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Sufrile - Usine d’extraction - :
L’usine d’extraction du C.I.E. sur Sufri est probablement le plus vaste complexe industriel de toute la galaxie. Les quatre plus anciennes stations sont maintenant au cœur d’un incroyable réseau de stations spatiales tout autour de la planète. L’extraction est réalisée par des barges automatiques qui aspirent la sufrile et la remontent ensuite dans les usines de traitement qui conditionnent des réservoirs purs à 100%. Sufri n’ayant ni face éclairée ni face obscure, l’extraction s’est peu à peu étendue sur toute la planète, de l’équateur aux pôles. Aujourd’hui, l’aspect de la planète vu des hublots des navires de transport n’apparaît plus blanche comme à son origine mais plutôt grise et noire par plaques bien que les stations soient quand même à plus de mille kilomètres de la surface. Si le processus continue, la planète finira intégralement recouverte par une surface artificielle.
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Requête RegStar,
Base de registre de l’Union - 9381 GS
Plus vite, plus vite ! Find Heur enrageait dans sa cabine, trois jours déjà qu’il cherchait à joindre ses supérieur sur Sufri. Ses travaux de contre-espionnage pour le Consortium Interplanétaire de l’Énergie l’avaient amené sur une pente dangereuse. L’énormité de ce qu’il avait découvert le dépassait encore. Deux années d’enquêtes, quatre mois de filatures, une quantité incroyable de conjectures, d’hypothèses… Mais quelque part au fond de lui, se trouvait aussi un peu d’une fierté grandissante. L’Histoire se souviendrait de lui comme celui qui déjoua la plus grande conspiration que l’humanité n’aie jamais connue puisqu’elle s’attaquait à la plus importante de toutes les institutions : le C.I.E.
La bouffée de fierté s’évapora aussi rapidement qu’elle était arrivée. L’Histoire ne retiendrait rien du tout s’il n’arrivait pas à temps. Cet engin n’avançait pas ! Il se repassa en mémoire la malheureuse suite d’événements qui l’avaient conduit à se trouver en ce moment dans un vieux cargo pourrissant en route vers la station principale du C.I.E. autour de Sufri.
Tout avait commencé deux années auparavant alors qu’il n’était qu’un employé parmi tant d’autre d’une entreprise de détectives privés réalisant toutes sortes de prestations : de la filature pour adultère au sabotage d’un concurrent, du piratage industriel à la propagation de fausses rumeurs en passant par la contrefaçon de papiers officiels… tout ce que pouvait avoir besoin de faire un citoyen ordinaire pouvait être fait par FG Compagnie. Et lui misérable détective de classe 7 s’était vu chargé d’une mission merdique vers la Cosmoguarde. Merdique parce qu’elle pouvait très mal se terminer pour lui, et qu’il devait bien entendu travailler sans filet.
Mais la situation s’était retournée et au final après des péripéties tellement surréalistes qu’on ne pouvait les inventer il avait fini par tomber sur un complot planétaire dont FG Compagnie était le centre névralgique. Il avait su voir où était son intérêt à l’époque et avait offert l’affaire brûlante à la Cosmoguarde qui avait tout réglé avec sa finesse coutumière. Ensuite ils l’avaient engagé, lui minable détective, pour enquêter sur une affaire interne d’une complexité sans précédent. Sans filet. Mais cette fois, c’était lui qui jouait avec les blancs. Il avait l’avantage.
Et le voilà parti avec son passeport Alep du C.I.E., lâché dans la galaxie à la recherche d’un complot dont beaucoup n’estimaient même pas l’existence possible.
Sa cabine était crasseuse, comme tout le bâtiment d’ailleurs, et inconfortable. Et dieu savait qu’il s’y connaissait en inconfort ! Il sortit de sa cabine pour aller se dégourdir les jambes dans les coursives. Il songea qu’il pourrait être dans son spacieux vaisseau d’état-major, si seulement…
Un mois auparavant, après deux années d’enquêtes, il avait trouvé ce qu’il cherchait. Et cela dépassait de loin ce à quoi il s’attendait. Mais voilà il avait fallu qu’il aille loin des zones habituelles de commerce, dans des endroits de la galaxie qui restent assez méconnus et où toutes les rencontres sont possibles. Il était tombé sur des pillards, sur des engins non identifiés et sur des engins non identifiables… Il avait déjoué tous les dangers pour finalement venir échouer sur Corserre, deux semaines plus tôt environ. Il avait rencontré son dernier contact, réuni les dernières pièces de son dossier et s’apprêtait à repartir droit vers Sufri, vers la reconnaissance, vers la gloire… Mais le sort en avait décidé autrement. Des terroriste de l’Union, paraît-il, avaient fait sauté la moitié de la banlieue de Mes Olso, avec tout ses hangars, ses astroports et ses astronefs, avec son astronef ! Avec ses dossiers, ses archives, son argent, et son passeport Alep ! Avoir déjoué tant de dangers et finir par être bloqué par un vulgaire attentat terroriste, quelle dérision ! D’ailleurs cet attentat n’avait toujours pas été clairement expliqué mais cela ne le surprenait pas plus que ça… De Choivill et sa Cosmoforce étaient dans les parages, c’était bien là le commencement et le nœud du problème.
Il avait dû gagner assez d’argent pour se payer le voyage jusqu’à Sufri. Sans son passeport, plus ni argent ni nom, plus de reconnaissance non plus de la part du C.I.E., sa mission était ultraconfidentielle. Il avait alors résolu une sordide affaire d’assassinat pour un gros client pirate de Corserre, récupéré un peu d’argent et le voilà embarquant sur le premier cargo en partance pour Sufri.
Il y avait de quoi rager. Si près du but, être obligé de perdre autant de temps ! Alors que le complot pouvait se déclencher à n’importe quel moment, il lui faudrait encore perdre de précieuses heures en analyses pour prouver son identité avant de pouvoir faire son rapport. Sans compter qu’ils devraient le croire sur parole, tous ses documents étant détruits. Il arriva dans la soute et se fraya entre les caisses un chemin jusqu’à un hublot. Sufri était visible au loin, boule blanchâtre perdue au milieu de nulle part. En plus ce rafiot, n’était pas doté de propulseurs gravifiques : il avait dû effectuer son saut très loin de la formidable masse pour ne pas être disloqué. La suite du trajet prenait un temps incroyable. C’était aussi frustrant que de sortir du métro une station trop tôt et de devoir faire le restant à pied en mettant autant de temps que tout le début du trajet. Au moins ici n’avait-il pas à supporter l’infâme pluie polluée des grandes métropoles des mondes indépendants.
Il décida de retourner dans sa cabine pour attendre les quelques heures nécessaires à la fin du voyage.
Enfin, la procédure d’appontage ! Heur avait ramassé ses rares affaires, son brolt 45, son assistant personnel et se déplaçait à travers les coursives moisies du vieux cargo vers le quai. Il se dirigea vers le central et après de courtes explications fut envoyé dans une salle d’attente. Envoyé n’était pas le terme exact, il fut traîné vers une sorte de cellule et enfermé sous la surveillance malveillante d’un holocam Mag 4. Ces petites saloperies électroniques surveillaient les moindres faits et gestes et le disrupteur couplé dissuadait de tenter quoi que ce soit.
L’attente fut longue mais au bout de plusieurs heures un droïd de communication assisté par deux patrolers entra dans sa cellule et engagea la conversation :
_ Vous prétendez être Monsieur Find Heur, détective exceptionnel sous les ordres directs du Conseil, avec un passeport Alep que vous avez malheureusement perdu.
_ C’est ça.
_ Il se trouve qu’un certain Find Heur détenteur d’un passeport Alep est effectivement dans la rubrique des “ manquants à l’appel ”. Tendez votre doigt pour une analyse ADN.
Il s’exécuta, et attendit le verdict. Il ne fut pas long à venir :
_ Le test est positif. Gardes, rendez son arme à cet homme et donnez-lui un badge Alep. Monsieur Heur, veuillez vous présentez au bureau 17B pour un rapport complet. Suivant.
Après lui avoir rendu ses effets, les deux gardes et le droïd se dirigèrent vers la longue file des cellules de la “ salle d’attente ”.
Il se hâta dans les couloirs tortueux vers le bureau qu’on lui avait indiqué. Il y parvint enfin et s’y engouffra sans respecter le protocole :
_ Qui est le responsable ici !
Les deux occupants du bureau commencèrent par protester mais il les remit rapidement à leur place :
_ La ferme ! J’ai un badge ALEP, mettez-moi en communication directe avec le directeur du contre-espionnage !
Mais les autres protestèrent encore, bien que moins fort, alors il sortit son Brolt et les menaça directement :
_ C’est une question de vie ou de MORT !
Finalement on lui donna un comlink activé, un visage qu’il connaissait bien y apparut :
_ Non mais vous vous croyez où espèce de…
L’autre s’interrompit en reconnaissant son visage :
_ Heur ? Où étiez-vous passé ? Ça fait plus de deux semaines que nous n'avons plus de nouvelles !
Find Heur fit signe aux deux autres de déguerpir avant de déballer son sac :
_ Commandant, je suis en mesure de prouver que le Grand Amiral De Choivill est l’instigateur d’un complot qui vise à prendre le contrôle de toutes les forces armées de la Cosmoguarde ! Il n’y a pas une seconde à perdre, la seule chose qu’il attend c’est une bonne occasion de faire partir le Doigt de Dieu pour en prendre possession, ensuite il sabotera cette station.
_ Quoi ? Mais c’est impossible !
_ J’ai mis deux ans pour débusquer ces manigances et je vous assure que c’est du sérieux !
L’autre changea de couleur :
_ Nom de… Le Doigt de Dieu est parti ce matin pour une opération contre le Q.G. de l’Union.
_ QUOI !? Mais… Vous avez bien un moyen de l’arrêter ?!
_ Le programme informatique de sauvegarde pourrait le… Non, ça ne l’arrêtera pas…
L’homme se déplaça hors du champ et revint rapidement dans l’image mais il n’y avait plus personne à l’autre bout. Heur avait pris ses jambes à son cou et passait en trombe dans les coursives vers les quais qu’il avait quittés quelques instants plus tôt. Les deux employés qu’il avait expulsés de leur bureau en restaient tout interdits. Heur courait le plus vite qu’il lui était humainement possible. Peine perdue. Dans un des trop nombreux petits conduits de l’inextricable centrale à fusion qui alimentait la station géante, un appareillage rond muni d’une diode clignotante arriva à la fin de son décompte.
Les rares appareils qui croisaient dans la zone et qui survécurent à l’explosion ne purent donner aucune description qui rendait justice à l’ampleur du phénomène. L’intensité développée par la destruction du réacteur amorça la réaction en chaîne incontrôlée de tous les stocks de sufrile qui se trouvaient en transit sur la station. L’importance de l’onde de choc gravitationnelle détourna une partie de l’enveloppe gazeuse de Sufri qui amorça à son tour une réaction en chaîne. Cette portion de l’espace fut visible par les astronautes proches avec la même intensité qu’une explosion supernova, tache de lumière dans le ciel. Les réactions de sufrile déclenchèrent des perturbations sans précédent dans l’espace temps, entraînant un grand nombre d’accidents pour tous les voyageurs qui étaient dans l’hyperespace à ce moment.
Trente-trois kilomètres de long, quatorze mille hommes d’équipage, plus de deux milles chasseurs et près de vingt mille soldats embarqués, ainsi que les trois canons turbolaser les plus gros jamais construits... Le Doigt de Dieu était au rendez-vous, escorté par dix cuirassés récents. De Choivill savourait la beauté du spectacle, aucune flotte humaine ne possédait une puissance équivalente. En tirs simultanés, les trois canons principaux du supercuirassé pouvaient pulvériser n’importe quel autre appareil même équipé de bouclier, en un seul tir. Aujourd’hui enfin on lui donnait l’occasion de poser ses pieds sur sa passerelle non plus en serviteur mais en Maître. La portion d’espace visible par la baie de la passerelle de commande était remplie de nefs spatiales... Trois Cosmoforces ! Les innombrables étraves rouges sang des engins luisaient dans la noirceur interstellaire comme autant de dents d’une gigantesque mâchoire.
_ Amiral ? Une communication codée prioritaire pour vous.
_ Je prends.
De Choivill prit un casque muni d’écouteurs. Une voix maquillée lui annonça :
_ Maître, nous avons rempli notre mission : la station de commande du Consortium autour de Sufri a eu un “ accident ”. La voie est libre.
_ C’est bien, je suis très satisfait.
De Choivill retira son casque et activa le comlink général de sa flotte. Il prit la parole d’un ton froid et sévère :
_ Soldats, alors que nous nous apprêtons à exterminer la vermine de l’Union, je viens d’apprendre que ces terroristes ont saboté la station du C.I.E. et tué tous les membres du conseil ainsi que nombre des généraux de la Cosmoguarde ! En conséquence, et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés par mon titre de Grand Amiral, je décrète la loi martiale et je prends l’entière responsabilité du commandement général de la Cosmoguarde. Je compte sur vous pour faire payer à ces rebelles le juste prix qu’ils méritent.
Il raccrocha l’interrupteur du comlink et se remit dans sa position favorite, face à la baie de platzverre, les mains dans le dos, tout droit dans son uniforme rouge de Grand Amiral. Son visage était impassible mais son esprit jubilait... Enfin ! Après toutes ces années, la consécration ! Il donna le signal de départ et restait tout à ses idées effervescentes. Mais les étoiles ne changèrent pas de position, c’est alors qu’il se rendit compte que son lieutenant l’appelait timidement :
_ Amiral ?
_ OUI, QUOI ?!
L’autre recula légèrement et prit son inspiration avant de déclarer :
_ Il semble qu’un programme de protection bloque toute les commandes du Doigt de Dieu, Amiral. Il pourrait s’agir d’un système de sauvegarde activé depuis Sufri juste avant sa destruction…
De Choivill ne masqua pas sa colère et nombreux parmi ses officiers furent ceux qui en gardèrent un souvenir très présent. Quand il se calma enfin il finit par demander d’une voix crispée :
_ Vous pouvez réparer ?
_ Nous étudions les possibilités, Amiral, mais cela risque d’être extrêmement long.
_ D’étudier, ou de réparer ?
Son officier était visiblement embarrassé :
_ Les deux, Amiral.
De Choivill se retourna en contenant sa colère. Ces petites frappes du C.I.E. avaient prévu un sabotage du Doigt de Dieu en cas de problème. Même détruit, le conseil lui créait toujours des ennuis…
Une sonnerie d’alarme coupa soudainement court à ses pensées :
_ Attention, attention, avis à tout le personnel ! Les réacteurs du navire viennent d’être coupés par la routine n°65558 du programme de sauvegarde. Le recyclage de l’air sera désactivé dans l’ensemble du bâtiment d’ici trente minutes. La gravité artificielle sera maintenue grâce aux générateurs de secours pendant dix minutes. Veuillez vous diriger vers les issues de secours.
De Choivill se retourna précipitamment et hurla pour couvrir le bruit de l’alarme qui répétait les consignes d’évacuation :
_ Qu’est-ce que c’est que ça encore ? C’est une blague ?!
Ses officiers de pont consultaient fébrilement leurs consoles mais ce fut finalement l’ingénieur machine qui lui répondit par holocom :
_ Amiral, la fusion au niveau des réacteurs est belle et bien arrêtée ! Il n’y a aucun moyen de la relancer tant que cette saleté de programme sera activée… Vous savez ce que ça signifie : sans énergie, le navire sera réduit à l’état de coque surgelée dans quelques heures. La gravité artificielle ne tiendra pas très longtemps… Amiral, il faut évacuer le navire ! Il sera toujours temps ensuite de forcer la protection du virus.
L’ingénieur consulta un écran hors champ et revint rapidement en face pour achever :
_ Amiral, l’énergie du bouclier est en train de chuter, dans moins d’une demi-heure nous ne serons plus protégés du rayonnement cosmique !
De Choivill releva la tête une dernière fois vers la baie vitrée et la formidable armada qui y était visible, puis il annonça d’une voix méconnaissable :
_ Donnez l’ordre d’évacuation. Préparez mon vaisseau d’état-major, trouvez de la place pour tout le monde dans les autres appareils… Allez.
Il s’éclipsa ensuite vers les immenses quais du supercuirassé. L’activité était intense, tous les vaisseaux disponibles furent remplis à ras bord. De Choivill rentra dans son appareil et donna l’ordre de départ avec un profond dépit :
_ Pilote, direction l’“ Atlas ”.
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