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La vaccination universelle :
Pendant longtemps la colonisation de nouvelles planètes déjà pourvue de vie autochtone est restée un épineux problème. La présence de formes de vie impliquait nécessairement un mélange du vivant qui a toujours causé des mutations génétiques importantes chez les colons et leurs imports. Le paroxysme a été atteint sur Maruroya : les micro-organismes de cette planète se sont rapidement transformés au contact des bactéries d’origines étrangères en des virus extraordinairement virulents, dangereux à la fois pour les colons et pour les formes de vie indigènes. En quelques jours tout ce qui vivait fut détruit et au final les éléments viraux se sont transformés en macro-organismes extrêmement résistants aux aléas climatiques, qui restaient au sol en colonie de petits nodules. Toutes les tentatives pour les étudier se sont soldées par leur réactivation immédiate ainsi que de nombreux morts. Maruroya est la dernière planète à avoir été colonisée sans la vaccination universelle. Un chercheur de la Fondation Terrienne, nommé Roultz, a finalement établi les équations qui servirent de base à la synthèse des premiers vaccins universels. Attention, la vaccination universelle ne protège pas contre les maladies normales issues des biotopes originaux mais uniquement contre la mutation virale de deux formes de vies originaires d’un monde différent. La vaccination universelle est obligatoire et sévèrement contrôlée pour toute personne qui voyage en-dehors de son monde natal.
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Requête RegStar,
Base de registre de l'Union - 9381 GS
La salle était sombre, le peu de lumière extérieure qui descendait du plafond ne suffisait pas à éclairer convenablement une pièce aussi vaste. Les murs étaient nus, la pierre qui les constituait, apparente. Seule l’arrière de la porte d’entrée était visible. Pourtant, la salle recelait bien des dangers et elle devait avoir une porte de sortie.
Kérian était debout à quelques pas derrière la porte qu’il venait de franchir. Elle s’était refermée toute seule et ne comportait pas de système d’ouverture... Pas de ce côté-ci en tout cas. Il essaya de juger du regard les pavés qui s’étendaient devant lui, puis ne sachant qu’en penser, il se résolut à s’asseoir en tailleur. Il relâcha tous ses muscles trop tendus et laissa son esprit vaguer à l’envie. Il repensa aux événements des jours précédents, à la fatigue profonde qu’il ressentait maintenant d’avoir trop fait en trop peu de temps.
Quatre jours seulement depuis sa première visite au Bûne-Kher, quatre jours de folie guerrière, quatre jours sanglants. La veille encore, à peine réalisaient-ils leur victoire sur la Cosmoguarde qu’ils avaient dû repartir à toute vitesse en utilisant tous les véhicules en état de marche capturés à l’ennemi. Ils avaient mis moins d’une matinée pour rallier la cité. Elle était assiégée par un regroupement de gorgues sans précédent. Ils étaient des milliers, attaquant de toutes parts, sans relâche. Paradoxalement les Feydars étaient beaucoup moins puissants face à ces petites créatures que face aux patrolers. Mais toutes les situations se retournent et si les patrolers n’étaient pas équipés pour le combat rapproché leur matériel convenait en revanche parfaitement aux terrains peu accidentés qui entouraient Horak Tunefel. Et les gorgues n'avaient pas de boucliers de stase...
Comment les Feydars pouvaient-ils vivre avec autant de sang sur les mains ? Eux d’ordinaire si paisibles, si calmes et souriants. Ils devenaient froids et violents dans la bataille, impitoyables, sans merci. Pourtant ils n’étaient liés par aucun fanatisme si ce n’est celui de survivre... Mais pas de survivre en temps que personne, survivre en temps que peuple même au prix de lourds sacrifices. Les Feydars étaient les guerriers les plus redoutables que Kérian ait jamais eu l’occasion de croiser. Leur mode de vie était une bataille, leur vêtement une armure de combat et chaque jour nouveau qui s’achevait une victoire. Daryl avait pu traduire quelques mots indigènes des Feydars. L’un d’eux illustrait parfaitement le caractère de ce peuple. Qeidyn, le mot qui désigne le couteau feydar signifie également en traduction littérale “ celui qui est aimé ” applicable au conjoint dans le couple feydar aussi bien homme que femme, seul un accent dans la prononciation différant. Celui qui est aimé mais qui donne aussi la mort. Il avait pourtant déjà participé à bien des affrontements, et croisé quelques fois l'horreur, mais la nausée qui le prenait à la gorge maintenant venait de plus loin encore. L'air avait un goût de sang. Un arrière goût de ferraille. Un quelque chose de cette hémoglobine qui avait tout recouvert.
Kérian avait les yeux perdus dans le vague, défocalisés, les ombres sur les murs ressemblaient à un faciès gorgue.
Combien en avaient-ils laissés, le jour précédent, inertes dans la plaine ? La quantité de sang répandue était trop importante pour que le sol l’absorbe. A la fin de la bataille le terrain était couvert d’une boue rouge et puante qui collait aux bottes et qui dégageait une odeur forte. Une espèce de fermentation. Les charognards de toutes sortes habituellement si prompts à tout nettoyer avaient été eux aussi débordés par la quantité, saoulés par une telle abondance. Il n’y avait qu’une seule leçon à tirer de ce massacre : en dépit de leurs différences, les gorgues nous sont égaux par l’hémoglobine.
Seule la tempête Sahr dans toute sa fureur laverait la souillure du sol. Mais qui pourrait jamais laver la souillure des âmes ?
Kérian se réveilla en sursaut. Il ne reconnut pas tout de suite l’endroit où il se trouvait. Il y avait une immense voûte de pierre. Elle s’élevait au dessus du sol soutenue par des arches en berceau. La taille des blocs de pierre était incroyable. Ça lui revint doucement alors qu’il se relevait tout endolori d’avoir dormi sur un pavage en pierre. La veille, après avoir exterminé le dernier gorgue, Farad avait réuni ses Balshirs et ses Duanshirs. Ils avaient délibéré rapidement et avaient conduit Kérian à la Tour de Salat non loin de la cité. Ils lui avaient donné quelques recommandations, un peu de vivres et puis voilà ils étaient repartis s’emmurer dans la cité pour le passage de la tempête. Il était resté là, sans espoir de pouvoir en bouger pendant au moins trois jours que les vents se déchaîneraient...
La première difficulté consistait à rentrer dans l’édifice : une formidable tour de pierre, dressée au milieu de nulle part comme une ode à l’architecture. Cette tour recelait bien des mystères, car elle n'était pas loin de la citée, mais Kérian ne l'avait jamais aperçu auparavant. Il avait l'impression que même les scanners des patrolers ne l'auraient pas remarqué, comme si cette tour était capable de masquer sa présence à son gré. Le donjon central faisait une centaine de mètres de côté et s’élevait sur plus de quatre cents mètres. Des arches fines comme de la dentelle formaient le cocon aérien qui soutenait l’édifice sur ses deux côtés. Tout en haut, le sommet d’un dôme était visible du sol, et sur la façade était gravé profondément un bas relief figuratif. Un escalier monumental tirait ses droites jusqu’à un tiers environ de la hauteur de l’immense tour carrée. Il l’avait grimpé pendant la nuit, les jambes et la tête fourbues de deux journées sans sommeil. Il était enfin parvenu à une porte colossale qu’il avait franchie. Il s’était assis là et sans aucun doute s’y était endormi. Restait à savoir pendant combien de temps ? Quand il était entré dans la nuit la salle semblait légèrement éclairée par la lumière de l’extérieur mais la lumière n’avait pas changée. Il régnait dans le lieu un vrombissement sourd, comme un souffle régulier ou une respiration.
Une femme Duanshir lui avait dit :
_ La tour recèle bien des dangers, les pièges physiques sont faciles à déceler et ne sont là que pour décourager les gorgues et les jeunes inconscients... Mais le piège le plus dangereux est en toi.
Les recommandations s’entremêlaient dans sa tête fatiguée :
_ Si tu dois arriver au sommet tu y arriveras sinon tu mourras mais tu ne peux rien y faire ta route est déjà tracée.
_ Rappelle-toi : tu dois vaincre la gardienne du sommet sans la tuer. Sa mort serait la tienne.
_ Quoi qu’il arrive, n’ouvre pas la porte qui donne au sommet avant que la tempête ne soit passée, les vents t’emporteraient.
Il sourit à la pensée de cette parole curieusement pratique au milieu des autres élucubrations mystiques.
Ils lui avaient retiré son ordinateur personnel qui remplissait les fonctions d’assistant de tir, échotraduct et bien sûr scanner à fréquences multiples. Pour “ le forcer à réfléchir et à observer par lui-même ” ! Mais il lui semblait que de toute façon, ses appareils auraient très bien pu n'être d'aucun secours ici. Il prit une profonde inspiration et avança prudemment en regardant le sol. Une dalle semblait n’être pas scellée, restait à savoir quel sorte de mécanisme elle actionnait ? Il n’avait rien à utiliser pour la déclencher à distance en admettant qu’elle fonctionne par pression... Kérian saisit son sac de provisions par la bretelle et le lança sur la dalle. Elle s’enfonça très légèrement et quelque chose claqua sur le mur derrière lui. Il se retourna : une sorte de flèche métallique était écrasée sur la pierre. Ainsi les pièges ne faisaient pas uniquement partie de la légende.
Après plusieurs heures de progression, quelques déclenchement contrôlés et d’autres moins, il parvint à l’autre bout de la pièce. Il n’y avait pas de porte, pourtant il devait bien y avoir un moyen de sortir pour monter à l’étage supérieur. Il revint sur ses pas jusqu’à être presque au centre de la pièce. Il s’installa près du pilier titanesque qui soutenait les arches de pierre avant qu’elles ne s’envolent vers leur apogée à une vingtaine de mètres du sol pour retomber gracieusement à cinquante mètres de là. Il grignota quelques morceaux de ce qui semblait être de la viande séchée. Un hululement aigu suivi d’un bourdonnement sourd semblait croître en intensité, était-ce le bruit de la tempête qui régnait dehors ? Il avait la désagréable impression d’être dans un estomac gigantesque. Si ce n’est la présence des pierres, il aurait vraiment cru être dans quelque chose de vivant. Il secoua la tête et mit cela sur le compte du stress des jours précédents.
A la fin de la journée, ou tout du moins ce qu’il en pensait d’après sa propre fatigue, Kérian n’avait pas progressé. Il avait parcouru toute la salle, risqué de se faire broyer, découper, écraser ou un mélange inventif de tout en même temps. Il avait essayé d’escalader le mur, de trouver une suite de dalles logiques mais il n’avait pas découvert le moyen de sortir de la salle piégée et l’impression d’être lentement digéré prenait de plus en plus de sens. Il ne pouvait s'empêcher de penser à l'absurdité de sa situation, là, enfermé dans un espèce de piège de mauvais scénario de film, alors qu'au dehors, à quelques kilomètres au dessus de leurs têtes, au dessus de ces nuages qui les protégeaient providentiellement, planait une menace très réelle. Ils avaient balayés les forces au sol de la Cosmoguarde, mais le vaisseau de ligne en orbite était toujours là, et avec lui, leur plus grosse menace.
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