...
Feyd :
Sur Feyd tu naîtras
Avec le Qeidal tu vivras
La violence du Sahr tu oublieras
Quand le Feydahd nous emportera
...
Poème feydar,
Asyl - 9381 GS
Leg regardait une nouvelle fois les images que lui avait transmises Daryl. Le Chef militaire qu’il était s’émerveillait des potentiels qu’il sentait en visionnant les images. Les efforts consentis par l’Union seraient payants : il en était persuadé désormais. Cette petite planète allait révolutionner la toute jeune histoire de l’Union, que ce soit par l’étude de ses habitants, par leur incroyable évacuation ou même par les contributions de Daryl, qui manifestement était bien plus sophistiqué que les calculateurs dont ils disposaient actuellement.
Soudain l’image se coupa net et les lumières de l’alerte maximale se mirent à clignoter. Le grand écran de la passerelle montrait les échos des radars à longue portée... Mais Leg n’était pas sûr de comprendre leur signification. Il se mit en communication avec le poste de navigation :
_ Qu’est-ce que c’est que ce cirque les gars ? Vos scanners sont hors service ou quoi ?
La voix qui lui répondit était stupéfaite :
_ Non Amiral, nos instruments fonctionnent parfaitement... Quelque chose est sorti de l’hyperespace à trois jours-trajet de notre position actuelle.
_ Nom de Dieu... Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
_ Nous captons des signaux de la Cosmoguarde, Amiral, c’est une Cosmoforce !
_ Mais ce n’est pas possible, les échos sont beaucoup trop gros !
_ Je vous assure, Amiral, il s’agit bel et bien d’une flotte. Attendez... Oh, MERDE !
L’opérateur avait crié, parcouru d’une peur incrédule :
_ Ils nous tirent dessus ! Les salves d’énergie sont trois fois plus grosses que notre appareil !
Leg réfléchissait en regardant les données s’afficher : ils nous tirent dessus ? D’aussi loin ? Ce n’est pas possible... Quoi ?! Trois fois plus grosses ?
Mais c’était réel. Plusieurs traits filaient vers eux à la vitesse de la lumière. Ils les atteindraient dans une quinzaine de minutes, juste assez pour essayer de les esquiver. Quel engin était capable de tirer des salves pareilles ?
L’Amiral Leg eut soudain un éclair de compréhension :
_ C’est le Doigt de Dieu ! Tout le monde à son poste, nous sommes attaqués par le supercuirassé de la Cosmoguarde !
Les tirs filaient inexorablement vers eux... Ils ne pouvaient même pas changer de position puisqu’ils étaient reliés à la planète par le câble de l’ascenseur spatial. Les turbolasers n’étaient bien sûr pas visibles dans l’espace mais il suivait leur progression sur la console de commande. Tout le monde serrait les dents... Impact ! La salve était passée à moins de deux kilomètres ! Une broutille, la proximité d’une telle énergie avait complètement désintégré les générateurs de bouclier du “ Victorieux ”. Tous les yeux se dirigèrent vers la baie qui donnait sur la planète : l’impact provoqua un trou dans les nuages qui ondulèrent comme une surface d’eau troublée par la chute d’un cailloux.
L’Amiral ne pu retenir une exclamation :
_ Nom... de... Dieu... J’espère qu’il n’y avait personne là-dessous...
Il se remit de sa surprise et se hâta jusqu’à la passerelle de commandement :
_ Tout le monde à son poste de combat, la Cosmoguarde vient d’arriver dans notre secteur ! Je veux une estimation des forces en présence, activez l’embarquement des autochtones, prévenez toutes nos forces au sol... Tenez tous les escadrons de chasseurs prêts à intervenir, mettez-moi en place une ligne directe sécurisée avec Daryl, et passez-moi Aykin sur l’holocom principal !
Le général des forces spéciales apparut sur l’holocom :
_ Amiral ?
_ La Cosmoguarde est là, ils doivent avoir au moins deux ou trois Cosmoforces... et ils nous canardent déjà avec le Doigt de Dieu. La fronde est-elle prête ?
L’autre consulta des données et lui répondit :
_ Paré pour l'attaque. Vous avez des pertes ?
_ Non, pour l’instant les tirs ne sont pas assez précis mais notre bouclier est grillé, nous allons devoir quitter la position le plus vite possible. Il est hors de question qu’on risque toutes les vies que nous transportons. Le blindage du “ Victorieux ” doit résister aux rayonnements cosmiques mais mieux vaut ne pas prendre de risque avec ça. Et de toute façon il est hors de question pour nous d'engager le combat sans bouclier. Prévenez aussi les Feydars de votre secteur que ça va commencer à être un peu la panique. Terminé.
_ Amiral, plusieurs bâtiments de l’Union sont en orbite autour de l’objectif, ils sont sur des trajectoires différentes un peu partout autour de la planète... Que fait-on ?
Ligurt De Choivill n’eut pas à réfléchir très longtemps :
_ Poussez les moteurs au maximum et déployez la flotte en encerclement, envoyez une flottille pour contourner l’objectif... Et, mmh, feu à volonté... Utilisez les batteries principales du Doigt de Dieu en simultané, bombardez la planète. Envoyez les escadres de chasseurs sur les navires ennemis. Pas de quartiers. Ce sera tout.
Il contemplait l’espace devant lui, la longue coque de son navire était illuminée à intervalle régulier par les éclairs d’énergie des puissants générateurs turbolasers. Toute la structure du vaisseau vibrait et résonnait des déflagrations sourdes : c’est ainsi dans tous les combats spatiaux, les seuls sons que l’on perçoit sont les siens et les salves énergétiques invisibles n’étaient perceptibles que par leur trace matérialisée sur les écrans des scanners et leurs éventuels impacts sur les boucliers ennemis. Un lent ballet silencieux de marionnettes d'acier, presque immobile... mais mortel.
_ Amiral ?
De Choivill se tourna vers l’officier de liaison qui l’avait apostrophé :
_ Oui ?
_ Nous avons un écho radar inidentifiable, peut-être est-ce l’aviso avec lequel nous avons perdu le contact.
_ Si c’est l’aviso, il est identifié. Quel est le problème ?
_ La signature de l’engin ne correspond pas du tout à ce qu’elle devrait être, les émissions radio du réacteur sont nulles mais surtout sa masse semble être en constante augmentation...
De Choivill transféra les données sur sa console principale et les étudia pendant un long moment avant de déclarer :
_ Ils nous ont mijoté un coup fourré, je ne sais pas encore de quoi il s’agit et ce qu’ils espèrent faire avec un simple aviso mais tenez cet engin à l’œil. Donnez l’ordre à un des cuirassés de l’escorte de le verrouiller et envoyez une escadrille de chasseurs en reconnaissance rapprochée. Au moindre signe suspect atomisez-le.
La passerelle du Doigt de Dieu devenait de plus en plus animée alors que la bataille s’amorçait dans l’espace environnant. À une telle distance de leurs ennemis, seuls les tirs lourds du supercuirassé pouvaient être efficaces mais les escadrilles de chasseurs TKS fusaient en continu de leurs points d’ancrage depuis que l’ordre en avait été donné, l’espace sur les écrans radar se couvrait de taches lumineuses en déplacement rapide :
_ Amiral, deux escadres de chasseurs ennemis sur vecteur d’interception.
_ Nombre et type d’engins ?
Un bref instant après le lieutenant lui répondit :
_ Des Couroks-EF, pas plus de 150 séparés en deux groupes. Ils ne sont pas partis des engins en orbite mais d’une base coordonnée au sol : ils nous attendaient.
De Choivill eut une moue de circonstance :
_ Évidemment qu’ils nous attendaient. Affectez six groupes de TKS-Intercepteurs de réserve sur eux, ne changez pas les ordres des groupes qui sont déjà partis.
Il se tourna vers l’officier qui se tenait près de lui :
_ L’estimation complète des forces ennemies, ça vient ?
_ Encore dix minutes Amiral, nous attendons le retour des sondes.
Le grand Amiral se retourna vers la noirceur de l’espace. Ils étaient encore beaucoup trop loin pour voir quoi que ce soit d’autre que l’espace constellé, semblable à n’importe quel ciel nocturne.
_ Amiral, du nouveau sur l’aviso !
_ J’écoute.
_ Le leader de l’escadrille de reconnaissance pense qu’il est inoffensif mais qu’il sert à cacher autre chose.
_ Cacher quoi ?
_ Je ne sais pas, Amiral.
De Choivill restait pensif mais son officier l’interrompit :
_ Nous avons le rapport de force : trois croiseurs, dix frégates ou destroyers et jusqu’à une quarantaine de transport de type aviso faiblement armés. Le prévisionnel est de 0,78% de pertes pour nous et 56 à 87% chez eux. Il semblent que les appareils ennemis soient en train de charger ou décharger une grande quantité de fret avec le sol de la planète. Les vaisseaux ennemis n’adoptent pas de formation de combat mais plutôt une stratégie de fuite. Il y a aussi des données étranges sur les mouvements des astéroïdes périphériques, regardez.
L’officier projeta sur le grand holocom de la passerelle un enregistrement en haute définition des mouvements cométaires et astéroïdaux externes. Il fit un zoom sur un point précis juste à la limite du visible avant d’être caché par le soleil jaune du système.
_ J’attends le rapport d’expertise sur cette trace, amiral.
De Choivill examina la projection puis demanda par holocom à son officier astronavigateur :
_ A votre avis, à quoi est due cette énergie ? Un vaisseau de classe supercuirassé, une comète ou une explosion de forte magnitude ?
_ Amiral, c’est un objet spatial rocheux c’est sûr, mais on dirait qu’il a été soit attaqué avec une forte puissance, soit “ poussé ” par des propulseurs chimiques.
_ Quel est l’intérêt stratégique de déplacer un astéroïde à l’autre bout du système ? Calculez-moi sa trajectoire.
L’autre s’activa en-dehors du champ visuel et eut l’air surpris puis il allait annoncer ses résultats mais fut interrompu par le lieutenant du poste télécom :
_ Amiral, l’aviso vient d’être pulvérisé par un corps non identifié en déplacement rapide !
L’astronavigateur lança alors :
_ C’est ça, ils ont accéléré autour du soleil un énorme astéroïde ! Sa trajectoire passe au milieu de notre formation !
De Choivill n’eut pas le temps d’intervenir que l’officier radar lança à son tour :
_ Amiral, nous avons perdu le contact avec l’escadron de reconnaissance !
De Choivill reprit fermement la direction des opérations :
_ Ordre à tous les cuirassés d’escorte : tirez à volonté sur l’astéroïde ! Réorientez les batteries du Doigt de Dieu vers cette cible, préparez les soutes nucléaires !
_ Amiral, c’est trop tard pour les canons du Doigt de Dieu, nous somme trop lents et il est beaucoup trop rapide... Nous allons nous le prendre de plein fouet !
De Choivill rageait et frappa du poing sa console en lâchant :
_ Les rats ! Donnez l’ordre de desserrer la formation... et concentrez le champ de stase sur le point d’impact.
Waade se hâtait vers la grande place d’Horak Tunefel. C’était arrivé finalement, il fallait partir... Elle sentait tout au fond d’elle-même les meurtrissures infligées à sa planète par leurs ennemis. Elle ne les sentait pas réellement, bien sûr, mais c'était quand même plus qu'une idée.
La cité était en train d’être évacuée par deux frégates de l’Union et on voyait le manège incessant des deux ascenseurs spatiaux de part et d’autre de la ville. Elle se dirigeait vers l’engin de transport de l’Union où l’attendait Kérian. Ils repartiraient avec les troupes de Fed Aykin directement après avoir récupéré Daryl au Bûne-Kher. Elle ne savait pas ce qu’il adviendrait de tous les leaders Feydars qui se trouvaient encore là la veille. Tous se pressaient dans les rues, elle n’avait jamais vu les Feydars dans cet état d’agitation... Kérian avait bien réussi à leur faire prendre conscience de la gravité du problème. Elle arriva enfin sur la place, les moteurs de l’engin vrombissaient déjà et soufflaient violemment l’air vers l’arrière. Elle s’agrippa à la rambarde et rentra dans la soute où se trouvaient Kérian et Aykin penchés sur les écrans qui leur retransmettaient l’état des opérations. Kérian se retourna à son arrivée :
_ Enfin tu es là. Nous pouvons partir Aykin, tout le monde a embarqué.
Aykin fit un signe au pilote mais Kérian l’arrêta aussitôt :
_ Non attends !
Il se retourna brusquement vers une direction indéterminée en regardant droit devant comme s’il voyait au travers de la paroi de l’engin. Son visage se figea en une grimace de concentration alors que tous ceux qui se trouvaient autour de lui furent repoussés d’un bon mètre et gratifiés d’un solide mal de tête.
_ Farad !
Waade se rapprocha de lui en sentant sa colère :
_ Kérian... ?
Il se retourna vers eux et leur dit d’un ton dur et profondément peiné :
_ L’Atashir d’Horak Tunefel vient de mourir. C’était stupide. Une femelle togre effrayée par l’agitation, un accouchement difficile... Il a essayé d’intervenir mais n’a pas pu maîtriser l’animal.
D’un coup sa tension nerveuse lâcha et il s’effondra en sanglot sur l’épaule de son amie. Elle le soutint et fit signe à Aykin de donner l’ordre de départ en dirigeant Kérian vers une banquette libre :
_ Ce n’est pas de ta faute Kérian, tu ne pouvais rien faire.
Il releva la tête et lui lança un regard douloureux :
_ Mais je l’ai vu mourir ! J’étais trop absorbé par l’attaque en orbite et je n’ai pas été assez attentif... J’aurais pu intervenir !
Il détourna ses yeux vers le sol, le regard vague :
_ Il est mort, et la togresse aussi, tu comprends ? C’est moi qui l’ai tué. Mais c’était trop tard... Deux êtres sont morts pour rien.
_ Tu l’as tué ? Kérian, tu me fait peur...
Il releva la tête mais ne la regarda pas directement :
_ Je l'ai tué. J'ai cru pouvoir faire quelque chose et je n'ai pas pu, alors j'ai voulu qu'elle meure. Et elle est morte.
_ ...
_ Je pensais bien pouvoir trouver un moyen d'interagir directement, consciemment, au travers du Qeidal pour intervenir à distance et non plus seulement se contenter d'observer ou de transmettre des idées. Et j'y suis parvenu, de la pire des manières qui soient. J'ai coupé le fil d'une vie.
_ Écoutes, nous vivons une situation difficile et nous sommes tous à bout de nerfs. Tu es le plus important d'entre nous maintenant, repose-toi. Il ne faut pas que tu cèdes.
_ Mais je sens tous les êtres qui disparaissent en ce moment sur Feyd, la Cosmoguarde qui bombarde, toute cette vie qui brûle... Tant de morts pour quoi ?!
_ Tu as fait déjà beaucoup, tu ne pouvais pas tous les sauver Kérian, nous allons partir d’ici... Après tu pourras te reposer.
En cet instant tous, jusqu’au soldat de l’Union le plus insensible, pouvaient sentir la colère et la profonde détresse qui fuyait des yeux rougis de Kérian et transpirait de sa voix rauque et cassée :
_ Mais c’est à cause de moi tout ce qui se passe ! C’est moi qui ai attiré la Cosmoguarde jusqu’ici ! Je veux savoir pourquoi ton père avait annoncé et attendu un futur aussi insupportable ! Et j’aimerais savoir comment ne pas souffrir pour tous ceux qui meurent... J’aimerais pouvoir oublier un peu, fermer les yeux pour ne plus voir cet océan monstrueux dans ma tête... J’aimerais... J'aimerai ne pas pouvoir tuer par réflexe juste en y pensant. J'aimerai ne jamais m'être éveillé de ce rêve. J'aimerai dormir enfin...
_ Leader rouge à tous : c’est pas la peine qu’on continue à se faire massacrer pour rien les gars ! Ils sont au moins cent fois plus nombreux que nous et techniquement supérieurs... On va foncer vers les vaisseaux de ligne, c’est notre seule chance de ralentir suffisamment la Cosmoguarde pour que les nôtres aient le temps de s’échapper.
_ Rouge 4 à leader : c’est de la folie, on n’arrivera pas à les approcher ! Il... Nom de... Prends ça, pourriture !
_ Bleu 6, t’en a quatre en passe arrière !
_ Vert 2 : j’suis foutu mon moteur va exploser !
_ Rouge 3 à tous : On ne nous a pas équipés de pruneaux atomiques pour qu’on les prenne en photo ! On fonce sur les cuirassés et on leur largue la sauce !
_ Leader rouge à tous : formation feria par groupe de cinq, moteur au max, droit sur les navires de ligne. Ceux qui sont trop endommagés, couvrez nos arrières et tirez-vous avant d’y passer !
_ Leader bleu : je les ai en visuel. Ils ont déjà morflé, ça brûle de partout, c’est bon pour nous les gars, leurs boucliers doivent déjà être saturés.
_ Vert 8 : c’est vrai les gars, c’est notre météore qui a dû les bousculer ! Ça va être la... aaah !
_ Vert 7 : et merde les gars, surveillez vos arrières et utilisez les contre-mesures au lieu de bavasser !
_ Leader rouge à groupe rouge : on attaque le gros sur la droite, concentrez le tir sur la base de la cabine. Attention à tous... Largage, on dégage !
_ Ouais ! Bingo les mecs ! Hé mais c’est quoi ce truc ?!
_ Leader vert : c’est le Doigt de Dieu, attention les verts un groupe de TKS-I en interception !
_ Rouge 3 à leader : ils nous balancent des dévastateurs on ne pourra pas tenir plus longtemps !
_ Leader rouge à tous : vous avez l’autorisation de tirer vos missiles nucléaires contre n’importe quelle cible, larguez tout et tirez-vous. Rassemblement au point prévu. Bonne chance les gars !
_ Attention, attention ! Ici le commandant de la frégate à l’équipage : un croiseur de la Cosmoguarde nous a pris en chasse avec plusieurs destroyers. Nous allons engager le combat, restez tous aux postes qui vous ont été assignés.
L’état-major de l’Union suivait le déroulement de la bataille bien à l’abri dans la forteresse sur Asyl. Le grand holocom était divisé en plusieurs zones animées, les données reconstituaient en temps réel les déplacements et les assauts. Les haut-parleurs retransmettaient les messages radio de la zone centrale : une frégate était poursuivie par une petite flotte ennemie.
Nao Zatombe suivait la frégate des yeux sans se faire d’illusion, celle-là était déjà perdue. Peut-être le commandant arriverait-il à infliger des dommages au croiseur avant d’être vaincu par les petits navires de l’escorte. La frégate commença une manoeuvre tactique qu’il connaissait bien, il l’avait mise au point avec l’Amiral Leg. Le commandant de la frégate modifia la phase finale de la manoeuvre. Très habile, il se trouva juste dans l’axe du croiseur : le puissant tir ne fut visible que par la diminution de l’énergie expulsée par les tuyères arrières. Les frégates de ce modèle tiraient directement l’énergie accélérée de leur réacteur, terriblement puissant mais risqué, car les moteurs s’arrêtaient pendant un temps assez long après la salve. La suite des événement était prévisible, le croiseur accusa l’impact et sa coque se dépressurisa localement, créant un geyser de gaz et de matière en fusion, l’avarie était sérieuse. La frégate de l’Union fut ensuite rattrapée par les destroyers et les avisos qui escortaient le croiseur, pilonnée et détruite sans autre forme de procès.
Le milieu de l’holocom revint sur une vue plus générale du théâtre des opérations. Toutes les unités lourdes de l’Union étaient maintenant hors de danger avec leurs occupants. Il ne restait plus que quelques groupes de chasseurs téméraires au milieu des cuirassés ennemis et des petits engins de transports éparpillés un peu partout autour de Feyd, plus ou moins poursuivis par des chasseurs TKS de tous types. Zatombe devait en convenir, cette bataille dérivait vers une pagaille généralisée. Il ne savait pas s’il devait s’en réjouir ou pas. Dix millions de Feydars étaient déjà en sécurité sur Asyl, et probablement autant en route par des voies détournées pour ne pas donner la position d’Asyl à la Cosmoguarde. Ils avaient donc sauvé les trois-quarts des habitants de Feyd. La flotte de l’Union n’avait perdu que deux bâtiments de type frégate alors que les dégâts infligés à l’ennemi étaient terribles : le Doigt de Dieu et son escorte de cuirassés étaient tous sérieusement avariés, plusieurs croiseurs étaient détruits ainsi que quelques engins plus petits qui se trouvaient à proximité. Quant aux chasseurs, peut-être que deux cents avaient été détruits pour cent des leurs. Leurs pilotes avaient vraiment fait du beau travail, eux qui ne possédaient que de simples Courok-EF, bien moins performants que les TKS...
Même si les résultats étaient au-delà de leurs espérances, la bataille de Feyd était quand même une défaite, et les opérations retransmises sur l’holocom ne ressemblaient maintenant plus qu’à une vaste déblacle. Il leur faudrait plusieurs jours pour faire le décompte des pertes et comptabiliser tous les disparus. Il savait que l’Amiral Leg était indemne mais pas où il était. Il n’avait aucune nouvelle de Raid Lide depuis qu’il avait coordonné les chasseurs à partir de Feyd. Aucune nouvelle non plus du général Aykin ni de Kérian et des leaders Feydars qui se trouvaient à Horak Tunefel...
En plus la Cosmoguarde n’était pas vaincue, loin de là, même si à l’avenir De Choivill réfléchirait probablement à deux fois avant de se frotter à l’Union, et dieu seul savait ce qu’il allait maintenant faire contre Feyd quasi désertée.
_ Commandor ?
Zatombe se retourna et vit Massad Karp :
_ Qu’y a-t-il ?
_ Est-ce que vous avez des nouvelles de Kérian et des habitants d’Horak Tunefel ?
_ Je suis désolé mais vous voyez là toutes les informations que j’ai... Mais comment avez-vous réussi à rentrer ici ?
Massad ne s’étendit pas sur le sujet :
_ Hum... Je me suis débrouillé, bon, heu, je vous laisse, hein.
Il tourna rapidement les talons et ressortit de la salle de commandement de l’Union à laquelle il n’avait normalement pas accès. Décidément le désordre ambiant permettait aux soldats quelques libertés... Massad n’aimait pas beaucoup ça. Il régnait dans la base comme un relent des impressions de défaite de l’après Tyrr. L’état-major était manifestement débordé, il ne fallait pas compter sur eux pour avoir des nouvelles de Kérian. Il arriva finalement au réfectoire où il avait laissé Elida. Elle posa un regard interrogateur sur lui :
_ Alors ?
_ Rien, ils ne savent rien. L’état-major est complètement en vrac. Ils ne savent même pas si Aykin est vivant ni où il peut être. La dernière fois qu’il a fait signe il était avec Kérian, Waade et une partie de ses hommes en route vers le Bûne-Kher pour récupérer Daryl. Juste après, la région a été balayée par des salves du Doigt de Dieu, les impacts au sol ont creusé des cratères de plusieurs dizaines de mètres de diamètre selon les rescapés Feydars du coin.
_ J’ai peur Massad. Je crois qu’il est arrivé quelque chose de grave. Tu sais, depuis que Kérian nous a prévenus de l’arrivée de l’Union en utilisant le Qeidal, nous sentons la présence des nôtres... Mais je ne sens plus beaucoup de monde depuis que nous avons quitté Feyd.
Il eut une moue dubitative :
_ Mouais, moi le Qeidal j’y comprends rien.
Il s’assit et jeta un regard circulaire sur les personnes présentes dans le réfectoire. C’était étrangement bariolé. Il y avait des soldats d’Asyl en tenue impeccable, des Feydars parfois marqués par les combats, des hommes d’équipage fatigués, des femmes et même des enfants. L’humeur générale était tendue, les Feydars restaient en retrait et les soldats qui n’avaient pas pris part à l’évacuation les regardaient comme des bêtes curieuses. Tout le monde avait l’air fatigué et stressé. Il était évident que personne n’avait la moindre idée certaine de l’issue de ce qui s’appellerait par la suite la première bataille du Feydahd.
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