les soldats de base de la Cosmoguarde sont mobilisés sur les mondes qui ont choisi cette manière de payer les taxes d’utilisation de la sufrile. Le mode de sélection des recrues ainsi que la durée de leur service militaire dépend entièrement des choix de leur monde natal, la Cosmoguarde se contentant d’exiger des quotas précis. Les recrues sont appelées “ patrolers ” et ne peuvent pas quelle que soit la durée de leur service dépasser le stade de sous-officier dans la hiérarchie de la Cosmoguarde, tous les officiers étant des soldats de métier. Il va de soi qu’aucun des mondes ayant participé au financement de l’Union n’entretenait plus de contrat de mobilisation avec la Cosmoguarde. Il est possible que le C.I.E. finisse par imposer un service minimum de toutes les planètes pour pallier le déficit en nouvelles recrues, avec tous les problèmes que peut poser une incorporation forcée et non-volontaire. Le taux de survie annoncé par la Cosmoguarde à une année de service est de 98%, mais la Coordination estime plus juste un chiffre de 81%. Pour accéder à l’ensemble du dossier lancez une nouvelle requête RegStar.
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Requête RegStar,
Base de registre de l'Union - 9381 GS
Les gyrophares rouges, toujours. Il y avait toujours eu au plus loin qu’on s’en souvienne des gyrophares rouges pour annoncer les états d’alertes dans les armées humaines. Et ils clignotaient en ce moment, accompagnés du cri rauque des haut-parleurs : l’activité était fébrile en cette fin de journée à bord de l’aviso Vengeur de la Cosmoforce 17. Les mécaniciens s’activaient encore dans toutes les coursives inférieures pour “ cacher la misère ” comme on dit. Il est vrai que même si les systèmes de combats et télécommunications étaient complètement opérationnels, l’allure générale de l’engin ne payait pas de mine... Un comble pour un appareil de la Cosmoguarde en opération.
_ Soldat O’Keffe ! Reste pas là, quelle section ?
Un sergent autoritaire comme il se doit faisait toujours son apparition pile au moment où un soldat traînait la patte. Il m’avait fait peur cet imbécile.
_ Section 3-4, Sir ! Répondis-je cependant en me redressant.
_ Quai d’embarquement, porte 2, au pas de course !
Rien ne changera jamais dans cette armée, vivement que ça soit fini, plus que trois mois... Trois mois ! Encore trois mois, oui...
Je trottais vers ma section. Ils nous faisaient embarquer dans un Doge avec des chars et des hélicos de combats atmosphériques... Encore une de ces maudites opérations complètement inutiles contre des pauvres bougres sous-armés et sous-entrainés. Combien de massacres peuvent-ils encore maquiller en victoire humanitaire ? Le monopole sur la sufrile offre-t-il l’immunité absolue ? Existe-t-il une conscience qui pourrait les ronger pour leurs crimes ?
Ça y est on est bien tassés, ils vont pouvoir lancer leur conditionnement neural en violant la convention des trois nébuleuses, comme d’habitude. Transformer des moutons en loups, toujours. Pour qu’on soit bien obéissant et, bien féroces.
Une trappe silencieuse dans le vide spatial, un trait de lumière qui devenait carré et quelques silhouettes anguleuses qui fusaient dans une bouffée de fumée, voilà comment commençait une “ opération expéditionnaire de pacification et de maintien de la sécurité ” quand l’opinion publique en était avertie, sinon c’était un simple “ exercice préventif ”. En l’occurrence cette fois un exercice préventif. On a toujours aimé les situations claires dans les états-majors.
Le Capitaine Gortion se retourna vers ses officiers de liaison sur la passerelle :
_ Donc nous sommes bien d’accord, le groupe qui vient de partir établit un poste d’atterrissage digne de ce nom et camouflé. Ils mèneront ensuite des opérations de reconnaissance sur les trois sites prévus : les épaves des engins, un site de grande taille, ville probable, et un site plus petit, la citadelle présumée des rebelles. Ils n’ont toujours pas activé de champ de force de forte puissance... Je ne sais pas si c’est un bon ou un mauvais signe. Dans tous les cas, tant qu'ils ne le font pas nous pourrons toujours tirer des salves depuis une orbite basse en soutien des opérations au sol.
Il prit un air satisfait.
_ Dans trois jours au plus tout sera terminé et nous pourrons enfin nous en aller de ce trou du cul de la galaxie.
Il se tourna vers sa passerelle holocom.
_ Sergent, je vais enregistrer un message pour avertir l’Amiral De Choivill de notre succès.
Fatigué. C’est la seule chose qui restait présente à l’esprit de Massad. Ce voyage était éreintant : une journée de trajet assis, enfin posé plutôt, dans une carriole tirée par à-coups au gré des vents, avec juste une pause le midi. Et même si les chars à volants étaient très jolis, ça lui était bien égal. Quel était donc l’intérêt d’aller aussi loin pour enterrer ses morts ? Pourquoi ne pas les mettre dans un cimetière près de la ville ou même pourquoi ne pas les incinérer ? En plus, l’étui du Qeidyn dans son dos commençait à le lancer douloureusement. Il aurait voulu mettre le couteau à son harnais d'épaule, mais quelque chose lui disait que les feydars en seraient très contrariés.
Kérian souriait en regardant Massad de profil. Pas besoin de lire dans les pensées pour savoir qu’il ronchonnait. Il regarda autour de lui. Certes, les places n’étaient pas vraiment confortables et le trajet plutôt long, mais bon, les réponses qui les attendaient peut-être au bout méritaient bien ça. Avant de partir, il avait réussi à apprendre que l'endroit où la troupe se rendait était un site ancien. Tout aussi ancien que la citadelle, et du coup tout cela avait piqué sa curiosité.
La procession de chars arriva en vue d’une vaste zone dégagée de toute végétation. La piste qu’ils avaient empruntée jusqu'à présent céda la place à une sorte de revêtement mi-rocheux mi-plastique. La clairière qui faisait une centaine de mètres de rayon en était intégralement recouverte. Au milieu s’élevait un bâtiment gris, austère et lisse. Une architecture avec des signes qui ne trompent pas, épurée et fonctionnelle, probablement même militaire.
Tous les véhicules s’immobilisèrent près d’une vaste ouverture dans la paroi de la construction. Les roues furent calées et les voiles repliées, quelques Feydars restèrent en sentinelles pendant que le gros de la troupe s’engouffra dans l’ouverture. Kérian et Massad suivaient le groupe avec lequel ils avaient voyagé, Farad et une dizaines d’hommes et de femmes, tous en armes et aux aguets. Ils étaient une centaine et pourtant, le bruit de leur déplacement restait extrêmement léger et discret. Kérian avait l’impression de faire beaucoup de bruit en comparaison. Il regardait les murs éclairés par les torches et songea à allumer sa lampe électrique, mais il arrêta l’esquisse de son geste. Le lieu semblait chargé d’une énergie invisible, comme tous les anciens monuments. Il aurait eu l’impression de commettre un sacrilège en illuminant ces lieux violemment. En regardant les parois ancestrales il fut frappé par une révélation. Cet endroit était plusieurs fois millénaire ! Il le savait sans pouvoir dire pourquoi.
Ceux qui marchaient juste devant eux portaient un brassard vert. Kérian reconnu le jeune garçon qui était venu les chercher pour aller chez La Brulite, quelques jours plus tôt. Sept personnes en tout étaient munies du même symbole, les proches des victimes ? Le vert comme symbole du deuil ? Si cette hypothèse était la bonne ce serait bien la première fois que la couleur verte, celle de la végétation et de la photosynthèse miraculeuse serait utilisée pour une telle occasion. Ce peuple semblait proche des humains mais des petits détails criaient pour démentir cette impression.
Et où étaient les corps des victimes ? Il s’agissait d’un enterrement, alors qu’avaient-ils faits des cadavres ? Les seules choses qui étaient transportées en plus des équipements personnels étaient trois caisses de bois trop petites pour contenir un seul corps humain, même sérieusement endommagé.
Kérian regarda de nouveau autour de lui et ce qu’il vit lui fit froid dans le dos : sur Feyd on se déplace partout en arme, même au cimetière.
Ils bifurquèrent et se retrouvèrent dans une grande salle ronde avec un puits au milieu. La pièce semblait plus chaude que le reste du bâtiment mais comme partout ailleurs, les murs étaient lisses et gris. Juste quand tous les Feydars étaient réunis dans la salle, Farad s’approcha du puits et cria. Aussitôt la salle fut inondée d’une puissante lumière blanche. Kérian était tellement surpris qu’il ne s’aperçut pas tout de suite que son échotraduct n’avait pas traduit le cri de Farad. Il lui annonça de sa voix artificielle :
_ Le mot n’est pas de la langue habituelle mais semble tiré d’un dialecte plus ancien toutefois assez proche... Il s’agit sans aucun doute du mot lumière. Voulez-vous une traduction simultanée de ce dialecte avec un signal d’avertissement ?
_ Oui...
Massad le fixait avec un regard interrogateur :
_ C’est un peu facile non ? Lumière et, hop ! dit-il en claquant des doigts.
Kérian regarda le plafond, il était intégralement lumineux, rien d’exceptionnel à ça pour un monde industrialisé mais ici après une semaine passée sur Feyd le phénomène était plutôt curieux. Ceux qui portaient les caisses s’approchèrent du puits et les ouvrirent. Ils en sortirent des ossements, lisses et propres comme s’ils avaient plusieurs siècles. Farad dit en langage ancien :
_ Que leurs restes retournent à la planète et que par elle ils revivent.
Ils jetèrent les os dans le puits, il n’y eu pas de bruit d’impact : soit le puits était extrêmement profond soit quelque chose avait désintégré les os dans leur chute. Tous les Feydars présents mirent un genou à terre et firent silence. Kérian et Massad les imitèrent ne sachant si c'était une bonne ou une mauvaise idée. Farad se leva enfin et prit la parole dans sa langue habituelle :
_ Que le Qeidal leur permette de continuer à vivre par nous.
Farad s’approcha des deux hommes et leur dit :
_ Maintenant l’âme des anciens va nous répondre, ensuite nous nous installerons dans les salles extérieures pour la nuit.
Kérian n’eut pas le temps de l’interroger sur “ l’âme des anciens ”, qu’une voix artificielle s’exprima en langage ancien :
_ Je vous salue, je suis Daryl, l’administocervo de la troisième colonie de l’exode terrien...
La voix était presque blasée ou lasse, elle semblait exprimer cette fatigue totale qui découle des frustrations éternelles. Les Feydars se tenaient la tête penchée vers le sol, en position de profond respect. Kérian observa Farad et il s’aperçut que même s’il avait prononcé une phrase dans cette langue, il n’en comprenait pas un mot ! Les discours précédents de la cérémonie devaient avoir été appris par coeur de génération en génération ! Avant qu’il n’ait pu réagir, de nouveau la voix s’éleva de nulle part :
_ Si vous me comprenez, répondez-moi... Mais bien sûr, personne ne me répondra... Mon peuple, quelle terrible malédiction, je n’existe que pour vous servir et vous ne me comprenez pas !
Kérian et Massad étaient abasourdis devant la scène : une centaine d’hommes et de femmes prostrés presque religieusement dans l’écoute des paroles incompréhensibles d’une intelligence artificielle qui les suppliait de lui parler ! Et eux deux se retrouvaient au milieu, avec une traduction simultanée. C’est dans le surréalisme le plus complet que la voix reprit :
_ Je détecte la présence de plusieurs sources d’énergie artificielle ? Y a-t-il quelqu’un dans cette assemblée qui peut me comprendre ? Qui sont les étrangers ?
Les Feydars se regardaient entre eux l’air surpris : Il semble que « l'âme des anciens » ne suivait pas ses habitudes cérémonielles. Farad jeta un regard aux deux hommes et dans le silence pesant qui suivit, Kérian ne put s’empêcher de répondre à haute voix, en langage ancien :
_ Moi je te comprends... Aujourd’hui ton peuple te retrouve, Daryl.
Et par ces paroles il sut que la situation sur Feyd serait irrémédiablement bouleversée.
Le transport de troupes venait d’atterrir, ses rétrofusées avaient consumé la portion de forêt qui se trouvait sur le point de chute prévu. Les portes s’ouvrirent, deux véhicules blindés jaillirent du vaisseau et prirent position. Ils furent suivis par une quinzaine de soldats qui se séparèrent en petits groupes et partirent dans des directions opposées. Pendant ce temps, d’autres soldats s’affairaient à débarquer deux hélicoptères de combat ainsi qu’une grande quantité de caisses de matériel et divers engins de terrassement.
C’était l’étape ingrate de l’opération : débarquer le matériel, se dépêcher, faire quand même attention, on ne sait jamais...
_ Soldat O’Keffe ! c’est pour aujourd’hui ou pour demain !?
Je me remis à trimballer mes caisses, encombré par mon arme et mon gilet de protection. L’officier allait de nouveau m’apostropher quand un cri de douleur jaillit de l’autre coté du transport. Je lâchais ma caisse et me précipitais avec les autres patrolers pour contourner l’appareil.
Une sorte de gros animal avec une trompe ornée de griffes avait déchiqueté deux de nos soldats. Ses écailles se confondaient superbement avec l’environnement, ils ne l’avaient probablement même pas vu. Il se redressa sur ses trois pattes à notre arrivée. Je fis feu en visant ce qui devait être son œil, la décharge le pulvérisa comme une cible d’entraînement. Les deux médecins de section se sont jetés sur les deux hommes... En vain, ils avaient été tués sur le coup. Les officiers nous exhortaient à reprendre le travail mais beaucoup étaient soucieux et regardaient attentivement la lisière calcinée de la clairière artificielle. On nous avait pourtant dit pendant le briefing :
_ La zone de drop est une jungle rase. Le Doge brûlera la zone en atterrissant, ça éloignera la faune sauvage du coin qui n’est d’ailleurs pas virulente, classée deux sur l’échelle OS.
Deux : “ danger insignifiant ” ! La vérité c’est qu’une fois de plus ils n’en savaient rien.
Les foreuses entraient en action, dans quelques heures la clairière ne garderait que la trace de brûlure. Notre avant-poste enterré serait indécelable aux moyens les plus perfectionnés. Bientôt le transport repartit, nous étions livrés à nous-mêmes jusqu’à ce que le travail de forage soit terminé... Les groupes de reconnaissance n’étaient pas tous rentrés : trois hommes manquaient à l’appel. Cette opération semblait continuer sur la voie des OP merdiques. Un autre gars avait été transpercé par un arbre épineux carnivore. Quand on a pu récupérer son corps il était complètement déshydraté, comme si l’arbre lui avait pompé tout le sang. On devait se relayer aux scanners biologiques qui surveillaient les environs pour repérer le groupe manquant. Mais je n’était pas dupe, on ne les retrouverait jamais, il suffit de voir la vitesse avec laquelle des insectes microscopiques ont percé les cercueils pourtant métalliques pour transformer les gars morts en tas d’os blancs, propres et luisants...
Les cliquetis du scanner attirèrent mon attention. Sept signaux non humanoïdes se dirigeaient vers notre zone. Ils volaient. Des volatiles de trois ou quatre mètres d’envergure. Je me tenais prêt à faire feu, encadré par deux autres gars. Les bestioles passèrent à moins de dix mètres de nous. Notre tir croisé en abattit une qui tomba sur une foreuse en marche, le conducteur sortit en hurlant.
Les médecins nous ont dit qu’il avait eu les poumons brûlés par un gaz sécrété par l’animal. Malgré nos précautions, il fut lui aussi “ nettoyé ” par les insectes. C’était le septième mort, le quatrième officiellement.
Je tournais la tête vers la plate-forme : les mécanos s’affairaient sur les hélicos, une sorte d’algue avait poussé dans les rotors juste après la première reconnaissance en vol. Ils avaient d’abord essayé de s’en débarrasser en la brûlant... Le premier appareil était maintenant complètement recouvert de lichen. Ils avaient compris ensuite qu’elle ne craignait que le gel. La reconnaissance qu’ils devaient effectuer sur le lieu du crash des engins ennemis était revenue aux équipages des deux Véhicules Avant Blindés d’appui de la base. Ils étaient partis et maintenant nous étions là, menacés par tout et par rien, sans matériel lourd opérationnel...
Cette planète serait notre tombeau. Je le sentais au plus profond de moi-même et si nous n’étions pas sous conditionnement, la compagnie aurait déjà été submergée par la psychose. Je ne savais même pas si je me réveillerais le lendemain. Encore aurait-il fallu pour ça que j’arrive à m’endormir.
Les Feydars avaient été très perturbés et très agités après les mots de Kérian, ils parlaient tous en le regardant à la dérobée. Il y avait eu trop de paroles en même temps pour que toutes soit traduites, il n’avait pu que prendre des morceaux de phrases éparses. Certains parlaient de Salat, une sorte de prophète, mais prophète de quoi ? Daryl n’avait pas dit mot pendant plusieurs minutes, un moment Kérian avait eu peur de l’avoir endommagé... Une intelligence artificielle vieille de plusieurs millénaires en état de marche ! Et puis tout le monde s’était calmé, Daryl avait prononcé quelques mots, et la tension avait baissé de quelques crans.
Un Feydar avait parlé à Kérian, Salat le prophète était venu des étoiles, selon la légende, il y a plusieurs générations. Il avait aidé les habitants d’Horak Tunefel de cette époque à vaincre les gorgues, il s’était marié et avait eu une fille unique avant que sa femme ne soit tuée à la chasse. Jusque-là, l’histoire paraissait plausible mais Kérian et Massad restaient sceptiques sur la suite : Salat aurait construit une tour géante au sommet de laquelle il se serait donné la mort après avoir emprisonné sa fille dans un cristal. Il serait gravé au pied de la tour qu’un jour des étrangers viendraient, que l’un deux réveillerait l’âme des anciens du Bûne-Kher et que cet homme devrait monter au sommet de la tour pour prendre Krypsahr, l’épée de Salat. Mais avant il devrait vaincre sa fille sans la tuer, le cristal qui la retenait devant la libérer si quelqu’un parvenait au sommet de la tour. Laquelle devant bien entendu receler des pièges censés prouver que l’homme qui les franchirait serait tout à fait exceptionnel. Et pour que la fable soit complète, la fille de Salat serait d’une extrême beauté. Et forcément, personne n’en était sûr parce que tous ceux qui auraient essayé d’y aller n’en seraient jamais revenus.
Les Feydars semblaient tous être d’accord sur l’histoire et ils isolèrent Kérian et Massad dans une pièce pour aller palabrer dans une autre. Les deux hommes mettaient cet isolement à profit pour discuter avec Daryl qui semblait omniprésent et omniscient à l’intérieur du temple sans pour autant que ses systèmes de détections et de communications ne soient visibles. Massad venait de demander si les mémoires de l’entité pouvaient les renseigner sur l’origine des Feydars. La voix qui répondit semblait réellement désolée :
_ Malheureusement, mes capacités mémorielles ne dépassent pas un siècle en archivage permanent, et depuis le temps, vingt-trois pour cent de la capacité de départ est dégradée... Tout ce que je peux dire c’est que rien n’a changé depuis soixante-dix-neuf ans. Les Feydars viennent ici jeter les os de leurs morts dans le puits de régulation thermique de mes générateurs et chaque fois je leur prononce les mêmes mots. Tout ce que je sais de mes origines c’est que j’ai été conçu par des humains pour aider les pionniers à coloniser Feyd. Mais il s’est passé quelque chose dont je n’ai plus la trace qui a fait changer le plan de colonisation... Je peux quand même vous assurer que la cité qui se trouve à quelque distance d’ici a été bâtie par les premières générations de colons pendant la déviation du plan. Je garde quelques traces de l'élaboration des plans dans mon cache de sauvegarde post-atterrissage. Mais ce cache n'enregistre que quelques données essentielles, et même s'il est inaltérable, moi-même je ne saurais trop interpréter ce qu'il contient.
Kérian intervint :
_ Il y a quelque chose sur cette planète qui interfère avec le psychisme humain. Je la sens de plus en plus fortement pendant mon sommeil, peut-être est-ce une partie du puzzle de l’explication.
Son ami hocha la tête :
_ Oui, moi aussi je ressens des impressions bizarres mais ce n’est pas dans des rêves, c’est autre chose, je ne sais pas quoi. Est-ce que vous avez des données précises sur les caractéristiques de la planète ?
_ Malheureusement, toutes les données géologiques se trouvaient dans la section de mon bloc mémoire qui a été détruit. Il faudrait donc refaire une étude approfondie de toute la planète. Vous pourrez certainement contacter les administrateurs du monde d’où vous venez pour obtenir le personnel et l’équipement nécessaires, suggéra Daryl.
_ Bonne idée ! Où se trouvent-les équipements de télécommunication et la radio hyperspatiale ? Massad s'était levé et se frottait déjà la main.
Un temps de latence eu cette fois-ci lieu avant la réponse :
_ Malheureusement, Je ne sais rien des technologies “ hyperspatiales ”.
Massad porta une main à son menton :
_ Diable ! Cette installation est vraiment archaïque ! Comment cette planète a-t-elle pu être colonisée sans vaisseaux spatio-temporels ? Ils n'y sont pas venus en propulsion conventionnelle quand même ?
Kérian fit une moue désabusée :
_ Cette planète serait un rêve pour des anthropologues, archéologues et autres historiens mais nous ne sommes rien de tout ça. Ça serait fascinant de chercher à percer tous ses mystères, si seulement on n'avait pas guerre à mener à l'autre bout de la galaxie !
Le silence s'intalla alors que Massad se rasseyait sans enthousiasme. Puis il demanda finalement sans conviction :
_ Bon alors puisqu'on est coincé là, dites-nous Daryl, vous êtes quoi exactement ?
_ Je suis l’administocervo de la troisième colonie de l'Exode terrien.
_ ok, mais ça ne nous avance pas beaucoup. Qu'est-ce que cet Exode terrien ? Je n'en ai jamais entendu parler.
_ L'Exode terrien a eu lieu à partir de la planète Terre. Je ne saurais vous donner de date dans le calendrier que vous utilisez, mais en extrapolant par rapport à la désintégration des matières radioactives qui m'alimentent en énergie, je pense que ça a eu lieu il y a entre 5 et 10 mille ans. J'ai été conçu à cette époque, pour assister les colons dans le pilotage de leur vaisseau, ainsi que pour effectuer l'administration de leur colonie. Je crains d'avoir failli à ma tâche.
Kérian tenta de la consoler, ce qui trouva aussitôt bizarre puisqu'il parlait à une intelligence artificielle cachée dans un mur :
_ Ne soyez pas si dur, après tout, il y a des humains qui vivent sur Feyd aujourd'hui, et les feydars ne peuvent qu'être les descendants des colons que vous deviez aider, n'est-ce pas ? Continuez donc à nous parler de vos origines. Un monde qui s'appellerait « la terre » ne me dit rien du tout. Pourtant il devrait être resté important s'il était peuplé il y a si longtemps.
_ Je ne crois pas. Ça ne me surprend pas que vous n'en ayez pas de connaissances : les terriens ont fuit leur planète car elle ne pouvait plus assurer leur existence. Les trois vaisseaux qui sont partit emportaient les derniers humains vivants. La planète n'a pas pu retrouver en si peu de temps une situation au sol favorable à la vie humaine. Les explorations ne devraient y voir qu'un monde rocheux stérile avec peu de ressources minérales, banal et peu intéressant.
Kérian était fasciné par cette discussion :
_ Terriens et exode... ça me dit quelques chose mais je n'arrive plus à me souvenir.
_ Où sont allés les deux autres vaisseaux ? Ils sont venus ici aussi ?
_ Non. Chaque navire avait une destination différente. Je n'ai jamais eu de contacts avec eux depuis le départ. Notre technologie ne permet pas le transfert d'information à une vitesse supérieure à celle de la lumière et il y a bien longtemps que je ne suis plus en mesure ni d'envoyer ni de recevoir des capsules spatiales. Mais j'ai cru comprendre que pour vous, cette limitation n'existait plus ?
_ C'est à peine croyable. Votre vaisseau fonctionnait avec quel mode de propulsion ?
_ La poussée initiale était produite par un moteur à fusion nucléaire. Une fois tout le carburant consommé, une accélération plus modérée mais constante était produite par un moteur ionique. Le vaisseau devait se retourner et commencer son freinage à mi-parcours, et finir d'absorber l'énergie de la poussée initiale en freinant sur la gravité du soleil. Je ne peux plus vous dire combien de temps à duré le voyage, mais les colons ont été placés en état de stase pendant plusieurs siècles.
Les deux soldats de l'Union étaient sidérés. Kérian reprit ses esprits le premier et continua de satisfaire sa curiosité :
_ Comment un appareil peut-il continuer à fonctionner pendant une telle durée ? Et vous, comment faites-vous ?
_ Je suis conçu avec un circuit d'éternité.
Il n'en dit pas plus, comme si cette réponse se suffisait à elle-même.
_ ...? et ? Qu'est-ce que c'est ?
_ Je pensais que cette technologie serait resté très courante. C'était la plus importante de toute pour réussir ma mission. Le plan de mon système est inscrit dans une chaîne moléculaire qui s'auto-entretient et s'auto-corrige en permanence, un peu à la manière de l'ADN humain. A chaque instant, le système vérifie mon intégrité et fait les corrections nécessaires via des réactions chimiques simples. Je suis auto-régénérant comme un organisme vivant, sauf que je ne vieillis pas, car ma source d'énergie ne provoque pas d'entropie. Je suis alimenté par le rayonnement radioactif d'une pile atomique qui peut me maintenir en activité pendant encore 3.2 milliards d'année.
_ Une centrale à fusion qui dure aussi longtemps, on continue de nager en plein conte fantastique ! S'exclama Massad en levant les yeux au ciel.
_ Ce n'est pas une centrale à fusion. La pile est un simple lingot radioactif, et je tire mon énergie du rayonnement qu'elle émet. Je dure aussi longtemps qu'il reste assez d'isotope non transformé pour créer un rayonnement suffisant. Le circuit d'éternité n'est pas très volumineux, et ne consomme pas beaucoup d'énergie. Tout le reste est alimenté de manière bien plus basique. Et d'ailleurs, mon éternité c'est qu'une théorie, car en pratique j'ai constaté que mon circuit d'éternité était faillible et une partie du plan qu'il suit peut être pervertie ou détruite à cause d'évènement géologiques ou climatiques trop intenses. Quelque chose a ainsi brisé une partie du plan et m'a empêché de régénérer certaines parties du complexe, ce qui m'a fait perdre une partie de mes blocs mémoires du même coup.
_ Vos mémoire sont dans les murs ?
_ Non, mes mémoire sont aussi les murs. Mes informations sont stockées dans les enchaînements moléculaires des matériaux qui composent le mur.
Les deux hommes regardèrent les murs de la pièces qui les entouraient d'une manière différente. Le noir ne put s'empêcher d'ironiser :
_ Alors si je gratte la paroi vous en perdez un peu ?
_ Le système est redondant. L'information est stockée en de nombreux exemplaires à des endroits différents, et se déplace partiellement au gré de l'usure naturelle du matériau et de sa régénération permanente.
_...
_ Tout cela est vraiment stupéfiant, dit Kérian qui semblait penser tout haut, mais ça ne fait pas avancer nos affaires. Cette discussion ne fait que soulever une montagne de mystères supplémentaires.
La pièce retomba dans le silence mais il fut rapidement chassé par la voix artificielle :
_ Je capte un faible signal radio omnidirectionnel depuis quelques minutes mais il ne traversera pas les parois du bunker, voulez-vous que je vous le retransmette ? On dirait un balise, demanda la voix flottante de Daryl.
Kérian avait acquiescé avec un regard perplexe vers son compagnon, radio ?
Tellement d’événements s’étaient passés qu’ils en avaient oublié la source de toute cette situation : les chasseurs monoplaces Couroks dans lesquels ils s’étaient crachés avec plus ou moins de bonheur. La balise d'un signal du détecteur de présence s'était mise à émettre. Amplifié par Daryl, il était d’une clarté inquiétante. Les senseurs avaient capté le passage dans l’atmosphère de plusieurs engins de diverses tailles, un assez gros et deux beaucoup plus petits. Traduit par Massad en : expédition de la Cosmoguarde avec un transport de type “ doge ” escorté de deux chasseurs TKS-A. Le transport et son escorte venaient de retourner dans l’espace, probablement sur une orbite haute autour de Feyd, largement au delà de la portée des capteurs du Courok. La trajectoire des engins était sans équivoque, un groupe armé a été débarqué en surface.
Kérian bondit, la nuit était bien avancée mais sa fatigue et les questions soulevées par leur discussion avec Daryl s’étaient évanouies en écoutant le rapport des Couroks. Les deux hommes sortirent de la salle et se retrouvèrent au milieu de l’assemblée. Une femme montra Kérian et dit :
_ Il doit aller dans la tour !
Les autres manifestèrent bientôt leur approbation, tant et si bien qu’il dut crier pour se faire entendre :
_ Mais écoutez-moi bon sang ! J’irais dans la tour, c'est d’accord, mais avant écoutez-moi !
Le brouhaha céda la place à un calme apparent.
_ Dar... hum... « L’âme des anciens » vient de me prévenir d’un danger, il se dit qu’un petit mensonge pour faire avancer les choses n’en était pas vraiment un et continua, les ennemis contre qui nous nous battions Massad et moi avant de nous égarer sur Feyd nous ont suivis. Ils ont débarqué tout à l’heure non loin d’ici. Ils sont nombreux et ils ont des armes encore plus puissantes que les nôtres ! Ils vont d’abord aller voir les épaves de nos engins mais ensuite ils viendront ici. Et nous n’avons plus beaucoup de temps devant nous... Dans le pire des cas, ils seront là dans vingt-quatre heures.
Farad plissa les yeux et déclara :
_ Nous ne laisserons pas ces intrus profaner le sanctuaire. Vous nous avez prouvé que vous êtes justes et digne de confiance. Nous nous battrons contre ces ennemis et nous mourrons s’il le faut. Feyd nous aidera.
Il se retourna et dit à l’assemblée :
_ Mes frères, nous sommes menacés, que le Qeidal nous aide dans cet Ahd qui se prépare. Prévenez la cité.
Et aussitôt qu’il eut fini de parler tous les Feydars se dispersèrent comme s’ils savaient exactement ce qu’ils devaient faire. Farad s’adressa aux deux hommes :
_ Nous nous battrons côte à côte et nous vaincrons pour que tu puisses accomplir l’ascension de la tour de Salat.
Kérian était abasourdi. Il leur annonçait une invasion, une mort certaine. Il fallait qu'ils fuient et ils ne pensaient qu’à la réalisation de cette stupide fable pour enfant !? Massad tourna la tête vers lui alors que Farad s’éloignait :
_ J’ai l’impression que rien ne pourra les dévier du combat, hein ? Il ne nous reste plus qu’à préparer un bon plan de défense...
_ Ouais, ou à prier si on croit en quoi que ce soit.
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