Feydahd (Tome1) - L'étincelle

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Le Diagnoskit :
Il existe plusieurs modèles de diagnoskit. Les plus gros sont fixes et totalement autonomes, il sont présents dans toutes les zones de soins dignes de ce nom. Ces appareil sont dotés d’un administrocerveau perfectionné spécialement conçu pour la médecine, ils sont bien plus efficaces et précis que les opérateurs humains. Ces droïds sont parmi les plus perfectionnés qui soient et leurs prouesses médicales n’ont pas d’équivalent : un diagnoskit peut remettre sur pied n’importe qui pourvu que le patient lui soit amené vivant. Les modèles portatifs sont moins performant ; pour économiser de la place ils ne possèdent que de faibles réserves de médicaments et doivent la plupart du temps être assistés. Ces petits modèles sont néanmoins très utiles et peuvent résoudre de nombreuses pathologies grâce à leurs micro-droïds incorporés.
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Requête RegStar,
Base de registre de l’Union - 9381 GS

Waade contemplait les étoiles, elles étaient toujours aussi belles même après tout ce temps. Elles avaient certainement changé légèrement de position... Elle respirait l’air frais de la nuit de Feyd. L’odeur d’humus était forte, comme toujours après le passage d’une tempête Sahr. Le bruit du souffle était encore puissant et des bourrasques emmêlaient ses longs cheveux noirs. Le vent froid hérissait sa peau dénudée, peu protégée par ses sous-vêtements. C’était toujours le même rituel, comme une nouvelle naissance, à chaque fois juste après la tempête. Elle se retourna et rentra dans le sanctuaire pour consulter la console de son bac d’hibernation artificielle : année 9581 du calendrier terrien, cinquième réveil, 5732 ans après la première mise en route.
Cinquième réveil ? C'est vrai, mais ils n’avaient débouché sur rien. La trappe ne s’était pas ouverte. Les personnes qui avaient pénétré dans le hall n’en étaient pas ressorties, et comme toujours elle se demanda si son père avait réellement eu raison, si un jour quelqu’un réussirait à franchir le passage, s’il serait un homme, l’Étincelle, le catalyseur des énergies latentes de Feyd... Son père n’avait jamais dévoilé le fond de son secret. Qu’avait-il donc su qui fut d’une telle importance ? Elle frissonna autant à cause de la fraîcheur que de l’engourdissement de tous ses muscles.
Elle se déplaça sur le côté du bac pour ouvrir une sorte de placard incorporé. Elle mit par-dessus ses sous-vêtements une jupe feydare, en cuir avec des plaques de chitine animale rivetée sur son côté gauche. Elle enfila ensuite son plastron de métal, allégé pour ne pas entraver ses mouvements. Un crâne gorgue était incrusté dans le bustier autant pour protéger le flan gauche de sa poitrine que pour impressionner l'adversaire. Elle fixa ensuite la ceinture qui portait son Qeidyn autour de sa taille. Elle s’assit sur le rebord du bac pour mettre ses bottes et se retrouva face à la tombe de son père avec le fameux “ épître ” qui apprendrait à l’homme qui franchirait peut-être la trappe que son destin ne lui appartenait plus. Juste au-dessus se trouvait Krypsahr, l'épée de Salat, son père, la première de toutes qui put canaliser la volonté de son maître pour vaincre ses adversaires. Est-ce que les Feydars actuels avaient gardé cette capacité qui leur avait été révélée ? En avaient-ils encore eu besoin après la défaite des gorgues ?
Elle s’approcha du tombeau. Il était dit qu’à une seule personne correspondait une seule épée. Quand le maître mourait, sa lame le suivait dans la tombe et désagrégeait avec lui. Mais Krypsahr était la première de toutes et elle était toujours là, entière, alors qu'il ne restait rien des restes de son père. Existait-il vraiment un homme capable de dompter l’énergie résiduelle de Salat dont elle semblait encore vibrer après plusieurs millénaires ?
La trappe au milieu de la salle se mit à grincer cruellement avant que le poids des ans ne cède face à la force des vérins. Elle finit par s’ouvrir, en déclenchant le mécanisme qui déploierait l’escalier. Waade retint son souffle. Pour que la trappe s’ouvre il fallait qu’un seul humain soit resté pendant trois jours dans le hall piégé et qu’il soit encore vivant... Était-ce possible ? C'était tellement étrange comme situation. Elle s'était endormi il y a cinq jours, embrassant sont père. Et elle se réveillait pour la cinquième fois, dans ce tombeau sans âge, dans un jour sans fin, dans un monde sans repères.

Kérian ne savait que penser. Au milieu de la pièce une partie des pierres du pilier central venaient de s’escamoter dans une longue plainte métallique en révélant un intérieur creux pourvu d’un escalier en colimaçon pour monter à l’étage supérieur. Il n’avait pas changé de place depuis qu’il s’était blessé sur une pique qui avait manqué de le transpercer. Il s’était rappelé une parole : “ tu seras ton seul ennemi ” et s’était résolu à ne plus bouger et à se mettre en quasi transe de sommeil pour consommer le minimum d’énergie. Il avait espéré pouvoir tenir cinq jours de plus avec les quelques provisions qu’il lui restait. Peut-être que des Feydars finiraient par venir l’aider... Mais il ne s’attendait pas à l’apparition de cet escalier. Alors c’était juste ça l’astuce, attendre ? C’était un simple jeu de patience ? Et les pièges ne servaient pas si on ne cherchait pas à les déclencher. L’instinct premier d’un prisonnier était de sortir de sa prison. Quel esprit cruel avait pu imaginer une prison où pour s’en échapper il fallait se résigner à y rester sans se battre ?
Il se leva en grimaçant, ses muscles étaient endoloris et sa cuisse était lacérée sur une dizaine de centimètres. Il n’avait pu qu’essayer de la recoudre lui-même avec les moyens du bord. Heureusement que la pique n’était pas empoisonnée. Il s'en tirerait avec une magnifique blessure de guerre. Une de plus.
Il se mit à avancer doucement vers l’escalier. Ses pas résonnaient bruyamment dans la salle qui semblait soudain étrangement silencieuse. L’escalier était légèrement éclairé, comme l’était la grande salle sans qu’on puisse déterminer d’où venait la lumière. C'était très désorientant. Il commença à monter. Au bout de plusieurs tours, il se demandait si l’escalier montait à un niveau intermédiaire ou s’il montait jusqu’au sommet ? Si tel était le cas, il lui faudrait encore plusieurs heures de pénible ascension à son rythme actuel. Et il restait péniblement conscient de la perspective d'avoir encore à se battre contre quelqu'un en haut...

Waade étirait ses muscles en faisant des exercices de gymnastique Qeidal, pour retrouver ses sensations et finir d’évacuer le froid glacial qui s’y était répandu pendant l’hibernation. Elle laissait vaguer son esprit pendant ses longs étirements. Tout avait dû beaucoup changer depuis tout ce temps… 5732 ans ! C’était à peine concevable. Quelles traces pouvait-il rester de ses anciens compagnons ? Quelques molécules de poussières dispersées ça et là à la surface de Feyd. La planète s’appelait-elle toujours ainsi ? Salat l’avait prévenue que la langue subirait des changements plus ou moins profonds. Salat… Pour elle c’était hier et pour lui, toute une vie, et des milliers d’autres.
Elle changea de position. Ses sensations commençaient à revenir petit à petit. Sa tête ne gardait pas d'autre souvenir qu'une simple nuit de sommeil, mais ses muscles semblaient avoir été mélangés avec des fils de plombs. Elle repensa à sa mère, si généreuse et si gaie, à tous les moments de son enfance qu’elle avait pu passer tranquillement jusqu’à ce triste jour quand elle fut tuée à la chasse par un octoyéti, comme beaucoup d’autres Feydars. C’est pour cela qu’il y avait peu de vieillards ici. La limite du corps devenait vite la limite de la vie. Peut-être cela avait-il changé ? Non, son père lui avait dit : “ Certaines choses évolueront, d’autres régresseront mais les principes resteront les mêmes, ici sur Feyd. Jusqu’à ton dernier réveil, c’est pour ça que tout partira d’ici. Feyd est la clé d’une serrure galactique”. Une serrure galactique… Salat avait toujours eu une façon étrange et bien à lui de parler de tout ce qui tournait autour de son projet. Il disait que tout était lié. Beaucoup de ce qu’il avait dit n’avait pas été compris d’ailleurs, mais c’est quand même lui qui avait montré aux Feydars le Qeidal. Sans cela ils n’auraient jamais pu repousser les gorgues et il n’y aurait probablement plus d’humains sur Feyd aujourd’hui.
Elle se releva en passant par une position d’équilibre sur les mains. Le plomb dans ses membres s'estompait un peu. Tous ces événements s’enchaînaient jusqu’à ne dépendre que d’une seule décision. Parce qu’un jour son père avait décidé de n’en faire qu’à sa tête, le destin de tout un peuple, de toute une planète, de toute une galaxie peut-être, avait basculé… Et si tout était vraiment lié ?
Elle ferma les yeux et prit une série d’inspirations très courtes avant de terminer par une longue expiration. Elle exécuta ensuite une série de sauts sur elle-même en prenant appui sur les parois qui l’entouraient avec une rapidité stupéfiante. Elle enchaîna sur une suite de prises très précises symbolisant un combat imaginaire, comme ceux que l’on apprend aux enfants pour les initier au Qeidal. Elle termina par un combo de mouvements extrêmement rapides qu’elle imagina en les réalisant… Parce que l’évolution est la clé du maître Qeidal, comme la vie, il continue inlassablement son chemin mais jamais n'emprunte les mêmes voies. Son dernier coup porté avec la paume s’arrêta à l’extrême limite d’un pilier de la tombe de son père, le geste frôlant la structure. Le frisson de la force contenue parcourut tout son bras en le faisant trembler avant de mourir en vibrant dans ses muscles. Elle resta quelques instants dans la même position pour reprendre ses forces après la sollicitation vitale de son corps. Sa main ne toucha pas la pierre même quand elle se releva.
Elle fit quelques pas puis s’allongea sur le sol en décontractant ses muscles à l’extrême. Elle se dégagea petit à petit de ses sensations musculaires, en se concentrant sur sa tête, en faisant abstraction de tous ses autres membres. Elle se sentit au plus profond d’elle-même et puis sa conscience se dégagea encore plus loin, à ce niveau de conscience où les sens ne signifient plus rien, où les perceptions sont une avec la vie, où la pensée flotte se suffisant à elle-même. Elle resta un long moment ainsi, flottante dans un autre champ de conscience, entre une réalité et une autre. Elle sentit peu à peu une présence qui se rapprochait, une présence fatiguée mais déterminée et puissante. Une présence qui semblait telle une braise rougeoyante : terne et quelconque en surface, bouillante et capable de faire renaître les flammes à l'intérieur.
Le corps de la jeune femme, étendu sur le sol, immobile, les yeux ouverts pendant sa transe, fut brusquement réinvesti par sa conscience. Son corps fut secoué par un spasme alors qu’elle se réapropriait ses membres. Elle cligna plusieurs fois des yeux, très rapidement pour les réhumidifier. Elle ne pouvait plus sentir la présence qui montait le long de l’escalier mais elle pouvait tendre l’oreille…
Des pas !
Elle en était sûre, des pas résonnaient dans l’escalier... Alors cette fois c’était vraiment la bonne, ce trop long sommeil artificiel devait enfin déboucher sur quelque chose. Elle se releva et s’épousseta machinalement dans ce lieu pourtant propre au delà de toute normalité, et se retourna face à la sortie de l’escalier. Les pas se rapprochaient de plus en plus. Maintenant ils se détachaient distinctement du vrombissement sourd qui habitait perpétuellement tout le bâtiment, souffle vivant de machines plusieurs fois millénaires. Elle rassembla ses cheveux au-dessus de sa nuque en les attachant avec un ruban. Juste quand elle achevait son geste il apparu, dans l’ombre de l’escalier.
Il n’était pas Feydar. Son visage n’avait pas les traits métisses et la peau mate caractéristique des natifs de Feyd. Il avait au contraire la peau assez claire comme son père et les cheveux aussi noirs que sa propre chevelure. D’ailleurs il avait une barbe naissante, et à ses souvenirs aucun homme sur Feyd à part son père n’avais jamais été barbu. Ses yeux étaient curieusement foncés, ils semblaient ne pas avoir d’iris, tache d’encre sur une perle nacrée. Il était de taille et de musculature normale. Le regard qui la fixait était profondément las mais elle savait qu'il cachait un esprit vif et intelligent. Il gardait une certaine présence malgré sa épuisement évident et sa démarche rendue maladroite par une large plaie à la cuisse.

Kérian s’arrêta net dans l’escalier : sans s’en apercevoir, il était enfin parvenu au sommet. Une femme se tenait à quelques pas devant lui, éclairée par la lumière du sanctuaire. Alors qu’elle achevait gracieusement de s’attacher les cheveux il se rappela soudainement une feydare qui lui disait quelques jours plus tôt “ la fille de Salat t’attendra au sommet de la tour, c’est une femme d'une beauté sans pareil... Mais tu devras la combattre. Fais surtout attention à la vaincre sans lui faire de mal car sa douleur sera la tienne ”. Et il comprit à ce moment ce que ces paroles signifiaient, alors que tout son être semblait s’enfler d’une chaleur irréelle. La jeune femme le jaugeait du regard pendant qu’il finissait de gravir les marches, sans un mot.
Il s’arrêta de nouveau en haut de l’escalier. Son corps n’était plus qu’une fibre fiévreuse, pulsant au rythme trop rapide des battements de son cœur, ivre de sensations.
_ Waade...
Sans qu’il ne comprenne comment il connaissait déjà son nom.
Elle croisa les bras avec un sourire plein de malice, sa voix s’éleva dans le silence du lieux, en parfait humain standard :
_ Alors c’est toi que j’ai attendu pendant si longtemps ? Je m’attendais presque à quelqu’un de plus impressionnant. Tu m’as l’air bien mal en point.
Plus rien en Kérian ne fonctionnait normalement. Ses paroles sonnaient à ses oreilles aussi étrangement que si quelqu’un d’autre les avait prononcées :
_ Je n'ai pas envie d'être « impressionnant ». J'ai envie qu'on en finisse vite. Quel genre de combat va-t-on mener ? Quel sorte d'épreuve absurde me reste-t-il encore à passer ?
La jeune femme ne lui répondit pas tout de suite et continua de le dévisager, il était trop lasse pour tenter de se préparer à une attaque surprise, elle avait d'ailleurs toujours les bras croisé et ne semblait pas menaçante, alors il la dévisagea lui aussi. Elle était sensiblement de la même taille que lui, physiquement assez semblable à la plupart des femmes feydars qu'il avait déjà vues. Sa peau semblait pourtant légèrement moins foncée ou moins métisse que les autres, et ses yeux n'étaient pas très clairs mais au contraire énergiquement bleus. Ils exerçaient un pouvoir d'attraction sur son visage difficile à contrôler. Il n'aurait pourtant pas dit en cet instant que c'était la plus belle femme qu'il ai jamais vue, et il eu une pensée ironique de plus envers ces fameuses légendes, mais elle était belle. Et il y avait quelque chose d'autre en elle qu'il n'arrivait pas à définir, mais qu'il mit en cet instant sur le compte de sa fatigue. Il avait chaud mais des sueurs froides coulaient dans son dos. L'air avait une odeur étrange, qu'il cru l'espace d'un battement de coeur de frayeur saturé d'un narcotique. Mais l'instant disparu et la peur de même alors qu'il regardait toujours la jeune femme : elle se trouvait à quelque mètre à peine dans la même pièce et respirait le même air que lui.
Elle se décida finalement à répondre :
_ Mais qui parle de combat ? Ce sont les Feydars qui t’ont envoyé ici qui t’ont dit cela ? Le seul combat que tu vas livrer est déjà gagné, ta présence ici prouve ta légitimité. De toute façon tu n'es pas en état de te battre.
Ce n'était pas une remarque mais un constat qui ne souffrait aucun appel. Le ton avec lequel elle avait prononcé la dernière phrase lui semblait avoir annihilé ses dernières forces. Quelle sorte de magie cette femme possédait-elle ? Il tenta de ne pas succomber, mais elle reprit de plus belle :
_ Il est inutile de te démener comme ça. Si tu continue, tu vas finir pas te blesser tout seul. Je ne suis pas ton ennemie.
Et aussitôt la chape de plomb s'allégea sur ses épaules. La tension disparu. Mais il ne put réprimer un frisson : le rapidité de ses changements émotionnels en sa présence n'était pas du tout normale. Il semblait avoir perdu tout contrôle sur lui-même. Et elle, elle semblait pouvoir pénétrer dans sa tête d'un seul regard. Il tenta de sortir de son malaise en quittant ses yeux et en essayant la dérision :
_ Génial. Bon alors on fait quoi maintenant ? C'est pas que ça me déplairait discuter un moment avec toi mais j'aimerai encore plus dormir pendant au moins deux jours dans un bon lit.
Elle sourit et s'approcha de lui :
_ Oui, c'est évident. Moi en revanche, je crois que j'ai assez dormi pour quelques siècles. Tu va t'asseoir là, et je vais te redonner un peu d'énergie. Tu sais, il n'y a pas d'ascenseur pour descendre, et je ne crois pas que les feydars ne viendront nous chercher.
Il la laissa le guider vers le bord de ce qui semblait être un congélateur et qui se révéla avoir un intérieur matelassé et s'y laissa choir. Elle passa derrière lui et sans crier gare commença une sorte de massage qu'il ne trouva d'abord pas spécialement agréable. Mais il se senti pourtant un peu mieux. Tout en continuant de lui triturer le dos, elle demanda d'un ton neutre :
_ Bien, maintenant que tu es là, il va falloir répondre à quelques questions. Tu n'es pas originaire de Feyd, n'est-ce pas ? Est-ce que la cité d'Horak Tunefel existe toujours ?
Kérian n'avait plus une once de résistance à offrir, et avait l'esprit trop amorti pour pouvoir formuler les questions qui lui aussi lui auraient en temps normal brûlées les lèvres. Il se contenta donc de répondre mollement :
_ Oui, il y a peut-être dix mille feydars là-bas. Mais toi, qui est-tu ? Les feydars m'ont raconté des choses invraisemblables, mais après ce qui s'est passé ces derniers jours, je veux bien croire n'importe quoi...
_ Je suis la fille de Salat. Et la stèle que tu vois en face de toi, c'est ce qui symbolise son tombeau. Son épée est posée dessus. Normalement c'est à toi qu'elle revient, tu devrais la prendre, et, avec un peu de chance, produire quelque chose d'inhabituel.
Kérian continuait de nager en plein brouillard. La jeune femme continuait de presser ses muscles avec doigté, et il sentait petit à petit un peu de vigueur revenir. Mais ses pensées demeuraient désespérément à plat.
_ Je préfère qu'on garde l'inhabituel pour plus tard. Qui est Salat ?
_ Il est arrivé ici un jour par hasard et il a été obligé de rester sur Feyd. C'était il y a très longtemps. Près de six mille ans. A cette époque les feydars étaient en train de perdre le combat pour leur survie. Les Gorgues étaient partout. Mon père leur a fait découvrir le Qeidal, et grâce à cela, ils ont pu terrasser les gorgues, et obtenir une existence un peu moins rude.
_ ... d'accord d'accord... et donc toi tu as six mille ans aussi.
Il parlait machinalement, sans chercher à construire des raisonnement ayant une quelconque vraisemblance. Mais elle lui répondit sans sourciller :
_ En effet. Je n'ai réellement vécu que vingt et un an, mais je suis né il y a quelques millénaires. Tu es assis sur le caisson de stase qui m'a permis de traverser le temps.
Kérian baissa machinalement les yeux et revit ce qu'il avait prit pour un congélateur. L'intérieur était effectivement conçu pour que quelqu'un s'y tienne allongé. Il se dit qu'il devait s'agir d'une technologie similaire à celle que les premiers colons de Feyd avaient utilisés et dont leur avait parlé Daryl. Après tout, cela n'avait finalement rien d'extraordinaire. Si eux avaient pu le faire, pourquoi d'autres n'auraient-il pas pu les imiter longtemps après ? Il continuait à penser en silence quand il senti une pression lui provoquer une douleur aiguë dans la colonne vertébrale et bondit en faisant volte-face :
_ Non mais ça va pas !
Waade était à califourchon sur le caisson de stase et changea de position pour rester assise les jambes croisées devant lui :
_ J'ai fini. Je sais que ça fait mal, mais la tension musculaire a disparu. Maintenant c'est mieux, non ?
Il était bien obligé d'admettre que sa lassitude avait effectivement été considérablement estompée. Cette femme avait décidément des talents étonnants. Il sentait même ses pensées sortir de leur torpeur et retrouver leur rythme normal. Il finit par lui poser la seule question qui importait désormais :
_ Pourquoi es-tu ici ? Qu'est-ce que signifie cette tour, et toute cette espèce de... de cinéma ?
_ Mais j'étais ici pour t'attendre, bien sûr. Salat savait que tu viendrais, même s'il n'a pas pu être précis sur la date exacte, et il était nécessaire que je sois là.
_ C'est complètement absurde : tu veux me faire croire que ton père, il y a de ça des milliers d'années, a prédit que moi je viendrai ici, et qu'il t'a persuadé de passer toute ton existence en stase pour pouvoir être là aujourd'hui ? Ça n'a pas de sens ! Personne ne pouvait prévoir ça : je suis arrivé ici en faisant un saut hyperspatial au hasard !
Cela ne semblait pas la choquer particulièrement, elle se contenta de répondre tranquillement :
_ Mais que sais-tu du hasard ?
Il la regardait pour tenter de voir si elle se moquait de lui ou pas, mais il ne put se faire aucune certitude.

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